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Si la question de la nature de la relation qui existe entre les médias et les pouvoirs politiques se pose pour tous les supports d'information, du journal traditionnel à l'audiovisuel en passant par les médias sociaux, elle trouve un intérêt particulier lorsqu'elle s'applique à la presse écrite quotidienne. En effet, la presse nationale quotidienne est construite sur un format qui autorise la présentation d'une gamme d'opinions plus large, plus diversifiée et incluant plus de points de vue marginaux que dans la plupart des autres médias traditionnels

(Charon, 2013 : 116). Contrairement aux bulletins d'information audiovisuels, qui doivent souvent respecter un laps de temps compris entre 5 et 30 min, les quotidiens nationaux disposent de l'espace nécessaire pour développer l'actualité en profondeur et en examiner les principaux aspects de fonds. De par leur nombre élevé et leurs lignes éditoriales variées, parfois ciblées en fonction de publics spécifiques, les quotidiens ont non seulement la possibilité de « rendre compte de la diversité des approches sur chacune des grandes questions du moment » (Charon, 2013 : 116), mais aussi de « représenter des sensibilités dans le mode de présentation des débats et controverses en cours » (Charon, 2013 : 116). Ainsi, pour Charon (2013 : 117) :

Le quotidien permet et suscite la diversité des points de vue sur les questions en discussion au sein du corps social. En tant que média d'actualité, il recueille et recherche la diversité d'analyses et de réactions à chacun des évènements locaux, nationaux et internationaux. Ses structures rédactionnelles particulières […] lui permettent de suivre et accompagner les questions en discussion à ces différents niveaux. […] Si le quotidien est de moins en moins la plate-forme d'expression d'un courant de pensée […], il a su, en revanche, ouvrir des espaces dans ses pages qui ont vocation à recueillir les expressions les plus diverses.

Bien que leur format y soit favorable, on peut toutefois se demander si les quotidiens laissent réellement place à la diversité de points de vue vantée par l'auteur.

Outre l'espace dont ils disposent, la richesse humaine et matérielle et la taille des rédactions des quotidiens confèrent à ces derniers un rôle et une place privilégiée au sein du système médiatique. Composés de nombreux « services spécialisés, rubricards, grands reporters, correspondants, envoyés spéciaux, chroniqueurs, […] services de documentation et banques de données » (Charon, 2013 : 119), les quotidiens sont réputés disposer des ressources nécessaires à la production d'une information objective et diversifiée, notamment en cas de crises internationales :

À l'international, lorsque les crises atteignent un paroxysme dans la dangerosité […] les quotidiens jouent un rôle privilégié qui tient à leur capacité à traiter la complexité, à tenir des discours développés et documentés, tout comme à la plus grande sobriété des moyens nécessaires pour informer. […] Le journalisme de quotidien peut dès lors s'adapter plus facilement, faire preuve de plus de flexibilité et de patience, et révéler le moment venu les conditions les plus exactes d'une situation (Charon, 2013 : 119).

Ainsi, étant visiblement le média qui fournit la gamme d'opinions et de points de vue la plus large et diversifiée, particulièrement en cas de crises internationales, le quotidien semble être un cas d'étude particulièrement intéressant lorsqu'on s'intéresse à la variété du discours médiatique. En effet, comme nous l'expliquerons plus tard, notre recherche vise entre autres à tester le degré de variété du discours journalistique produit par certains médias dans le cadre du conflit syrien. Or, un résultat démontrant une couverture médiatique axée sur

21 une opinion unique aurait d'autant plus de force qu'il serait fondé sur l'étude d'un média justement réputé pour sa capacité à proposer une gamme d'opinions très diversifiée, tel qu'un quotidien. Ceci soulignerait l'existence d'une véritable faille au sein du système médiatique, et d'un échec des médias à remplir leur rôle. Inversement, si le discours médiatique devait s'avérer très varié, c'est en étudiant un média capable d'exposer une large gamme de points de vue que nous aurions le plus de chances de nous en apercevoir.

Parmi tous les quotidiens publiés en France, nous avons choisi d'étudier Libération, Le Monde, et Le Figaro10,

en raison du fait que ces trois journaux constituent aujourd'hui « l’espace explicitement "politique" dans la presse quotidienne française [...] » (Peralva et Macé, 2002 : 37). En effet, « Le Figaro, fondé en 1854, dont le lectorat est à 73% électeur de droite et à 11% électeur d’extrême droite, est depuis longtemps le journal de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie conservatrice » même si il « connaît depuis 1988 de nombreuses modifications liées à une stratégie de rajeunissement et de recentrage du lectorat » (Peralva et Macé, 2002 : 37). On note par ailleurs que Le Figaro a été racheté par Serge Dassault en 2004, actuellement sénateur UMP et chef d'entreprise dans l'industrie aéronautique et l'armement.

« Libération, fondé en 1973, dont le lectorat est à 80% électeur de gauche et écologiste, conjugue [quant à lui] son héritage militant issu de mai 1968 et proche du terrain avec une ligne éditoriale qui a évolué vers le centre gauche depuis sa relance en 1981 » (Peralva et Macé, 2002 : 37). Depuis 2011 et 2014, Libération est actuellement la propriété des deux actionnaires de référence Bruno Ledoux et Patrick Drahi.

Quant au « Monde, fondé en 1944, dont le lectorat est plutôt à gauche (58%) qu'à droite (34%), est depuis la dernière guerre le journal de référence des acteurs dirigeants, et le lieu d'expression d'une expertise critique des faits et des débats » (Peralva et Macé, 2002 : 37). À propos du Monde, Éveno (2008 : 59) note pour sa part qu'il est « le journal dont tout Le Monde parle dans les dîners en ville comme dans les cercles de réflexion ». Ayant souvent, toutefois, fait l'objet de vives critiques négatives en raison d'une information jugée systématiquement déformante, désinformante ou encore mésinformante, (Éveno, 2008 : 75) Le Monde est détenu par Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse depuis 2010, ces deux derniers étant ouvertement attachés à la gauche politique.

En résumé, Libération représenterait la gauche libérale, Le Monde le centre gauche et Le Figaro la droite libérale conservatrice (Hubé, 2008 : 18). Il est donc cohérent de supposer qu'une large gamme d'opinions, y compris critiques, est généralement exprimée dans ces trois quotidiens confondus. Le choix de ces trois quotidiens est supposé couvrir la gamme des positions politiques exprimées par la presse française de manière suffisamment représentative pour notre étude.

De même, Libération, Le Monde et Le Figaro représentent la section « haut de gamme » des quotidiens français, caractérisés par un traitement particulièrement développé de l'information, à la fois en termes de diversité des domaines couverts et d'approfondissement de chaque sujet (Charon, 2013 : 36). L'international, la politique, l'économie et la culture occupent traditionnellement une grande place dans ces quotidiens, contrairement aux faits divers, souvent peu nombreux (Charon, 2013 : 36). De plus,

Le rapport privilégié de ces titres aux domaines des idées, des grandes orientations, des décisions fait qu'ils ont eu tendance un peu partout en Europe à leur consacrer une place importante, sous forme d'espaces d'expression, de tribunes ouverts aux intellectuels comme aux personnalités du monde de la politique, de l'économie, etc. (Charon, 2013 : 36).

Une telle qualité de publication implique que Libération, Le Monde et Le Figaro disposent de rédactions aux effectifs conséquents, de formation intellectuelle élevée et compétents dans des domaines très variés (Charon, 2013 : 36).

Eu égard à leur position, on devrait donc s'attendre à ce que ces trois quotidiens offrent une couverture médiatique du conflit syrien objective et représentative de toute la gamme des points de vue existant à propos du conflit syrien.

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