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CHAPITRE 1 | PROBLÉMATIQUE

1.3. Recension des écrits

1.3.2. Les abus sexuels dans l’enfance

Au même titre que les abus physiques, les données traitant de l’ampleur des abus sexuels sont largement influencées par des questions méthodologiques (Pereda, Guilera, Forns & Gomez-Benito, 2009). Elles varient d’un pays à un autre, notamment à cause des différentes valeurs et croyances culturelles (Stoltenborgh, Van IJzendoorn, Euser & Bakermans-Kranenburg, 2011). Considérant ces limites, Stoltenborgh et coll. (2011) ont réalisé une méta-analyse afin d’évaluer la prévalence mondiale de la problématique. À partir de 331 échantillons indépendants recensés dans la littérature et, sur un total de 9 911 748 participants, les auteurs estiment cette prévalence à 11,8%. Une importante différence est observée entre les études basées sur des données d’auto-évaluation (les participants déclarent avoir vécu un abus) et les études d’incidence s’appuyant sur des faits corroborés. Le taux d’abus recensé serait 30% plus élevé dans les études d’auto- évaluation (Stoltenborgh et coll., 2011). En comparaison aux abus physiques, l’incidence des abus sexuels est beaucoup moins élevée en ce qui a trait aux mauvais traitements corroborés. L’Étude canadienne sur l’incidence des cas d’abus et de maltraitance (2010) révèle que, sur les 85 440 enquêtes de mauvais traitements corroborés au cours de l’année 2008, 3% (N=2607) ont trait à des abus sexuels. La problématique se retrouve au cinquième et dernier rang en importance au Canada (ASPC, 2010).

Au Québec, l’ampleur de la problématique est similaire. Sur les 10 060 évaluations de mauvais traitements corroborées au cours de la période 2008-2009, 4% (N= 406) concernent des abus sexuels tandis que 3% (N= 304) comportent un risque sérieux d’abus sexuels (ACJQ, 2010). Les pourcentages sont stables au cours des dernières années (Tableau 2).

Tableau 2 : Abus sexuels et risque d’abus sexuels corroborés au Québec de 2008 à 2013 sur l’ensemble des mauvais traitements corroborés

Abus sexuels Risque d’abus sexuels

Année n % n % 2008-2009 406 4.0 304 3.0 2009-2010 339 3.3 242 2.3 2010-2011 355 3.2 297 2.6 2011-2012 387 3.2 317 2.7 2012-2013 381 3.3 293 2.6

Aux États-Unis, des pourcentages plus élevés sont observés et ils sont aussi stables dans les dernières années. Les taux corroborés pour les années 2008, 2009 et 2010 sont respectivement de 9.1%, 9.5% et 9.2% (HHS, 2010; HHS, 2011). En s’appuyant sur les recherches d’auto-évaluation, la méta-analyse de Stoltenborgh et coll. (2011) permet d’établir que la prévalence minimale des abus sexuels dans l’enfance chez

les filles est de 164/1000 tandis que la prévalence maximale est de 197/1000. Pour les garçons, la prévalence minimale est de 66/1000 et elle s’élève au maximum à 88/1000.

Sur le plan personnel, les abus sexuels représentent un facteur de risque lié au développement de perturbations physiques et psychologiques à l’âge adulte (Vigil & Geary, 2008). En s’appuyant sur plusieurs recherches, Vigil et Geary (2008) ont recensé quelques conséquences liées aux abus, notamment : plus de problèmes de santé physique, l’abus de substances, une augmentation des troubles associés à la dépression et l’anxiété, la comorbidité à d’autres troubles psychologiques, une exacerbation du trauma au moment de vivre d’autres expériences de vie négatives et le risque d’être exposé à des traumatismes supplémentaires au cours de la vie. Kilcommons et Morrison (2005) observent même que les abus sexuels, en tant qu’expérience de vie traumatique, peuvent être associés à des symptômes psychotiques tels que les hallucinations. De surcroît, ils sont fortement associés aux problèmes psychiatriques (Tang et coll., 2006). Par ailleurs, les abus sexuels dans l’enfance sont liés à des relations familiales et conjugales plus fragiles (Vigil & Geary, 2008). À cet effet, Cox, Kotch et Everson (2003) soutiennent que la victimisation sexuelle est associée à la violence conjugale à l’âge adulte. D’autres auteurs estiment que les enfants victimes d’abus sexuels sont plus enclins à vivre des perturbations du sommeil comme les cauchemars et l’insomnie (Steine et coll., 2012), à développer des troubles alimentaires (Mercado, Martinez-Taboas & Pedrosa, 2008; Wonderlich et coll., 2000) et des comportements sexuels à risque à l’âge adulte tels que la multiplicité des partenaires et des relations non protégées (Senn & Carey, 2010). Les adultes ayant vécu un abus dans l’enfance sont plus à risque de revictimisation sur le plan sexuel (Lalor & McElvaney, 2010; Loeb, Gaines, Wyatt, Zhang & Liu, 2011), de s’adonner à la prostitution et d’entretenir un climat de promiscuité sexuelle (Lalor & McElvaney, 2010). Sur le plan social, les enfants abusés sexuellement présentent davantage de comportements extériorisés comme l’agressivité ou la fugue (Ruggiero, McLeer & Dixon, 2000). En ce qui a trait aux comportements intériorisés, certains enfants se décrivent comme gênés, introvertis, renfermés et ayant peu de confiance en soi. Par conséquent, ils sont davantage isolés (Deering & Mellor, 2011). Sur le plan socio-économique, Zielinski (2009) constate que les victimes d’abus sont à plus haut risque de vivre avec un faible revenu à l’âge adulte. Considérant l’ensemble de ces conséquences, il n’est pas étonnant que les coûts économiques associés à la problématique soient exorbitants. Au Canada, par exemple, ces coûts sont évalués à 3.6 milliards de dollars annuellement (Hankivsky & Draker, 2003).

Certains enfants sont plus sujets à la victimisation sexuelle, de par leur sexe ou leur âge, notamment. Il est établi par la plupart des auteurs que les filles en sont plus souvent victimes que les garçons (Fischer & MacDonald; 1998, Pereda et coll., 2009; Stoltenborgh et coll., 2011). Gorey et Leslie (1997) évaluent par exemple la prévalence à 17% chez les filles comparativement à 8% chez les garçons. Ces pourcentages sont

similaires à ceux recensés par Stoltenborgh, et coll. (2011) qui sont de 18% pour les filles et 7.6% pour les garçons. Pereda et coll. (2009) concluent quant à eux que le taux se situe entre 10 et 20% pour les filles et à moins de 10% pour les garçons. Les abus sexuels commencent en moyenne plus tôt chez les victimes de sexe masculin (6,7 ans versus 9,2 ans pour les filles) et l’âge moyen est d’autant plus jeune pour les victimes d’abus intrafamilial (Fischer & MacDonald, 1998). Par ailleurs, les enfants laissés seuls, qui ne sont pas supervisés et qui se retrouvent sans la présence d’amis ou de voisins sont plus à risque d’être abusés (Berliner & Elliot, 2002; Ramírez, Pinzón-Rondón & Botero, 2011).

Au regard de la structure familiale, Fischer et MacDonald (1998) ont comparé les caractéristiques des situations d’abus sexuels intrafamiliaux à ceux qui sont extrafamiliaux. Ils remarquent que, sur un échantillon de 1101 situations enquêtées par les policiers, 44% découlent d’un abus intrafamilial et 56% d’un abus extrafamilial. Les données provenant de la Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect – 2003 (Trocmé et coll., 2005) démontrent que, contrairement aux abus physiques, les situations pour lesquelles l’abus sexuel est le motif principal de maltraitance impliquent un abuseur qui n’est pas un parent biologique. Seulement 9% des abus sont commis par le père biologique et 5% par la mère biologique (Trocmé et coll., 2005). En parallèle, Turner, Finkelhor et Ormrod (2007) constatent que les enfants vivant au sein d’une famille recomposée sont plus à risque de victimisation que ceux vivant avec leurs deux parents biologiques, notamment sur le plan sexuel. Certains profils familiaux sont davantage associés à la victimisation sexuelle de l’enfant. On remarque que les abus sont plus susceptibles de se produire dans les familles dont le fonctionnement est perturbé, c’est-à-dire lorsque les parents se disputent violemment, lorsqu’ils consomment, lorsqu’ils ont eux-mêmes été élevés dans un climat de consommation ou lorsque la mère a été abusée dans l’enfance (Karmen, 2010). Robboy et Anderson (2011) confirment que les enfants dont la mère a été abusée sont davantage sujets à la polyvictimisation, c’est-à-dire d’être exposés à plusieurs formes de maltraitance. Enfin, Ramírez et coll. (2011) observent qu’en plus de ces facteurs, la violence vécue dans la communauté élève le risque que l’enfant soit victime d’abus sexuel.