Les sciences sociales "en chiffres" : un mot de l'éditeur
Texte intégral
(2) Le Cahier de l’ACSALF. Volume 2, no. 2, avril 2005. qui sont les plus isolés de tous5. Chez les collaborateurs directs, ce « réseau de soutien » a d’ailleurs une chance sur deux de comprendre, entre autres, des non-universitaires (employeur ou autre représentant d’organisation nonuniversitaire). On observe donc que la collaboration avec des organisations non-universitaires permet aux étudiants qui y prennent part d’élargir leur réseau social et de bénéficier du soutien de personnes issues d’horizons diversifiés. Ce réseau, dans sa portion nonuniversitaire, est par ailleurs constitué de personnes détenant un haut niveau de qualification : près des deux-tiers des collaborateurs directs (63,8%) ont des contacts avec des nonuniversitaires titulaires d’un doctorat. Cette proportion est nettement plus faible chez les collaborateurs non-contractuels, se situant à 43,1%. Contrairement à la situation observée en SNG, toutefois, il est plus rare que les organisations non-universitaires consacrent des ressources humaines à temps plein à la recherche. Conséquemment, il arrive aussi moins souvent que des représentants nonuniversitaires avec lesquels les étudiants en sciences humaines et sociales sont en relation soient des chercheurs à temps complet. Il n’en demeure pas moins que les collaborateurs directs en sciences humaines et sociales ont accès à un groupe de référence beaucoup plus large que leurs pairs non-collaborateurs, qu’ils soient ou non boursiers. Cette ouverture au milieu se traduitelle par une fermeture à la communauté universitaire? De toute évidence non puisque 82,5% des collaborateurs directs ont effectué. au moins un type de diffusion de leurs résultats de recherche dans le cadre de leurs études et que les deux-tiers (67,5%, soit autant que chez les boursiers non-collaborateurs) ont déjà été exposés à l’évaluation par les pairs. Leurs publications sont notamment des rapports et des communications orales, mais aussi des articles (45,0%). Les collaborateurs directs sont donc ainsi les plus susceptibles d’avoir déjà publié (82,5%), devant les boursiers noncollaborateurs (78,4%) et les collaborateurs non-contractuels (73,9%). La proportion des non-boursiers non-collaborateurs qui ont publié est faible (52,5%)6, ce qui apparaît problématique étant donné le caractère central de la diffusion des résultats de recherche pour l’avancement des connaissances. Ces derniers sont également les moins exposés à l’évaluation par les pairs, seuls 38,8% ayant vécu cet important rite académique. Enfin, le recours au soutien offert par des non-universitaires ne signifie pas non plus que les étudiants collaborateurs se détournent en masse des carrières universitaires : leurs projets professionnels ne se distinguent pas significativement de ceux des autres catégories d’étudiants en sciences humaines et sociales. Règle générale, le désir d’obtenir un poste universitaire maintient une large part (c’est l’emploi idéal d’environ 45% des répondants) mais plusieurs affirment quand même préférer travailler au sein d’organisations gouvernementales ou, plus rarement, d’une entreprise ou du milieu communautaire. Ce très rapide survol de l’expérience de collaboration avec le milieu des étudiantes. et étudiants en sciences humaines et sociales montre que, dans le spectre des situations possibles, les aspirants sociologues et anthropologues s’en tiennent généralement à des collaborations d’assez faible intensité. Autrement dit, la relation entre ces étudiants et le milieu non-universitaire est davantage typique du lien entre un chercheur et son objet de recherche que d’un partenariat fondé sur la réciprocité. Malgré tout, la contribution du milieu à la formation des étudiants n’est pas forcément limitée à se laisser étudier docilement : environ la moitié des étudiants collaborateurs affirment recevoir de l’encadrement intellectuel ou du soutien de la part de non-universitaires. La forme et l’ampleur du soutien qui est apporté par ces acteurs non-universitaires à la formation de la relève dans nos disciplines mérite d’être étudiée plus à fond. En revanche, d’un point de vue éthique, on peut se demander quelle contribution les étudiants offrent en retour des données et souvent du soutien qu’ils reçoivent des organisations non-universitaires. Il existe dans nos disciplines une tension entre la contribution à l’avancement de la discipline et la contribution à la société qui ne peut ni ne doit se résoudre tout à fait. Poursuivre la recherche et la réflexion sur les collaborations universitémilieu dans notre pratique constitue certainement une des manières d’apprendre à vivre avec cette tension, un héritage qui mérite d’être transmis à la relève en formation.. 5 Seule la moyenne de 2,49 est significativement plus basse (test t) par rapport à l’ensemble de l’échantillon, les différences entre les trois autres catégories d’étudiants étant peu significatives. 6 Seule la moyenne de 52,5% est significativement plus basse (test t) de l’ensemble de l’échantillon, les différences entre les trois autres catégories d’étudiants étant peu significatives.. Un mot de l’éditeur (suite de la page 1) Le croisement des différents tableaux et données présentés ici se veut une première tentative de cartographier une forêt dont chacun des arbres est parfois convaincu de bien la connaître... 2. Ce numéro permet aussi de nuancer ou invalider plusieurs prophéties qui circulent sur l’évolution des disciplines universitaires. En d’autres termes, il aide à mieux distinguer « ce qui est » de « ce qui devrait être ». Nous sommes souvent mobilisés par des discours qui annoncent pour demain le « meilleur des mondes » ou qui, comme dans un miroir, lamentent la « fin de l’université » ou « la fin des sciences sociales ». La réalité peut, il est vrai, pencher dans un sens ou dans l’autre, mais il est à prévoir qu’elle est rarement aussi blanche ou aussi noire (même tendanciellement!) que certains vaticinateurs le prétendent. 3. On affirme que la sociologie fait partie des sciences humaines. Cette affirmation est aussi généreuse que… générale. Au delà de ce consensus, cependant, il importe de constater, chiffres à l’appui, que plusieurs caractéristiques. de la recherche séparent en fait la sociologie (et quelques autres sciences sociales) des humanités (l’histoire et la philosophie, par exemple). Ce genre de distinctions aide à comprendre les récriminations de bien des humanistes face aux sciences sociales, critiques souvent homologues à celles que les praticiens des sciences sociales adressent aux sciences de la nature. Plusieurs des données quantitatives présentées ici sont tirées de sondages et d’analyses faites à partir de bases de données bibliométriques. Le sondage est un outil méthodologique ancien et courant en sciences sociales. La technique bibliométrique est, quant à elle, d’un usage plus récent; elle s’est particulièrement développée au Québec avec la création, en 1997, de l’Observatoire des sciences et des technologies (OST), aujourd’hui affilié au Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) situé à l’UQAM. L’OST compte à sa disposition diverses bases de données sur la recherche universitaire dans l’ensemble des disciplines académiques. Ces bases de données (dont certaines ont été développées par l’OST lui-même) brossent un. tableau global de l’évolution des pratiques de recherche depuis le début des années 1980 : subventions et contrats de recherche, brevets et publications d’articles savants. Sans être exhaustives, ces données permettent aujourd’hui de prendre pour objet les disciplines ellesmêmes comme agrégat des pratiques individuelles. On peut ainsi analyser la sociologie selon l’appartenance institutionnelle mais aussi selon le lieu de publication -- ce qui permet de regrouper des chercheurs qui n’enseignent pas dans des départements de sociologie mais publient dans des revues de sociologie. Etc. Accompagnant les données de l’OST, d’autres études quantitatives aident à prendre la mesure de quelques réalités faussement bien connues du milieu universitaire : l’épistémologie, l’utilisation des données, la permanence, l’économie du savoir, etc. On trouvera dans ce petit numéro spécial du Cahier de l’ACSALF une riche et stimulante revue de notre landerneau académique. On dit souvent qu’une image vaut mille mots. Il faudrait ajouter qu’un chiffre ou qu’un graphique en vaut au moins autant! 1 Nous tenons à remercier vivement Mélita Goléa-Man pour l'aide apportée à la réalisation de ce cahier.. 9.
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