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L'entente multisectorielle en protection de la jeunesse : trajectoire judiciaire et victimologique

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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L’Entente multisectorielle en protection de la jeunesse

Trajectoire judiciaire et victimologique

Mémoire

Maryse Gauthier

Maîtrise en service social

Maître en service social (M.Serv.Soc.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

L’Entente multisectorielle est un mécanisme de concertation qui vise à garantir une meilleure protection et à apporter l’aide nécessaire aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique. Son application au Québec relève principalement des Centres jeunesse, des instances policières et des procureurs. Quoique cette entente soit en vigueur depuis plus de dix ans, on ignore toujours si elle répond à son objectif initial. Cette recherche questionne les capacités d’une telle Entente de parvenir à ses fins de protection, pour les enfants et leurs familles. Elle entend démontrer qu’à certains égards, son application peut au contraire donner lieu à des risques de victimisation secondaire. Une démarche quantitative à visée exploratoire et descriptive a permis de dresser un portrait des situations récentes d’abus physiques et sexuels soumises à l’Entente multisectorielle (N= 222) au Québec, et d’identifier quelles situations ont pu mener à des accusations criminelles. Les résultats ont démontré que seulement une situation sur cinq conduisait à des accusations, les autres cas donnant lieu à un abandon des procédures ou à un manque de suivi, le tout engendrant potentiellement des conséquences néfastes pour la clientèle. Ces résultats soulignent l’importance de reconsidérer les besoins des enfants exposés à la trajectoire de criminalisation.

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ABSTRACT

The Multi-sectoral Agreement is a consultation mechanism developed for the purpose of ensuring better protection and providing necessary help to children victims of sexual abuse and physical ill-treatment, or whose physical health is threatened by a lack of appropriate care. In Quebec, its implementation depends primarily on youth centres, prosecutors and the police. Although this Agreement has been in effect for more than ten years, it remains unclear as to whether it accomplishes its intended purpose. This study examines the capacity of such an Agreement to fulfill its protective purpose, for children and their family. The study also intends to show that in certain cases, the implementation of the Agreement can lead to risks of secondary victimization. A descriptive and exploratory quantitative approach served to develop a profile of recent sexual and physical abuse situations addressed by the Multi-sectoral Agreement (N= 222) in Quebec, and to identify the situations that led to criminal charges. The results show that only one fifth of the situations led to charges. The other cases led to the abandonment of litigation or a lack of follow-up, potentially resulting in adverse consequences for clients. These results highlight the importance of reconsidering the needs of children exposed to criminal proceedings.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... v

TABLE DES MATIÈRES ... vii

LISTE DES TABLEAUX ... xi

FIGURE ... xiii

REMERCIEMENTS ... xv

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... xvii

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 | PROBLÉMATIQUE ... 3

1.1. Mise en contexte ... 3

1.1.1. Le protocole sociojudiciaire au Québec : définition et objectifs. ... 3

1.1.2. Contexte d’apparition. ... 4

1.1.3. Apports à la pratique et difficultés inhérentes. ... 6

1.1.4. La trajectoire sociojudiciaire de la criminalisation des abus et de la négligence. ... 7

1.2. Les problématiques connexes à la trajectoire de criminalisation ... 8

1.2.1. Le contraste entre l’approche punitive et l’approche de soutien familial. ... 8

1.2.2. L’absence d’une banque de données commune. ... 9

1.2.3. La gestion de risques et la complexité des rôles exercés par le travailleur social. ... 10

1.3. Recension des écrits ... 11

1.3.1. Les abus physiques dans l’enfance. ... 11

1.3.2. Les abus sexuels dans l’enfance. ... 17

1.3.3. La criminalisation des abus physiques et sexuels dans l’enfance. ... 19

1.3.4. La démonstration de la preuve et les facteurs d’influence. ... 23

1.3.5. Synthèse de la recension. ... 25

1.3.6. Limites méthodologiques des recherches. ... 26

CHAPITRE 2 | CADRE D’ANALYSE ... 27

2.1. Introduction à la victimologie... 27

2.1.1. Le concept de victime. ... 27

2.1.2. Définition de la victimologie et implication relative au processus sociojudiciaire ... 29

2.1.3. Histoire de la victimologie. ... 29

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2.2.1. Définition. ... 31

2.2.2. La pertinence de l’intervention de l’État... 32

2.2.3. Le risque associé à l’intervention de l’État. ... 33

2.2.4. Implication pour la recherche. ... 35

CHAPITRE 3 | MÉTHODOLOGIE ... 37

3.1. L’approche privilégiée et le type de recherche ... 37

3.2. Population à l’étude ... 38

3.3. Sources des données ... 40

3.4. Méthode de collecte de données ... 41

3.5. Définitions et mesures des variables ... 41

3.5.1. La variable dépendante : l’accusation criminelle. ... 41

3.5.2. Les variables indépendantes. ... 42

3.6. Analyse des données ... 55

3.7. Limites de l’étude ... 56

3.8. Considérations éthiques... 57

CHAPITRE 4 | PRÉSENTATION DES RÉSULTATS ... 59

4.1. Portrait général des ententes multisectorielles... 59

4.2. Différences et similitudes entre les ententes multisectorielles en abus physiques et en abus sexuels ... 60

4.2.1. Les caractéristiques de l’enfant. ... 60

4.2.2. Les caractéristiques de la famille. ... 62

4.2.3. Les caractéristiques de l’abuseur. ... 63

4.2.4. Les caractéristiques de l’abus. ... 66

4.2.5. L’histoire de maltraitance. ... 67

4.2.6. Les éléments de preuve. ... 68

4.2.7. Résumé. ... 70

4.3. Portrait des ententes multisectorielles en abus physiques ... 71

4.3.1. Les caractéristiques de l’enfant. ... 71

4.3.2. Les caractéristiques de la famille. ... 73

4.3.3. Les caractéristiques de l’abuseur. ... 74

4.3.4. Les caractéristiques de l’abus. ... 77

4.3.5. L’histoire de maltraitance. ... 79

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4.3.7. Résumé. ... 82

4.4. Portrait des ententes multisectorielles en abus sexuels ... 82

4.4.1. Les caractéristiques de l’enfant. ... 82

4.4.2. Les caractéristiques de la famille. ... 85

4.4.3. Les caractéristiques de l’abuseur. ... 86

4.4.4. Les caractéristiques de l’abus. ... 89

4.4.5. L’histoire de maltraitance. ... 90

4.4.6. Les éléments de preuve. ... 91

4.4.7. Résumé. ... 93

4.5. Modèle de prédiction des accusations criminelles relatives aux EMAP ... 94

CHAPITRE 5 | DISCUSSION ... 97

5.1. Différences et similitudes entre les ententes multisectorielles en abus physiques et en abus sexuels ... 98

5.1.1. Les caractéristiques de l’enfant. ... 98

5.1.2. Les caractéristiques de la famille. ... 99

5.1.3. Les caractéristiques de l’abuseur. ... 100

5.1.4. Les caractéristiques de l’abus. ... 102

5.1.5. L’histoire de maltraitance. ... 103

5.1.6. Les éléments de preuve. ... 103

5.2. Les abus physiques menant à des accusations criminelles ... 106

5.2.1. Les facteurs de prédiction. ... 106

5.2.2. Les paradoxes de la criminalisation. ... 107

5.3. Les abus sexuels menant à des accusations criminelles... 108

5.3.1. Portrait global des situations criminalisées. ... 108

5.3.2. La criminalisation « sélective ». ... 110

5.4. Le protocole sociojudiciaire : une expérience victimisante? ... 111

5.4.1. Le protocole ne produit pas nécessairement les résultats escomptés par la plainte. ... 111

5.4.2. Le manque de concertation est susceptible de nuire à l’enquête. ... 112

5.4.3. Les délais sont un maillon faible du protocole... 113

5.4.4. La démarche peut parfois causer plus de mal que de bien. ... 114

5.5. Limites de la recherche ... 115

5.6. Pistes de recherche et d’intervention ... 116

(10)

RÉFÉRENCES ... 125 ANNEXE : GRILLE DE COLLECTE DE DONNÉES ... 141

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Abus physiques et risque d’abus physiques corroborés au Québec de 2008 à

2013 sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés ... 13

Tableau 2 : Abus sexuels et risque d’abus sexuels corroborés au Québec de 2008 à 2013 sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés ... 17

Tableau 3 : Description de la variable dépendante. ... 42

Tableau 4 : Description des variables relatives aux caractéristiques de l’enfant ... 44

Tableau 5 : Description des variables relatives aux caractéristiques de la famille ... 46

Tableau 6 : Description des variables relatives aux caractéristiques de l'abuseur ... 48

Tableau 7 : Description des variables relatives aux caractéristiques de l'abus ... 50

Tableau 8 : Description des variables relatives à l'histoire de maltraitance de l'enfant ... 51

Tableau 9 : Description des variables relatives aux éléments de preuve ... 54

Tableau 10 : Distinctions et similitudes sur le plan des caractéristiques de l'enfant dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 61

Tableau 11 : Moyenne d'âge des enfants et écart type, selon le genre, dans les situations d’abus physiques et sexuels soumises à une EM ... 62

Tableau 12 : Distinction et similitudes sur le plan des caractéristiques de la famille dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 63

Tableau 13 : Nombre moyen d’abuseurs et écart type dans les situations d’abus physiques et sexuels soumises à une EM ... 65

Tableau 14 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’abuseur dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 65

Tableau 15 : Nature des gestes d’abus rapportés dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 67

Tableau 16 : Distinctions sur le plan de la gravité des gestes dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n=54) soumises à une EM ... 67

Tableau 17 : Nombre moyen d’évaluations et écart type dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 68

Tableau 18 : Distinctions sur le plan des éléments de preuve dans les situations d’abus physiques (n= 152) et sexuels (n= 54) soumises à une EM ... 69

Tableau 19 : Nombre moyen de preuves et écart type dans les situations d’abus physiques et sexuels soumises à une EM ... 69

Tableau 20 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’enfant dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 72

Tableau 21 : Âge moyen des enfants et écart type, selon le genre, dans les situations sans accusations criminelles et avec accusations criminelles soumises à une EMAP... 73

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Tableau 22 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de la famille de l’enfant dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 74 Tableau 23 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’abuseur dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP... 76 Tableau 24 : Nombre moyen d’abuseurs et écart type dans les situations avec et sans accusations criminelles soumises à une EMAP ... 76 Tableau 25 : Distinctions sur le plan de la nature des gestes dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 78 Tableau 26 : Distinctions sur le plan de la gravité des gestes dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 78 Tableau 27 : Nombre moyen d’évaluations et écart type dans les situations sans

accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 79 Tableau 28 : Distinctions sur le plan des éléments de preuve dans les situations sans accusations criminelles (n= 73) et avec accusations criminelles (n= 26) soumises à une EMAP ... 81 Tableau 29 : Nombre moyen de preuves et écart type dans les situations avec et sans accusations criminelles soumises à une EMAP ... 82 Tableau 30 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’enfant dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS... 84 Tableau 31 : Âge moyen des enfants et écart type, selon le sexe, dans les situations sans accusations criminelles et avec accusations criminelles soumises à une EMAS ... 85 Tableau 32 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de la famille de l’enfant dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS ... 86 Tableau 33 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’abuseur dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS... 88 Tableau 34 : Nombre moyen d’abuseurs et écart type dans les situations sans et avec accusations criminelles soumises à une EMAS ... 88 Tableau 35 : Distinctions sur le plan des caractéristiques de l’abus dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS... 89 Tableau 36 : Distinctions sur le plan de la gravité des gestes dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS ... 90

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Tableau 37 : Nombre moyen d’évaluations et écart type dans les situations sans

accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS ... 90 Tableau 38 : Distinctions sur le plan des éléments de preuve dans les situations sans accusations criminelles (n= 26) et avec accusations criminelles (n= 15) soumises à une EMAS ... 92 Tableau 39 : Nombre moyen de preuves dans les situations sans et avec accusations criminelles soumises à une EMAS ... 93 Tableau 40 : Analyse de régression logistique prédisant les accusations criminelles

relatives aux EMAP ... 95

FIGURE

Figure 1 : Répartition des ententes multisectorielles en fonction du type d’abus et des suites encourues ... 60

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REMERCIEMENTS

L’achèvement de ce mémoire s’accompagne d’un sentiment d’accomplissement émergeant de trois années d’efforts acharnés, de compromis et de surpassement. Autant de motivations ont guidé cette recherche : le souci d’améliorer la pratique, le respect éprouvé envers les enfants et familles confrontés au système et la conviction profonde de l’importance du social dans le domaine judiciaire.

En appui à ces motivations, plusieurs personnes ont contribué à l’émergence de ce projet. Mon conjoint a été sensible à mes sacrifices. Mes parents ont été soutenants dans les moments les plus difficiles, ceux où le découragement surpasse le désir de persévérer. Mes amies ont été encourageantes et visionnaires. Merci tout spécialement à celles qui ont traversé ce processus et ont su me guider. Rosalie et Élysabeth, pour leur présence et leurs bons conseils. Audrey, simplement parce qu’elle est une personne inspirante. Il y a aussi mes collègues de travail qui ont été à la fois intrigués et intéressés. Par-dessus tout, ma directrice de recherche, Marie-Christine Saint-Jacques, a cru en ce projet. Elle a su le définir et le préciser. Elle l’a conduit avec une rigueur intellectuelle digne de son expertise. À cela s’est ajoutée la vision avant-gardiste de Catherine Rossi, ma codirectrice. Son savoir a permis de solidifier ce mémoire et son énergie positive m’a encouragée à continuer. Finalement, merci à Denis Lacerte, à celui pour qui les statistiques n’ont pas de secret. Je reconnais sa disponibilité, sa bonne humeur et sa patience.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

ACJQ Association des centres jeunesse du Québec

AGIDD-SMQ Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec

ASPC Agence de la santé publique du Canada

CCRV Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes CJQ-IU Centre jeunesse de Québec- Institut universitaire

CR Centre de réadaptation

DOJ U.S. Department of Justice EM Entente multisectorielle

EMAS Entente multisectorielle en abus sexuels EMAP Entente multisectorielle en abus physiques

FA Famille d’accueil

HHS U.S. Department of Health and Human Services LPJ Loi sur la protection de la jeunesse

LSJPA Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents LSSS Loi sur le système de santé et des services sociaux

OC Organisme communautaire

PIBE Plateforme informationnelle pour le bien-être de l’enfant PIJ Plateforme Intégration Jeunesse

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INTRODUCTION

La relation entre le cadre législatif et le travail social est au cœur des débats actuels sur la pratique en service social (Brammer, 2009). Dès l’arrivée du nouveau millénaire, on prédisait des changements sociaux et technologiques rapides auxquels seraient confrontés les travailleurs sociaux. On présageait notamment la survenue de questionnements juridiques sur la pratique impliquant la création de nouveaux défis et opportunités (Madden, 2000). L’un des défis actuels auquel est confronté le travailleur social est celui du travail interdisciplinaire en contexte légal. Cette pratique nécessite le développement de connaissances et habiletés plus spécifiques à l’application de la Loi et la capacité à offrir un soutien aux clients devant faire face aux enjeux légaux dans le cadre de leur traitement (Madden, 2000).

L’implication du travailleur social est sollicitée lorsque certains crimes spécifiques sont commis à l’endroit d’un enfant. Il est interpellé à intervenir dans le cadre de l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique. Lors de l’application de ce protocole sociojudiciaire, le travailleur social a la responsabilité de collecter les preuves en matière de protection de la jeunesse, de choisir les mesures de protection, d’aide et de soutien à l’enfant et à sa famille puis de les appliquer (Gouvernement du Québec, 2001). Les policiers ont, pour leur part, le mandat d’enquêter sur le plan criminel tandis que le procureur aux poursuites criminelles et pénales s’occupe du déroulement du processus criminel et des poursuites qui en découlent (Gouvernement du Québec, 2001). En fin de compte, les différents mandats des partenaires visent le meilleur intérêt de l’enfant. Les compétences et les valeurs prônées par les travailleurs sociaux favorisent l’atteinte de cet objectif puisqu’elles sous-tendent une pratique plus critique de la criminalisation de la maltraitance. Il y a ouverture à une analyse plus systémique du crime et des enjeux de victimisation qui l’entourent de même qu’à l’appropriation d’une approche plus réparatrice que punitive. Examiner la question de la criminalisation sous cet angle peut néanmoins inviter à la controverse.

Il est vrai que la médiatisation des crimes commis envers les enfants suscite souvent une colère envers le coupable et envers l’indulgence présumée excessive du système judiciaire (Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, 2014). Cette colère est alimentée par la surmédiatisation des cas d’abus sexuels au tournant des années 1990, moment où, pour la première fois, la voix des enfants-victimes est entendue dans les médias télévisés. On laisse le soin aux témoins de raconter leur mal-être, leur incapacité à oublier et à se construire une vie équilibrée, engageant par le fait même les téléspectateurs à la vigilance et à l’action (Ambroise-Rendu, 2007). Radio et chaînes télévisées multiplient les reportages sur le commerce de la pornographie infantile, la prostitution et le trafic d’enfants (Ambroise-Rendu, 2007). La peur est cultivée par l’espace médiatique qui dépeint essentiellement les crimes d’inconnus (CCRVC, 2014), souvent les plus

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sordides, hésitant à reconnaître le rôle de la famille dans la perpétration des abus. Mais qu’en est-il réellement du portrait des crimes commis envers les enfants?

Ce mémoire est consacré à l’analyse de ces crimes, en s’appuyant sur des données québécoises. Il porte sur les enfants dont la situation a été retenue pour évaluation auprès des services de protection de la jeunesse en lien avec une problématique d’abus physiques ou sexuels ayant donné lieu à l’application de l’Entente multisectorielle. Autrement dit, il concerne les enfants dont la situation fait l’objet d’une enquête sociojudiciaire, dirigée par les instances criminelles et de protection de l’enfance. Dans ce mémoire, il est question de dresser un portrait juste et réaliste des crimes enquêtés et des suites encourues dans une visée exploratoire et descriptive. Pour ce faire, deux questions sont examinées. Tout d’abord, quelles sont les différences et similitudes entre les ententes multisectorielles en abus physiques et celles en abus sexuels sur le plan des caractéristiques de l’enfant, de sa famille, de l’abuseur et de l’abus, de l’histoire de maltraitance de l’enfant et des différents éléments de preuve? Ensuite, quelles caractéristiques, parmi celles énumérées, permettent de distinguer entre toutes les situations d’abus physiques et sexuels, celles pour lesquelles des accusations criminelles seront portées ou pas?

Le mémoire est divisé en cinq chapitres. Le premier énonce la problématique de recherche. Il précise l’objet d’étude par une mise en contexte, une présentation des problématiques intrinsèques à la trajectoire de criminalisation et une recension des écrits. Le deuxième chapitre décrit le cadre d’analyse et la position adoptée dans cette recherche. La méthodologie est présentée au troisième chapitre à travers l’approche privilégiée et le type de recherche, la population à l’étude, les sources de données, la méthode de collecte des données, la présentation des variables, l’analyse des données, les limites de l’étude et les considérations éthiques. Les résultats de l’étude sont présentés au quatrième chapitre sous cinq grandes sections : le portrait général des ententes multisectorielles, les différences et similitudes entre les ententes multisectorielles en abus physiques et celles en abus sexuels, le portrait spécifique des ententes multisectorielles en abus physiques, le portrait spécifique des ententes multisectorielles en abus sexuels et le modèle de prédiction des accusations criminelles relatives aux abus physiques. Enfin, le chapitre cinq est consacré à la discussion des résultats. Il compare les données obtenues dans la présente recherche à celles d’études antérieures pour en tirer des constats. Des pistes de recherche et d’intervention sont également suggérées.

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CHAPITRE 1 | PROBLÉMATIQUE

Le premier chapitre de ce mémoire fait état de la problématique à l’étude, permettant ainsi de saisir le contexte de cette recherche et son application au domaine du service social. Le chapitre comprend deux sections. La première introduit l’objet principal de cette étude, soit le concept de « protocole sociojudiciaire » et ses objectifs, son contexte d’apparition dans les instances de protection de l’enfance, ses apports à la pratique et les difficultés associées. Dans cette même section, la trajectoire de criminalisation et les trois problématiques qu’elle sous-tend sont détaillées, à savoir (a) le contraste entre l’approche punitive et l’approche de soutien familial (b) l’absence d’une banque de données commune ainsi que (c) la gestion de risques et la complexité des rôles exercés par le travailleur social. La recension des écrits est présentée en deuxième section de ce chapitre. Elle aborde les thèmes clés relatifs au protocole sociojudiciaire, soit les abus physiques et sexuels dans l’enfance, le processus de criminalisation qui en découle et les facteurs d’influence dans la démonstration de la preuve.

1.1. Mise en contexte

1.1.1. Le protocole sociojudiciaire au Québec : définition et objectifs.

L’appellation « protocole sociojudiciaire » est utilisée au sens large en référence aux mécanismes d’ententes entre les instances de protection de la jeunesse et les établissements partenaires (services de police, procureurs aux poursuites criminelles et pénales, clinique de protection de l’enfance, commissions scolaires, services de garde et organismes communautaires) au regard de la pratique de criminalisation de la maltraitance. Au Québec, ce protocole porte le nom d’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique. Cinq ministères sont signataires de cette entente. Il s’agit, à l’époque, du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, du ministère de la Justice du Québec, du ministère de la Sécurité publique, du ministère de la Santé et des Services sociaux et du ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition Féminine (Gouvernement du Québec, 2007). Aux États-Unis et dans d’autres provinces canadiennes, le protocole sociojudiciaire est désigné de différentes façons : « Criminal investigation », « Interdisciplinary evaluation », « Maltreatment investigation ». Il est fréquemment appelé« Multidisciplinary team investigation ». D’autres termes sont employés par certains chercheurs européens tels que « Joint investigations » ou « Protocol ».

L’Entente multisectorielle, de son diminutif, consiste à :

l’engagement d’agir en concertation dans des situations mettant en cause des enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur

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santé physique lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire que la sécurité ou le développement de ces enfants est compromis et qu’un crime a été commis à leur endroit (Gouvernement du Québec, 2001, p. 15).

Le but de cette entente est de :

Garantir une meilleure protection et apporter l’aide nécessaire aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé physique en assurant une concertation efficace entre les ministères, les établissements et les organismes intéressés (Gouvernement du Québec, 2001, p. 13).

L’esprit de concertation entre ces institutions est envisageable lorsque tous, « par un phénomène de réciprocité et dans l’intérêt supérieur des enfants, subordonnent, pour un moment, leurs objectifs particuliers à un objectif commun : la protection, au sens le plus large possible, des enfants » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 7). Un comité est mandaté afin d’assurer une implantation conforme de l’entente, un suivi de son application, la production d’un bilan national, le maintien d’une communication étroite avec les personnes désignées par chacun des partenaires et le bon fonctionnement de l’entente en cas de problématiques au niveau local ou régional (Gouvernement du Québec, 2007). Un premier bilan qualitatif, le Bilan interministériel de l’implantation de l’Entente multisectorielle (2007), a permis de jeter un regard sur les mécanismes de concertation entre les partenaires.

1.1.2. Contexte d’apparition.

L’apparition des protocoles sociojudiciaires relève de contextes historiques et législatifs propres à chaque pays, état ou province. Aux États-Unis et au Québec, les protocoles sont nés de préoccupations liées aux situations d’abus sexuels. En Amérique du Nord, le début des années 1980 est marqué par une transformation importante dans la prise de conscience de la société face aux abus sexuels commis envers les enfants (Plach, 2008). Des cas médiatisés d’abus sexuels dans des milieux de garde sont portés à la connaissance du public qui se voit de plus en plus confronté à cette réalité. La médiatisation de cette problématique permet de rendre compte que la société est peu préparée à enquêter ces situations d’abus dans une optique de criminalisation (Plach, 2008). De plus, le public constate que les tribunaux sont mal équipés pour répondre aux besoins des jeunes victimes et que le système crée souvent plus de traumatismes aux enfants déjà vulnérables (Plach, 2008). Bien qu’il y ait plusieurs points communs entre l’apparition des protocoles aux États-Unis et au Québec, les Américains ont devancé les Québécois en mettant en branle des mécanismes de criminalisation quelques années plus tôt.

Les États-Unis se familiarisent dès les années soixante avec le processus de criminalisation. Entre 1964 et 1973, tous les états mettent en vigueur des lois obligeant la déclaration des abus faits aux enfants (Gelles, Giovanni & Becarrea dans Tjaden & Thoennes, 1992). Ce processus centralise les signalements vers les

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instances policières et de protection et octroie aux procureurs le pouvoir de décider si une intervention légale s’avère appropriée (Meyers dans Tjaden & Thoennes, 1992). Dans les années 1980 et 1990, les contrecoups de cette centralisation se font sentir avec une soudaine augmentation du taux de criminalisation des abus sexuels (Goretsky-Elstein dans Cross, Walsh, Simone & Jones, 2003). On réalise à ce moment que plusieurs professionnels ne savent pas comment conduire une entrevue efficace auprès de ces enfants ni effectuer des examens médicaux adaptés à la problématique des abus sexuels. De plus, les intervenants critiquent le manque de coordination entre les différents professionnels. Ils dénoncent entre autres le fait que les enfants soient obligés de raconter leur histoire de façon répétitive (Jones, Cross, Walsh & Simone, 2005). Les bouleversements du système légal amènent indirectement les professionnels du domaine de la protection de l’enfance à améliorer leurs connaissances plus spécifiquement en rapport aux cas complexes de criminalisation des abus. On assiste au remaniement de certaines procédures légales, à une redéfinition des concepts d’abus et de négligence et à de nouvelles techniques de démonstration de la preuve médico-légale. Ces transformations mettent en évidence le fait qu’une seule profession ne peut gérer à elle seule l’ampleur du défi de la criminalisation. C’est à partir de ce principe que la nécessité de créer des équipes multidisciplinaires aux États-Unis se consolide (U.S. Department of Justice [DOJ], 2000).

L’apparition de l’Entente multisectorielle au Québec se fait plus tardivement. Cela passe d’abord par la reconnaissance de la nécessité d’intervenir dans les situations d’abus sexuels au tournant des années 1970, moment où de nouvelles méthodes d’intervention apparaissent et qu’une vision plus globale de l’ampleur du problème se dessine (Gouvernement du Québec, 2007). Cette prise de conscience s’accompagne de nouvelles mesures législatives. Le gouvernement du Canada adopte des modifications au Code criminel vers la moitié des années 1980, notamment en ajoutant seize infractions d’ordre sexuel. Sur le plan pratique, cette décision rend nécessaire l’implication des policiers au moment de l’enquête en protection et lors de la décision de poursuivre un abuseur au criminel (Freymond & Cameron, 2006). Sur le plan technique, les modifications législatives engendrent l’apparition de deux ententes multisectorielles sur le territoire québécois. Elles concernent conjointement les établissements du réseau de la santé et des services sociaux et de l’éducation. Le but de ces ententes est d’éviter la multiplication des entrevues avec les enfants en s’assurant de ne pas nuire aux enquêtes policières. En 1995, une nouvelle entente permet d’intégrer les services de garde dans les protocoles en vigueur. Deux bilans successifs font le point sur ces protocoles, soit les bilans de l’Association des centres jeunesse du Québec (1995) et de la Direction générale des affaires criminelles et pénales du ministère de la justice du Québec (1993). Ces documents témoignent des difficultés d’arrimage sur le plan de la concertation sociojudiciaire dans les situations d’abus sexuels et de la nécessité de consolider l’intervention multisectorielle. Face à ces constats, le 1er mars 2001, le Québec adopte une seule entente : l’Entente multisectorielle relative aux enfants victimes d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une

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absence de soins menaçant leur santé physique. Cette dernière est toujours en vigueur (Gouvernement du Québec, 2007).

1.1.3. Apports à la pratique et difficultés inhérentes.

Les protocoles ont émergé dans la sphère sociojudiciaire dans l’objectif de diminuer les traumatismes vécus par les enfants et leurs familles ainsi que l’épuisement professionnel (DOJ, 2000). D’une part, on visait une diminution de la victimisation infligée aux enfants et à leurs familles par les institutions, l’appropriation d’une approche plus globale, des enquêtes plus efficaces et des interventions mieux adaptées aux enfants. D’autre part, on envisageait une meilleure utilisation des ressources limitées, une expertise spécifique, des formations plus pointues ainsi qu’une meilleure communication et coordination entre les intervenants et les instances judiciaires. Il faut savoir que, dans plusieurs situations, des décès sont survenus suite à une incapacité des intervenants à mener l’enquête dans des délais raisonnables, en l’absence de ressources suffisantes (DOJ, 2000).

Au Québec, il demeure difficile de statuer de l’efficacité de l’Entente multisectorielle en rapport à ces objectifs puisqu’aucune étude n’a permis d’évaluer ni même de décrire la trajectoire sociojudiciaire de la criminalisation des abus faits aux enfants. Néanmoins, certaines recherches américaines se sont penchées sur les avantages et désavantages des protocoles sociojudiciaires. Les arguments sur le bien-fondé de ces protocoles sont mitigés. Il est vrai que les apports de l’intervention multisectorielle à la pratique ont été contestés pendant des années en raison de frictions entre les partenaires, d’interférence au travail de l’autre et de préoccupations disant que la contribution policière augmentait le taux de retrait de l’enfant de son milieu familial (Cross, Finkelhor & Ormrod, 2005).

Certains estiment que l’enquête multisectorielle est plus avantageuse pour les enfants et leurs familles même si elle exige plus de temps et d’efforts qu’une évaluation en protection uniquement (Tjaden & Anhalt dans Myers, 1997). Or, pour les victimes, les délais en Cour criminelle sont une source de stress non négligeable (Walsh, Lippert, Cross, Maurice & Davison, 2008).

Jaudes et Martone (1992) observent que le protocole sociojudiciaire favorise une diminution du nombre d’entrevues impliquant l’enfant. Ainsi, ce dernier vivrait moins de culpabilité et de honte et son sentiment de ne pas être cru serait amenuisé. Moins de témoignages impliquerait une meilleure qualité de ceux-ci et moins de probabilités qu’il y ait présence de détails inexacts (Jones et coll., 2005). Quoi qu’il en soit, la diminution des entrevues n’a pas été démontrée empiriquement (Jones et coll., 2005).

Dans un autre ordre d’idée, Cross et coll. (2005) mentionnent que l’implication de la police dans les enquêtes solidifie les interventions. Elle assurerait une meilleure qualité d’enquête en facilitant la recherche de preuves,

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ferait figure d’autorité et bonifierait la sécurité. L’enquête policière ne fait cependant pas l’unanimité. Certains doutent de la capacité des policiers à valider le récit de l’enfant, de leur manque de connaissances liées aux techniques d’interrogatoire et de leur capacité à détecter les mensonges de l’enfant. On craint aussi qu’ils procèdent à des entrevues répétées auprès des enfants (Cheung & McNeil Boutté-Queen, 2010). Enfin, on s’interroge sur le fait que les craintes éprouvées par les enfants lors des entrevues policières ne font pas l’objet d’études empiriques (Jones et coll., 2005).

Par ailleurs, le U.S. Department of Justice (2000) fait valoir que les équipes multidisciplinaires permettent de meilleures prises de décisions par les intervenants et une meilleure efficacité dans la répartition des ressources, lesquelles sont souvent limitées. Pour assurer de meilleures prises de décisions, les intervenants en protection et les policiers doivent utiliser leurs compétences de façon complémentaire. Effectivement, le travail des policiers est susceptible d’interférer avec celui des intervenants si l’approche utilisée est plus punitive que réparatrice (Cross et coll., 2005). À l’inverse, les policiers peuvent craindre que les intervenants nuisent à la collecte de preuves et, incidemment, à la possibilité d’intenter des poursuites criminelles (Cross et coll., 2005).

En bref, les avantages et désavantages associés aux protocoles sociojudiciaires en matière de criminalisation mettent en évidence la complexité de ce mécanisme d’intervention. Un portrait de la trajectoire de ce mécanisme est présenté dans les paragraphes qui suivent.

1.1.4. La trajectoire sociojudiciaire de la criminalisation des abus et de la

négligence.

Au Québec, l’Entente multisectorielle s’enclenche lorsqu’un des partenaires constate ou présume qu’il y a abus ou négligence et que la situation est portée à la connaissance du DPJ et de la police (Gouvernement du Québec, 2001). Elle se termine lorsque « les décisions sont arrêtées au regard des mesures d’aide et de protection de l’enfant et au regard des mesures s’appliquant à la personne abusive, le cas échéant (poursuites criminelles, mesures disciplinaires ou administratives) » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 16).

C’est le signalement à la direction de la protection de la jeunesse qui, une fois retenu, donne lieu à une évaluation en protection. Cette évaluation peut, ou non, s’accompagner d’une entente multisectorielle. Cette entente est appliquée uniquement dans les cas d’abus sexuels, de mauvais traitements physiques ou d’une absence de soins menaçant leur santé (Gouvernement du Québec, 2001).

Une fois l’Entente multisectorielle enclenchée, l’enquête policière est mise en branle, en même temps que l’enquête en protection. Dans la majorité des cas, un enregistrement vidéo a lieu au poste de police en

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compagnie d’un enquêteur et l’enfant se soumet aussi à une expertise médicale à la clinique de protection de l’enfance.

Suite au rapport policier, la situation de l’enfant peut être confiée au procureur. Ce dernier a le pouvoir d’entamer des poursuites criminelles auprès de l’abuseur et les accusations peuvent être maintenues ou abandonnées. Le présumé abuseur peut plaider coupable ou se défendre. À la fin de la trajectoire, s’il y a verdict de culpabilité, différentes mesures peuvent être imposées à l’abuseur qui devra se soumettre à une sentence. Tout au long de cette trajectoire, les professionnels doivent faire face à quelques difficultés. La prochaine section traite de cet aspect.

1.2. Les problématiques connexes à la trajectoire de

criminalisation

1.2.1. Le contraste entre l’approche punitive et l’approche de soutien familial.

Dans les dernières années, maints débats et discussions ont été soulevés en matière de protection de la jeunesse quant à la pertinence d’adopter une approche axée sur le soutien familial plutôt qu’uniquement sur la protection. Le champ de l’éducation familiale, par exemple, ouvre la voie à de telles réflexions. L’importance d’impliquer les parents dans l’intervention y est notamment véhiculée. L’on considère que si un parent est soutenu dans l’exercice de son rôle parental, l’enfant se développera adéquatement puisqu’il aura réponse à son besoin d’être accompagné par un parent compétent (Saint-Jacques, Turcotte & Oubrayrie-Roussel, 2012). Les récents changements apportés à la Loi sur la protection de la jeunesse, par exemple, rappellent avec insistance l’importance de cette orientation certes plus thérapeutique et éducative (Saint-Jacques et coll., 2012). Ils visent entre autres une meilleure stabilité des conditions de vie des enfants dont la sécurité ou le développement est compromis et un accroissement de la capacité du système de protection à répondre à leurs besoins (Turcotte et coll., 2010).

Si l’avancement des pratiques en matière de protection de la jeunesse semble influencé par la promotion du champ de l’éducation familiale, l’actualisation de ce type de pratique représente un défi en contexte d’intervention sociojudiciaire, particulièrement en ce qui a trait à la criminalisation des situations d’abus et de négligence vécues par les enfants. L’un des obstacles majeurs qui se posent à ce contexte est la rencontre incertaine entre l’approche misant sur les compétences parentales et l’approche punitive sur laquelle repose la criminalisation. En supposant que le fondement de la criminalisation ne soit pas nécessairement de remédier à la situation, mais plutôt d’identifier, de détenir et de responsabiliser l’abuseur pour les actes commis (Sedlak et coll., 2006), il y a apparence de conflit vis-à-vis de la considération grandissante du « meilleur intérêt de l’enfant » (Nova Scotia Department of Justice, 2000, traduction). L’enfant-victime est amené à jouer le rôle d’enfant- témoin. D’une part, il vit l’abus et les impacts négatifs qui s’y rattachent et, d’autre part, il est amené

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à en dévoiler les détails afin de servir les intérêts légaux. Pour ce faire, il peut arriver que l’enfant ait à subir plusieurs interrogatoires, lesquels peuvent être conduits par des adultes différents, peu familiers et même intimidants (Quas & Sumaroka, 2011), tels que l’avocat de la défense, le policier ou l’intervenant. Même si, depuis quelques années, le témoignage de l’enfant fait l’objet de dispositifs particuliers visant à éviter au maximum les risques de victimisation secondaire (liés à la répétition du témoignage ou à l’exposition de l’enfant au contre-interrogatoire de son agresseur, par exemple), il n’en reste pas moins que dans la pratique, il peut être confronté aux effets négatifs du système. L’exposition répétée à des entrevues ou le manque de compréhension des procédures légales constituent encore aujourd’hui une situation à laquelle nombre d’enfants sont susceptibles d’être exposés (Quas & Sumaroka, 2011). En conséquence, le tort causé ne résulte pas uniquement de l’abus en soi, mais aussi des procédures systématiques et intensives auxquelles l’enfant doit se soustraire (Gutman, Tonge, King, Myerson & Wollner, 2001; Kolbo & Strong, 1997). Cette double victimisation constitue un enjeu de taille dans la mesure où la criminalisation des abus gravite fortement autour de l’admissibilité et la suffisance de la preuve (Davis, Hoyano, Keenan, Maitland & Mogan, 1999). Puisqu’on cherche à corroborer les faits, les preuves recueillies sont particulièrement importantes à obtenir : confessions, examens physiques, preuves matérielles, témoignages en Cour, évaluations psychologiques et psychiatriques (Walsh, Jones, Cross & Lippert, 2010). Dans tous les cas, il est certain que « l’administration de la preuve apparaît toujours très difficile, particulièrement dans les situations mettant en cause de jeunes enfants » (Gouvernement du Québec, 2001, p. 10). Ainsi, le témoignage de l’enfant est souvent la preuve la plus importante et même la seule preuve pouvant faire en sorte de le protéger (Myers, 1993). Ceci est d’autant plus vrai dans les situations d’abus sexuel puisque les preuves médicales sont rarissimes (Roberts & Lamb, 2010), l’abuseur ne confesse que rarement son crime (Beauregard & Mieczkowski, 2011) et les abus sont souvent perpétrés en l’absence de témoin (Gutman et coll., 2001; Roberts & Lamb, 2010). En fin de compte, l’enfant est interpellé dans le but d’aider la Couronne à obtenir gain de cause, au sens où il constitue souvent la meilleure et/ou plus importante source de preuve. De fait, il est contraint de se prêter ipso facto à des contre-interrogatoires hostiles et même humiliants, permettant à la partie adverse de remettre en question la validité de son témoignage (Davis et al, 1999). C’est pourquoi certains concluront plus drastiquement que l’intérêt de l’enfant n’est pas primordial dans un procès criminel (Cretney, Clarkson, Davis & Shepher, 1994). Dans ces circonstances, les orientations thérapeutique et éducative semblent difficilement conciliables. L’harmonisation des approches n’est toutefois pas le seul écueil à la pratique de criminalisation. Des préoccupations techniques sont aussi à considérer.

1.2.2. L’absence d’une banque de données commune.

À ce jour, aucun moyen ne permet de suivre la trajectoire d’un dossier depuis le début du processus jusqu’à la fin. Le dernier Bilan interministériel de l’implantation de l’Entente multisectorielle (2007) rappelle l’absence

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d’une banque de données communes permettant d’effectuer une collecte de données dans les situations où une procédure sociojudiciaire a été enclenchée puis appliquée. On y indique qu’il demeure très difficile de suivre la trajectoire d’un dossier auprès des intervenants impliqués (Gouvernement du Québec, 2007). En ce cas, il est encore plus laborieux de poser un regard critique sur l’application même de l’Entente multisectorielle et les bénéfices qu’elle doit générer.

La possibilité de suivre la trajectoire des dossiers apparaît indispensable. Premièrement, les recherches antérieures mettent en évidence que les taux d’attrition des situations d’abus sexuels qui font l’objet d’un protocole sociojudiciaire à chacune des étapes du processus de criminalisation sont très élevés. Seulement une minorité des situations franchissent l’étape du procès (Bunting, 2008; Crime and Misconduct Commission, 2003; Cross, Whitcomb & De Vos, 1995; Fitzgerald, 2006; Spohn, Beichner & Davis-Frenzel, 2001; Stroud, Martens & Barker, 2000). Deuxièmement, très peu de données sont disponibles sur la trajectoire des situations d’abus physiques. Actuellement, il est impossible de connaître leur évolution.

À la lumière de ces observations, la pertinence d’étudier les caractéristiques des situations d’abus physiques et sexuels évoluant aux différentes étapes du processus criminel paraît justifiée. En connaître davantage au sujet des éléments qui distinguent les situations étant le plus sujettes à des poursuites criminelles de celles qui ne le sont pas pourrait permettre de faire des choix plus éclairés lorsqu’il s’agit de décider de démarrer une entente multisectorielle. À plus longue échéance, une meilleure compréhension du processus de criminalisation pourrait minimiser le risque de victimisation des enfants et familles faisant l’objet d’un protocole sociojudiciaire. Cela pourrait aussi contribuer à améliorer les décisions cliniques des intervenants qui sont confrontés au risque de prendre des décisions parfois susceptibles de nuire à l’enfant.

1.2.3. La gestion de risques et la complexité des rôles exercés par le travailleur

social.

Si le processus de criminalisation s’avère long et tortueux pour l’enfant, il est par le fait même complexe pour le praticien. Premièrement, puisque le travailleur social œuvrant en contexte de protection de l’enfance a le mandat d’amorcer et de poursuivre des actions légales pour protéger les enfants victimes de violence, il est amené à être impliqué à tous les niveaux du système de justice criminelle (Alston & Mckinnon, 2005). Il doit alors fournir une réponse valide en matière de protection et de criminalisation. Deuxièmement, le travailleur social est confronté à différents enjeux liés à la gestion du risque: la préservation de la sécurité d’un enfant et de la communauté, la préservation de la réputation personnelle et de la liberté individuelle, la possibilité de nuire à l’enfant et à la personne accusée et le risque de miner la confiance accordée par le public envers les professionnels (Plach, 2008). Tous ces enjeux confinent le praticien à un double rôle qui est à la fois d’initier des actions légales et de créer une alliance thérapeutique, deux mandats difficilement conciliables (Alston &

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McKinnon, 2005). Troisièmement, le travailleur social est confronté à des méthodes bureaucratiques qui ne sont pas toujours en concordance avec un processus linéaire sans ambiguïté (Oxman-Martinez, Rowe & Straka, 1998). Pour toutes ces raisons et parce que certains enfants sont victimes du système malgré eux, il y a lieu de recentrer le praticien vers une prise de conscience grandissante des procédures qui modulent la pratique. Si la Loi met davantage l’accent sur les procédures légales pour résoudre les problèmes, ceci n’est pas en totale harmonie avec la complexité et la nature incertaine des problèmes sociaux et individuels auxquels les travailleurs sociaux doivent faire face (Connolly & Harms, 2009). D’un point de vue pratique, on peut se demander si l’accent mis sur les processus d’enquête assure réellement la protection de l’enfant. D’un point de vue éthique, l’on peut s’interroger sur la nature et le sérieux du risque auquel l’enfant est exposé. Tandis que des professionnels se concentrent sur les stratégies à développer pour faciliter le dévoilement de l’abus et la démonstration de la preuve, plusieurs victimes refusent toujours de parler parce qu’elles anticipent les dommages du système judiciaire (Eastwood, 2003).

1.3. Recension des écrits

Après avoir situé le contexte de l’application de l’Entente multisectorielle à travers sa définition, son contexte d’apparition, ses apports à la pratique et les difficultés qui en découlent, il est maintenant question de la recension des écrits. Les abus physiques et sexuels vécus dans l’enfance sont détaillés dans cette section puisqu’ils représentent les principaux crimes enquêtés. Ils constituent par le fait même les deux problématiques étudiées dans ce mémoire. Afin de rendre compte des différences entre le portrait des abus physiques et sexuels et le portrait des abus physiques et sexuels menant à des accusations criminelles, une section est consacrée spécifiquement à la description de ces problématiques en contexte de criminalisation. En dernier lieu, les facteurs influençant la démonstration de la preuve sont explicités puisqu’ils sont essentiels au processus de criminalisation et méritent d’être connus des différents professionnels impliqués dans l’enquête.

1.3.1. Les abus physiques dans l’enfance.

La définition de la violence faite aux enfants est parfois ambigüe puisqu’elle est à la fois influencée par des enjeux législatifs, culturels et psychosociaux (Clément, 2011). Il importe donc qu’une définition claire des phénomènes étudiés soit établie, notamment dans le cas de la violence physique où la frontière entre la punition et l’abus est mince (Clément, 2011). Il est vrai que l’abus physique est habituellement associé à la correction physique et qu’il est aussi fréquemment confondu avec la notion de discipline (Santé Canada, 1997). En raison des différentes façons de concevoir cette problématique, il devient complexe d’en mesurer l’ampleur. Effectivement, cette mesure est influencée par une ambiguïté conceptuelle importante : il est à la fois possible de référer à l’incidence ou à la prévalence (Clément, Chamberland, Dubeau & Beauvais, 2005).

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L’incidence réfère au nombre de nouveaux cas survenant dans la population à une période donnée tandis que la prévalence se définit comme la proportion d’enfants victimes de violence dans la population à une date donnée. Au Canada, la plupart des recherches épidémiologiques s’intéressent à l’incidence et s’appuient sur les cas signalés à la protection de la jeunesse (Clément et coll., 2005). En considérant que toutes les situations ne sont pas signalées aux services de protection, que certaines personnes ne se souviennent pas des événements ou refusent de les rapporter en contexte d’entrevue ou de questionnaire (Widom & Shepard, 1996), l’ampleur de la problématique ne peut être qu’estimée. En s’appuyant sur l’ensemble des enquêtes sur les mauvais traitements corroborés1 au Canada, l’Étude canadienne sur l’incidence des cas d’abus et de maltraitance (2010) est à ce jour l’étude canadienne la plus récente permettant d’estimer l’ampleur de la violence physique envers les enfants. Cette étude circonscrit la violence physique à travers six formes d’abus que sont : secouer, pousser, attraper ou projeter; frapper avec la main; donner un coup de poing, un coup de pied ou mordre; frapper avec un objet; étrangler, empoisonner ou poignarder; « autres violences physiques ». Partant de cette définition, l’Agence de la santé publique du Canada [ASPC] (2010) évalue que les situations de violence physique survenues au cours de l’année 2008 représentent 20% (N= 17 212) des 85 440 enquêtes sur les mauvais traitements corroborés. Plus précisément, la problématique se situe au troisième rang en importance des mauvais traitements, à la suite de la violence conjugale et de la négligence (ASPC, 2010).

Au Québec, l’ampleur de la violence physique envers les enfants est légèrement inférieure à celle de l’ensemble du Canada. Pour la période 2008-2009, la province enregistre 10 060 évaluations sur les mauvais traitements corroborés ou pour lesquelles la sécurité et le développement de l’enfant sont compromis. Un total de 12.2% (N= 1227) de ces situations ont trait à des abus physiques alors que 4% (N= 400) comportent un risque sérieux d’abus physique (Association des centres jeunesse du Québec, 2010). Ces proportions apparaissent plutôt stables au cours des dernières années (Tableau 1).

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Tableau 1 : Abus physiques et risque d’abus physiques corroborés au Québec de 2008 à 2013 sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés

Abus physiques Risque d’abus physiques

Année n % n % 2008-2009 1 227 12.2 400 4.0 2009-2010 1 301 12.7 438 4.3 2010-2011 1 315 11.6 443 3.9 2011-2012 1 501 12.6 491 4.1 2012-2013 1 495 13.0 534 4.7

Des pourcentages ressemblant davantage à ceux de l’ensemble du Canada sont observés aux États-Unis en ce qui concerne les abus physiques uniquement. Au cours de l’année 2008, le U.S. Department of Health and Human Services [HHS] (2010) rapporte 16.1% de situations d’abus physiques corroborées. En 2009, ce pourcentage s’élève à 17.8% (HHS, 2010) puis à 17.6% en 2010 (HHS, 2011). Il est observé, tout comme au Québec, que ces pourcentages sont assez stables depuis 2008. Il demeure difficile de comparer les données sur les abus physiques au Québec avec celles du Canada ou des États-Unis puisque les catégories de mauvais traitements ne sont pas identiques. Il est certain que les abus physiques se retrouvent loin derrière la négligence qui s’avère en tout temps la première problématique en importance. Néanmoins, les conséquences des abus physiques demeurent considérables.

Sur le plan personnel, les sujets ayant vécu de la violence physique dans l’enfance sont plus à risque de développer un trouble de la personnalité au début de l’âge adulte (Johnson, Cohen, Brown, Smailes & Bernstein, 1999), de vivre une dépression (Danielson, Arellano, Kilpatrick, Saunders & Resnick, 2005), d’avoir une faible estime de soi, de développer une dépendance à l’alcool (Griffin & Amodeo, 2010) ou même d’être initié à l’injection de drogue avant l’âge adulte (Kerr, Stoltz, Marshall, Lai, Strathdee & Wood, 2009). Les abus physiques vécus dans l’enfance sont des facteurs de risque considérables de l’abus de substances (Csoboth, Birkas & Purebl, 2003; Liebschutz, Savetsky, Saitz, Horton, Lloyd-Travaglini & Samet, 2002; Ouimette, Kimerling, Shaw & Moos, 2000), notamment de l’abus d’alcool à l’âge adulte (Herrenkohl, Hong, Klika, Herrenkohl & Russo, 2013). Lansford, Dodge, Pettit et Bates (2010) précisent qu’un abus physique perpétré dans les cinq premières années de vie est prédicteur de l’abus de substances au début de l’adolescence chez les jeunes filles. Brière et Elliott (2003) observent que les abus vécus dans l’enfance, tant physiques que sexuels, sont associés à une variété de dysfonctionnements psychologiques plusieurs années suivant les événements. Les abus physiques sont par exemple associés à des expériences psychotiques et à des symptômes de choc post-traumatique (Kilcommons & Morrison, 2005). Ils sont aussi étroitement associés aux

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comportements suicidaires (Brezo et coll., 2008; Hadland et coll., 2012; Mironova et coll., 2011; Swogger, You, Cashman-Brown & Conner, 2011). Enfin, on observe que la perception que l’enfant se fait de l’abus a une incidence sur les problèmes interpersonnels et le niveau de dépression ressentie, dépendamment qu’il perçoive ou non le geste comme une mesure raisonnable de discipline (Lee & Kim, 2011). À ce sujet, Brière et Elliot (2003) remarquent que les garçons, en comparaison aux filles, évaluent les abus physiques ou sexuels vécus dans l’enfance comme étant moins bouleversants.

Sur le plan social, les abus physiques représentent une menace au développement de l’enfant et à ses relations avec les pairs. Ils sont associés à des comportements extériorisés tels que les agressions ou les troubles de la conduite de même qu’à un faible niveau de comportements prosociaux (Haskett, Allaire, Kreig & Hart, 2008). Un nombre important de délinquants juvéniles rapportent avoir été abusés physiquement dans l’enfance (Silva, Grana & Gonzalez-Cieza, 2014). Lev-Wiesel et Sternberg (2012) soutiennent que l’abus physique est un facteur de risque contribuant au rejet social par les pairs. L’isolement social demeure présent à l’adolescence pour plusieurs des jeunes victimes (Elliott, Cunningham, Linder, Colangelo & Gross, 2005). À l’âge adulte, les répercussions se traduisent par un risque plus élevé de problèmes liés à l’emploi dont des probabilités plus élevées de se retrouver sans emploi et de vivre une perte d’emploi financièrement préjudiciable. Ces adultes sont donc plus à risque de se retrouver sous le seuil de la pauvreté (Zielinski, 2009). Dans un autre ordre d’idée, il semble que l’abus physique seul ou combiné à l’abus sexuel soit associé à davantage de problèmes de santé physique chez les femmes canadiennes. Ces problèmes sont accompagnés de coûts importants pour le système de santé, particulièrement en ce qui concerne les femmes plus jeunes ayant vécu des abus physiques et sexuels (Tang et coll., 2006).

Dans la littérature, plusieurs facteurs sont identifiés comme étant associés aux abus physiques dans l’enfance. L’âge et le sexe de l’enfant sont les facteurs individuels les plus souvent associés au recours à la violence physique mineure ou à la punition corporelle (Clément et coll., 2005). Certains auteurs soutiennent que les garçons en sont plus souvent victimes que les filles (Clément et coll., 2005; Lee & Kim, 2011; Lee, Perron, Taylor & Guterman, 2011). Les données recueillies par Trocmé et coll. (2005) permettent d’estimer qu’au Canada, en l’an 2003, 54% des abus physiques fondés concernaient des garçons en comparaison à 46% pour les filles. Le caractère plus « masculin » de la problématique était d’autant plus significatif pour les enfants de 8 à 11 ans (Trocmé et coll., 2005). Une étude réalisée par Sidebotham, Bailey, Belderson et Brandon (2011) fait ressortir que ce sont majoritairement des garçons qui sont victimes de violence physique sévère ayant causé la mort. Sur l’ensemble de ces situations, seulement 11.9% étaient connues des services de protection (Sidebotham et coll., 2011). Dans le cas de la violence physique sévère, l’âge est un facteur de vulnérabilité dont il faut tenir compte. Les très jeunes enfants sont plus à risque de subir des blessures graves (ACJQ, 2011; Jetté, Bouchard & Clément, 2000) ou même la mort à la suite d’un abus physique sévère (Hegar,

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Zuravin & Orme, 1994). Enfin, un enfant qui a de grands besoins, qui est né prématurément ou qui présente un handicap est d’autant plus à risque d’être victime d’abus physique (ACJQ, 2011).

En ce qui a trait à la structure familiale, un nombre plus élevé d’abus fatals sont observés lorsqu’il s’agit du premier bébé ou de l’enfant le plus jeune de la famille (Dale, Green & Fellows, 2005). Dale et coll. (2005) identifient que les abus sérieux et fatals surviennent au sein de modèles familiaux typiques : soit les deux parents demeurent ensemble, soit la mère vit seule avec l’enfant. Les beaux-parents sont rarement impliqués dans les abus sérieux et fatals de bébés. Leur rôle est plus saillant auprès des enfants plus âgés, peut-être parce que moins de recompositions familiales ont lieu lorsque les enfants sont en bas âge et que les beaux-parents sont moins présents dans la vie de ces jeunes enfants. De son côté, Berger (2005) a analysé les caractéristiques de la famille au regard des différentes formes de violence physique. L’auteur conclut qu’au sein des familles biparentales, ce sont particulièrement les jeunes garçons qui sont sujets à de la violence physique, au contraire des filles plus âgées. De plus, la violence physique est surreprésentée au sein des familles nombreuses (Berger, 2005). Par ailleurs, la probabilité de violence est plus élevée chez les familles où la mère a un niveau d’éducation élevé et le père est moins éduqué (Berger, 2005). Chez les familles monoparentales, c’est plutôt le niveau socio-économique qui constitue un facteur de risque puisque les parents seuls vivant sous le seuil de la pauvreté sont plus enclins à utiliser la violence physique (Berger, 2005). Berger (2005) démontre par ailleurs que les abus physiques sont fortement représentés au sein des familles monoparentales. Dans son étude, sur un échantillon de 470 familles monoparentales, 13.4% d’entre elles ont reconnu avoir commis un abus physique. La problématique est d’autant plus présente chez les familles monoparentales issues des grandes populations urbaines (Berger, 2005).

La figure parentale est également une caractéristique familiale à laquelle les auteurs s’intéressent. Les données recueillies dans la Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect – 2003 (Trocme et coll., 2005), par exemple, identifient que le père biologique est responsable des abus physiques dans 67% des situations pour lesquelles l’abus physique est le motif principal de maltraitance au sein des familles biparentales. Sur l’ensemble des abuseurs potentiels, d’autres sources révèlent que la figure paternelle, de filiation biologique ou non, est plus souvent responsable des abus physiques sévères (ACJQ, 2011 ; Lee et coll., 2009; Nobes & Smith, 2000 ; Sidebotham et coll., 2011). Ce type d’abus est plus souvent commis par de jeunes pères plutôt que par des pères plus âgés (Lee et coll., 2011). Parallèlement, Francis et Wolfe (2008) observent que les pères abusifs présentent plus de difficultés à percevoir et interpréter les signes socio-émotifs de leurs enfants. Toutefois, si l’on s’appuie sur les témoignages des parents plutôt que sur l’incidence de la problématique, les abus physiques moins sévères semblent être posés dans des proportions similaires par les figures maternelle et paternelle (Nobes & Smith, 2000). Enfin, d’autres auteurs concluent que la figure parentale, en comparaison à la figure non parentale (ex. : beau-parent, famille élargie), est majoritairement

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responsable de l’abus physique. Ils estiment, par exemple, que 90.6% des incidents survenus au Canada (à l’exception du Québec) en 2003 ont été perpétrés par une figure parentale (Durrant, Trocmé, Fallon, Milne & Black, 2009).

D’autres caractéristiques parentales permettent de mieux comprendre le profil et le fonctionnement des familles utilisant la violence physique envers les enfants. Dufour, Clément, Chamberland et Dubeau (2011) ont comparé quatre profils familiaux en fonction du degré de violence vécue dans la famille et de sa chronicité. Ce sont les familles (a) abusives : les parents rapportent minimalement un abus sévère sur l’enfant dans la dernière année et la présence de violence verbale ou conjugale (b) sévères : il y a présence d’un abus sévère sur l’enfant dans la dernière année sans présence d’une autre forme de violence (c) paradoxales : il y a présence de méthodes éducatives déraisonnables et peu de violence verbale et les parents ont des attitudes favorables eu égard à la punition corporelle et (d) non abusives : il y a présence de méthodes éducatives déraisonnables ou pas et les parents ont des croyances non violentes. À l’analyse des différents profils familiaux, les auteurs concluent que les familles abusives ont un nombre proportionnellement plus élevé de facteurs de risque que les familles dites sévères, paradoxales ou non abusives. Les facteurs identifiés sont le stress parental, l’isolement, la violence vécue dans l’enfance, la monoparentalité et la pauvreté perçue (Dufour et coll., 2011). D’autres auteurs ont identifié des facteurs de risque s’appliquant à l’ensemble des familles utilisant la violence physique, soit la séparation précoce de la mère avec l’enfant, le lien d’attachement mère-enfant insécurisant (Ammerman, 2008), les troubles de personnalité, l’anxiété parentale (Fontaine & Nolin, 2012), l’abus de substances (Bohn, 2003) et le vécu d’événements traumatiques (Craig & Sprang, 2007). Enfin, la plupart des parents abusifs présentent des difficultés relationnelles avec leurs enfants de même que des difficultés sur le plan des habiletés parentales et de la gestion du stress (Runyon, Deblinger, Ryan & Thakkar-Kolar, 2004). Ils sont souvent moins chaleureux dans leurs interactions avec leurs enfants et rapportent des niveaux de dépression plus élevés que les parents non-abusifs (Haskett et coll. 2008). Ceci peut s’expliquer par le fait que les parents abusifs ont des biais cognitifs qui les prédisposent à percevoir les comportements normaux ou ambigus de leurs enfants comme provocants, ennuyeux ou justifiant une certaine forme de discipline. Certains perçoivent que leurs enfants sont défiants, qu’ils répondent moins aux techniques de discipline non violentes et qu’ils présentent davantage de troubles de comportement (Chaffin et coll., 2004). Il en résulte un potentiel d’escalade vers un épisode abusif, où alors les parents et l’enfant usent tour à tour de comportements coercitifs et tentent de prendre le contrôle l’un sur l’autre (Mammen, Kolko & Pilkonis, 2003). Ainsi, les abus physiques surviennent le plus souvent dans un contexte de discipline et d’escalade négative de la relation parent-enfant (Chaffin et coll., 2004).

Figure

Tableau 1 : Abus physiques et risque d’abus physiques corroborés au Québec de 2008 à  2013 sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés
Tableau 2 : Abus sexuels et risque d’abus sexuels corroborés au Québec de 2008 à 2013  sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés
Tableau 5 : Description des variables relatives aux caractéristiques de la famille
Tableau 8 : Description des variables relatives à l'histoire de maltraitance de l'enfant
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