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Les abus sexuels menant à des accusations criminelles

CHAPITRE 5 | DISCUSSION

5.3. Les abus sexuels menant à des accusations criminelles

Les paragraphes qui suivent portent sur les situations d’abus sexuels ayant mené à des accusations criminelles. Il n’est pas possible, en raison de la taille restreinte de l’échantillon, d’identifier des facteurs de prédiction dans ces cas particuliers. Les données ne peuvent pas non plus être généralisées. Les résultats actuels offrent par ailleurs une vue d’ensemble des situations criminalisées pouvant être discutée à la lumière des résultats obtenus dans des études précédentes. On présente les écarts de proportions les plus importants, quoi que ces écarts ne puissent être considérés comme significatifs. Des tests de moyennes ont néanmoins été effectués lorsque possible, permettant ainsi de tirer des conclusions au regard de certaines caractéristiques précises que sont l’âge de l’enfant, le nombre d’évaluations fondées (histoire de maltraitance) et le nombre de preuves. Ces tests ont permis de déceler des différences significatives entre les situations avec et sans accusations. En première partie de cette section, les écarts de proportions et les différences de moyennes sont présentés. En deuxième partie, on discute de la possibilité d’une criminalisation sélective.

5.3.1. Portrait global des situations criminalisées.

Les données relatives au genre de l’enfant nous indiquent que le pourcentage de filles (66.7%) est plus élevé que le pourcentage de garçons (33.3%) dans le groupe avec accusations. Les études antérieures les plus récentes s’entendent pour dire qu’il y a une plus forte probabilité que la situation des filles, comparativement à celle des garçons, donne lieu à des poursuites criminelles de l’abuseur (Sedlak et coll., 2005; Stroud et coll., 2000; Walsh et coll., 2008). Cela pourrait s’expliquer par le fait que les garçons sont plus souvent agressés sexuellement sur une période de temps plus courte et subissent moins d’incidents d’agression sexuelle que les filles (Wolfe, 2007).

On remarque à nouveau que les situations criminalisées impliquent des enfants plus âgés (10.6 ans) que les situations non criminalisées (7.7 ans). La moyenne d’âge du groupe avec accusations se situe à mi-chemin entre les moyennes d’âge obtenues antérieurement par Cullen et coll. (2000) ainsi que Stroud et coll. (2000) qui sont respectivement de 11.1 ans et 9.2 ans. Les données sur l’âge de l’enfant permettent de réitérer que les situations d’enfants plus âgés sont plus susceptibles d’être criminalisées (Evans & Lyon, 2012; Bunting, 2008; Stroud et coll., 2000; Cross et coll., 1994), comme cela a été démontré avec les situations d’abus physiques.

Dans le groupe avec accusations, les enfants demeurent surtout avec leur père (40%) et proviennent principalement d’une famille recomposée (40%). Il pourrait y avoir un lien entre le fait que les enfants de ce

groupe demeurent surtout avec leur père et le fait que ce dernier soit également le principal abuseur concerné (dans 38.9% des cas), parce qu’ils sont plus souvent en contact avec lui et, qu’incidemment, cela rend les abus plus probables.

Il se pourrait que les familles recomposées soient plus sujettes à vivre une expérience liée au processus d’accusations criminelles. Tandis que seulement 11.5% des abuseurs sont représentés par un membre de la famille recomposée dans les situations sans accusations, cette proportion est près de six fois plus élevée dans les situations avec accusations (60%). Quoique le nombre insuffisant de données ne nous permette pas de tirer une conclusion relative à ces proportions, les études antérieures ont démontré de façon unanime que les situations soumises à des accusations impliquent surtout une figure autre qu’un parent (Brewer et coll., 1997; Cross et coll., 1994; Ménard & Ruback, 2003; Quas & Goodman, 2012; Stroud et coll., 2000; Whitcomb et coll., 1991). Il est reconnu que si le noyau familial est intact, les probabilités de poursuites sont plus faibles (Brewer et coll., 1997). Pour cause, l’abus est plus difficile à divulguer s’il implique un parent (Hershkowitz et coll., 2005) et les procureurs abandonnent souvent les accusations en raison de l’opposition de la famille immédiate au processus de criminalisation (Cross et coll. 1999; Gray, 1993). Dans cette recherche, il est vrai que les enfants du groupe sans accusations demeurent surtout avec leurs deux parents et sont issus d’une famille biparentale intacte (46.2%).

Deux fois plus d’enfants ont subi plus d’un geste d’abus de nature différente dans le groupe avec accusations (66.7%) que sans accusations (30.8%). Ainsi, la victimisation répétée caractérise davantage le premier groupe que le second. Concernant la nature du geste posé, les proportions associées aux relations sexuelles orales sont beaucoup plus élevées dans les situations criminalisées (60%) que non criminalisées (11.5%). Il n’est pas possible de tirer de conclusions vis-à-vis de ce constat, si ce n’est que les aveux liés à ce type de geste sont plus éloquents et incidemment moins susceptibles de porter à interprétation. Il ne s’agit toutefois que d’une supposition.

Les antécédents de maltraitance sont plus importants dans les situations criminalisées que dans celles qui ne le sont pas. La moyenne des évaluations fondées antérieurement à l’Entente multisectorielle est de 1.6 pour les situations avec accusations comparativement à 0.5 pour les situations sans accusations, impliquant une différence significative. On constate que cette variable est particulièrement importante dans la criminalisation des abus sexuels, au contraire des abus physiques.

Le nombre de preuves est significativement plus élevé dans les situations avec accusations criminelles (2.33) que sans (1.00), ce qui met en évidence l’importance de la preuve. Tous les enfants du premier groupe ont livré des aveux comparativement à 53.8% du deuxième groupe. Il importe de spécifier que, sur l’ensemble des enfants ayant livré des aveux dans le groupe avec accusations, aucun n’a livré d’aveux partiels (aucuns aveux

ambigus, changeants ou incomplets). Des auteurs soutiennent effectivement que la précision du témoignage demeure le premier critère de validité de la preuve (Davis et coll., 1999) puisque la crédibilité de l’enfant est garante des suites légales (Spohn et coll., 2001). En ce cas, lorsque l’on sait en partant que certains enfants risquent de livrer des aveux partiels et/ou erronés considérant leur stade développemental et que, dès lors, les preuves ont peu de chances d’être suffisantes, devrait-on continuer à poursuivre « par défaut »?

Un peu plus d’un agresseur sur deux (54.5%) du groupe avec accusations a livré un témoignage comparativement à un peu plus d’un sur dix (13%) dans le groupe sans accusations. Bien que cet écart de proportion nous apparaisse important, il demeure difficile de statuer que les aveux de l’agresseur influencent la décision de porter des accusations criminelles en raison du nombre insuffisant de données. Il a été admis précédemment que ce type d’aveux est favorable à la réduction du risque de victimisation secondaire puisqu’il permet de corroborer les faits, de réduire le fardeau du témoignage chez les enfants victimes, de diminuer leur sentiment de culpabilité par rapport à l’abus commis et d’accélérer le processus de criminalisation (Lippert et coll., 2010). Des auteurs avancent que les aveux de l’agresseur sont la source de preuve la plus importante pour criminaliser un abus sexuel (Beauregard & Mieczkowski, 2011).

Il y a finalement un écart important entre les proportions liées aux « autres types de preuves » dans le groupe avec accusations (26.7%) et le groupe sans accusations (3.8%). La récidive de l’abuseur est à nouveau fortement associée aux « autres types de preuves », quoi que non exclusivement dans les cas d’abus sexuels (la présence de comportements sexualisés a pu constituer un autre type de preuve). L’écart de proportion pourrait être justifié par le fait que la présence d’antécédents chez l’abuseur augmente les risques de poursuites (Cross et coll., 1994; Cullen et coll., 2000; Sedlak et coll., 2005).

5.3.2. La criminalisation « sélective ».

S’il y a un constat unanime à l’analyse de ces résultats, c’est que les accusations criminelles sont rarement portées lorsque l’agresseur est un parent (Brewer et coll., 1997; Cross et coll., 1994; Cross & coll., 1999; Gray, 1993; Ménard & Ruback, 2003; Quas & Goodman, 2012; Stroud et coll., 2000; Whitcomb et coll., 1991). Même si les résultats actuels ne permettent pas de tirer une conclusion en raison d’un petit nombre de cas, la tendance qui se dessine dans la présente recherche appuie la conclusion des auteurs précédents. Afin de mieux comprendre en quoi les membres de la famille recomposée sont plus enclins à être sujets à des poursuites criminelles dans les cas d’abus sexuels, il importe de considérer, au-delà même du rôle familial exercé par l’abuseur, la présence d’autres facteurs associés. Ce n’est effectivement pas le fait de vivre avec un beau-parent qui augmente les risques d’abus, mais une multitude de facteurs, dont le lien d’attachement (Pouliot et Saint-Jacques, 2002). Si l’abuseur a un lien moins significatif avec l’enfant, ce qui est plus probable dans le cas des beaux-parents, il est possible que les autres membres de la famille soient plus enclins à

dénoncer l’abus. Cette corroboration du témoignage peut certainement faciliter la démonstration de la preuve. La criminalisation accrue des membres de la famille recomposée pose néanmoins le problème d’une criminalisation des abus sexuels pouvant être perçue comme « sélective », c’est-à-dire qui incrimine préférablement tel type d’abuseur plutôt qu’un autre. Il est vrai que malgré son implication plus évidente dans les cas d’abus sexuels, le père demeure moins concerné par les accusations criminelles que les membres de la famille recomposée. Cette criminalisation sélective pourrait avoir des conséquences, en amenuisant la confiance du public envers le système et en n’éliminant pas la possibilité que l’enfant soit revictimisé par son parent.