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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le spectacle de la nature

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LE SPECTACLE DE LA NATURE

Sur la mise en scène de la Nature dans l’acte de

médiation scientifique

Guillaume TRAP

Dép. de physique, Palais de la découverte – Universcience, Paris, France

Mots-clefs : médiation scientifique – vulgarisation – démonstration publique – nature

Résumé : Devant la prolifération des moyens de médiation virtuels, le recours à l'expérience

scientifique réelle, en public et en direct, semble toujours aussi précieux, sinon davantage. Outre des vertus pédagogiques et épistémologiques manifestes, nous montrons qu'un phénomène au cours duquel « la Nature se donne en spectacle » est aussi source de réflexion éthique et esthétique. Nous discutons ensuite quelques-unes des modalités de la mise en scène de l’expérimentation dans la vulgarisation scientifique (telle qu’on la rencontre dans les musées de sciences notamment) selon la nature des publics visés et des phénomènes vulgarisés.

Abstract : Given the proliferation of virtual tools of scientific communication, the use of real

experiments presented by science explainers in front of audiences remains extremely precious. Beyond an obvious pedagogical and epistemological power, we show how a phenomenon whereby “Nature is performing live” is also source of ethical and esthetical reflections. We then discuss some aspects and practical modes of the implementation of experimental pop science shows (as performed in science museums in particular) according to the nature of the targeted public and the phenomena popularized.

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1. INTRODUCTION

La Nature occupe généralement une position assez modeste dans la médiation scientifique telle qu’elle se pratique dans les musées. En effet, d’une part, les musées traditionnels d’histoire des sciences ont pris l’habitude d’exhiber des collections d’outils plutôt que des phénomènes naturels. D’autre part, dans les centres des sciences modernes, le virtuel tend parfois à chasser le naturel, dans la mesure où l’emploi de supports numériques pour simuler les phénomènes est souvent plus aisé que la reproduction, en direct, d’expériences délicates et moins reproductibles que la lecture d’un fichier multimédia. Or, il a été démontré que la démonstration publique par un conférencier ou médiateur scientifique, au cours de laquelle la Nature s’offre en spectacle, présente un impact pédagogique majeur et incite le visiteur à réitérer sa visite ultérieurement. Cela a été vérifié tant dans les musées d’histoire des sciences comme celui de Genève (Fauche, 2002), que dans les centres des sciences tels qu’Universcience, avec les études de Boissan et Hitier (1982) au Palais de la découverte ou Belaën et Blet (2007) à la Cité des sciences.

Cette pratique du « spectacle de la Nature » comme socle d’une vulgarisation vivante est, du reste, un héritage assez ancien (Raichvarg et Jacques, 1991). Souvenons-nous notamment du « pape de la sciences des marquises » au 18e siècle, l’Abbé Nollet, qui exécutait ses expériences de physique spectaculaires dans son cabinet de curiosités à la cour de Louis XV, à Versailles. Un siècle plus tard, dans une version plus populaire, Michael Faraday instaura ses leçons de Noël (« Christmas lectures ») à la Royal Institution de Londres avec un succès retentissant, une tradition qui se perpétue encore de nos jours dans le monde anglo-saxon, de la vulgarisation télévisée à l’enseignement secondaire. En témoignent, en particulier, les cours de physique de premier cycle universitaire de Walter Lewin au MIT1 ou Richard Muller à Berkeley2, tous deux devenus en l’espace de quelques années des superstars du Web, grâce à la qualité de leur discours où clarté rime toujours avec théâtralité.

Les paragraphes suivants discutent quelque unes des modalités de cette pratique de la vulgarisation expérimentale et spectaculaire.

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2. LES VERTUS DE L’EXPERIMENTATION DANS LA MEDIATION

En France, l’enseignement des sciences passe usuellement par une démarche assez formelle et mathématisée. De fait, les expériences réalisées dans les musées apportent un pendant pratique et heuristique essentiel à l’enseignement des sciences. Mais les bienfaits de l’expérimentation vont bien au-delà ; rappelons simplement quelques catégories de vertus :

Pédagogique

Entendre parler d’un phénomène est une chose, le voir en direct en est une autre. L’expérience permet souvent à un fait scientifique d’accéder à un autre degré de réalité dans la tête d’un apprenant. C’est un élément à ne pas négliger, même s’agissant des expériences les plus élémentaires. Donner à voir le phénomène, c’est fixer les idées et offrir une balise de repère qui sera utile dans la perspective d’une mémorisation à long terme. En ce qui concerne le jeune public, il s’agit également de donner une habitude de certains aspects de la Nature, ce qui facilitera la compréhension lorsque des notions plus théoriques seront introduites par la suite.

D’un point de vue plus pratique, une expérience dans une séance de médiation est aussi, à l’évidence, l’occasion d’une coupure récréative, qui éveille nécessairement l’attention. Dès lors, il est assez facile de rendre l’événement participatif. Un travail d’équipe savamment orchestré par le médiateur peut ainsi induire la co-construction d’un savoir collectif, toujours mieux admis qu’un savoir descendant et professoral.

Epistémologique

La science moderne procède de la philosophie naturelle et s’en distingue par le recours systématique à l’expérience, un usage introduit par Galilée au début du 17e siècle. Le fait de convoquer la Nature et la confronter aux prédictions d’une théorie a, en effet, entraîné le passage du « monde de l’à-peu-près » antique à « l’univers de la précision » moderne (Koyré, 1948). Toute expérience offre ainsi la possibilité d’illustrer la démarche scientifique (OHERIC, Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion) (Giordan, 1978), en général, et la démarche d’investigation, en particulier, qu’elle soit inductive ou déductive. L’éventuelle perturbation des résultats de l’expérience par l’observateur introduira également de façon concrète la notion de mesure, si délicate en physique quantique par exemple.

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Puisque faire une expérience devant un public, c’est aussi prendre le risque qu’elle rate, l’échec doit toujours être envisagé comme une opportunité de médiation. Il pourra mettre en lumière un phénomène indésirable ou négligé, ou encore souligner les difficultés pratiques rencontrées par ceux qui ont conçu le dispositif expérimental pour la première fois, dans la perspective d’un éclairage sur l’histoire des sciences. Le désaccord entre la théorie et l’expérience constituera, enfin, un excellent moyen de pointer du doigt les petites anomalies inattendues qui, dans le passé, ont conduit à de bouleversants changements de paradigmes. Une bonne théorie est nécessairement réfutable (Popper, 1953), néanmoins, tant qu’elle n’est pas falsifiée, la relation entre le modèle théorique et la réalité objective des faits est généralement plus subtil qu’on ne le pense. Une expérience simple donnera éventuellement lieu à des interprétations diverses de la part de plusieurs spectateurs. Les controverses qui en découleront feront prendre du recul avec l’idée que la science donnerait accès à la « vérité ». Etant donnés les jeux d’influences qui peuvent émerger dans la construction collective du savoir, cet exercice de débat publique pourra se transformer en une véritable leçon d’esprit critique et d’éducation civique.

Ethique

Une expérience au cours de laquelle les phénomènes se déroulent de manière mécanique permet de faire prendre conscience qu’au fond la Nature n’est ni bonne, ni mauvaise, juste indifférente. Zeus ne nous envoie pas la foudre pour nous punir et la foudre ne nous épargne pas pour autant si on ne se protège pas correctement. Cela amène de façon naturelle à des considérations importantes sur les relations sciences-dangers ou sciences-religions.

De surcroît, une expérience mettant en scène le vivant soulève facilement des questionnements d’ordre moral. Y a-t-il une différence fondamentale entre des expériences sur le monde animal, végétal et minéral ? Ne considérons nous pas toujours des assemblages d’atomes ? On se souvient par exemple des dissections animales qui étaient présentées tous les jours au public du Palais de la découverte jusque dans les années 80. Mais la perception du public a changé, et l’écœurement de certains médiateurs aidant, ces activités ont été abandonnées (Rotaru, 2010) …

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Esthétique

Un montage expérimental est toujours une forme de mise en scène de la Nature, donc un premier pas vers la théâtralité et le spectacle. En ce sens, la médiation peut être à l’origine d’émerveillement (cf. § suivant) et de distraction culturelle.

La science se prouve et s’éprouve, c’est pourquoi une démonstration immersive a la faculté de devenir une véritable expérience sensorielle – sur le terrain des 5 sens – telle une « œuvre d’art ultime ».

Via une expérience, le visiteur est invité non seulement à contempler la Nature, mais également à constater l’élégance et l’ingéniosité de certains instruments, sachant qu’en France, on valorise plus communément la théorie que l’expérience. En ce sens, le médiateur joue un rôle déterminant, car il canalise l’attention du spectateur sur ces points et l’aide à affûter son sens de l’observation.

3. UNE APPROCHE DUALE DES PHENOMENES

Merveilleux vs. démerveilleux

Deux écoles sont couramment suivies par les médiateurs dans leurs expositions de la Nature ; nous les appellerons le « merveilleux »3 et le « démerveilleux »4.

Le « merveilleux » consiste à tenter de rendre extraordinaires les phénomènes les plus simples et les plus communs. L’objectif étant de provoquer un émerveillement soudain, un peu à l’image de Sagredo, ébloui par l’exposition de Salviati à propos du mouvement pendulaire (notamment celui des lustres d’églises) : « Vous me donnez à bien des reprises l'occasion d'admirer la richesse et aussi l'extrême libéralité de la Nature, quand de choses si communes, et je dirais même d'une certaine façon triviales, vous faites surgir des connaissances aussi étonnantes que nouvelles, et souvent imprévues pour l'imagination. » (Galilée, 1632).

A l’inverse, par « démerveilleux », nous entendons une attitude qui vise à banaliser tout phénomène a priori compliqué, afin de le raccrocher à ce que l’on connaît déjà. Nous avons été exposés à un exemple flagrant de démerveilleux lors de la conférence d’Etienne Guyon (relatée dans ces mêmes actes). Alors que nous assistions à l’étonnante montée d’une sculpture de sable mouillée sur une assiette, un frémissement d’émerveillement s’est répandu dans la salle avant que l’orateur ne coupe court à l’imaginaire de l’audience – non sans une

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certaine malice – en s’écriant : « non, ça c’est banal ! », nous signifiant de ce fait la trivialité de l’affaire.

La physique, « c’est expliquer du visible compliqué par de l’invisible plus simple » comme l’énonçait Jean Perrin. Il revient donc au médiateur de désenchanter cet « invisible » ou de le réenchanter, l’essentiel étant que les idées de la science diffusent efficacement.

Monstration vs. démonstration

En pratique, la présentation d’un phénomène naturel passe d’ordinaire toujours par deux temps forts : la « monstration » et la « démonstration ». La monstration désigne littéralement le fait « d’exhiber le monstre », i.e. de mettre en place le montage expérimental, de montrer ce qui se passe, sans chercher à rationaliser les phénomènes. C’est essentiellement le sens de l’observation qui est sollicité chez le spectateur et, selon la dextérité du médiateur, la manipulation relève parfois pratiquement de la prestidigitation. La démonstration englobe, quant à elle, la partie théorique. Elle suit une logique explicative qui vise à « chasser le monstre ou le surnaturel » en faisant appel à un raisonnement logique qui doit permettre d’interpréter ce qui vient de ou va se passer.

Fig. 1 – Comment les scientifiques voient le monde5.

On pourrait penser que les couples de notions « monstration/démonstration » et « merveilleux-démerveilleux » recouvrent des acceptions communes, pourtant elles s’avèrent assez indépendantes. On peut d’ailleurs les combiner à souhait. Prenons l’exemple de la Figure 1 sur laquelle est représenté un paysage naturel archétypique avec, à droite, une vision monstrative et, à gauche, une représentation démonstrative. Libre au médiateur de choisir la tonalité de son intervention, comme on le remarque à travers les angles d’attaque suivants :

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 Une monstration merveilleuse : Tel le lapin sorti du chapeau d’un magicien, on dévisage cet être comme on le ferait avec un extra-terrestre sorti de sa soucoupe. Il faut changer la perception qu’a le public sur cet animal familier et insister sur son extraordinaire complexité, en le mettant en perspective notamment avec l’arrière-plan inerte.

 Une monstration démerveilleuse : Le lapin est présenté comme un mammifère banal avec deux yeux, deux oreilles, une bouche, etc. Bref un organisme qui nous ressemble, ce qui unifie notre vision de cette portion de la Nature et la simplifie par la même occasion.

 Une démonstration merveilleuse : Après un rappel de la théorie de Darwin, le lapin apparaît comme le produit miraculeux de 3.5 milliards d’années d’une évolution lente et aveugle, parfaitement adapté à son environnement naturel. Son existence est contingente, tout comme la nôtre.

 Une démonstration démerveilleuse : Le lapin se trouve réduit à petit un tas d’atomes, tous inertes et gouvernés par des lois physiques froides et universelles. Les équations qui sous-tendent l’écoulement du sang dans ses veines s’apparentent à celle du flot dans le ruisseau d’à côté. Plus rien ne se distingue sur un fond mathématique uniformisé et cohérent. Le paysage est ainsi démerveillé, mais clarifié.

Une question récurrente qui s’impose inévitablement au médiateur qui pratique le couple monstration-démonstration est la suivante : faut-il monstrer d’abord et démonstrer ensuite ou l’inverse ? Lorqu’on se place dans le registre du merveilleux, une recette éprouvée consiste à exploiter le caractère spectaculaire et/ou contre-intuitif de l’expérience comme curseur :

 Quand monstrer puis démonstrer ? Si l’expérience est particulièrement spectaculaire (lévitation magnétique, azote liquide, inhalation de SF6, etc), le phénomène se passe

presque de commentaires et il convient de jouer sur l’effet de surprise. Si l’expérience est très contre-intuitive, voire contre-nature, on peut en jouer pour tendre un piège à son auditoire et l’amener à se tromper dans ses prédictions de bon sens. La Nature lui inflige alors une leçon de modestie. L’objectif étant, in fine, de le conduire à désapprendre certaines de ses conceptions afin de mieux les reconstruire ensuite (Eastes et Pellaud, 2004).

 Quand démonstrer puis monstrer ? Quand une expérience est assez commune ou difficile à observer, il vaut mieux d’abord préparer le terrain par une explication approfondie. Elle attisera la curiosité et changera la perspective des spectateurs lors de l’observation à venir. A la limite, si le raisonnement est complexe, on pourra s’amuser à créer l’attente et faire languir son public… L’expérience n’en sera que mieux accueillie,

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commme un aboutissement, une récompense, voire une délivrance ! Dès l’instant que le résultat de l’expérience n’est contre-intuitif que pour un public d’initiés (ex : effet photo-électrique), il faudra évidemment passer du temps au préalable à insister sur ce que devrait donner l’expérience si la Nature se comportait « normalement ».

4. L’INTRODUCTION DU SPECTACULAIRE

Du hapax au climax

« Enseigner, ce n'est pas remplir des cruches, c'est allumer des brasiers ! ». Pour réaliser ce projet d’Aristophane, il est nécéssaire que chaque acte de médiation soit l’occasion d’un « hapax existentiel » pour l’apprenant, une notion façonnée par Jankélévitch (1957) à partir d’un néologisme de Trapp (1654) : « toute vraie occasion est un hapax, c'est-à-dire qu'elle ne comporte ni précédent, ni réédition, ni avant-goût ni arrière-goût ; elle ne s'annonce pas par des signes précurseurs et ne connaît pas de ‘seconde fois’ ». Bref, c’est une bombe qu’il faut réussir poser dans l’esprit des spectateurs. La science est souvent, en effet, une affaire de cogito passionnel, déclenché par surprise, et pouvant déboucher sur un état de « climax intellectuel ». Par ailleurs, aussi éphémère et volatile que puisse paraître une monstration/démonstration, son influence peut se révéler plus profonde et durable qu’on ne le pense. Ce qui a été entendu et vu par l’apprenant continue parfois de travailler son esprit et, telle une bombe à retardement, finit par occasionner un choc épistémologique bien plus tard, au détour d’un cours, d’une lecture ou d’une nouvelle conférence.

L’introduction du spectaculaire dans la médiation favorise naturellement l’émergence du hapax, mais comment spectaculariser de manière efficace ? Les portes d’entrée du spectaculaire sont nombreuses (humour, tragédie, émotion, magie, etc). Rappelons seulement quelques évidences :

 Il est impératif que ça bouge ! Ne serait-ce que l’aiguille d’un appareil de mesure… Toute mise en scène doit privilégier un mouvement observable de manière à stimuler, au moins, le cerveau reptilien.

 Certains ingrédients procurent aisément une dimension quasi-mystique à une monstration. Une flamme, le brouillard, un pendule, etc, éveillent assez spontanément en nous des sensations ancestrales et serviront à « envoûter » le public.

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 Le recours au volontaire, ou à un objet qu’on lui emprunte, autrement dit toute participation active constitue une arme incontournable. Elle est d’ailleurs d’autant plus puissante s’il y a danger pour le volontaire ou le médiateur… (Fig. 2).

Fig. 2 – Dégustation d’azote liquide à -196 °C par Paul de Surmont dans l’ancienne salle « noyaux & particules » du Palais de la découverte6.

Le rapport des publics à la Nature

Avant de mettre la Nature en scène, il est conseillé de savoir anticiper les réactions des spectateurs. Fréquemment, c’est une « angoisse existentielle » qui domine le rapport des gens à la Nature. L’urbanité ayant pris le pas sur la ruralité, l’homme s’est, en effet, éloigné de cette Nature, dont il a pourtant émergé. Le rôle du médiateur est ainsi de renouer le lien, afin qu’à nouveau chacun puisse s’y sentir familier. A cet effet, une des actions qui produit les meilleurs effets consiste à reproduire des expériences analogues, in vitro, à ce qui peut se produire dans la Nature, in vivo. Il s’agit de singer la Nature dans le but de montrer qu’on sait la domestiquer. Par exemple, la reproduction d’un éclair en direct conjure quelque peu la peur que l’on peut ressentir par temps d’orage. L’empathie entre le conférencier et le public est évidemment un point clé de la médiation humaine, qu’aucun autre dispositif de médiation ne saurait remplacer.

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 Les enfants : Très curieux du monde qui les entoure, il convient de canaliser leur attention en vue d’éviter la dispersion. Ils sont également assez craintifs des phénomènes dont l’ampleur les dépasse, c’est pourquoi il faut veiller à ne pas les effrayer (hapax n’est pas nécessairement synonyme de traumatisme !).

 Les adolescents : C’est un public qui fréquente typiquement les musées sous forme de groupes scolaires. Il s’agit, par conséquent, d’un auditoire « captif » qui exige un apprivoisement, par exemple au moyen de la participation active. L’adolescent existant surtout dans un groupe à travers le regard des autres, l’expérience a pour but de dépasser cet « autocentrisme » pour le mener à se refocaliser sur la Nature.

 Les adultes : Le rapport à la Nature est variable selon le vécu de chacun, c’est pourquoi le médiateur doit s’imprégner de ce vécu et s’y adapter en permanence.

5. ZOOLOGIE DES PHENOMENES

Pour appréhender le travail de mise en scène à fournir par le médiateur dans diverses situations où des phénomènes naturels sont (dé)monstrés, nous proposons ci-dessous une petite typologie classée par ordre de difficulté croissante :

 Le phénomène « construit » : Le montage expérimental est construit en direct à partir d’instruments simples et « l’illusion naît sous les yeux » des spectateurs. C’est la situation la plus riche que l’on puisse rencontrer ; tous les éléments détaillés aux § 2, 3 et 4 sont susceptibles d’y être mis à profit.

 Le phénomène « presse-bouton » : Le dispositif comporte une « boîte noire » actionnée par une commande. Une partie des rouages est donc dissimulée et doit être admise. On ne peut plus se contenter d’une pure monstration, une démonstration devient indispensable.

 Le phénomène « transitoire » : Il va se passer quelque chose, cela étant son déroulement est incontrôlable (ex : une manipulation faisant intervenir des êtres vivants). L’improvisation est de mise et une démonstration est parfois de rigueur pour « meubler » en attendant de pouvoir effectuer la monstration.

 Le phénomène « artificiel permanent » : Le phénomène se déroule en permanence, sans qu’il y ait de changement apparent (ex : deux faisceaux de lumière qui se mélangent continuellement sur un écran pour former une figure d’interférence). Impossible, dans

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ces conditions, de démonstrer avant de monstrer, car le phénomène est déjà visible de tous. De même, on ne peut pas jouer sur l’effet de surprise.

 Le phénomène « naturel permanent » : C’est le spectacle de la Nature – grandeur nature – quand il ne se passe presque rien sur des temps courts (ex : un ciel étoilé, un arc en ciel, etc). La médiation revient uniquement à un travail de démonstration, ce qui exige une certaine préparation dans le discours. En même temps, les occasions de s’entraîner ne manquent pas, puisqu’on se retrouve confronté à ces situations quotidiennement, en observant le réel immédiat.

CONCLUSION

Qu’elle éveille, émerveille ou démerveille, la (dé)monstration publique est un puissant vecteur de vulgarisation, de médiation ou d’éducation scientifique. Ses modalités sont riches et variées, comme nous l’avons explicité, et il en va de même de ses vertus pédagogiques, épistémologiques, étiques ou esthétiques. En particulier, l’introduction du spectaculaire dans la mise en scène des phénomènes naturels ouvre la possibilité d’un hapax existentiel chez l’apprenant. Un événement décisif, source d’une motivation intarissable, qui le poussera sans cesse à chercher sa place dans la Nature.

NOTES

1. http://ocw.mit.edu/courses/physics/8-01-physics-i-classical-mechanics-fall-1999/video-lectures/ 2. http://www.youtube.com/view_play_list?p=095393D5B42B2266

3. On pourra aussi consulter l’opposition entre « merveilleux » et « rationalité » soulevée par Eastes et Pellaud (2007).

4. Concept forgé par Didier A. Laval (communication privée). 5. http://abstrusegoose.com/

6. Ici, l’azote est à sa température d’ébullition (-196 °C), si bien que dès qu’il entre en contact avec une partie de la cavité buccale à environ 37 °C, il se vaporise instantanément. Le corps est donc isolé du liquide froid par une fine couche de d’azote gazeux qui limite les échanges thermiques (phénomène de « caléfaction »). Au passage, la vapeur d’eau de la cavité congèle, ce qui explique le panache de fumée blanche. (Il faut, bien entendu, prendre garde à ne pas avaler trop d’azote et ne pas le garder en bouche trop longtemps, afin d’éviter des brûlures irréversibles.)

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BIBLIOGRAPHIE

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Figure

Fig. 1 – Comment les scientifiques voient le monde 5 .
Fig. 2 – Dégustation d’azote liquide à -196 °C par Paul de Surmont dans l’ancienne salle  « noyaux & particules » du Palais de la découverte6

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