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3. Questions et hypothèses de recherche

6.3. Analyse et interprétations des résultats

6.3.4. Une source d'inspiration médiatique incertaine, encore à élucider

Si nous pouvons conclure, grâce à nos résultats, qu'il y a effectivement eu parenté de discours entre les quotidiens étudiés et le débat officiel français relatif au conflit syrien, la nature du système de référence choisi par les médias étudiés demeure, quant à elle, bien différente. La valeur exacte prise par la variable indépendante reste à élucider, de même que son influence précise sur notre variable dépendante, à savoir le discours médiatique. Bien que les trois quotidiens étudiés n'aient pas proposé de récit alternatif au discours officiel français, nos résultats ne permettent pas de dire que les trois quotidiens ont ajusté leur couverture en fonction du discours officiel français en particulier. Quelle est donc la véritable source d'inspiration des trois quotidiens étudiés?

De manière logique, le fait que notre première hypothèse H1 soit vérifiée nous indique que les sources utilisées par les trois quotidiens étudiés, lorsqu'elles ont exprimé une opinion, ont plus souvent alimenté le récit du conflit syrien défendu par le débat officiel français que contredit ce même récit. On en conclut que les

trois quotidiens étudiées ont, la plupart du temps, fait appel à des sources concordant avec la version officielle française pour couvrir le conflit syrien, ce qui s'est reflété dans le ton des articles analysés, très majoritairement négatifs envers Bachar al-Assad et positifs envers les rebelles ou l'opposition. Ceci signifie que même les sources extérieures au débat officiel qui, on l'a vu, ont été utilisées plus souvent par les journalistes que les sources issues du débat officiel, ont plus souvent adopté le même récit que celles-ci.. Ceci se reflète lorsque l'on observe nos résultats de plus près. Ainsi, parmi les 173 sources issues d’États ou de gouvernements étrangers, on en relève 118 (68,21% des sources issues d’États ou gouvernements étrangers) dont on savait qu'elles avaient adopté le même récit que la France quant au conflit syrien, comme les États-Unis, les pays membres de l'Union Européenne ou le Qatar22. Seules 34 sources (19,65% des

sources issues d’États ou de gouvernements étrangers) proviennent d’États ou de gouvernements étrangers soutenant le régime syrien ou ambivalents, telles que la Chine ou la Russie. Vingt et une sources (12,14% des sources issues d’États ou de gouvernements étrangers) proviennent d’États ou de gouvernements étrangers dont on ne connaissait pas la position, tels que le Vatican.

De même, sur les 60 sources issues d'ONG, 52 sont issues d'organisations parfois considérées comme proches ou apparentées aux rebelles syriens, telles que l'Observatoire Syrien des Droits de l'Homme. Ceci représente environ 87% des sources issues d'ONG.

Nous avons également relevé 99 sources issues des rebelles ou de l'opposition (8,86% du nombre total de sources utilisées dans l'échantillon), contre 55 sources issues des autorités officielles syriennes (4,92% du nombre total de sources utilisées dans l'échantillon).

En tout, sur les 1118 sources relevées dans notre échantillon, nous avons dénombré 554 sources dont on savait, selon le tableau 2, qu'elles étaient porteuses du récit 3 (49,55% des sources de l'échantillon), 240 sources porteuses des récits 1 et 2 (21,47% des sources de l'échantillon), et 324 dont le récit était inconnu au départ, ou ambivalent (28,98% des sources de l'échantillon).

Selon certaines interprétations déjà formulées dans la littérature (Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996) une majorité de sources porteuses du même discours que celui des autorités officielles pourrait éventuellement parfois suffire à inférer une indexation. Cependant, le but étant ici de déterminer si les quotidiens étudiés se sont indexés sur le débat officiel français, et pas un autre, nous avons fait un autre choix qui nous semble d'une plus grande rigueur théorique.

77 En effet, pour chaque source extérieure au débat officiel français utilisée par les quotidiens étudiés, nous ne savons pas si elle s'alignait elle-même sur le débat officiel français ou non. Or, l'hypothèse de l'indexation postule que « “other” (i.e., non-official) voices filling out the potential universe of news sources are included in news stories and editorials when those voices express opinions already emerging in official circles ». En d'autres termes, pour qu'il y ait indexation, les sources extérieures au débat officiel doivent être utilisées par les journalistes si elles expriment des opinions ayant déjà émergé au sein de ce dernier, et seulement dans ce cas-là. Le fait qu'une opinion exprimée par une source extérieure au débat officiel ait déjà été exprimée au sein du débat officiel ou non au moment où elle est formulée joue ici le rôle de variable intermédiaire, de la manière qui suit :

Opinion exprimée par la source extérieure : pas encore exprimée par le débat officiel => pas d'indexation du quotidien

Opinion exprimée par la source extérieure : déjà exprimée par le débat officiel => indexation du quotidien

Or, en l’occurrence, nous ne connaissons pas précisément, pour chaque opinion exprimée par une source extérieure au débat officiel, à chaque instant du conflit, la valeur de cette variable intermédiaire. En effet, si nous avons été capables de déterminer qu'une opinion spécifique concordait ou non avec un certain récit déjà adopté par le débat officiel français, nous n'avons pas été capables, pour chaque opinion précise exprimée par une source extérieure au débat officiel, de savoir si elle avait déjà été exprimée ou non par le débat officiel français. Certaines fois également, une opinion concordante avec le débat officiel français peut avoir été formulée avant d'avoir été exprimée au sein de ce dernier. Dans ces cas ci, inférer une indexation constituerait une sur-interprétation des résultats.

À titre d'exemple, le 28 mai 2013, un journaliste du Monde écrivait :

Guerre chimique en Syrie. Clandestins durant deux mois dans Damas et sa région avec les rebelles syriens, les reporters du « Monde » racontent l'étendue de la tragédie syrienne, l'intensité des combats, le drame humanitaire. Présents au moment d'attaques chimiques, ils témoignent de l'usage d'armes toxiques par les forces de Bachar al-Assad (Le Monde, 2013).

Or, si nous savons que cette opinion concorde avec le récit global adopté par le discours officiel français et qui consiste à incriminer Bachar al-Assad de toutes les exactions commises dans le cadre du conflit syrien (récit 3), nous savons par contre que cette opinion n'avait pas encore été exprimée en ces termes par le discours officiel à la date du 28 mai 2013 (date à laquelle a été publié l'article). En effet, c'est seulement le 27 août 2013, soit trois mois après la publication de cet article du Monde, que le discours officiel français s'est prononcé sur le responsable de l'utilisation d'armes chimiques dans le cadre du conflit syrien, lorsque François Hollande (2013) a déclaré : « Tout porte à croire que c'est le régime [de Damas] qui a commis cet acte abject qui le condamne définitivement aux yeux du monde ».

Dans ce cas, on le voit bien, on ne peut pas conclure à une indexation, au sens Bennettien du terme, uniquement sur la base qu'une opinion concorde avec le débat officiel. En effet, comme l'illustre notre exemple, le simple fait qu'une source extérieure au débat officiel exprime une opinion qui concorde avec celui- ci ne nous suffit pas à conclure à une indexation des médias étudiés sur ce même débat, puisque cela pourrait tout aussi bien démontrer une indépendance des médias, ou une indexation de ces derniers sur un autre débat officiel. Dans notre exemple, rien ne nous permet de dire que le rédacteur de l'article ne s'est pas prononcé sur l'identité du responsable de l'utilisation des armes chimiques de sa propre initiative, ou en s'indexant sur un autre discours officiel que le discours français. En ce sens, il nous a paru préférable et d'une plus grande honnêteté intellectuelle de restreindre notre seconde hypothèse aux sources issues du débat officiel, et uniquement celles-ci. C'est d'ailleurs l'approche initialement utilisée par Bennett (1990).