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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Réel voilé et poétique de la science

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Academic year: 2021

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RÉEL VOILÉ ET POÉTIQUE DE LA SCIENCE

Michel FAUCHEUX E.S.C.H.I.L., LN.S.A. Lyon

MOTS-CLÉS:RÉEL VOILÉ POÉTIQUE IMAGINATION SCIENTIFIQUE -ÉPISTÉMOLOGIE

RÉSUMÉ: Dès lors que la science contemporaine reconnaît sa fonction modéIisatrice et que certains scientifiques postulent,àl'instar de Bernard d'Espagnat, l'idée d'un "réel voilé" dont nous ne découvrons jamais que des structures générales, se pose la question du rôle de l'imagination et de la métaphore dans le processus de la découverte et de la théorisation.

SUMMARY:Since contemporary science is now admitting its function of modelization and sorne scientists, such as Bernard d'Espagnat, are defending the ide a of a "veiled reaIity", a few general structures of which we only know, we must question the function of imagination and metaphor in the process of discovery and the making of theory.

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1. INTRODUCTION

Le titre même de cette communication fait directement référence, on l'a compris,à la réflexion épistémologique que Bernard d'Espagnat conduit depuis plusieurs années. Selon celui-ci, l'homme de science peut choisir trois attitudes face à la réalité:

- l'attitude de silence et de modestie guidée par l'aphorisme de Wittgenstein: "sur ce dont je ne peux parler, j'ai l'obligation de me taire". La pratique scientifique alors, emportée par un positivisme intégral, ne serait que calculs et mesures observables.

- l'attitude de rejets: rien de ce que dit la science, essentiellement quantitatif, ne concerne l'être. - l'attitude choisie par Bernard d'Espagnat qui opte pour la théorie d'un réel voilé "qui excède en partie les possibilités de l'intelligence humaine bien que la science, qui a partie liée avec le réel, nous livre cependant certaines des structures générales de celui-ci".

D'Espagnat distingue ainsi le reél voilé et la réalité qui est l'objet des descriptions détaillées de la science qu'il nomme "réalité empirique".

Les conséquences de ce choix épistémologique sont importantes. D'une part, s'effrite le rêve d'un science qui délivrerait un savoir souverain que composerait l'empilement inéluctable et fini des connaissances. D'autre part, le discours scientifique est pensé comme pourvoyeur de modèles. Dès lors que la science a perdu l'illusion du réalisme proche et se définit comme pratique modélisatrice, de nouvelles problématiques apparaissent: la place de l'imagination scientifique dans le processus de la recherche et de la découverte, la relation du modèle et du mythe, le cadre métaphorique de la pensée scientifique, la possibilité même d'une philosophie du style appliquée à la science.

Toutes ces questions invitent doncàrepenser autrement les relations entre sciences exactes et sciences humaines, science et humanités, relations qui peuvent être de passage ou de "nouvelle alliance" selon les temles de Prigogine. Vaste champ d'interrogations qui ne peut que constituer l'arrière-fond de notre réflexion. Il s'agira pour nous, en effet, de simplement se demander ici, plus modestement mais aussi plus précisément, quelle peut être la part de l'imaginaire dans le discours modélisateur de la science tout en posant la question essentielle de la valeur poétique de l'imagination.

2. L'IMAGINATION SCIENTIFIQUE

2.1 Imagination et modèle scientifique

Avec Bernard d'Espagnat, la science reconnaît la béance entre le logos et le réel. En quelque sorte, le cercle herméneutique du discours scientifique est brisé. Partie de la raison, la science a trouvé les symboles absolus des mathématiques, partie du réel empirique, elle a misàjour des lois de la nature. Partie du réel, la science retourne au réel en l'explicitant. Pour autant, la boucle n'est pas bouclée et le concept de "réel voilé" brise le cercle herméneutique et pousse ainsi lediscours de la scienceàse recomposer à un autre niveau de complexitéOl!, sans doute, les traditionnelles oppositions, raison/imagination, vrai/faux, objectivité /subjectivité, science/mythe se décalent ou s'estompent.

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Telle est sans doute la situation de la science aujourd'hui qui invite à repenser les anciennes problématiques et les partages balisés du savoir.

Non seulement, la science fait partie d'une culture, elle est un discours humain d'explication de la réalité, mais entre le modèle et le réel voilé viennent clairement se glisser l'imaginaire et la métaphore. Poser cette hypothèse, c'est bien sûr tout de suite faire référence àl'ouvrage de Gérald Holton, L'imagination scientifique qui montre que la pensée des scientifiques est gouvernée par des "thêma". Ainsi, l'opposition Bohr! Einstein àpropos de la physique quantique reposerait sur un conflit d'imaginaires. Au thêma classique du continu défendu par Einstein s'opposerait le thêma du discontinu annoncé par Bohr. En ce sens, la science ne serait jamais qu'un processus de symbolisation parmi d'aurres et participerait d'un imaginaire au même titre que les autres productions humaines.

De même, ce serait une illusion de penser que la science a uniquement progresséà partir de l'expérimentation et l'observation.Jean-Marc Lévy-Leblond dans un entretien avec llke André Maréchal montre ainsi que l'épisode décisif et fondateur de la science contemporaine se fonde sur l'imagination. Galilée imagine, en effet, qu'on va étudier la chute des corps comme s'il n'y avait pas d'air, car on aurait alors quelque chose de plus simple. Ainsi, l'un des énoncés fondamentaux de la physique débute par une fiction et c'est seulement au XI Xe siècle que l'on construira des machines qui vérifieront l'expérience de la chute des corps dans le vide. Et comme le remarque aussi Lévy-Leblond, ce sont les astronautes qui au XXe siècle montreront pratiquement ce que Galilée avait seulement imaginé: là où il n'y a pas d'atmosphère, deux corps, un marteau et une plume, tombent exactement de la même façon.L'imagination permettrait donc de proposer des situations nouvelles qui suppléeraient le réel en idéalisant les conditions d'expérimentation. Elle aurait une fonction virtuelle d'expérimentation. On se doute que le rôle de l'imagination n'est pas ainsi circonscrit.

2.2 Imagination et production de la science

Les scientifiques insistent souvent aussi sur la part de l'intuition et de l'imagination dans le processus créateur, ce qui est revenir à Kant. On sait que pour Kant l'imagination n'est pas "l'ennemie de la raison" que dénonce Pascal ou la "folle du logis" que fustige Malebranche. En différenciant le transcendantal de l'empirique, Kant fait de l'imagination une faculté de synthèse qui assure le passage entre les intuitions sensibles et les concepts. L'imagination transcendantale est la faculté des schèmes tout comme l'entendement est la faculté des concepts. Imagination et entendement se fécondent l'un l'autre. L'idéalisme allemand reprendra ce rôle prééminent de l'imagination transcendante, fondement de toute réalité et de tout an. De faculté secondaire liéeàla sensation, l'imagination acquiert ainsi un rôle de plus en plus dynamique qui culmine chez Novalis pour qui elle devient la magie positive qui établit l'universelle afflllité des choses et des esprits. L'imagination n'est plus reproducrrice du réel et des formes. elle devient puissance créatrice qui, non seulement, comme chez Bachelard, rééquilibre l'objectivation scientifique mais aussi la relaye. En cela, l'imagination peut gouverner la formation des idées et être au principe de toute nouvelle théorie qui rompt avec la façon ancienne de penser, brise le paradigme, écrirait T.S. Kuhn. Elle est la

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fonction qui permetàla science de se renouveler et aux révolutions scientifiques de se faire. Pas de coupure épistémologique sans imagination, en quelque sorte. Ainsi, Einstein avait-il l'habitude de répéter: "Imagination is more important than knowledge". L'imaginaire et le rêve fécondent et portent la réflexion scientifique.

Réciproquement, la science fécondée par l'imagination nourrit l'imaginaire de ceux qui la pratiquent. Elle les aideàcomprendre ce qui n'est plus de l'ordre de l'observation empirique. Ce dont témoigne, par exemple, l'astrophysicien Jean-Pierre Luminet : "Lorsque, adolescent, j'ai lu dans une encyclopédie qu'un certain Albert Einstein avait montré que l'espace et le temps n'étaient pas aussi simples que ce que nous souffle l'intuition première, que l'univers pouvait être "courbé", une image très forte s'est aussitôt déclenchée en moi. À la saveur des mots s'est ajoutée leur valeur métaphorique. Le "mollusque d'espace-temps" einsteinien a résonné dans mon imaginaire en y faisant naître l'image pittoresque de l'espace-temps comme la peau d'un immense escargot striée de lumière, variée en courbures et en formes."

L'imagination intervient en aval et en amont de la science, et, en cela, emporte la raison dans la spirale ouverte de la découverte scientifique. L'imagination est une faculté d'exploration et de découverte, centrée sur la métaphore, dont on commenceàreconnaître l'importance et qui dessine les contours d'une poétique de la raison scientifique.

3. POÉTIQUE DE LA RAISON SCIENTIFIQUE

3.1 La métaphore dans la science

L'imagination est, en effet, pourvoyeuse de métaphores qui relaient l'activité rationnelle. La métaphore est bien, en ce sens, un transport de la raison qui, en déplaçant le sens des mots ouvre la raison à l'inconnu et l'impensé. Les physiciens David Bohm et David F Peat remarquent ainsi: "la leçon essentielle à en tirer est que les métaphores ont parfois un pouvoir extraordinaire, non seulement pour étendre la portée de la pensée scientifique, mais pour explorer des domaines encore inconnus de la réalité qui sont, en un sens, implicites dans la métaphore". C'est que la métaphore est un déplacement de la signification, un transport de sens selon la dénnition qu'en donne Aristote dans laPoétique,un transfert sémantique qui déplace la raison vers l'inconnu. La métaphore transporte vers l'indicible ou le non immédiat, elle transfère la raison du réel empirique et immédiat vers le réel voilé. Ainsi que l'écrit Paul Ricœur, la métaphore est, au service de la fonction poétique, cette stratégie du discours par laquelle le langage se dépouille de sa fonction de description directe pour accéder au niveau mythique où sa fonction de découverte est libérée. Dans la science joue parfois une "conceptualisation métaphorique" des choses qui porte le réelàun degré d'étrangeté contre lequel vient buter le modèle et qui stimule la raison. En définitive,letransport de la métaphore n'est jamais que la préfiguration (le fondement ?) de la distanciationàlaquelle procède la raison.

Il faut, en effet, souvent, comprendre le travail de l'imagination scientifique moins comme la production d'images analogiques de la réalité que comme un trajet vers l'inconnu, un véritable saut

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qualitatif et épistémologique vers l'inconnu: c'est-à-dire à la fois le non-dit et l'indicible et, peut-être, est-ce de plus en plus vrai. À partir de Maxwell, la science, dans certaines de ses recherches, abandonne le réel immédiat dont elle extrait des lois pour toucher à des domaines de la réalité distants de l'expérience commune, voire, comme c'est le cas dans la physique quantique, contradictoires et non représentables. On ne peut, en effet, dessiner un atome, non par manque d'information, mais parce que ce voilement est inhérent à la physique quantique. L'imagination tend alors à nourrir un formalisme scientifique: la physique quantique si elle prédit avec une très bonne précision la probabilité de mesurer un résultat lors d'une expérience ne dit pas ce qui se passe réellement lors de ce processus.

3.2 Poétique de la science

Nous nous retrouvons devant une situation scientifique inédite: nous prenons conscience que la réalité, fondamentalement, ne se donne pas à voir, qu'elle est irréductiblement "voilée". Ce constat est riche de conséquences : non seulement, la science doit se penser comme une activité modélisatrice, mais elle doit aussi admettre que la métaphore et l'imagination tracent l'espace, dessinent le trajet sur lequel se déploie ensuite la raison qui calcule et vérifie. Nous touchons là, peut-être, une véritable poétique de la raison scientifique. En cela, la science et la poésie sont très proches, toutes deux se nourrissent d'une double tragédie du langage et de la raison. Il n' y a pas de doute qu'un rapprochement fructeux pourrait être fait entre le concept de "réel voilé" que défend Bernard d'Espagnat et la métaphore de "l'Arrière-Pays" qui irrigue les poèmes d'Yves Bonnefoy. Car l'aventure de la science et la poésie sont, selon leur chemin propre, identiques: approcher du réel, qu'il s'agisse de le dire par des mots ou de l'expliquer par des lois. Le réel, c'est le proche et l'excès même qui ne se laisse enfermer dans aucun langage, ni celui de l'imagination, ni celui de la raison. S'il y a une poétique de la science, c'est bien dans la reconnaissance de cet excès même de la réalité qui réduit l'explicationàdes modèles et des créations humaines, certes fondées sur des procédures de vérification et de reproduction. La science tout comme la poésie sont une aventure de la signification qui rêve d'être éblouie par l'illumination d'une présence ou l'intelligibilité d'un réel enfin dévoilé. Aventure de tours et de détours, d'avancées et de retours tant le rêve se prend pour ce qu'il est, tant le possible et l'impossible ne cessent de s'engender et se déséquilibrer. En poésie tout comme en science, le manquement, le voilement, sont devenus la loi d'émergence du réel. Pas de physique sans méta-physique, pas de science sans poésie.

Pas de science sans beauté. Car, l'expérience esthétique n'est pas étrangère à la science. Paul Dirac soutiendra ainsi que c'est son sens aigu de la beauté qui lui a permis d'avoir le pressentiment de son équation pour l'électron. C'est là redécouvrir l'identité platonicienne du vrai et du beau et, par-delà, que le voilement du réel a pour corollaire la définition de la pensée comme dévoilement du vrai, éclaircissement de la réalité comme source d'émerveillement. La clarté de l'intelligible se conjugue à la splendeur de la présence, mais cernée de l'ombre de l'inconnaissable et du mystère. Et c'est bien ainsi que dialoguent l'art et la science, fondamentalement: dans une même attitude de l'homme épris de la réalité et de la vérité, ce que l'on peut nommer aussi la volonté de savoir, de dévoiler. Mais

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dévoiler, c'est s'aveugler, courir la chance et le risque de brûler sa raison et son imagination à l'évidence du réel, au merveilleux et au mystère.

4. CONCLUSION

La pensée qu'elle soit de science ou de poésie est, en définitive, indivisible. Tout comme le réel ne forme jamais qu'une totalité par delà d'artificielles divisions du savoir et par delà aussi les voies d'accès différentes au réel que représentent l'art et la science. Ainsi, se noue, en une alliance que nous devons reconnaître, science et humanités, où se dit une même volonté d'évidence qui ne peut aller sans le voile de l'aveuglement. "Comme les nocturnes aveuglés par l'éclat du soleil, ainsi se compone le regard de notre pensée devant ce qui est le plus lumineux" écrivait déjà Aristote.

BIBLIOGRAPHIE

D'ESPAGNAT B..Le réel voilé,Paris: Fayard, 1994.

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