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3. Questions et hypothèses de recherche

6.3. Analyse et interprétations des résultats

6.3.5. L'importance des sources étrangères

Au contraire, avec 262 mentions sur 1097, soit une part de 23,43% des sources de l'échantillon (excluant les sources anonymes), tout porte à croire que les « autres sources extérieures au débat officiel » sont celles sur lesquelles les trois quotidiens étudiés se sont le plus fondés pour couvrir le conflit syrien.

Cette catégorie est essentiellement composée de témoins directs du conflit, d'habitants des zones sinistrés ou de combat, d'universitaires et autres experts ou analystes, ou encore de personnalités syriennes artistiques ou intellectuelles. On peut par exemple citer :

Le Monde

79 Décryptages Récit

HOMS, CARNETS DE GUERRE REPORTAGE DE MANI ET JONATHAN LITTELL. - 5/5 Punition collective

Homs est le théâtre de violences qui font chaque jour des victimes. Les opposants au régime tentent d'éviter une dérive sectaire de la révolution

Texte : Jonathan Littell Photo : Mani

[…]

A Al-Bayarda, peu après la mort de Taha, j'ai rencontré un cinéaste de Damas. « Il y a une confrontation religieuse ici, c'est indéniable, reconnaît-il. Des deux côtés, on parle sérieusement de nettoyage ethnique.

Mais c'est particulier à Homs, ça n'existe pas ailleurs. Moi, je suis un laïque. Je dois être ici : si je n'y suis pas, alors c'est une guerre sectaire. Si les choses évoluent dans le bon sens ailleurs, si une meilleure version de la révolution prévaut, Homs pourra être contenue. »

[…]

Il semblerait donc que les trois quotidiens étudiés aient ajusté la variété de leur discours non pas en fonction de l’évolution du discours officiel français, mais plutôt en fonction des autres sources auxquelles leurs journalistes ont eu accès dans la zone de conflit. Viennent ensuite les journalistes auteurs des articles analysés eux-mêmes ou les agences de presse AFP, Reuters et AP qui, avec 248 mentions sur 1097, représentent 22,18% des sources utilisées dans l'échantillon. Ceci pourrait nous indiquer une certaine indépendance journalistique. Les États ou gouvernements étrangers représentent quant à eux la troisième source d'information utilisée par les trois quotidiens étudiés, avec 173 mentions sur 1097, soit 15,47% des sources.

Cette forte utilisation relative de sources issues d’États ou de gouvernements étrangers par les trois quotidiens étudiés (15,47% des sources de l'échantillon) nous semble aller dans le sens des conclusions avancées par la littérature, notamment par Hayes et Guardino (2010). En effet, il ressort de l'étude menée par les deux auteurs que les sources officielles étrangères jouent un rôle très important dans la couverture journalistique des enjeux de politique étrangère, notamment en cas d'absence de désaccord politique à l'interne. Ainsi, lorsqu'il y a consensus au sein du discours officiel national, les journalistes ont tendance à recourir aux sources officielles étrangères pour respecter la variété des points de vue existant à propos des enjeux de politique étrangère qu'ils couvrent (Hayes et Guardino, 2010 : 63). Dans notre cas, ce constat est à nuancer puisque les sources officielles étrangères utilisées par Le Monde, Le Figaro et Libération ont plutôt eu tendance à corroborer le discours officiel français, et non à en proposer des versions alternatives. Toutefois, la forte part relative qu'elles représentent dans l'échantillon étudié (15,47% des sources de l'échantillon ou encore 17,47% des sources extérieures au débat officiel) renforce l'idée que ces sources jouent un rôle important dans la couverture d'enjeux internationaux.

D'ailleurs, puisque les sources officielles étrangères représentent une part de 15,47% des sources du corpus contre 9,75% seulement pour les sources officielles françaises, on s'interroge encore une fois sur la possibilité que les quotidiens étudiés se soient indexés sur un débat officiel autre ou plus large que le débat officiel français. Ceci paraît d'autant plus digne d'intérêt que, pour certains auteurs, la France semble s'être elle- même alignée sur le discours de Washington (Lesch, 2013 : 151), ce qui ne semble pas être la première fois (Paquin et Beauregard, 2014). Ceci nous questionne alors sur la possibilité d'élargir la notion de débat ou discours officiel afin d'y inclure les sources officielles étrangères, telle qu'elle a déjà été proposée par plusieurs auteurs après la fin de la Guerre Froide (Althaus et al., 1996; Althaus, 2003; Entman, 2004; Entman et Page,

1994; Livingston et Eachus, 1996).

À la lumière des conclusions de Bennett et Klockner (1996), nos résultats concernant l'utilisation, par les trois quotidiens étudiés, d'« autres sources extérieures au débat officiel » dans 23,43% des cas (à l'échelle de toutes les sources de l'échantillon) pourrait également témoigner d'une certaine autonomie journalistique. En effet, la plupart du temps, ce chiffre cache des citoyens ou témoins directs du conflit. Dans les traces de Bennett et Klockner (1996), ceci pourrait nous inciter à penser que les journalistes ont moins tendance à s'ajuster au discours officiel (Althaus, 2003 : 385), lorsqu'ils ont des raisons de croire que le débat relatif à un enjeu s'est étendu jusqu'à inclure des groupes non officiels ou des citoyens ordinaires (Bennett et Klockner, 1996). En ce sens, l'appel aux sources extérieures au débat officiel qui domine dans notre échantillon pourrait constituer un signe d'autonomie médiatique, comme cela avait déjà été énoncé par Althaus et ses collègues (1996).

81 En lien avec l'importance croissante de la couverture médiatique des évènements spontanés (event-driven news) décrite par Livingston et Bennett (2003), Iyengar (1991) soulève l’existence d’une dichotomie entre le cadrage épisodique et le cadrage thématique des nouvelles télévisées et qui pourrait, lorsqu’on la transpose aux autres types de médias, contribuer à expliquer le grand nombre de témoins directs et d’articles factuels présents dans le corpus analysé dans notre étude. Selon cette distinction, le cadrage épisodique des nouvelles prend la forme d’études de cas ou d’articles axés sur les évènements en tant que tels; il décrit les évènements du quotidien à travers des exemples très réels et concrets, voire prosaïques. Le cadrage thématique, au contraire, situe les enjeux publics dans une perspective ou un contexte plus généraux, plus abstraits, et prend la forme d’un document d’information mettant en lumière certains tenants et aboutissants de la question couverte (Iyengar, 1991 : 14). Ainsi, le choix de l’un ou l’autre de ces cadrages influence la sélection, par les médias, des sources utilisées et des évènements couverts : un cadrage épisodique mobilisera les émotions, les témoignages ou encore les drames humains, tandis qu’un cadrage thématique fera davantage appel aux récits de fond (Iyengar, 1991 : 14). Il serait alors intéressant d’approfondir la recherche afin de savoir si le cadrage utilisé par les trois quotidiens étudiés dans le cas du conflit syrien était effectivement plus épisodique que thématique.

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7. Conclusion et limites

7.1. Conclusion

Ce mémoire a permis de mettre en lumière des conclusions intéressantes. D'abord, les trois quotidiens étudiés (Le Monde, Le Figaro et Libération) ont produit une couverture du conflit syrien très homogène, bien que Le Monde se distingue très légèrement par des publications davantage partiales. Globalement, cette couverture est négative envers Bachar al-Assad ou positive envers les rebelles ou l'opposition modérés à 48,8%. Elle l'est à 47,37% dans le cas de Libération, 53,6% dans le cas du Monde, et 45,45% dans le cas du Figaro.

Ceci signifie, d'une part, que cette couverture prend majoritairement partie pour l'opposition ou les rebelles syriens modérés, les articles négatifs envers ces derniers, positifs envers Bachar al-Assad ou ambivalents ne représentant que 13,07% de l'échantillon d'articles analysés.

D'autre part, cela veut dire que les médias étudiés ont majoritairement diffusé le même récit relatif au conflit syrien que celui exprimé au sein des autorités politiques officielles françaises. Ce récit consiste à diaboliser Bachar al-Assad et ou à soutenir l'opposition ou les rebelles syriens. Toutefois, si cet élément vient questionner l'objectivité des médias et nous fournit un indice de taille quant à une indexation des trois quotidiens étudiés sur le débat officiel français, il ne suffit pas à en inférer une.

En effet, dans un deuxième temps, notre analyse a mis en lumière une certaine incertitude quant à la principale source d'inspiration des trois quotidiens étudiés. Les sources issues du débat officiel français ne représentent qu'une minorité des sources utilisées par Libération, Le Monde et Le Figaro, avec 107 mentions sur 1097, soit 9,75% seulement des sources de l'échantillon. Les sources extérieures au débat officiel, qui représentent quant à elles 90,25% des sources de l'échantillon (990 mentions sur 1097) sont celles qui ont été le plus utilisées par les trois quotidiens étudiés dans leur couverture du conflit. En particulier, la forte utilisation de sources issues d’États ou de gouvernements étrangers (15,47% des sources de l'échantillon) repose la question de l'inclusion de ces sources dans la définition du débat officiel (Althaus et al., 1996; Althaus, 2003;

Entman, 2004; Entman et Page, 1994; Livingston et Eachus, 1996). Sans nous permettre d'inférer une indexation des trois quotidiens étudiés sur le débat officiel français, ces résultats nous incitent à penser que les médias en question pourraient en fait s'être indexés sur un débat élargi aux États ou gouvernements

étrangers adoptant la même position que les autorités politiques nationales. Cet élément mériterait d'être analysé dans de prochaines études.

Toutefois, dans le cas de la couverture du conflit en Syrie, la première source d'information utilisée par les médias étudiés est celle d'une variété d'acteurs principalement constituée par des témoins directs du conflit (23,43% des sources de l'échantillon). Ceci pourrait nous laisser croire que les journalistes ont d'autant moins tendance à s'ajuster au débat officiel qu'ils ont des raisons de croire que le débat relatif à un enjeu s'est étendu jusqu'à inclure des groupes non officiels ou des citoyens ordinaires (Bennett et Klockner, 1996; Althaus, 2003 : 385). Cet élément pourrait être le signe d'une certaine autonomie des médias envers les autorités politiques officielles, de même que la forte utilisation, par les trois quotidiens étudiés, des sources journalistiques elles-mêmes et des agences de presse AFP, Reuters ou AP (22,18% des sources de l'échantillon).

Le dernier élément mis en lumière par notre étude est le caractère très factuel de la couverture médiatique du conflit syrien produite par Libération, Le Figaro et Libération. En effet, sur 352 articles analysés, 134 (38,07% de l'échantillon) sont des articles purement factuels, c'est-à-dire des articles qui se contentent d'exposer des faits sans porter aucun jugement. Cette part très importante d'articles factuels pourrait être liée à certaines routines journalistiques (Gingras, 2010), dont certaines pourraient permettre aux journalistes d'extraire leurs informations de tout contexte d'interprétation institutionnel (Livingston et Bennett, 2003).

Malgré les précautions que nous avons prises, ce mémoire comporte certaines limites qu'il convient de mettre en perspective au regard des apports de l’étude.