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"Nous sommes tous rebelles syriens" : l'indexation médiatique des quotidiens Le Monde, Libération et Le Figaro dans le cas du conflit syrien

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Academic year: 2021

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« Nous sommes tous rebelles syriens »

L’indexation médiatique des quotidiens Le Monde, Libération et

Le Figaro dans le cas du conflit syrien

Mémoire

Mélanie Rembert

Maîtrise en science politique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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III

Résumé

Ce mémoire s’intéresse aux liens qui existent, en France, entre les médias et les autorités politiques, et cherche à savoir si la presse française, représentée par Le Monde, Libération et Le Figaro, a ajusté son discours à celui de ces autorités dans le cas du conflit syrien. Il transpose l’hypothèse de l’indexation de Bennett (1990) aux médias français pour déterminer si elle aurait pu prédire leur comportement quant à ce conflit. Partant du postulat que les autorités françaises ont toujours adopté un discours unique positif envers l’opposition modérée et négatif envers le régime syrien, les hypothèses testées via une analyse du contenu de ces quotidiens sur la Syrie entre 2011 et 2014 ont fait ressortir deux conclusions : la couverture médiatique analysée a été très homogène et similaire au discours des autorités françaises; généralement, les quotidiens se sont plus inspirés des témoins directs du conflit que des autorités françaises.

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Tables des matières

Résumé ________________________________________________________________ III

Tables des matières _______________________________________________________ V

Liste des tableaux _______________________________________________________ VII

Liste des figures __________________________________________________________ IX

Remerciements __________________________________________________________ XI

1. Introduction ____________________________________________________________ 1

2. Cadre théorique _________________________________________________________ 3

2.1. Rôle des médias en démocratie _______________________________________________ 3

2.1.1. Enjeux éthiques et fonctions traditionnelles des médias en démocratie ____________________ 3

2.2. Hypothèse de l'indexation ___________________________________________________ 8

2.2.1. Description ____________________________________________________________________ 8 2.2.2. État de la question _____________________________________________________________ 12 2.2.2.1. Remise en question de l'indexation ____________________________________________ 13 2.2.2.2. Vérification de l'indexation __________________________________________________ 14

2.3. Les paradoxes du système médiatique français _________________________________ 16 2.4. La presse, un média en mutation ____________________________________________ 19

3. Questions et hypothèses de recherche ______________________________________ 23

3.1. Question générale ________________________________________________________ 23 3.2. Question spécifique et hypothèses ___________________________________________ 24

4. Cas étudié et contexte ___________________________________________________ 29

4.1. Le conflit syrien ___________________________________________________________ 29

4.1.1. Différents récits relatifs au conflit syrien ____________________________________________ 30 4.1.1.1. Discours du régime syrien ___________________________________________________ 31 4.1.1.2. Récits des États, gouvernements ou organisations étrangers anti-Assad : États-Unis, Israël, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite, Union Européenne _____________________________________ 33 4.1.1.3. Récits de l'opposition nationale et transnationale modérée_________________________ 34 4.1.1.4. Récits des soutiens au régime syrien ___________________________________________ 38 4.1.1.4.1. Iran _________________________________________________________________ 38 4.1.1.4.2. Russie et Chine ________________________________________________________ 38 4.1.1.5. Récits ambivalents _________________________________________________________ 39 4.1.1.5.1. Opposition confessionnelle _______________________________________________ 39 4.1.1.5.2. Palestine _____________________________________________________________ 41 4.1.1.5.3. Al Qaida ______________________________________________________________ 42 4.2. Postulat _________________________________________________________________ 44

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5. Méthodologie _________________________________________________________ 49

5.1. Analyse de contenu quantitative _____________________________________________ 49

5.1.1. Sélection des articles ___________________________________________________________ 50 5.1.2. Construction de la grille d'analyse de contenu _______________________________________ 52 5.1.3. Procédure de codage ___________________________________________________________ 56 5.1.4. Conditions de vérification des hypothèses __________________________________________ 57

6. Résultats _____________________________________________________________ 59

6.1. Données descriptives et résultats préliminaires _________________________________ 59 6.2. Vérification des hypothèses _________________________________________________ 62

6.2.1. Hypothèse 1 __________________________________________________________________ 62 6.2.2. Hypothèse 2 __________________________________________________________________ 65

6.3. Analyse et interprétations des résultats _______________________________________ 67

6.3.1. Une couverture homogène dans son manichéisme ___________________________________ 68 6.3.2. Un récit majoritairement identique à celui du débat officiel ____________________________ 73 6.3.3. L'importance des faits (articles factuels) : plus de faits, moins d'opinions? ________________ 74 6.3.4. Une source d'inspiration médiatique incertaine, encore à élucider ______________________ 75 6.3.5. L'importance des sources étrangères ______________________________________________ 78

7. Conclusion et limites ____________________________________________________ 83

7.1. Conclusion _______________________________________________________________ 83 7.2. Apports et limites _________________________________________________________ 84

7.2.1. Une analyse empirique de deux objets peu étudiés : le système médiatique français et le conflit syrien ____________________________________________________________________________ 84 7.2.2. Une transposition de l’indexation à trois quotidiens français politiquement différenciés _____ 86

Références ______________________________________________________________ 89

Annexe 1 : Guide de codage ________________________________________________ 93

Annexe 2 : liste des déclarations officielles analysées ___________________________ 97

Annexe 3 : liste des articles analysés ________________________________________ 101

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VII

Liste des tableaux

Tableau 1 : composition du débat ou discours officiel ____________________________________________________ 25 Tableau 2: récits adoptés quant au conflit syrien ________________________________________________________ 44 Tableau 3 : déclarations de l'Élysée _________________________________________________________________ 46 Tableau 4 : déclarations du Ministère des Affaires Étrangères _____________________________________________ 46 Tableau 5 : Questions orales _______________________________________________________________________ 47 Tableau 6 : répartition des articles de la population entre les différents niveaux d'analyse _______________________ 52 Tableau 7 : distribution des articles par quotidien _______________________________________________________ 59 Tableau 8 : distribution des articles de l'échantillon par types d’articles ______________________________________ 61 Tableau 9 : distribution des articles de l'échantillon par emplacement _______________________________________ 62 Tableau 10 : description du ton des articles ___________________________________________________________ 63 Tableau 11 : fréquence du ton employé par les articles de l'échantillon ______________________________________ 64 Tableau 12 : fréquence du ton employé parmi les articles s'étant positionnés par rapport au débat officiel ___________ 64 Tableau 13 : fréquence détaillée des sources __________________________________________________________ 66 Tableau 14 : fréquence d'apparition des sources en fonction de leur provenance ______________________________ 67 Tableau 15 : répartition des types d'articles entre les trois quotidiens ________________________________________ 68

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IX

Liste des figures

Figure 1: l'indexation ______________________________________________________________________ 11 Figure 2 : distribution des articles dans l'échantillon, par quotidien ______________________________________ 60 Figure 3 : distribution des articles dans l'échantillon et la population, par quotidien __________________________ 61 Figure 4 : fréquence d’apparition des sources en fonction de leur provenance _____________________________ 67 Figure 5 : répartition des types d'articles entre les trois quotidiens ______________________________________ 69

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Remerciements

Ce mémoire est l’aboutissement d’un travail de longue haleine auquel nombreux sont ceux qui ont contribué par leur soutien, leurs conseils ou, tout simplement, leur écoute patiente.

Je tiens d’abord à remercier mes directeurs de recherche, Aurélie Campana et Thierry Giasson, pour leur accompagnement attentif, leur réactivité et leur sens du détail qui m’a appris à ne jamais me contenter du minimum.

Un remerciement particulier à Marc Bodet pour sa grande disponibilité, ses encouragements dynamiques et stimulants ainsi que sa prévenance mais, surtout, ses nombreux conseils méthodologiques.

Merci à Jonathan Paquin et Philippe Beauregard pour le temps qu’ils m’ont fait gagner en me fournissant la plupart des déclarations officielles analysées dans ce mémoire.

J’ai également pu compter sur le soutien de mes collègues du Groupe de Recherche en Communication Politique et de la Chaire de Recherche sur la Démocratie et les Institutions Parlementaires, sans oublier Alexandre (compagnon de bureau exceptionnel s’il en est un), Riel, Johanna, Françoise, Anthony, Philippe, Wilfried, Fiacre; l’expérience aurait été définitivement moins enrichissante sans votre présence et votre partage de connaissances.

À mes proches qui, ici ou à 6000km, m’ont encouragée, écoutée et, bien sûr, divertie tout au long de cette aventure, je vous dois la motivation que j’aurais eu du mal à trouver sans votre présence. Un merci très spécial à ma famille, mes amis et, bien sûr, Tristan.

Enfin, ce mémoire a été imaginé et rédigé avec une pensée particulière pour l’ami très cher qui m’a sensibilisée à la question syrienne, et qui se reconnaîtra. Merci à toi.

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1. Introduction

Qualifié de guerre civile par le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme (Le Devoir, 2011), le conflit syrien, qui aurait tué au moins 191.000 personnes entre son déclenchement et 2014 (Centre d'actualités de l'ONU, 2014), a fait l'objet d'une grande médiatisation en France, surtout à ses débuts. Ainsi, entre le 13 mars 2011, date qui marque le début du conflit, et le 13 mars 2014, on relève 10 171 articles contenant le mot clé Syri* publiés dans les quotidiens français Le Monde, Libération et Le Figaro, soit une moyenne de 23,54 articles par semaine pour chaque quotidien.

Or, la couverture du conflit syrien par les médias français a plusieurs fois été qualifiée de manichéenne, aux dépens du régime de Bachar al-Assad et largement orientée en faveur des rebelles et de l'opposition syrienne modérés. À titre d'exemple, certains notaient dès 2012 qu'il

n’[était] pas nécessaire d’être un partisan du régime du président Assad, mais simplement un observateur aimant la vérité pour êtreperplexe devant les récits d’atrocités liées à […] la guerre civile de Syrie. […] dès lors que sont annoncées des atrocités, la presse occidentale […] est quasi-unanime à en imputer immédiatement la responsabilité au régime (Hureaux,2012).

Au sein même de la profession journalistique, d'autres remarquaient que

Si la férocité du régime [syrien] ne fait aucun doute, la manière dont certains médias relaient, sans les vérifier, les communiqués de tel ou tel groupe d’opposition et occultent le jeu de puissances comme l’Arabie saoudite, les États-Unis ou la Turquie relève plus de la propagande que de l’information (Amado et de Miramon, 2012).

Pour d'autres encore, il existerait un biais médiatique en faveur des rebelles, biais qui serait notamment dû à la restriction de l'accès au terrain et aux données relatives au conflit syrien, fortement contrôlé par l’Armée Syrienne Libre (Masson, 2012); ceci empêcherait « [l']accès à un discours critique à l’égard des rebelles » (Masson, 2012).

Toutefois, si les contraintes propres à l'activité journalistique en temps de conflit armé telles que la restriction de l'accès au terrain et aux données ont effectivement tendance à biaiser la manière dont les médias présentent les informations qu'ils récoltent (Mathien, 2001; Hecker, 2003; Charon et Mercier, 2004; Lits, 2004), d'autres facteurs pourraient expliquer une certaine forme de partialité journalistique, tels que la relation de dépendance entretenue par les journalistes avec leurs sources, notamment politiques (Gans, 2004; Bennett, 2012; Hubé, 2008). En effet, d'une manière générale, « La fabrication des nouvelles constitue une entreprise de construction à laquelle participent les journalistes, leur média et leurs sources » (Gingras, 2010 : 55). Or,

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au sein de cette entreprise, les routines journalistiques de collecte de l'information sont à la fois structurées par le rythme du gouvernement et par l'accent que les journalistes mettent eux-mêmes sur les acteurs politiques possédant le pouvoir de mise en œuvre des politiques publiques (Hayes et Guardino, 2010 : 62). Principalement issue d'un souci d'efficacité économique (Weispfenning, 1993 : 50), la routinisation de l'information se traduit donc par une dépendance des journalistes à un réseau de sources restreint auquel ils font appel de manière récurrente et dont une grande partie est issue du gouvernement (Gingras, 2010 : 56 et 57). Ce constat fait écho à de nombreuses recherches sur la sociologie des salles de presse, qui documentent la manière dont les journalistes internalisent inconsciemment des cadres de références communs, notamment en raison de la pression journalistique organisationnelle (Althaus, 2003 : 384).

Or, le fait est que les autorités françaises qui se sont succédées depuis le début du conflit, sous les présidences Sarkozy et Hollande, n'ont jamais caché leur attachement à la cause des rebelles syriens, comme l'indiquent de nombreuses déclarations réalisées par toutes les autorités constitutives du « débat officiel français » ou « discours officiel français ».

Face à cette intuition, partagée au sein de la population française (D'Almeida et Delporte, 2010 : 335), qu'il existe une ressemblance entre discours médiatique et discours politique, ce mémoire s'interroge sur la relation qui lie, en France, les médias et les autorités politiques. Plus précisément, à partir de l'exemple de la médiatisation du conflit syrien, on cherche à savoir si la presse française adapte et ajuste son discours en fonction de celui des autorités politiques officielles.

Pour ce faire, ce mémoire se propose de transposer l'hypothèse de l'indexation formulée par Bennett (1990) au cas français afin de déterminer si elle aurait pu prédire le comportement des médias dans le cas du conflit syrien.

Avant de s'intéresser aux questionnements et aux réflexions ayant mené à cette proposition de manière plus détaillée (section 3), il s'agira d'abord de présenter le cadre théorique dans lequel cette étude trouve son ancrage (section 2). Fondée sur des enjeux éthiques relatifs au rôle des médias au sein d'un système démocratique (section 2.1), notre étude s'appuie sur l'hypothèse de l'indexation, qui cherche à savoir si les médias reproduisent le discours des autorités politiques nationales officielles (section 2.1). En fonction de l'état de la littérature ayant mis cette hypothèse à l'épreuve (section 2.2), nous en adapterons le modèle au cas du système médiatique français (section 2.3), et plus particulièrement au cas de la presse (section 2.4). Les résultats obtenus à partir de la méthodologie de recherche employée (section 5) seront explicités dans la section 6, et suivis d'une conclusion (section 7).

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2. Cadre théorique

2.1. Rôle des médias en démocratie

2.1.1. Enjeux éthiques et fonctions traditionnelles des médias en démocratie

En termes d'enjeux, s'interroger sur la relation qui existe entre les pouvoirs politiques et les médiassoulève des interrogations quant au rôle de ces derniersau sein de la démocratie et de la sphère publique au sens habermassien1 du terme, que l'on peut directement associer au concept de liberté d'expression. Comme l'écrit

Gingras (2010 : 11) « La liberté d'expression, qui comprend la liberté de presse, est la valeur cardinale des systèmes médiatiques en Occident, et la sphère publique, qui renvoie à un lieu de débat public [matériel ou immatériel grâce auquel la collectivité peut s'autogouverner], en constitue le concept clé et l'idéal ». Ainsi, les débats liés à la citoyenneté démocratique et à la participation mettent très souvent l’accent sur la nécessité, pour les citoyens, d'être capables de se placer dans une approche réflexive de remise en question : idéalement, le fonctionnement optimal du système démocratique exige que les citoyens soient capables de questionner les règles qui structurent le débat public, d'avoir conscience du cadrage qui limite et qui sous-tend ce dernier, et de débattre des politiques publiques, non seulement dans leur forme, mais également et surtout dans leurs fins substantives (Entman, 2004 : 162). Certains textes juridiques garantissent d'ailleurs la liberté des citoyens de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques, telles que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

Or, historiquement mais aussi théoriquement, les médias, et plus particulièrement les journaux, constituent le premier lieu de représentation et d'expression de la pluralité d'opinions et de points de vue qui existent au sein du débat social. Agora moderne, ils offrent aux citoyens la possibilité de débattre de manière éclairée via une tribune où se confrontent, de manière libre et égalitaire, toute la gamme des idées relatives aux principaux enjeux de société. Entman (2004 : 2) note ainsi que « Ideally, a free press balances officials views with a more impartial perspective that allows the public to deliberate independently on the government's decisions ».

1 « For Habermas, the ideal public space […] facilitated reasoned deliberation, critical discussion, and tolerance of alternative arguments and viewpoints. In 18th-century Europe, Habermas envisaged the public sphere as a space for critical discussion, open to all, where people came together to exchange views and share knowledge. The process of deliberation in the public sphere encouraged the development of a rational and informed consensus in public opinion, he argued, which functioned as a check on state power. » (Norris, 2010 : 6)

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Condition non exclusive de l'existence d'une sphère publique au sein de la démocratie, les médias remplissent idéalement trois fonctions traditionnelles, qui constituent des idéaux-types : celle de « sentinelles » (watchdogs), de « déterminants de l'agenda » (agenda setters), et de « sélectionneurs » (gatekeepers). La notion de sentinelle conçoit les médias comme un contre-pouvoir aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Selon cette conception, les médias devraient idéalement envisager le pouvoir avec un regard critique afin de protéger l'intérêt public de la corruption, de l'incompétence et de la désinformation. Cette fonction médiatique idéale implique à la fois une neutralité des médias en tant que diffuseurs d'une information impartiale, mais également une exigence d'investigation envers le pouvoir, voire de remise en question des dirigeants, le tout afin de maximiser la transparence du processus décisionnel et de servir l'intérêt public (Norris, 2010 : 16). Il est intéressant de constater que le rôle de la presse en tant que chien de garde de la démocratie est souvent rappelé par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans ses arrêts (Éveno, 2008a : 11).

Les médias conçus en tant que déterminants de l'agenda ont pour fonction de hiérarchiser l'importance des enjeux de société en choisissant d'attirer ou non l'attention de l'opinion publique et des dirigeants politiques sur certaines nouvelles. Les médias déterminent ainsi les nouvelles qui sont dignes d'intérêt pour l'opinion publique et les pouvoirs politiques, et tirent la sonnette d'alarme lorsque surviennent des enjeux d'importance majeure (Norris, 2010 : 17). Toutefois, de nombreux débats subsistent quant à la définition de la direction exacte de cette relation d'influence. Si la théorie de l'agenda setting envisage initialement les médias comme exerçant une influence indépendante sur les élites politiques et l'opinion publique, des versions alternatives de la théorie avancent plutôt l'idée d'une relation d'influence bidirectionnelle et fondée sur des interactions mutuelles où les médias serviraient à faire le lien entre les priorités des élus et celles des citoyens (Norris, 2010 : 18). Finalement, de manière intéressante pour notre étude, quelques théories suggèrent un rôle plus passif des médias, selon lequel ces derniers se contenteraient de suivre et de refléter les priorités des élites, les débats pré-existant au sein de l'opinion publique et le cours naturel des évènements internationaux (Norris, 2010 : 18).

Enfin, en tant que sélectionneurs, les médias sont supposés faire office d'agora traditionnelle et d'intérêt public au sein de laquelle s'expriment et se confrontent toute la gamme des intérêts, des partis et opinions politiques, et des points de vue existant au sein de la société (Norris, 2010 : 18). Ainsi, les médias constitueraient les gardiens, mais surtout les sélectionneurs d’évènements donnant accès à un débat public éclairé et pluriel nécessaire au bon exercice de la démocratie. En effet, « Balanced and inclusive coverage among a pluralistic range of independent news media sources is […] particularly important for encouraging a vital and lively rational deliberative process, representing all political persuasions and viewpoints. » (Norris, 2010 : 18). Cette

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5 fonction idéale attribuée aux médias pourrait contribuer à expliquer certains choix médiatiques de sélection et de hiérarchisation des nouvelles.

Dans cette perspective, la capacité des médias d'offrir un espace de débat éclairé et de libre discussion à la fois aux dirigeants, mais également aux citoyens, et de toucher de larges segments de la population, en fait « des outils constitutifs des luttes politiques, que celles-ci se déroulent dans un cadre démocratique ou autocratique. » (Chupin et al., 2012: 5). Ceci est d'autant plus vrai que les médias constituent généralement la première source d’information des citoyens, plus particulièrement lorsqu'il est question de politique étrangère (Mermin, 1999 : xi2; Entman, 2004 : 1633). En effet,

The elite media continue to be the major source of information on U.S. foreign policy for Americans, especially those near the middle of the political spectrum who are not the most dedicated observers of public affairs, but who often end up deciding elections. It is true that alternative sources of news and commentary are available to citizens who have the motivation and the resources to track them down. But on questions of foreign policy such citizens are few and far between (Mermin, 1999 : xi).

En résumé, les médias

pèsent […] sur les modalités d'exercice du pouvoir. Ils offrent aux gouvernants des ressources (pour prescrire des comportements, légitimer l'action de l'État ou mobiliser la population) mais aussi des contraintes puisque leur activité est virtuellement placée sous le regard d'un public plus ou moins étendu. Instruments des batailles politiques, les médias sont par conséquent l'un des enjeux de ces affrontements. Leur développement est étroitement dépendant de l'évolution des régimes, des législations et, plus généralement, des rapports de forces sociaux. On ne peut donc concevoir d'histoire des médias sans s'intéresser aux efforts successifs des acteurs politiques pour monopoliser, contrôler, encadrer ou réguler l'univers médiatique. (Chupin et al., 2012 : 5).

Ainsi, « le choix de l'actualité et son énonciation ne sont pas neutres politiquement » (Hubé, 2008 : 9) dans la mesure où les médias, de par leurs fonctions précédemment évoquées, participent à la construction d'une certaine vision du monde.

À la fois ressources et contraintes pour conquérir, exercer ou influencer le pouvoir, les médias s'inscrivent au cœur du jeu démocratique, même si avec la professionnalisation et l'autonomisation du métier de journaliste, ce rôle s'est modifié. Reste que les médias participent

2 « The great majority of Americans still get their foreign-policy news from newspapers and television, not from specialized web sites or magazines. It is therefore essential to understand and critique their performance ».

3 « The problem with democracy in foreign policy is that public opinion […] may be poorly informed or driven by emotion and deference to authority ».

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à la construction et à la diffusion d'une « culture de masse », « forme particulière de traduction des rapports sociaux en représentations culturelles (Hubé, 2008 : 9).

Or, les informations transmises par les journalistes et les médias résultent de « choix dans la construction de l'actualité qui les engagent aussi aux yeux de l'Histoire » (Lits, 2004 : 24), impliquant une certaine responsabilité sociale des médias.

Dans ce contexte, la question centrale à ces enjeux consiste à se demander si, dans les faits, les médias remplissent effectivement le rôle idéal de sphère publique qui leur est attribué, libres de toute influence politique : « Does the […] press, protected legally from the influence and constraints of government control, with journalists guided by principles of objectivity, maximize democratic possibilities, or must we instead understand this legal and professionals claims to be made within a particular social context and to serve the requirements of a particular social order ? » (Rachlin, 1988 : 3).

Considérer que les médias, et plus particulièrement la presse, maximisent effectivement les possibilités démocratiques nous rapproche des concepts de sphère publique et de liberté d'expression. Au contraire,

if the evidence shows that journalists are letting actors inside the government set the terms and boundaries of foreign-policy debate in the news, then the free press is voluntarily surrendering to the government an essential element of its power under the first Amendment. Under these circumstances the press would be failing to play its full part in the constitutional system (Mermin, 1999).

Dans ce cas, les médias s'apparenteraient davantage à des « appareils idéologiques » servant le pouvoir en place (Gingras, 2010 : 11), et exerçant éventuellement une fonction de propagande, qu'Habermas définit comme « the use of communication as an instrument of power rather than as a medium of dialogue » (Hallin, 1994 : 4). Ainsi, s'il s'avérait que les détenteurs du pouvoir soient capables de modeler les tenants, les aboutissants et la forme du débat officiel, et ainsi d'influencer l'opinion publique, le fonctionnement idéal du système démocratique se situerait bien loin de la réalité.

Ces questionnements et enjeux ont été développés de manière approfondie par plusieurs théories que l'on peut regrouper sous l'appellation de « Manufacturing consent » : en effet, elles cherchent à savoir dans quelles mesures les médias constituent des appareils idéologiques pouvant permettre au pouvoir en place de fabriquer un consensus et un consentement au sein de la société.

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7 En premier lieu, l'hypothèse de l'hégémonie initialement développée par Herman et Chomsky (1988) et Rachlin (1988) postule qu'il existe une réelle volonté des autorités politiques de contrôler la circulation de l'information de manière à orienter le débat démocratique dans une direction unique. Ainsi,

Hegemony theorists believe that government officials keep the information available to the public within such narrow ideological boundaries that democratic deliberation and influence are both but impossible. Although these scholars acknowledge that leaders sometimes conflict with each other, they stress elites' agreement on first principles, a harmony that impedes the flow of independent information and consistently (although not inevitably) produces progovernment propaganda – and public consent or acquiescence to White House decisions (Entman, 2004 : 4).

En second lieu, l'hypothèse de l'indexation (Bennett, 1990 ; Hallin, 1986 ; Mermin, 1996 ; Althaus, 1996 et 2003 ; Zaller et Chiu, 1996) stipule plutôt que les médias ajustent leurs discours en fonction du débat politique officiel, ce qui implique que les nouvelles reflètent toute la gamme d'opinions exprimées au sein du débat officiel. Donc, « Contrary to the hegemony view, indexing theorists believe that when elites disagree about foreign policy, media reflect the discord […], and that means their rôle, though still limited, transcends mere transmission of propaganda » (Entman, 2004 : 4).

Parmi ces travaux, ce mémoire s'appuiera essentiellement sur l'hypothèse de l'indexation (indexing hypothesis) et tentera de transposer le modèle de Bennett (1990), essentiellement développé aux États-Unis, pour voir si ses prédictions sont vérifiées dans le cas français. Ce modèle est particulièrement intéressant pour une étude qui cherche à savoir si et, le cas échéant, à quel point les discours médiatiques et politiques sont similaires, car il met justement l’accent sur le degré de variété du discours des médias comparé à celui des autorités politiques officielles. Il laisse également la place à la possibilité d’un discours médiatique varié qui reflèterait toute la gamme des points de vue exprimés au sein des autorités politiques officielles, ce qui permet d’envisager les médias comme des acteurs un peu plus objectifs que ne le fait l’hypothèse de l’hégémonie. Ceci est d’autant plus vrai que le modèle de l’indexation conçoit davantage les médias comme des acteurs dotés d’un pouvoir d’initiative que comme de simples exécutants à la solde du pouvoir politique. De plus, à notre connaissance, ce modèle n’a encore jamais été testé en France, où les liens entres les autorités politiques officielles et les médias sont pourtant questionnés (sections 2.3 et 2.4).

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2.2. Hypothèse de l'indexation

2.2.1. Description

Les prémisses de l'hypothèse de l'indexation ont été posées par une étude d'Hallin, en 1986. Dans cet ouvrage, Hallin (1986) examine l'hypothèse selon laquelle les médias auraient joué un rôle d'opposition à la politique officielle des États-Unis durant la guerre du Vietnam; selon son analyse, une couverture médiatique critique de cette politique n'est apparue qu'après que certaines sections de l'élite politique de Washington se soient prononcées contre la guerre (Robinson, 2002 : 13). Ainsi, « as political divisions increased in the United States, journalists shifted along the continuum from a more cooperative or deferential to a more "adversarial" stance toward officials and their policies » (Hallin, 1986 : 9). Cela signifie que, bien que les journalistes américains n'aient exploité qu'un nombre limité de sources (sans en changer) tout au long de la Guerre du Vietnam, ils auraient reflété tout l'éventail d'opinions formulées par ces sources, y compris celles qui étaient défavorables ou critiques envers la politique américaine (Hallin, 1986 : 10). Cette vision conçoit la Guerre du Vietnam et la période du Watergate comme « a time when the media "came of age", [which means] both that the media became more autonomous in relation to government and the professional journalist more autonomous within the news organization » (Hallin, 1986 : 9). Pour Hallin (1986 : 10) :

In situations where political consensus seems to prevail, journalists tend to act as « responsible » members of the political establishment, upholding the dominant political perspective and passing on more or less at face value the views of authorities assumed to represent the nation as a whole. In situations of political conflict, they become more detached or even adversarial, though they normally will stay well within the bounds of the debate going on within the political « establishment », and will continue to grant a privileged hearing particularly to senior officials of the executive branch.

La variété du discours des médias semblerait alors intimement liée au degré d'unité du débat politique officiel, mais aussi au niveau de consensus existant dans la société en général (Hallin, 1986 : 213).

Dans un article publié en 1990, Bennett propose un cadre théorique général aux propositions qu'Hallin a formulées avant lui. Son étude constitue une analyse, sur quatre ans, des nouvelles liées à l'enjeu du Nicaragua publiées par le New-York Times. Elle vise à tester l'idée selon laquelle les nouvelles seraient implicitement indexées sur les dynamiques du débat politique officiel sans être liées, ou très peu, à l'opinion publique telle qu'elle est exprimée (Bennett, 1990 : 3).

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9 À travers cette théorie, Bennett (1990) cherche à fournir un cadre théorique unique aux différentes théories explicatives des relations entre la presse et l'État aux États-Unis, et aux explications précédemment avancées par la littérature4 à l'idée selon laquelle les médias de masse utiliseraient les autorités politiques officielles

comme sources pour la plupart des nouvelles qu'ils rapportent.

L'hypothèse centrale à l'étude de Bennett (1990 : 106) sur les relations entre la presse et le gouvernement est ainsi formulée :

Mass media news professionals, from the boardroom to the beat, tend to “index” the range of voices and viewpoints in both news and editorials according to the range of views expressed in mainstream government debate about a given topic.

This working hypothesis implies that “other” (i.e., non-official) voices filling out the potential universe of news sources are included in news stories and editorials when those voices express opinions already emerging in official circles. Such a finding would imply that the media have embraced the first element of our aforementioned cultural ideal (i.e., emphasis on institutions, deemphasis of direct popular expression) while abandoning the important companion principle calling for publicizing popular opposition in the face of unrepresentative or irresponsible institutions. Evidence supporting the indexing hypothesis would suggest that the news industry has ceded to government the tasks of policing itself and striking the democratic balance.

Avant toute chose, il convient de clarifier l'expression « mainstream government debate », que nous traduirons en français par « débat officiel » ou « discours officiel » de manière interchangeable, afin d'alléger le texte en évitant les répétitions. Ce concept constitue l'une des pierres angulaires du modèle de l'indexation, mais demeure flou si on se base seulement sur l'étude de Bennett (1990). En 1996, Althaus et al. ont explicité ce concept en distinguant entre trois segments de l'autorité politique américaine auxquels il réfère : (1) l'ensemble des autorités gouvernantes; (2) la branche exécutive ou l'administration, qui initie la politique étrangère; et (3) l'opposition officielle, que les médias identifient généralement au sein des membres du parti d'opposition au Congrès (Althaus et al., 1996). Ensemble, l'administration et ses détracteurs au Congrès constituent l'autorité gouvernante. Selon cette acceptation, l’expression « discours officiel » ou « débat officiel » désigne en fait le

4Selon une première explication (1), le caractère restreint des opinions exprimées dans les récits de nouvelles ne résulterait pas d'un processus de censure, mais plutôt de décisions professionnelles de routine relative aux faits et aux personnes que les médias devraient couvrir compte tenu de leurs ressources limitées (Bennett, 1990 : 103). De plus (2), la prédominance des voix officielles dans les nouvelles serait également due à la relation symbiotique qui existe entre les journalistes et les personnalités officielles (Bennett, 1990 : 103). Cette relation permet à la fois aux politiciens d'aiguiser leur part de fabrication de nouvelles, et aux journalistes de remplir les lacunes quotidiennes dans l'information grâce à un approvisionnement régulier de matériel économique et bien produit (Bennett, 1990 : 103). Une dernière explication (3) consisterait à avancer que la presse agit de manière responsable et démocratique en favorisant l'opinion des fonctionnaires qui, après tout, représentent les citoyens (Bennett, 1990 : 103). Pour Althaus (2003 : 384), la mémoire et l'environnement immédiats des journalistes jouent aussi un rôle.

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discours des autorités politiques officielles au sens large, et est donc plus inclusive qu’une interprétation purement institutionnelle qui n’y verrait que le discours du pouvoir exécutif.

D'un point de vue linguistique, l'indexation désigne la « variation automatique, au cours du temps et en fonction d'un indice déterminé », de la valeur d'une variable (Larousse, 2015). De la même manière, le fait d'indexer signifie « lier la variation d'une valeur à celle d'un élément pris comme système de référence » (Larousse, 2015). En l’occurrence, le discours médiatique constitue la variable dépendante, et le discours ou débat officiel la variable indépendante, c'est à dire celle qui est prise comme système de référence ou comme indice faisant varier le discours médiatique.

L'hypothèse de l'indexation ainsi clarifiée implique que les journalistes (1) utilisent en priorité et la plupart du temps les sources politiques officielles, mais peuvent également s'appuyer sur des sources non-officielles lorsque celles-ci expriment une ou des opinions déjà exprimées au sein du débat officiel, puisque les sources officielles agissent ici comme système de référence et (2) ajustent la variété de leurs discours en fonction du degré de consensus présent au sein du débat politique officiel : plus la gamme d'opinions formulées au sein du débat politique officiel sera large, plus le discours des médias sera varié. Inversement, plus la gamme d'opinions formulées au sein du débat politique officiel sera restreinte, moins le discours des médias sera varié.

Lorsqu'elle est absolument parfaite, cette dynamique peut être illustrée par le schéma suivant, ou 0 équivaut à « non varié » et 10 à « très varié » :

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11 Figure 1: l'indexation

En particulier, lorsque le débat politique officiel sera consensuel, en faveur d'une opinion unique, le discours des médias ne présentera aucune variété et prendra la forme de ce que nous appellerons un « alignement » total sur le débat officiel (point 0;0 sur le schéma). Ce cas constitue un cas extrême, à la limite du modèle de Bennett.

Cette conception du journalisme suppose notamment que la possibilité d'existence d'un débat réellement démocratique au sein de la société, via les médias, est conditionnée par les intérêts conflictuels et autres incitations électorales qui orientent le discours des autorités politiques officielles.

Ainsi,

Through the interplay of power, state priorities, and national elections, such a system might work fairly well in representing popular sentiments on some issues (e.g., abortion), while either ignoring or propagandizing popular views in other areas (e.g., national security and foreign policy). The press in this system might be seen to have settled for a comfortable role as “keeper of the official record” while abdicating its traditional mandate to raise an independent “voice of the people” under appropriate circumstances (Bennett, 1990 : 106).

Toutefois, l'hypothèse de l'indexation constitue une norme générale destinée à expliquer le comportement des organismes de presse principaux, ceux qui définissent les standards de presse professionnels et qui influencent l'agenda quotidien de nouvelles (Bennett, 1990 : 107). D'abord, cela implique un postulat selon lequel ces organismes produisent une couverture médiatique homogène, à la fois dans le temps mais aussi

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dans leur contenu. Ensuite, cela veut dire que les agences de presse à plus petite audience soumises à l'emprise d'objectifs idéologiques ou de goûts locaux peuvent dévier de cette norme. Cette hypothèse est également destinée à s'appliquer aux comptes-rendus médiatiques des évènements, des crises, et des politiques de tous les jours plutôt qu'aux couvertures d'évènements spéciaux tels que des élections, qui sont susceptibles d'être soumis à un rituel normatif qui leur est propre (Bennett, 1990 : 107).

Il convient aussi de préciser que, même au sein du débat politique officiel, la probabilité qu'une opinion soit relayée par les médias varie en fonction du statut de la source : les médias ont davantage tendance à faire écho aux opinions exprimées par des sources issues du débat officiel susceptibles d'influencer l'issue d'un enjeu qu'aux opinions formulées par des sources marginalisées au sein du débat officiel (Bennett, 1990). « Hence, the indexing hypothesis applies most centrally to the question of how the range of positive, legitimate, or otherwise “credible” news sources is established by journalists » (Bennett, 1990 : 107).

Enfin, si des opinions externes au débat officiel sont parfois admises dans les comptes-rendus journalistiques, les circonstances entourant de telles inclusions impliquent souvent de la désobéissance civile, des protestations, ou des actes illégaux qui engendrent des contextes d'interprétation négatifs de ces voix (Bennett, 1990 : 107).

2.2.2. État de la question

Tel que mentionné précédemment, il convient d'abord de noter que l'essentiel des études à notre connaissance portant sur l'hypothèse de l'indexation ont été réalisées aux États-Unis, à quelques exceptions près (comme celle d'Eilders et Lüter, 2000).

Ainsi, plusieurs chercheurs ayant examiné la couverture médiatique d'enjeux de politique étrangère aux États-Unis ont trouvé des conclusions remettant en cause l'hypothèse de l'indexation(notamment Entman et Page, 1994; Livingston et Eachus, 1996; Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996; Mermin, 1996; Althaus, 2003; Entman, 2004; Hayes et Guardino, 2010), ce qui a conduit Livingston et Bennett (2003) à parler d'une « presse semi-indépendante » (semi-independent press).

Au contraire, de nombreuses conclusions vont dans le sens de l'hypothèse de l'indexation, comme celles avancées par Zaller et Chiu (1996), Livingston et Bennett (2003), Bennett, Lawrence et Livingston (2006 et 2007), Bennett (2012).

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13 2.2.2.1. Remise en question de l'indexation

Dans certains cas marginaux, les journalistes exercent un pouvoir discrétionnaire considérable pour transmettre des opinions opposées à celle de l'administration officielle, et les nouvelles ne sont pas indexées sur la variation et l'évolution du débat officiel (Althaus, 2003 : 404). Dans d'autres cas, la couverture médiatique est quasiment équilibrée et les critiques envers la politique de l'administration officielle sont presque autant rapportées que les opinions favorables à cette politique : l'attention accordée par les médias aux deux camps est proportionnelle au degré de pouvoir dont disposent leurs sources sur la politique en jeu (Entman et Page, 1994 : 84). Dans ces cas-là, l'indexation des nouvelles sur le débat officiel peut s'exprimer à travers la qualité des informations transmises plutôt qu'à travers leur quantité : l'information critique la plus rapportée n'est pas toujours la plus pertinente ni la plus fondamentale (Entman et Page, 1994 : 84).

Une analyse du contenu du New York Times durant la crise entre les États-Unis et la Libye (1985-1986) démontre que, si l'hypothèse de l'indexation est efficace pour prédire le comportement des médias, elle nécessite malgré tout d'être raffinée puisqu'elle anticipe des résultats différents selon ses interprétations (Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996). Par exemple, l'hypothèse de l'indexation peut être vérifiée si on se base sur la visibilité conférée à une opinion dans les Unes et les pages de couverture, mais infirmée si on se concentre sur les sources les plus citées ou sur le nombre de citations soutenant cette opinion dans le contenu des articles (Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996). Parfois, les médias ne présentent pas de politique alternative à celle défendue par l'administration, mais tendent à débattre des risques et des mérites de cette politique, comme si elle était la seule à envisager (Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996).

Ainsi, « when conflict is not found among official sources, reporters try to fulfill the ideal of independent, balanced coverage by finding conflicting possibilities in the efforts of officials to achieve the goals they have set » (Mermin, 1996 : 182).

Plus récemment, Hayes et Guardino (2010) ont soulevé l'importance du rôle des sources officielles étrangères dans la couverture journalistique d'un enjeu de politique étrangère. Leur analyse des nouvelles proposées par trois chaines de télévision américaines durant la période précédant l'invasion de l'Irak par l'administration Bush (août 2002 à mars 2003) a montré qu'en l'absence de désaccord politique à l'interne, les sources officielles étrangères qui s'opposaient à la guerre avaient fréquemment été représentées par les télévisions étudiées. Autrement dit, les journalistes sont parfois obligés de recourir aux opinions des sources officielles étrangères

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pour respecter un certain standard d'objectivité lié à leur profession, en particulier lorsqu'il y a consensus au sein des dirigeants nationaux (Hayes et Guardino, 2010 : 63).

Cette idée d'élargir la notion de « débat officiel » propre à l'hypothèse de l'indexation afin d'y inclure les sources officielles étrangères avait déjà été abordée après la fin de la Guerre Froide (Althaus et al., 1996;

Althaus, 2003; Entman, 2004; Entman et Page, 1994; Livingston et Eachus, 19965). L'appel à ces sources

pourrait d'ailleurs constituer un signe d'autonomie des médias (Althaus et al., 1996).

Dans certains cas, les journalistes se sentent également moins obligés de s'ajuster au discours officiel (Althaus, 2003 : 385), notamment lorsqu'ils ont des raisons de croire que le débat relatif à un enjeu s'est étendu jusqu'à inclure des groupes non officiels ou des citoyens ordinaires (Bennett et Klockner, 1996). Dans la continuité de Bennett, Entman (2004) propose le modèle de l'activation en cascade qui vise notamment à expliciter le lien entre le cadrage préféré de la Maison Blanche et les cadres qui apparaissent effectivement dans les nouvelles. Ce modèle s'éloigne de l'hypothèse de l'indexation traditionnelle, mais également du mandat que s'est donné la présente étude, et ne sera donc pas retenu ici. En effet, ce mémoire a pour vocation d'étudier le discours produit par certains médias, et uniquement ce discours. Or, la mise à l'épreuve du modèle de l'activation en cascade impliquerait une étude du discours des élites politiques qui outrepasserait nos objectifs de recherche. De plus, le modèle d'Entman (2004) se situe dans une approche mettant davantage l'accent sur l'influence exercée par les élites politiques sur les médias, tandis que nous cherchons plutôt à savoir si les médias choisissent, de leur propre initiative, de reproduire le discours des autorités politiques. L'approche que nous avons choisie, celle de l'indexation, nous a donc paru pertinente dans le sens où elle laisse plus de place aux choix éditoriaux et rédactionnels des médias, les responsabilisant davantage face à ces derniers.

2.2.2.2. Vérification de l'indexation

Les résultats de Zaller et Chiu (1996) ont confirmé l'hypothèse de l'indexation mais aussi révélé une tendance des médias à outrepasser les prédictions de l'indexation non seulement en ajustant leurs discours en fonction du débat officiel, mais aussi en fonction du contexte international : dans le contexte de Guerre Froide sur lequel portait leur étude, les médias ont eu tendance à être encore plus belliqueux que les sources officielles

5Dans un contexte post-Guerre Froide, les acteurs politiques ont plus de marge de manœuvre pour critiquer la politique étrangère des États-Unis, et les journalistes plus de marge de manœuvre pour critiquer celle-ci (Livingston et Eachus, 1996).

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15 lorsque les États-Unis rencontraient un ennemi communiste, et plus pacifiques lorsque les États-Unis subissaient un revers militaire.

Plus récemment, une étude (Bennett, Lawrence et Livingston, 2006) a montré que les principales organisations médiatiques américaines s'étaient alignées sur la position consensuelle de l'administration Bush dans le cadre du scandale de la prison d'Abu Ghraib, position qui a eu tendance à marginaliser et à minimiser l'ampleur des exactions commises par les États-Unis. Dans ce cas, l'analyse de contenu de la couverture réalisée par le Washington Post, CBS Evening News et un échantillon de journaux nationaux a confirmé les prédictions de l'hypothèse de l'indexation.

Ces résultats concordent avec ceux de Bennett, Lawrence et Livingston (2007), qui montrent que la presse américaine a proposé une couverture partiale des enjeux de politique étrangère survenus aux États-Unis entre la fin des attaques du 11 septembre 2001 et le milieu du second mandat de George W. Bush. Durant cette période, les médias se sont fortement alignés sur la position de l'administration Bush, tout particulièrement lorsque aucune voix issue des autres cercles de pouvoir (comme l'opposition démocrate) ne contestait cette position (Bennett, Lawrence et Livingston, 2007 : 10). Malgré leur disponibilité, la presse a donné une place marginale aux sources alternatives et crédibles susceptibles de remettre en cause la position de l'administration officielle (Bennett, Lawrence et Livingston, 2007 : 10). Seule la couverture médiatique de l'ouragan Katrina démontre plus d'indépendance, et fait ainsi exception à la règle selon laquelle la presse est globalement dépendante du gouvernement (Bennett, Lawrence et Livingston, 2007 : 10).

Des résultats similaires ont été avancés par Livingston et Bennett (2003), selon lesquels les sources gouvernementales sont toujours les plus citées dans le cas des évènements spontanés, et ce même depuis l'apparition de nouvelles technologies.

De nombreuses autres études confirment encore l'hypothèse de l'indexation (Alexseev et Bennett, 1995; Bennett et Manheim, 1993;Dorman et Livingston, 19946;Bennett, 2012), dont une allemande (Eilders et Lüter,

2000) et, dans une moindre mesure, une analyse de Robinson (2002) portant sur « l'effet CNN »7.

Comme on peut le voir, l’hypothèse de l’indexation a uniquement été testée aux États-Unis, à une exception près (Eilders et Lüter, 2000). A notre connaissance, cette hypothèse n’a jamais été mise à l’épreuve dans le

6« By and large, journalists failed to examine U.S. policy claims, moral or otherwise, within the context of alternative historical settings. […] In this regard, journalists tended to perform as passive « chroniclers » rather than active « examiners » […] » (Dorman et Livingston, 1994 : 75).

7 Cet effet est défini comme « the generic term for the ability of real-time communications technology, via the news media, to provoke major responses from domestic audiences and political elites to both global and national events » (Robinson, 2002 : 2).

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cas français. Face aux nombreux paradoxes sur lesquels repose le système médiatique français (section 2.3), nous nous proposons donc de nous attarder sur le cas de la presse française (section 2.4).

2.3. Les paradoxes du système médiatique français

Historiquement issu de la Révolution de 1789 et de la philosophie des Lumières, et concrétisé par la loi du 29 juillet 1881, le concept de liberté d'expression appliqué à la presse s'est progressivement construit, en France, sur une doctrine libérale de l’information (Balle, 2011 : 272; Charon, 2013 : 10-15). Hormis le pluralisme de l'information, principe qui rappelle le caractère essentiel de la « pluralité et [de] la variété des sources et des organes d'information », cette doctrine invoque également le refus du principe d'autorité (Balle, 2011 : 272). Or, de manière très intéressante pour notre étude, le refus du principe d'autorité postule qu'il n'existe pas une source unique de vérité (Balle, 2011 : 272). Autrement dit, « elle se refuse à admettre que la vérité […] puisse jamais être le privilège d'un seul homme ou d'une seule classe. En ce sens, la doctrine libérale s'oppose à toute tentative pour trancher de la vérité par voie d'autorité. » (Balle, 2011 : 272).

Premier instrument historique de la liberté d'expression, donc, la presse française évolue pourtant aujourd'hui dans un espace concurrentiel où l'exercice de celle-ci a été continuellement aménagé afin qu'elle soit effective, mais aussi de ne pas entraver d'autres libertés (Balle, 2011 : 267; Charon, 2013 : 27-30; Hubé, 2008 : 48-49). Certaines de ces dispositions, souvent juridiques, soulèvent des interrogations éthiques notamment quant au fondement libéral de la liberté de la presse évoqué plus haut. En particulier, l'aide économique consentie aux journaux par l'État afin de garantir aux citoyens la pluralité et la liberté de la presse expose l'indépendance de celle-ci à de potentiels conflits d'intérêt qui risquent de la menacer (Balle, 2011 : 322). De manière paradoxale, les entreprises de presse se retrouvent en fait dans une relation de dépendance vis à vis des aides qui leur sont accordées par l'État. Et

Face à l'incapacité des journaux politiques à étendre leur lectorat payant, le pluralisme du marché médiatique reste pour l'heure conditionné au « bon vouloir » des puissances publiques et privées […]. Si la participation de la presse au débat politique a été historiquement rendue possible par la suppression des entraves étatiques, seule l'intervention de l'État permet aujourd'hui aux journaux de satisfaire cet impératif civique(Chupin et al., 2012 : 111 et 112).

Bien qu'elle ne touche pas la presse, la réforme de l'audiovisuel lancée par Nicolas Sarkozy en 2008 constitue une bonne illustration de la dépendance des médias français au pouvoir politique (Chupin et al., 2012 : 112; D'Almeida et Delporte, 2010 : 341). De la même manière, cette relation de dépendance se manifeste souvent

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17 par les liens très étroits qui existent entre le milieu politique et ce que l'on peut qualifier d'élite des journalistes (D'Almeida et Delporte, 2010 : 337; Rieffel, 1984) : « Des origines sociales communes, un parcours universitaire analogue, des amitiés anciennes forgées au temps où ils étaient étudiants, constituent le socle d'une complicité nourrie par les mêmes réseaux de sociabilité » (D'Almeida et Delporte, 2010 : 337-338). Cette proximité tend à être renforcée par une activité professionnelle au cours de laquelle ces journalistes sont constamment amenés à graviter en orbite des dirigeants politiques. Ainsi « naissent des liens de confiance qui peuvent tourner à la connivence et aliéner l'indépendance du journaliste. » (D'Almeida et Delporte, 2010 : 338).

Également redéfini lors de la Libération (Eveno, 2008 : 18-29; Hubé, 2008 : 48-74), avec laquelle l'État s'est vu attribuer un rôle de garant des libertés mais aussi de régulateur du fonctionnement du marché (Hubé, 2008 : 48), le système médiatique et de presse français a depuis connu de nombreuses évolutions économiques. Concentration de la presse, apparition des journaux gratuits et des médias sociaux, place grandissante de la publicité dans les médias... Ces transformations économiques ont contribué à réduire les risques d'emprise des autorités politiques sur les médias ainsi que la possibilité de censure des nouvelles par le pouvoir politique telle qu'elle était pratiquée durant la Première et la Seconde Guerre Mondiale ou sous la présidence du Général de Gaulle (Chupin et al., 2012; Corroy et Roche, 2010: 40-44; D'Almeida et Delporte, 2010; Georgakakis, 2004 : 74-78). En effet, constamment observée et convoitée par les pouvoirs politiques en tant qu'instrument idéal de contrôle de l'opinion publique, la presse s'est souvent appuyée sur les ressources du marché pour s'affranchir de cette contrainte, apparaissant alors comme un « acteur politique lié aux puissances d'argent » (Éveno, 2008a : 11). Industrie à part entière, la presse est actuellement contrainte de se soumettre aux lois et règlementations qui régissent le développement de toute entreprise commerciale dans un système économique dont elle subit parfois de lourdes pressions (de la part de groupes financiers, d'annonceurs, etc.) (D'Almeida et Delporte, 338). Par exemple, le jeu de la concurrence a conduit, en France, à une forte concentration de la presse (Éveno, 2008a : 12). De plus, la logique économique marchande et de rentabilité s'est concrétisée par une tendance à la marchandisation de l'information, au risque de dégrader la qualité de celle-ci (écriture dans l'urgence, contraintes de temps, recrudescence du fait divers, course au scoop, etc).

Le journalisme français […] a pris des habitudes que la concurrence a eu tendance à cristalliser. Ainsi en est-il de la confiance dans les sources institutionnelles et la faiblesse de l'investigation. […] Le cas extrême est celui où, privé de toute possibilité de vérifier les affirmations d'une source institutionnelle unique, et malgré tout contraint de jouer son rôle de médiateur, il finit par céder à la pression en les légitimant (D'Almeida et Delporte, 2010 : 346).

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C'est ce qu'on a pu observer durant la guerre du Golfe, notamment (D'Almeida et Delporte, 2010 : 330;Halimi et Vidal, 2006; Charon et Mercier, 2004; Lits, 2004; Hecker, 2003). De la même manière, la tendance actuelle croissante des acteurs sociaux à privilégier le registre de la communication au détriment de celui de l'information serait en partie motivée par la compétition économique qui se joue entre les médias, ainsi que par des choix rédactionnels davantage tournés vers le mercantilisme et la notion de « produits médiatiques » que vers le souci de l'intérêt général (Mathien, 2001 : 59). L'existence d'une compétition économique entre les médias s'effectuerait aux dépens de la nette distinction qui existait auparavant entre l'information et la communication;8 au même titre que les produits culturels, l'information serait devenue l'objet d'une production

industrielle à plus ou moins forte valeur ajoutée (Mathien, 2001 : 35).

Tiraillée entre sa mission citoyenne et les règles économiques qui la gouvernent, la presse peine à se redéfinir au sein d'un système en évolution, phénomène qui se manifeste notamment par la crise qu'elle connait actuellement en France (Éveno, 2008a : 13; Corroy et Roche, 2010). En témoignent les « États généraux de la presse » organisés par Nicolas Sarkozy entre 2008 et 2009 (D'Almeida et Delporte, 2010 : 344). En ce sens, Hubé (2008 : 9) qualifie les entreprises de presse d'« entreprises en représentation politique sous contrainte économique ».

Toutefois, même si « l'atmosphère socioculturelle du pays tend à déligitimer tout interventionnisme trop flagrant des gouvernants […] ces derniers disposent toujours d'un certain nombre de ressources (règlementaires) face aux entrepreneurs médiatiques », ressources surtout constituées par les aides financières mentionnées plus haut (Chupin et al., 2012 : 113). Ainsi, puisque la libéralisation du secteur n'a pas permis de substituer les problématiques économiques aux problématiques politiques et que la démocratie et la presse sont conjointement issues d'un système capitaliste, on assiste actuellement à une configuration systémique où la presse, la démocratie et l'économie de marché constituent trois pôles indissociables et étroitement inter reliés (Éveno, 2008a : 12; Chupin et al., 2012 : 113).

Face à ces constats, on peut se demander si la presse exerce encore, au sein de la démocratie française, la mission de « contre-pouvoir » et d'expression du pluralisme qu'on lui prête souvent (Charon, 2013 : 116; D'Almeida et Delporte, 2010 : 330) et qui semble d'autant plus important dans un pays qui porte l'héritage de la Révolution française de 1789, des Lumières et de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

8Si l'on en croit Moisy (2001 : 197), « l'information est la recherche de la vérité par le journaliste alors que la communication est la promotion des intérêts de celui qui communique ». Or, il semblerait que « Le paradigme fondateur de la profession [de journaliste] qui s'est progressivement constituée à partir du XIXe siècle, à savoir l'information, [soit] de nos jours confronté aux pratiques et usages de la communication dont le glissement sémantique en fait un synonyme à la fois de relations publiques, de publicité ou de célébration symbolique » pour Mathien (2001 : 59). Ainsi, le processus d'information dans les systèmes sociaux apparait de plus en plus assimilé à celui de communication, qui suppose quant à lui une rencontre clientéliste entre un offreur d'information et un consommateur sur le marché des nouvelles (Mathien, 2001 : 36).

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19 Or,

Ce modèle historique du pluralisme à la française qui reste le socle du cadre juridique [du système médiatique français] est sans doute largement derrière nous […]. De ce point de vue, les quotidiens français se rapprocheraient plutôt d'un pluralisme à l'anglo-saxonne : sans identification précise à quelque parti ou idéologie, mais avec une structuration de l'offre éditoriale selon les grandes sensibilités du pays (Charon, 2013 : 116).

L'exemple de la bonne presse empreinte de journalisme civique telle qu'elle apparaissait à la Libération ne pèserait plus, « ni en termes de volume, ni en termes d'emploi » (D'Almeida et Delporte, 2010 : 337).

Loin d'être nouveau, ce débat s'est violemment manifesté en France lors de divers évènements historiques contemporains lors desquels les médias ont été confrontés à des risques très forts de manipulation par les autorités politiques, tels la révolution roumaine de 1989, ou encore la guerre du Golfe de 1991 (D'Almeida et Delporte, 2010 : 330; Halimi et Vidal, 2006; Charon et Mercier, 2004; Lits, 2004; Hecker, 2003).Il perdure encore de nos jours, notamment à travers certains sondages d'opinion démontrant une méfiance récurrente des français interrogés envers les journalistes (D'Almeida et Delporte, 2010 : 335-341; Merlant et Chatel, 2009; Éveno, 2008b). En particulier, depuis la fin des années 1980, il résulte d'un sondage annuel de la SOFRES9 intitulé « baromètre de la crédibilité des médias » et publié dans La Croix, que la très grande majorité des français interrogés considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants (D'Almeida et Delporte, 2010 : 335).

Cet éclairage sur la crise et les questionnements que semble essuyer le système médiatique français constitue autant d'éléments qui indiquent la pertinence de transposer le modèle de l'indexation au cas français, et plus précisément au cas de la presse française.

2.4. La presse, un média en mutation

Si la question de la nature de la relation qui existe entre les médias et les pouvoirs politiques se pose pour tous les supports d'information, du journal traditionnel à l'audiovisuel en passant par les médias sociaux, elle trouve un intérêt particulier lorsqu'elle s'applique à la presse écrite quotidienne. En effet, la presse nationale quotidienne est construite sur un format qui autorise la présentation d'une gamme d'opinions plus large, plus diversifiée et incluant plus de points de vue marginaux que dans la plupart des autres médias traditionnels

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(Charon, 2013 : 116). Contrairement aux bulletins d'information audiovisuels, qui doivent souvent respecter un laps de temps compris entre 5 et 30 min, les quotidiens nationaux disposent de l'espace nécessaire pour développer l'actualité en profondeur et en examiner les principaux aspects de fonds. De par leur nombre élevé et leurs lignes éditoriales variées, parfois ciblées en fonction de publics spécifiques, les quotidiens ont non seulement la possibilité de « rendre compte de la diversité des approches sur chacune des grandes questions du moment » (Charon, 2013 : 116), mais aussi de « représenter des sensibilités dans le mode de présentation des débats et controverses en cours » (Charon, 2013 : 116). Ainsi, pour Charon (2013 : 117) :

Le quotidien permet et suscite la diversité des points de vue sur les questions en discussion au sein du corps social. En tant que média d'actualité, il recueille et recherche la diversité d'analyses et de réactions à chacun des évènements locaux, nationaux et internationaux. Ses structures rédactionnelles particulières […] lui permettent de suivre et accompagner les questions en discussion à ces différents niveaux. […] Si le quotidien est de moins en moins la plate-forme d'expression d'un courant de pensée […], il a su, en revanche, ouvrir des espaces dans ses pages qui ont vocation à recueillir les expressions les plus diverses.

Bien que leur format y soit favorable, on peut toutefois se demander si les quotidiens laissent réellement place à la diversité de points de vue vantée par l'auteur.

Outre l'espace dont ils disposent, la richesse humaine et matérielle et la taille des rédactions des quotidiens confèrent à ces derniers un rôle et une place privilégiée au sein du système médiatique. Composés de nombreux « services spécialisés, rubricards, grands reporters, correspondants, envoyés spéciaux, chroniqueurs, […] services de documentation et banques de données » (Charon, 2013 : 119), les quotidiens sont réputés disposer des ressources nécessaires à la production d'une information objective et diversifiée, notamment en cas de crises internationales :

À l'international, lorsque les crises atteignent un paroxysme dans la dangerosité […] les quotidiens jouent un rôle privilégié qui tient à leur capacité à traiter la complexité, à tenir des discours développés et documentés, tout comme à la plus grande sobriété des moyens nécessaires pour informer. […] Le journalisme de quotidien peut dès lors s'adapter plus facilement, faire preuve de plus de flexibilité et de patience, et révéler le moment venu les conditions les plus exactes d'une situation (Charon, 2013 : 119).

Ainsi, étant visiblement le média qui fournit la gamme d'opinions et de points de vue la plus large et diversifiée, particulièrement en cas de crises internationales, le quotidien semble être un cas d'étude particulièrement intéressant lorsqu'on s'intéresse à la variété du discours médiatique. En effet, comme nous l'expliquerons plus tard, notre recherche vise entre autres à tester le degré de variété du discours journalistique produit par certains médias dans le cadre du conflit syrien. Or, un résultat démontrant une couverture médiatique axée sur

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Tableau 1 : composition du débat ou discours officiel ____________________________________________________ 25 Tableau 2: récits adoptés quant au conflit syrien ________________________________________________________ 44 Tableau 3 : déclarations de l'Élysée
Tableau 1 : composition du débat ou discours officiel  Governing Elites
Tableau 2: récits adoptés quant au conflit syrien 13
Tableau 3 : déclarations de l'Élysée
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