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3. Questions et hypothèses de recherche

3.2. Question spécifique et hypothèses

Afin de tester si la relation entre le discours des médias et le discours politique officiel français peut être prédite par l'hypothèse de l'indexation, on se propose donc de choisir le cas de la couverture médiatique du conflit syrien.

Ceci nous amène à nous poser la question qui suit :

Les trois quotidiens français de presse écriteLibération, Le Monde et Le Figaro se sont-ils alignés sur le débat politique officiel français dans leur couverture médiatique du conflit syrien ?

Comme l'ont relevé certains auteurs (Althaus, Edy, Entman et Phalen, 1996), l'hypothèse de l'indexation est sujette à plusieurs interprétations qui engendrent des résultats différents. Nous en avons choisi une combinant à la fois le ton de la couverture et les sources utilisées. Moins inclusive qu'une version de l'indexation prenant uniquement en compte soit les sources utilisées, soit le ton, la version que nous avons choisie nous semble d'autant plus fiable qu'elle nécessite la vérification de davantage de conditions pour être validée.

Ainsi, comme il a été expliqué précédemment, ce que nous appelons « alignement » des médias répond à deux conditions constitutives d'une forme extrême d'indexation, qui correspondront à nos deux hypothèses de recherche : (1) la couverture médiatique sera partiale et orientée en faveur d'une position unique identique à celle du discours politique officiel, (2) les sources issues du débat officiel seront utilisées plus souvent que les autres par les médias. Ces deux conditions sont toutes deux nécessaires à vérifier une indexation. En effet, la première condition nous indique que les médias adoptent bien le même discours que le celui des autorités politiques officielles, tandis que la seconde condition nous permet de dire que c'est bien sur le discours officiel que les médias s'indexent, et pas un autre.

D'ailleurs, pour définir le concept de « débat officiel » ou « discours officiel », expressions que nous utilisons de manière interchangeable mais auxquelles nous prêtons strictement le même sens, nous nous baserons sur la clarification apportée par Althaus et al. (1996), en l'adaptant au modèle institutionnel français. Ainsi, dans notre étude, l’expression « discours officiel » sera comprise au sens large; elle désignera le discours de toutes les autorités politiques officielles françaises (incluant l’opposition), et pas uniquement celui du pouvoir exécutif au sens strict. La compréhension du « discours officiel » sera donc, dans notre étude, plus large que dans son

25 acceptation purement institutionnelle où seul le pouvoir exécutif (à savoir le Président de la République et le gouvernement) peut être initiateur de ce discours. Ce choix peut être illustré par le tableau suivant :

Tableau 1 : composition du débat ou discours officiel

Governing Elites

(Althaus et al., 1996) États-Unis France

Executive branch /

administration Président et secrétaires d'État Président de la République et gouvernement

Oppositional officials Congrès Opposition parlementaire

Dans notre étude, le « débat officiel » ou « discours officiel » désignera donc le trio Président de la République, gouvernement, et opposition parlementaire. En raison du multipartisme avec deux partis dominants qui existe en France, l'expression « opposition parlementaire » désigne principalement les deux partis dominants de l'échiquier politique français actuellement constitués par le Parti Socialiste (PS) et l'Union pour un Mouvement Populaire (UMP). Ainsi, hors cohabitation, le PS constitue l’opposition parlementaire lorsque le président de la République est issu de l’UPM, et inversement. En situation de cohabitation, le PS constitue l’opposition parlementaire lorsque le président est également issu du PS, et inversement.

Selon cette acceptation du discours ou débat officiel, la couleur de la majorité politique ou de l’opposition n’a aucun impact sur le traitement médiatique de l’information tel que prédit par l’hypothèse de l’indexation : les médias reflèteront, de toute façon, toutes les opinions formulées au sein des deux camps. C’est d’ailleurs l’un des intérêts de cette hypothèse, puisqu’elle prédit que l’indexation s’effectuera toutes choses étant égales par ailleurs, c’est-à-dire malgré la couleur de la majorité politique ou la sympathie éventuelle d’un média envers un camp politique. En d’autres termes, l’indexation prédit l’existence d’une homogénéité dans le traitement médiatique de l’information, homogénéité qui lisserait et transcenderait les spécificités identitaires (notamment politiques) des médias : de droite, de gauche ou du centre, les médias produiront tous une information homogène. Ceci signifierait d’une part que l’information produite par les médias serait objective mais uniquement dans la mesure des frontières du discours officiel, et d’autre part que ce discours aurait plus d’influence sur le traitement médiatique de l’information que l’identité du journal lui-même.

Compte tenu du fonctionnement institutionnel français, nous ajouterons deux catégories supplémentaires à cette définition du discours officiel. La première sera constituée par la majorité politique hors exécutif et l'opposition politique hors législatif. En effet, cette catégorie englobe des représentants de l'autorité

gouvernante puisqu'elle désigne toute source issue de la majorité politique hormis les membres du gouvernement, ou toute source issue de l'opposition politique hormis les membres de l'Assemblée Nationale ou du Sénat. À titre d'exemples, on y retrouvera à la fois les maires, les préfets, ou encore les députés ou sénateurs issus de la majorité politique. La deuxième catégorie ajoutée englobera les autres représentants officiels du pouvoir politique en place, tels que les ambassadeurs, diplomates ou porte-paroles officiels, la police et l'armée, ou encore certaines autorités judiciaires comme les membres de la magistrature. En effet, les fonctionnaires et agents non titulaires sont, en France, soumis à un devoir de réserve selon lequel « Tout agent public doit faire preuve de réserve et de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions personnelles » notamment afin « d'éviter en toutes circonstances les comportements susceptibles de porter atteinte à la considération du service public par les usagers » (Direction de l'information légale et administrative, 2014). Bien que ce devoir ne concerne que le mode d’expression des opinions et non leur contenu (la liberté d’opinion étant garantie aux agents publics), il est particulièrement sévère à l’égard des titulaires de hautes fonctions administratives et des militaires. Ce devoir, qui semble suffisant pour biaiser l’expression de leurs opinions par les hauts fonctionnaires français en faveur des politiques officielles, justifie l’inclusion d’une partie de ces derniers à la définition du discours officiel. En outre, l’inclusion de certaines autorités judiciaires à cette définition est également motivée par l’existence de liens hiérarchiques entre la justice française et le pouvoir exécutif français. En particulier, les magistrats sont nommés par le président de la République, sur proposition du garde des Sceaux, après un avis du Conseil supérieur de la magistrature, que le ministre n’est pas tenu de suivre (Vie publique, 2013); toute manifestation d’hostilité à l’égard de la forme républicaine du gouvernement leur est par ailleurs interdite (Vie publique, 2012).

Cette définition posée, nous pouvons donc formuler les deux hypothèses suivantes :

H1 : les trois quotidiens français de presse écrite Libération, Le Monde et Le Figaro ont produit une couverture

partiale du conflit syrien, orientée en faveur d'un récit unique identique à celui du débat ou discours politique officiel français.

Cette première hypothèse doit nous permettre de mesurer la partialité de la couverture médiatique du conflit syrien afin de déterminer si les médias en ont présenté, ou non, des récits alternatifs à celui exprimé au sein du débat politique officiel français.

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H2 : les trois quotidiens français de presse écrite Libération, Le Monde et Le Figaro ont plus souvent utilisé

des sources issues du débat ou discours officiel français que des sources extérieures à celui-ci pour couvrir le conflit syrien.

Cette deuxième hypothèse doit nous permettre de mesurer si, sur toute la durée du conflit étudiée, les médias se sont constamment référés, en priorité, aux sources officielles françaises, comme le postule l'hypothèse de l'indexation.

Les deux hypothèses formulées ci-dessus sont complémentaires, dans la mesure où aucune d'entre elles n'est suffisante pour mesurer un alignement (donc une forme extrême d'indexation) des médias sur le discours officiel français. En effet, le fait qu'H1 soit vérifiée, et donc que les médias aient couvert le conflit syrien en en présentant une vision unique identique à celle du débat politique officiel français ne signifieraient pas pour autant que c'est bien sur ce débat en particulier, et pas sur un autre, que les médias se seraient indexés. Dans cette mesure, en nous indiquant sur quelles sources les journalistes fondent plus souvent leurs propos ou informations, H2 viendrait confirmer ou, au contraire, infirmer, une indexation des médias sur le discours officiel français.

Inversement, de la même manière qu'H1 ne suffit pas à vérifier une indexation à elle seule, le fait qu'H2 soit vraie ne signifierait pas pour autant que les médias se soient indexés sur le débat officiel français, dans la mesure où les sources utilisées par les journalistes peuvent parfois simplement servir à apporter une information factuelle, puisqu'une source est ici comprise comme l'origine d'une information. Le fait que les sources officielles soient les plus citées ne signifieraient donc pas forcément que les médias aient systématiquement présenté la même opinion que celle adoptée par le débat officiel. C'est cedernier élément qu'H1 viendrait alors vérifier.

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4. Cas étudié et contexte