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Les abus physiques menant à des accusations criminelles

CHAPITRE 5 | DISCUSSION

5.2. Les abus physiques menant à des accusations criminelles

Cette section traite des abus physiques ayant mené à des poursuites criminelles et répond, par le fait même, à la deuxième question de recherche. Dans un premier temps, les facteurs de prédiction des accusations criminelles y sont décrits. Dans un deuxième temps, l’analyse de ces facteurs ouvre la discussion sur deux paradoxes que sont (a) le message contradictoire lancé par les instances de poursuite et (b) la difficulté marquée à criminaliser les situations d’enfants les plus vulnérables.

5.2.1. Les facteurs de prédiction.

L’analyse des résultats fait ressortir quatre éléments pouvant prédire les accusations criminelles dans les ententes multisectorielles en abus physiques : l’âge de l’enfant, son niveau de scolarité, le fait de donner un coup de pied, un coup de poing ou de mordre et les « autres types de preuves »5.

Le facteur de prédiction le plus significatif est l’âge de l’enfant. Les enfants du groupe avec accusations ont en moyenne trois ans de plus (10.15 ans) que ceux du groupe sans accusations (7.27 ans). On remarque que plus l’âge de l’enfant augmente, plus il y a de situations impliquant des poursuites criminelles. On peut ainsi corroborer que les situations d’enfants plus âgés sont plus susceptibles d’être criminalisées (Bunting, 2008; Cross et coll., 1994; Evans & Lyon, 2012; Stroud et coll., 2000). Il est admis, à cet égard, que les enfants plus âgés constituent des témoins plus crédibles (Brewer et coll., 1997). À ce sujet, l’un des problèmes que pose le jeune âge de l’enfant est sa difficulté, voire son incapacité à se souvenir des événements survenus avant l’âge de quatre ans, ce à quoi réfère l’amnésie infantile (Ost, 2014). Vis-à-vis de cette problématique, il est peu probable d’obtenir un témoignage fiable avant cet âge. On suppose aussi que les enfants plus jeunes sont moins enclins à faire l’objet d’un signalement aux instances de protection car ils ne côtoient pas encore le milieu scolaire et ont des contacts moins fréquents avec d’autres personnes susceptibles de remarquer la présence d’un abus.

Les autres types de preuves constituent le deuxième facteur de prédiction. Dans les situations d’abus physiques plus spécifiquement, tous les autres types de preuves sont associés au facteur de récidive de l’abuseur. Lors d’une recherche antérieure traitant des abus physiques et sexuels, Sedlak et coll. (2005) ont aussi identifié cet élément comme un facteur de prédiction des accusations.

Le troisième facteur de prédiction est le niveau de scolarité de l’enfant. On remarque que les enfants de niveau secondaire sont proportionnellement plus nombreux dans le groupe avec accusations (42.3%) que sans accusations (8.2%). On sait que le niveau de développement de l’enfant et son niveau de compréhension

de la tâche ont une influence sur les aveux qu’il fournit (Cyr et coll., 2014), ce qui pourrait expliquer l’importance du niveau de scolarité dans la décision de porter des accusations.

Le dernier facteur de prédiction consiste à donner un coup de pied, un coup de poing ou mordre. Ces gestes sont proportionnellement plus élevés dans le groupe avec accusations (42.3%) que sans (12.3%). Ce résultat est conforme avec le fait qu’il est plus évident, dans ces situations, de tracer la ligne entre la punition corporelle et l’abus physique, au contraire des autres catégories de violence physique. De plus, la nature de ces gestes est souvent grave et surtout non accidentelle, deux critères que Davis et coll. (1999) considèrent comme des facteurs favorisant les poursuites criminelles en matière d’abus physiques.

On souhaite enfin préciser que le modèle de prédiction dont il est question dans cette recherche ne prétend pas expliquer l’ensemble des facteurs de criminalisation. D’autres variables qui n’ont pas été étudiées pourraient constituer des facteurs de prédiction. Seule l’étude de Sedlak et coll. (2005) nous apparaît suffisamment récente pour apporter des pistes de réflexions au regard de ces autres facteurs dans les cas d’abus physiques. Elle suggère que la présence de problématiques chez l’abuseur, telles que la dépendance aux drogues ou à l’alcool, une incarcération antérieure ou des difficultés conjugales puissent constituer des facteurs de prédiction. Une prochaine recherche pourrait traiter de ces éléments.

5.2.2. Les paradoxes de la criminalisation.

Le premier paradoxe découlant de la criminalisation des abus physiques est le message contradictoire que sous-tend l’absence d’accusations criminelles dans les situations où il y a présence d’une blessure (laquelle nécessite parfois des soins médicaux) et de preuves médicales probantes. Dans le groupe sans accusations, près d’un enfant sur deux a une blessure dont 17.1% de ces blessures requièrent des soins médicaux. De plus, il y a une preuve médicale probante dans 13.7% des cas. Ces données n’apparaissent toutefois pas suffisantes pour que ces situations fassent l’objet d’accusations. Ainsi, dans certaines situations d’abus physiques, les enfants sont questionnés et/ou examinés afin qu’une preuve soit établie, pourtant cette preuve ne sera pas utilisée pour les fins escomptées une fois obtenue puisqu’on privilégiera, au final, une autre option que la criminalisation.

Le deuxième paradoxe est celui de la difficulté marquée à criminaliser les situations d’enfants les plus vulnérables. On rappelle que les très jeunes enfants sont plus à risque de subir des blessures graves (ACJQ, 2011; Jetté et coll., 2000), surtout s’ils présentent un handicap (ACJQ, 2011) ou proviennent d’une famille nombreuse ou monoparentale (Berger, 2005). Or, les enfants dont la situation fait l’objet de poursuites criminelles sont souvent plus âgés avec un niveau d’éducation secondaire, ne se démarquent pas quant à la

présence d’un handicap, d’une blessure physique ou de la nécessité de soins médicaux, proviennent pour la plupart d’une famille biparentale sans différence significative au regard du nombre d’individus dans le foyer.