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La démonstration de la preuve et les facteurs d’influence

CHAPITRE 1 | PROBLÉMATIQUE

1.3. Recension des écrits

1.3.4. La démonstration de la preuve et les facteurs d’influence

Une fois l’abus divulgué aux autorités policières et l’Entente multisectorielle enclenchée, de nombreux facteurs viennent influencer le cours du processus de criminalisation.

D’abord, à l’étape de l’enquête policière ou lors de l’application de l’Entente multisectorielle, des motifs précis peuvent soutenir la décision des policiers de ne pas confier la situation de l’enfant au procureur. Une étude conduite par Davis et coll. (1999) sur l’admissibilité et la suffisance de la preuve dans les situations de criminalisation des abus démontre que les motifs d’arrêt des procédures sont différents dépendamment qu’il s’agit de situations d’abus physiques ou sexuels. Dans le cas des abus sexuels, par exemple, les motifs peuvent être que l’enfant n’a pas déposé une plainte au moment de l’interrogatoire ou encore le fait que le policier ne tenait pas pour crédible la version de l’enfant. Cross et coll. (1999) croient aussi que la crédibilité de l’enfant peut influencer l’abandon des procédures, mais ils ajoutent aussi la non-disponibilité de l’enfant à témoigner. Les auteurs mentionnent également que les procédures peuvent être abandonnées par les policiers si la famille ou le procureur ne sont pas d’avis qu’il faille aller plus loin dans le processus (Cross et coll.,1999). Ce dernier constat rejoint celui de Davis et coll. (1999) comme quoi il est inévitable que le policier et le procureur s’entendent sur la même décision pour assurer une poursuite efficace des procédures. Dans le cas des abus physiques, les motifs liés à l’arrêt des procédures sont distincts : soit l’abus est perçu comme un châtiment raisonnable par le policier, soit ce dernier considère que la criminalisation est susceptible de créer

une source de discorde dans la famille et d’être nuisible au long cours. En dépit du type d’abus, il est observé que les policiers soumettent fréquemment des situations au procureur même lorsqu’ils doutent de détenir des preuves suffisantes, ceci ayant comme objectif que le procureur agisse comme conseiller ou qu’il prenne une décision finale sur la nécessité de porter des accusations (Davis et coll., 1999).Ces éléments méritent cependant d’être analysés avec prudence puisque les recherches sur le sujet sont plus ou moins récentes. À l’étape subséquente du processus de criminalisation, soit lorsqu’une situation est confiée au procureur, la décision de porter des accusations criminelles est une fois de plus guidée par la démonstration de la preuve. Des motifs distincts sont également observés entre les situations d’abus sexuels et d’abus physiques. Lorsqu’il est question d’abus sexuels, la criminalisation dépend majoritairement de la validité des faits rapportés par l’enfant. La précision demeure le premier critère de validité (Davis et coll., 1999). Gray (1993) soulève quatre raisons principalement évoquées par les procureurs pour abandonner le processus. Les deux premières raisons sont en lien avec la validité des faits rapportés par l’enfant, c’est-à-dire que la preuve ne peut être corroborée ou que la version de l’enfant a changé. La troisième raison est que la famille s’oppose à la criminalisation. Enfin, la dernière raison est le jeune âge de l’enfant (Gray, 1993, dans Sedlak et coll., 2006). Des raisons similaires sont recensées par Spohn et coll. (2001). En ce qui a trait aux situations d’abus physiques, ce sont les preuves médico-légales prouvant la présence d’une blessure grave, non accidentelle et ayant le plus souvent des conséquences à long terme qui priment dans la décision de poursuivre les procédures (Davis et coll.,1999). Cette observation va de pair avec les observations de Tjaden et Thoennes (1992) comme quoi les situations les plus sévères d’abus sont celles étant le plus souvent criminalisées. Généralement, si le moment entre l’incident et l’enquête est trop long, il n’y a pas présence d’évidence médicale et la situation ne franchira pas d’étapes subséquentes dans le processus de criminalisation (Davis et coll.,1999).

Peu importe l’étape du processus, l’un des points saillants en ce qui concerne les situations d’abus sexuels est la démonstration de la preuve qui repose essentiellement sur le témoignage de l’enfant. La décision des partenaires dépend des révélations de la jeune victime ou des tiers visant à corroborer les faits puisque l’abus ne laisse souvent pas de signe visible (Oxman-Martinez et coll., 1998). Le fait est que, dans la plupart des cas d’abus sexuels, la preuve est entravée par le manque d’évidence médicale ou physique et l’absence de témoin visuel (Roberts & Lamb, 2010). Ce constat est aussi partagé par Cross et coll. (1995) puisque leur étude révèle une minorité de situations pour lesquelles la preuve s’appuyait sur ce type d’évidence. Myers (1993) souligne à ce compte que le témoignage de l’enfant est souvent la plus importante et même la seule preuve pouvant faire en sorte de le protéger.

Si la preuve est cruciale, elle est toutefois difficile à obtenir. Il importe de considérer que les enfants et les adolescents sont plus vulnérables aux interrogatoires et plus enclins à livrer de fausses confessions, en tenant compte des caractéristiques liées à leur développement (Léo, 2008). Ils sont moins matures, ont une confiance plus naïve de l’autorité, consentent plus facilement aux propositions et sont plus désireux de plaire à la figure adulte. Ils ont ainsi tendance à être plus soumis lorsqu’ils sont questionnés (Léo, 2008). Les très jeunes enfants n’ont généralement pas le jugement et les capacités cognitives suffisantes pour comprendre totalement la nature et la gravité de leurs réponses sur le plan des conséquences à long terme. Ils ont des capacités langagières, une mémoire, une durée d’attention et une capacité de traitement de l’information plus limitées (Léo, 2008). Ces limitations font en sorte que certains procureurs et policiers posent aux enfants des questions de compétences, c’est-à-dire des questions liées à la compréhension et à la moralité, dans le but de justifier leur décision de maintenir ou non les poursuites criminelles (Evans & Lyon, 2012). Alors, les situations pour lesquelles les procureurs choisissent de maintenir les accusations concernent plus fréquemment des enfants de plus de six ans, notamment parce que ces derniers sont capables de démontrer une compréhension minimale de la notion de vérité (Evans & Lyon, 2012). Des chercheurs ont démontré que l’âge plus avancé de l’enfant était associé au fait de divulguer l’abus (Faller & Nelson-Gardell, 2010 ; Hershkowitz, Horowitz & Lamb, 2005). Si le responsable de l’enfant croit aussi en l’existence de l’abus (Faller & Nelson- Gardell, 2010), que l’abuseur n’est pas une figure parentale (Hershkowitz, et coll., 2005) ou s’il n’a pas de lien relationnel avec l’enfant (Spohn et coll., 2001), cela facilitera le dévoilement de l’abus. Pour Beauregard et Mieczkowski (2011), ce sont plutôt les confidences de l’abuseur qui représentent la source de preuve la plus importante pour criminaliser un abus sexuel. Il importerait donc d’identifier, au moment de l’enquête, les facteurs favorisant les confidences du suspect de même que ses caractéristiques et celles de la présumée victime étant liées au dévoilement de l’abus (Beauregard & Mieczkowski, 2011 ; Lippert, Cross, Jones & Walsh, 2010). Un meilleur dépistage des caractéristiques favorisant le dévoilement de l’abus par l’agresseur contribuerait à augmenter le taux de plaidoyers de culpabilité, en plus de servir les intérêts de la justice et de réduire le fardeau du processus criminel vécu par les enfants (Lippert et coll., 2010).