LE SPECTACLE N'EST PAS LE MÊME POUR TOUS
Nicoletta LANCIANO Université de Rome
Pour la science en spectacle:
Je m'intéresse aux sciences de la nature et en paniculieràl'astronomie : doncàl'un des spectacles de la nature. Ce qui est fondamental pour moi, c'est la relation entre l'objet observé - ici le ciel- qui rend le spectacle possible, et l'homme qui observe, qui regarde le spectacle.
Je fais appelàune certaine humilité, indispensableà tout homme y compris les hommes de science, qui pennet d'entretenir des relations efficaces, mêmeàlong terme, avec la nature et donc avec la planète et ses habitants.
Je m'intéresse donc aux attitudes du spectateur.
On peut le définir comme un témoin actif. Sa présence au spectacle doit être attentive; elle est liéeàsa capacité d'attention. On peut avoir un enfant qui grandit et ne pas s'apercevoir de ce qui lui arrive: le regarderà 10 ans et se dire: "Je ne me suis aperçu de rien; comment a-t-ilgrandi?" Au contraire, on peut être près de lui avec des yeux qui voient
Le spectacle n'est pas le même pour tous: il dépend des attitudes du spectateur, de son degré d'attention, de ses qualités. Il dépend également de la capacité du spectateur à se laisser émerveiller et émouvoir.
A
proposde la relation entre le spectacle et le spectateur, je souligne l'importance de la formation des enseignants en tant qW! témoins actifs et attentifs des spectacles de la nature.Co~nlmettre cela en pratiqW! ?
La neige tombe ce matin mais on peut ne pas la regarder; on peut lui prêter plus ou moins d'attention, s'arrêter un moment, ou même un long moment.
Hier soir, comme tous les jours, la Lune s'est couchée: quelque chose de quotidien peut devenir exceptionnel si on le regarde avec une attention nouvelle. Et cela ne s'arrête pas à l'émotion: si l'on regarde la Lune soir après soir, plutôt que de consulter un livre, on apprendà la connaître d'une manière très différente. Le spectacle de la nature ne se limite pas aux prémices de la connaissance; au contraire, c'est dans un rapport approfondi avec l'objet, dans une émotion continue qu'une connaissance de plus en plus précise s'installe.
L'émotion n'est pas seulement le/acteur déclenchant et n'est pas seulement une introductionà l'apprentissage. Il n'y a aucune pensée sans émotion, iln'y a pas d'émotion qui n'engage une pensée. Émotion et pensée sont plus liées que ne le conçoivent habituellement les scientifiques.
Un des atouts, un des outils du spectateur attentif est sa capacité à savoir perdre du temps: donner du temps à un objet d'observation, le regarder, revenir le regarder à nouveau, l'apprivoiser comme dirait le Petit Prince. C'est par ce don du temps que prend naissance une relation de qualité. Il n'y a pas de spectacle a priori. Là se situe pour moi une des questions poséeàla formation des ensei~nants: il est indispensable de les rendre capables d'attention et d'écoute à l'égard des spectacles de la nature.
Un des outils pédagogiques qui senà mettre en relation attentive et émotionnelle le spectateur et le ciel est l'observation·rencontre. Elle diffère d'une simple observation par cette spécificité de rencontre, donc, de mise en relation. La relation ne prétend pas être objective, elle est personnelle et donc subjective.
Leconte du mythe astronomique sous le ciel constitue un second exemple d'outil pédagogique créateur d'un tel lien pour tout spectateur, quel que soit son âge.
Contre la science en spectacle:
Le spectacle qui ne m'intéresse pas est celui qui veut faire rire à tout prix. Il ne m'intéresse pas et bien souvent ne me plait pas. Ni le ridicule,ni le rire ne sont les ingrédients spécifiques d'un spectacle.
Je crains la science qui se met en spectacle en se prétendant "sans limites", avec sa prosodie grandiloquente: ce qui entre en jeu, c'est alors le problème du pouvoir, de l'utilisation de la science dans la société et dans la culture.
Je crains quelespectacle ne se déroule sans que nous n'y prêtions attention.
Je crains les jeunes que les jeunes grandissent sans avoir observé la neige qui tombe, qui n'ont jamais regardé l'eau qui coule sur la terre avant d'être introduite et forcée dans les tuyaux et les robinets; des jeunes qui possèdent de nombreux livres avec des images astronomiques prises par satellite mais qui n'ont jamais regardé de leurs propres yeux Jupiter et Saturne dansant parmi les étoiles. Les lumières de nos villes, allumées en permanence, nous privent du spectacle du ciel: elles
nous volent une partie de notre plaisir. TI faut savoir le retrouver. Je crains une connaissance qui reste indirecte même lorsqu'il pourrait en être autrement.
L'éducation peut constituer une voie pour redonner aux jeunes la capacité d'imagination et
rechercher avec eux les choses fondamentales, simples qui sont le propre del'être humain.