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ARTheque - STEF - ENS Cachan | La science et le spectacle vivant : des objectifs et des recherches

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Academic year: 2021

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LA SCIENCE ET LE SPECTACLE VIVANT

DES OBJECTIFS ET DES RECHERCHES...

Daniel RAICHVARG

G.H,D.S.o. - L.I.R.E.S.T., Université Paris Il

MOTS-CLÉS: VULGARISATION DES SCIENCES - MÉDIATIQUE - SPECTACLE-SPECTACLE VNANT - TIlÉÂTRE DE SCIENCES

RÉSUMÉ: Si l'objectif principal de la vulgarisation des sciences est de donner envie d'en savoir plus plutôt que de faire savoir plus, si sa fonction est de susciter l'imagination, l'éveil, le réveil aux sciences et aux techniques plutôt que d'assurer une simple transmission de connaissances, fussent-elles nécessaires pour que le citoyen maîtrise ou contrôle sa vie quotidienne, alors le spectacle vivant, qui ne peut qu'être lié à l'émotion est susceptible d'aider à atteindre cet objectif. Quelques exemples servirontà argumenter sur cette proposition.

SUMMARY : The aim of popularization couldbe more to foster motivation for sciences than to increase one's knowledge, should itbe necessary for the citizen to control daily life.Ifsuch is the case, living shows, specifically bound to emotion and excitement, are able to help to reach that aim. Sorne examples wilbe takentoargue about this proposaI.

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1. INTRODUCTION

La fête de la science... Depuis deux ans, le Ministère français de la Recherche et de l'Espace a lancé une de ces fêtes dont les gouvernants ont le secret quand ils veulent provoquer un coup aux objectifs divers et variés, comme on dit C'est vrai, après les livres et la musique, la science vaut bien sa messe. Mais quand les lampions se sont éteints, que reste-toi! ? Des illusions perdues? Un spectacle doit continuer à parler dans le coeur, dans le corps et dans le cerveau du spectateur. Du specta(c)teur... Peut-on prétendre déclencher de telles vibrations dans un cadre aussi officiel? Le spectateur n'y est-il pas plusun voyeur de science qu'un amateur de science?

Pourtant l'histoire, et aussi le présent, comme le prouve le programme des XVèmes Journées Internationales sur l'Éducation et la Culture Scientifiques, sont riches d'expériences où science et technique riment avec plaisir, amusement, divertissement, émotion, passion, rires et larmes... Parfois c'est un petit pas grand'chose qui fait que l'on se lance à l'assaut du spectacle: une girafe qui arrive à Paris, un ballon qui s'envole, un parachute qui descend, une maquette d'usine, une bouteille de Leyde, un tube au néon. Parfois, l'ambition est plus magnifique: "Le théâtre est une force, la science en est une autre, qu'on les unisse", proclame un critique du début du siècle. "S'il convientde susciter la réflexion,le roman est un bon instrument, s'i! faut provoquer un choc émotionnel, alors le théâtre s'impose", considère Jean Vercors à propos de sa pièce,Zoo ou l'assassin philanthrope, qui, en

1964 (puis en 1974), interroge les spectateurs sur la science et le racisme. Sans compter les cas où, simplement par leur être-là, la science et la technique ont modifié notre rapport au spectacle: en pleine fête de l'électricité - l'Exposition Universelle de 1936 -, le metteur en scène et acteur Louis Jouvet constatait que, en prenant la place de l'éclairage au gaz,les feux de la rampe avaient obscurci le regard que les spectateurs portaient aux choses de la scène. Le côté cour avait perturbé le côté jardin, en somme.

La mise en spectacle de la science et de la technique peut-elle être un moyen intéressant pour assurer leur diffusion? Encore convient-il d'en regarder de plus près les potentialités et les conditions de réalisation.

2. DE LA THÉÂTRALITÉ DE LA SCIENCE

Il faut dire que la Science porte en elle-même sa propre théâtralité. Les grandes controverses, par exemple, puissants moteurs de l'activité scientifique, présentent des caractéristiques dramatiques évidentes. Ces controverses sont révélatrices de tensions épistémologiques, philosophiques et, parfois, idéologiques; elles poussent à la réalisation d'expériences auxquelles répondent des contre-expériences,à la mise en avant d'arguments auxquels s'opposent des contre-arguments concoctés par des scientifiques transformés, pour la circonstance, en représentants de groupes de pression - il y a des amis et des ennemis -, jusqu'à ce que, "tout à coup", l'expérience temporairement cruciale ou l'argument momentanément décisif emportent le monde dans un acte dont on pourra avoir l'impression qu'il est le dernier de l'aventure. Rapidement, pourtant, une nouvelle avancée se

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produira qui ré-activera une action quelque peu endormie. "La Science va sans cesse se raturant elle-même. Ratures fécondes", écrit Victor Hugo. Les controverses?Àla fois, dialogues et progression dans l'action, événements penurbateurs, suspense et chute... Cenains scientifiques eux-mêmes ponent des habits suffisamment découpés pour aider l'Histoireàles retenir et pour se transformer sans difficultés en attributs de personnages. C'est l'énigmatique Salomon de Caus ou le bon vivant Galilée. C'est l'autoritaire Pasteur ou l'angoissé Oppenheimer. Cela pourrait devenir le joyeux drille James Watson ou Otto Loewi parlant de ses rêves et de sa femme, parlant de son coeur avant de faire parler ses coeurs (de Grenouille). Science... Amour... Car nos héros sont aussi traversés par les passions, àla ville comme à la scène. La passion de savoir, l'aspiration à l'Idéal, celles de l'alchimiste du Moyen Âge, de l'artiste-ingénieur de la Renaissance, du philosophe des Lumières, du savant romantique ou du positiviste scientiste...Libido sciendi,quête de l'Absolu, qui peuvent entrer en conflit avec l'Homme, avec l'Humanité, bref, avec l'éthique. Gaude Bernard, lui-même, dans son Introduction àl'étudede la médecine expérimentale,disait nettement cette contradiction : "Le physiologiste n'est pas un homme du monde, c'est un savant, c'est un homme qui est saisi et absorbé par une idée scientifique qu'il poursuit: il n'entend plus les cris des animaux, il ne voit plus le sang qui coule, il ne voit que son idée et n'aperçoit que des organismes qui lui cachent des problèmes qu'il veut découvrir. [..,] De même l'anatomiste ne sent pas qu'il est dans un charnier horrible; sous l'influence d'une idée scientifique, il poursuit avec délices un filet nerveux dans des chairs puantes et livides qui seraient pour tout autre homme un objet de dégoût et d'horreur" (c'est moi qui souligne). Inquiétude...

Les objets de science eux-mêmes deviennent des personnages: ils évoluent, se déplacent, sont la source de disputes, de convoitises, bref produisent, parfois, des penurbations dans le déroulement de l'activité scientifique... Tantôt l'instrument, tantôt l'objet scientifique à l'état brut. C'estlalunette de Galilée, arrivant de Hollande, transformée par l'astronome en tube allongé que certains, venant de Rome, ne veulent pas toucher. Ce sont les os trouvés par les ouvriers dans les carrièresàgypse de Montmartre qui, inspectés sur toutes les coutures par Georges Cuvier à partir de 1800, finissent par révéler des maillons de l'histoire de la terre. C'est l'ADN, d'abord vulgaire déchet du métabolisme trouvé dans le pusàla fin du XIXème siècle (par Miescher, 1869), avant de devenir, à coup de grandes expériences, matériel génétique fondamental (grâceàAvery et MacLeod,1944)puis double hélice (grâceàWatson et Crick,1953).

Actions. Personnages. Dialogues. Rêves. Drames...

3. LE SPECTACLE VIVANT : UN RÉSERVOIR D'OBJECTIFS ORIGINAUX POUR L'ÉDUCATION ET LA CULTURE SCIENTIFIQUES

Grâce aux caractéristiques qui lui sont propres - et qui complexifient, sans aucun doute, l'analyse que l'on peut en faire -, le spectacle vivant est susceptible de proposer,àl'éducation et à la culture scientifiques et techniques, des objectifs originaux par rappon aux autres formes qu'elles peuvent prendre.

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2.1 Donner l'envie de savoir plutôt que transmettre le savoir lui·même...

Si nous laissons de côté les ambiguïtés et le flou des expressions : vulgarisation, popularisation, culture scientifique, dimension scientifique de la culture, public understanding of science..., nous pouvons, nous devons! accepter l'idée que le rôledela vulgarisation des sciences et des techniques (V.S.T.) est de susciter l'imagination, le réveil, l'éveil aux sciences et aux techniques, plutôt que d'assurer une simple transmission des connaissances, fussent-elles utiles ou nécessaires pour que le citoyen maîtrise, voire contrôle, le scientifique (la bombe), son corps (le S.lD.A.), sa vie quotidienne (la machine à laver dont le filtre est bouché). D'où une question très importante et qui change de nature: celle des contenus, celle d'une V.S.T. qui se limiteraitàvouloir transposer des contenus et d'études qui se résumeraient en un discours sur les formes prises par cette transmission des contenus et sur leur efficacité cognitive. Dans le cadre d'une V.S.T. donnant surtout envie d'en savoir plus, la question:"Le message passe-t-i1 ou non 1" n'est peut-être pas la question majeure. Celle qui compte véritablement est:"Comment accrocher et maintenirl'attention?" (Laszlo, 1993).

Or,le spectacle vivant a partie liée avecune émotionet un personnage, avec des émotions et des personnages, avec l'émotion de la vie, du personnage. Par définition, en effet, le spectacle vivant se doit de provoquer des réactions dans le public (émotions, rires, larmes, applaudissements, cris), le spectacle doit continueràtravailler dans les cerveaux après que les lampions se soient éteints paree que le spectacle vivant parleàtous les sens, et donc au corps en même temps qu'au cerveau, alors qu'un spectacle en différé voit sa capacité à mobiliser les corps relativement limitée. Donc, si vulgariser c'est donner envie d'en savoir plus, cette forme de V.S.T. (ou de C.S.T....) se prête alors "facilement" à ce jeu complexe de la viedela science,àla mise en place d'une accroche, à la mise en route d'un processus beaucoup plus facilement, sans aucun doute, qu'un livre, qu'une présentation en trois dimensions ou un spectacle en différé (films...). Ainsi, un des effets de l'expérience Physique dans la rue organisée en 1973 à Aix-en-Provence avec le concours de chercheurs du C.E.R.N., a été, selon la responsable de la bibliothèque de prêts, de multiplier par 8à10 le nombre de livres scientifiques demandés: "Nous n'avions jamais constaté un tel phénomène après une conférence, une rencontre ou même un colloque ouvertàla population"(Aix-pop, 1973).

2.2 Donner envie de connaître (et de critiquer !) la vie de la cité scientifique... LaV.S.T. a une deuxième raison d'être: la science étant une activité sociale comme les autres, elle ne doit pas échapper ni à sa description dans sa totalité sociale, ni à la critique sociale: la vie de laboratoire, la vie du scientifique - la vie du scientifique comme homme ou comme femme, les difficutés financières, les angoisses ou les coups plus ou moins bas du scientifique -, tous ces attributs de la Cité scientifique font partie intégrante du messageàvulgariser. D'où la nécessité d'une V.S.T. qui soit susceptible de donner une vision plus complète de la science que la simple connaissance ou le simple théorème, une vision qui, d'ailleurs, comme nous l'avons vu précédemment, se nourrit d'une science pleine de théâtralité.

Or, pour assurer son côté "vivant", le spectacle ne peut que se nourrir des détails, des anecdotes, des clins d'oeil, des attributs psychologiques des uns et des autres qui parlent aux êtres de chair et sang que sont aussi bien les scientifiques que le public. Pour réussir son entreprise et ne pas

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se transfonner en une leçon didactique, au sens ancien du tenne, le spectacle vivant se doitdepuiser dans cette réserve de données que constitue la vie de la cité scientifique, une réserve fondamentale mais qui reste sous-employée dans les fonnes de V.S.T. s'organisant principalement autour d'un contenu de science ou de technique. À cet égard, ilest symptômatique que, pour rester dans l'exemple cité au-dessus, lors de l'expérience Physique dans la rue, "ce n'est pas tant la physique

dans la rueque les aixois ont pu voir, mais plutôt les physiciens dans la rue" (Aix-pop, op.cit.). Ou encore, d'apprendre que, parmi les 4 Molières (récompenses décernées, en France, par les professionnels du théâtre aux œuvres qui ont marqué l'année) obtenus, en 1989, par la pièce Les

Palmes de M. Schutz,ily ait eu le Molière du meilleur décor - consistant, précisément, en la reconstitution minutieuse, historiquement et.. théâtralement parlant, du laboratoire de Pierre Curie, à l'École de Physique et Chimie de Paris au début du XXème siècle (sur la genèse des Palmes, lire Fenwick, 1989).

Par ailleurs, dans cette recherche, le spectacle vivant se doit de prospecter, pour des raisons évidentes de dynamisme, de rythme ou d'avancée et de dramatisation de l'action, parmi les contradictions, les difficultés, les interrogations, parfois les plus fondamentales, des sciences et des techniques, celles qui assurent, encore une fois, leur théâtralité.Le spectacle vivant peut alors, dans une certaine mesure, lancer des débats critiques: remarquons que les grands problèmes à l'interface des sciences et des techniques de la société ont d'ailleurs été régulièrement pris en charge par des pièces de théâtre écrites, le plus souvent, par de grands auteurs Oe darwinisme social avec Alphone Daudet et La Lutte pour la Vie en 1889, les expériences sur l'homme avec François de Curel et La

Nouvelle Idoleen 1899, la responsabilité du scientifique dans la vie des citoyens avec Bertolt Brecht et La Viede Galilée, la bombe H avec Jean Vilar etLe Dossier Oppenheimer en 1964, la définition de

l'homme et le racisme avec Jean Vercors et Zoo en 1964, entre autres - voir Raichvarg, 1993).Cefut aussi un des nos objectifs principaux dans Félicité et le Merveilleux Théâtre d'Art etde Science du Docteur De Groningue,jouéeà Paris pendant l'hiver 1992-1993 (Thyrion, Raichvarg, Valmer, 1993)

2.3 Interroger le thédtre des connaissances

Il est une troisième raison de convoquer le spectacle vivant au secours de la V.S.T., une raison de l'ordre de l'interrogation épistémologique sur la science. Pour un spectacle, on parle de

re-présentation,c'est-à-dire d'une représentation de la Nature, après des transfonnations sur lesquelles on s'interrogera obligatoirement puisque l'on sait que cette représentation est construction, est une

construction parmi d'autres possibles:ce point permet de réfléchir, en particulier,àla question de la "vérité" au théâtre, ou encore, dit d'une autre manière,àla question du "réalisme" dont on sait qu'elle traverse de nombreuses réflexions sur le théâtre depuis Zola. Nous sommes en présence, en fait, d'une double représentation, car, les travaux épistémologiques des trente dernières années sont clairs à ce sujet, la réalité de la nature est elle-même hypothétique, pour être épistémologiquement correct. Si bien que nous avons à l'œuvre une double métaphore: le spectacle, et, en particulier, le théâtre en est une première, la science en est une deuxième. L'interrogation sur l'organisation de la première rejaillit nécessairement sur l'organisation de la seconde. Tous les ingrédients pour, de nouveau,

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provoquerdenouvelles interrogations surlascience et, donc, aller bien au-delà du simpleeffet-vitrine

(Roqueplo, 1974) et instaurer un véritable dialogue entre les savants et les ignorants.

Remarquons, enf'm, que le ressort drarnaturgique d'une pièce de théâtre ou, même, celui, très édulcoré, du boniment du bamum de foire, implique très souventle dialogue, et ce, quels qu'en

soient les participants : 2 savants, 1 savant et 1 ignorant, 2 ignorants, ou un trilogue ou un quadrilogue ou un décalogue ou un catalogue... Un dialogue qui, "c'est ça, le spectacle vivant", doit résonner dans les neurones desspectateurs-plus-ou-moins-ignorants, pour les transformer

(éventuellement!)en specta(c)teurs, comme dirait Barthes. Or, "c'est bien la parole qui précède et rend possible l'écriture du savoir" (Jean-Marc Lévy-Leblond, in Bacon, 1992). Or, comme le remarque Abraham Moles (1957), le dialogue, le débat d'idées disparaissent souvent dans les productions scientifiques que sont les publications, les colloques (relégués, parfois, à la fm des interventions) et aussi souvent dans les représentations profanes de la science, sauf dans la forme la plus simple du dialogue quant à ses relations avec le spectateur: l'interview dans un talle-show, dont on ne sait pas d'ailleurs si l'interviewer, représentant de l'ignorant, fait vraiment progresser le spectateur de l'interview (soi-dit en passant, des scientifiques comme Palissy, Galilée, ont choisi le dialogue pour s'exprimer devant des publics plus ou moins huppés).

Émotion, cité scientifique, double métaphore interrogeante, sinon dérangeante, dialogue assurent la relation entre vulgarisation des sciences et spectacle vivant, assurent et légitiment les regards que nous pouvons porter sur elle.

3. DES PROBLÉMATIQUES DE RECHERCHES À PRÉCISER 3.1 Des recherches nécessairement empiriques

L'histoire et le présent, comme la lecture du programme des Journées de Chamonix nous le montre, proposent une telle diversité de formes suivant lesquelles ont été conjuguées les relations entre sciences, techniques et spectacle vivant qu'il serait épistémologiquement illusoire de chercherà harmoniser des recherches portant sur une telle palette d'essais. D'autant que, l'étalage dans le temps et le caractère parfois unique de telle ou telle expérience rendent toute généralisation, là plus qu'ailleurs, extrêmement fragile. Ainsi, qu'y-a-t-il de commun entre, d'un côté, une expérience de théâtre de sciencesàvisées pédagogiques menée par le célèbre pédagogue français Jean Macé, avec LaRévolte des Fleurs, dans une école alsacienne des années 1860 (sur la question de la nomenclature

linnéenne), et, de l'autre, une expérience du même ordre menéeà 1'1.N.R.A.P. de Dijon, avecVOILI'

êtes une hormone, racontez votre histoire, dans un lycée agricole des années 1990 (sur la question

des relations hormonales) ?Les différences historiques l'emportent sur les ressemblances et cela d'autant que très peu d'expériences de ce genre ont été conduites sur ces 130 ans - les techniques du théâtre scolaire, en particulier, ont bien évidemment évolué.

Autretypedeproblème si,àl'autre bout, nous voulons comparer une pièce commeLeDossier Oppenheimer, de Jean Vilar, montée au Théâtre de l'Athénée avec Jean Vilar dans le rôle principal, et

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la même pièce montée par le groupe théâtral d'un Lycée. Ou bienPhysique dans la rueversus les Exposciences :même volonté de mettre en scène des expériences de laboratoire, au sens classique du terme. Derrière une forme identique, que d'objectifs variés!

Leseul rapprochement que nous pouvons faire est, et c'est déjà très important, dans la conscience de leur côté expérimental et que, donc,les recherches dans ce champ devront elles-mêmes être considérées comme des expériences,à la... recherche de leurs problématiques, de leurs concepts, de leurs méthodes. Face à ces aspects conjoncturels, uniques, nous pouvons essayer de tracer quelques lignes d'un programme de recherches qui ne tournerait pas à la casuistique.

3.2 Quelques caractéristiques des recherches sur les sciences et le spectacle vivant Ces recherches peuvent être regroupées sous deux bannières différentes. Et, quelles qu'elles soient, ces recherches posent indubitablement le problème des sources sur lesquelles elles peuvent s'appuyer: quelles données ramasser?, quelle valeur leur attribuer pour qu'elles donnent sensàla recherche?

3.2.1 Des recherches formelles

Après avoir repéré, comme nous l'avons fait (Raichvarg, 1993), les différentes formes que peuvent prendre ces expériences de spectacle vivant· selon le metteur en scène, selon le lieu, plus ou moins fermé, où se déroule la séance -, l'analyse formelle de chaque forme s'impose, à la fois dans l 'histoire et dans le présent. Mes recherches personnelles, essentiellement de l'ordre de l'histoire précisément, montre que ce n'est pas une question simple car chaque forme est à l'interface de champs de préoccupations très variés. Cette analyse"a priori"nécessite, de la part du chercheur, d'une part, une maîtrise du contenu scientifique, d'autre part, une maîtrise de la forme choisie indépendamment de la présence de la science: on ne peut pas, par exemple, analyser les formes théâtrales qu'a prises cette volonté de "spectaeliser" les sciences sans connaître l'histoire du théâtre et quelques principes élémentaires de mise en scène. Ainsi,LaDispute(Marivaux, 1744) ouL'Île de Mégalanthropogénésie(Radet, Barré, Desfontaines, 1807) doivent être lues à l'aide de connaissances scientifico-historiques tenant pour la première à l'anthropologie des Lumières et pour la seconde à la fois à la procréation et aux questions de dérive génique, qu'elle anticipe étonnamment,àl'aide de connaissances sur le vaudeville et sur la mise en scène moderne(LaDisputea été remontée par Patrice Chéreau en 1973) et, également, sur un thème théâtral presque récurrent, depuis Marivaux, celui de l'île. De même, l'étude des conférences "spectaclisées" de Pasteur ou de Linus Pauling doit se faire sous contrôle des outils de l'analyse rhétorique. De même, le travail sur le rôle pédagogique du théâtre de science nécessite une approche des relations entre théâtre et école, approche conduite depuis de nombreuses années déjà sur une échelle autre que celle de l'époque de Jean Macé· encore qu'il existait un théâtre pédagogique et scientifiqueàl'époque de la splendeur des Jésuites au XVDème siècle! D'où une nécessaire pluralité d'outils, de méthodes, de sources à mobiliser dans chaque cas. D'où la complexité...

Lasituation du théâtre de sciences est particulièrement intéressante à considérer de ce point de vue.Lemontage d'une pièce de théâtre nécessite une triple réflexion: écriture, dramaturgie et mise en

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scène (voire scénographie) tiennent des parts équivalentes (dans le succès ou dans l'échec !). On pourrait choisir d'étudier :

- le rôle des objets qui accèdent au statut de personnages,

- les personnages secondaires et le message dont ils sont porteurs, encore plus que le personnage principal parfois,

- la controverse, moteur de la science, qui peut aussi se transformer en un des moteurs de l'action dramaturgique, mâtinée d'amour (ou la famille) et d'autres aspects (névrose obsessionnelle ou couardise du savant, place de la passion et de la découverte),

- le statut du bon et du méchant par rappon au message scientifique...

On peut aussi se pencher sur le théâtre comme métaphore de la réalité. Rappelons avec fermeté que cette question de la (double) métaphore d'une part exclut la question de la vérité historique et scientifique, d'autre part, produit du nouveau, de nouvelles figures qui n'existant pas dans la réalité vraie interroge et produise la réaction du public, par rapponàce qu'il sait, ce qu'il croit savoir, ce

qu'il ne sait pas, même... On peut alors réfléchir sur les procédés mettant en oeuvre des condensations et des déplacements. Ceux-ci ponerontàla fois sur le temps, l'espace, les attributs et

pourront éventuellement être épistémologiques !Nous avons ainsi montré que, dans LaVie de Galilée, des déplacements très significatifs dans l'espace et dans les attributs de certains personnages ont des effets majeurs dans le déroulement de l'action et dans l'impact sur le public (Yirginia, la fille de Galilée). De même, on note un travail des auteurs sur la condensation dans l'espace au point de renouer avec l'unité de lieu, ou dans le temps, ponant entre autres, sur le processus de découverte (l'accélération) qui ne prennent tous leurs sens que si l'on a conscience que le temps théâtral n'est pas le temps de la réalité. La condensation des attributs a pour effet de proposer des héros négatifs ou positifs (comme Pasteur, bon savant, bon père de famille, bon homme ou Galvani, bon savant, bon père de famille et bon révolutionnaire). Enfin, le théâtre se nourrit de condensations épistémolo-giques: on peut, sans inquiétude scientifique - scientiste? -, assister àla découverte de la radioactivité par Marie Curie dansLes PalmesdeM. Schutz(Fenwick, op.cil.)

C'est dans ce type de recherches fonnelles également que peut se régler la question de l'axe société-contenu. Une question que l'on peut formuler ainsi: quels sont les traits relatifs à la sociologie des sciences, à l'épistémologie des sciences et aux connaissances scientifiques qui structurent la mise en spectacle? Les rapports avec l'argent, la place du processus de découverte, la notion d'expérience cruciale ou celle d'expérience de démonstration (pour convaincre et, donc, apprendre...), la définition des concepts, autant d'exemples pris au hasard des morceaux choisis, déclinés selon des "profils épistémologiques" bien évidemment différents lors de la mise en spectacle des sciences, et qui, chacunàleur manière, méritent une investigation systématique et plurielle : ainsi,

les relations de la science avec le politique (un roi, un empereur, un président de la République, un pape...), ou encore l'idée même que l'on se fait d'une découverte est fonement liée à des présupposés épistémologiques qu'il faut clarifier...

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3.2.2 Des recherches-action

Spectacle va avec public qui vient "à la carte" et non sous la contrainte comme l'apprenant qui vient à l'école pour se faire enseigner des sciences. Une relation fondamentalement différente qui porte, on l'aura compris, son cas particulier: le théâtre de sciences scolaire. Si l'on met de côté, pour un temps, ce cas particulier, les recherches du type recherche-action ont nécessairement un très grand rôle à jouer. Elles s'incrivent dans le cadre de recherches du champ de la médiatique, un champ plus vaste, lui-même à la... recherche de ses marques.

Ces action ont des principes d'organisation très éloignés de ceux des recherches-action à visée didactique: la phase de préparation, la question du coût et les éléments d'évaluation.

Laphase de préparation est majeure dans le cas du spectacle vivant. Cela tient à quatre raisons,

au moins:

- le manque de recul donné par les expériences précédentes, assez peu nombreuses,

- le fait que tout spectacle se termine obligatoirement par une représentation, c'est-à-dïre par un contact unique avec le spectateur,

- la quasi-impossibilité de re-médiatiser quand les représentations sont en cours,

- la spécificité de la relation avec le public - tout acteur "sait" ("sent"!)la différence d'un soir à un autre: une grève de métro, le public du dimanche après-midi, les soirs de matchs de football, quelques jeunes qui rigolent plus que d'autres...

Dans la phase de préparation, les études menées sur les relations entre les différents personnels intervenant dans la conception (et, parfois, le personnel scientifique 1) puisque le spectacle vivant mange à de nombreux râteliers et les premiers contacts avec le public, sous forme de lectures ou de discussions sont impérieux.

Un travail surle coût est, là plus qu'ailleurs, à intégrer dans le protocole. 10.000 francs

(français) la minute pour un spectacle théâtral avec deux acteurs, 15.000 avec six acteurs, depuis le premier trait de plume jusqu'à la dernière (représentation), dans le cas d'un spectacle joué une trentaine de fois, cela donne évidemment à réfléchir...

Enfin, dans ces recherches-action, la question de l'évaluation est aussi d'une grande

importance. Sur ce point, il est d'ailleurs particulièrement important que les protocoles se réfléchissent eux-mêmes et, ce faisant, aident à mieux cerner ce que serait ce concept, tant pourle spectacle vivant que pour la médiatique en général. Comme nous l'avons dit, la question des

connaissances ne peut être nodale dans ce genre de V.S.T. et, donc, l'évaluation ne peut porter sur "les connaissances transmises", même si l'on inclut, dans ces connaissances, celles ayant à voir avec la sociologie des sciences.

Une approche sociologique portant sur le nombre de spectateurs ou sur leur profil "moyen" est notoirement insuffisante. Que peut signifier le nombre de spectateurs alors que le théâtre n'est pas, en lui-même, une forme populaire, à moins d'être installé au Théâtre National de Chaillot (ex-T.N.P.), commeZoo ouàla Comédie Française commeLaVie de Galilée. Que peut signifier ce nombre pour

les badauds de foire assistant à un spectacle scientifique ou le public desExposciences ou de Science dans la rue? Que peut aussi signifier le nombre de représentations alors qu'une pièce comme La Dispute n'a été jouée qu'une fois du vivant de son auteur (Marivaux, 1744) et qu'elle a attendu plus

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de deux siècles avant de véritablement remontr sur scène, et, ainsi, d'entrer dans une culture (un peu plus) populaire? Dans tous ces cas, l'audimat est misàmal... Cela conduitàmener une réflexion sur deux outils qui pourraient éventuellement s'avérer opérationnels: la notion d'échantillon représentatif et l'étude de cas.

L'impact peut aussi être quasi-indéfmissable. Que penser de l'étudiant qui pleurait en entendant la lecture du verdict condamnant Julius R. Oppenheimer dansLe Dossier Oppenheimer de Vilar ?

Que penser de l'impact d'un vaudeville des années 1...800(Les Promenades du Dimanche) dont le

personnage principal, jouant avec un parapluie nouveau genre (intégration d'une donnée technique nouvelle dans une pièce!),s'appelait Pépin et donna son nom à l'appellation populaire du parapluie? Que penser du spectateur qui, en sortant desPalmes, se précipite sur le livre de Robert Reid, Marie

Curie pour lirela"vraie" vie de Marie Curie? TI paraît que ses ventes ont repris!

Bref, toute la question tourne autour d'une réflexion sur les concepts de la publicité comme

accroche ou impact. Elle tourne aussi autour d'une réflexion sur un des objectifs que peuvent tenter

d'atteindre ces formes de V.S.T. : donner envie d'en savoir plus plutôt que transmettre un savoir...

La mise en spectacle de la science peut-elle être un instrument pédagogique efficace? Comment peut-elle se faire? Qui peut s'en charger? Que peut-elle apprendre etàquel public? Doit-elle

véritablement apprendre? Quels outils faut-il mobiliser pour l'analyser? Faut-il vraiment parler

chiffres pour évaluer son impact (nombre d'entrées, durée de vie du spectacle, récompenses reçues, nombre de concepts proposés...) ? Existe-t-il un label de qualité alors quespectacle se conjugue avec approche esthétique et que toute satisfaction - ou dédain - de ce type est très subjectif, voire très

inscrit dans la culture d'une époque? Qui peut savoir, en fin de compte, ce qui aura éveillé le spectateur à la science? Du badaud s'émerveillant devant uneVénus anatomique d'un musée forain

ou de l'étudiant anonyme bouleversé par la sentence terminant leDossier Oppenheimer, du

téléspectateur ému participant de ses sousàla création du Généthon au bourgeois applaudissant une conférence d'un scientifique de renom dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, "qui va plus loin et de plus loin, qui donc plus tôt remonte et plus chargé de brève phosphorescence" (Saint-John Perse,

c01iférence Nobel). Inévaluable ?Lejour même, le lendemain, beaucoup plus tard, jamais car ce spectacle aura simplement modifié le regard porté par le public aux choses de la science? Un bon spectacle est un spectacle qui ne finit pas, qui continue de travailler dans le corps, dans le coeur ou dans le cerveau du spectateur...

BIBLIOGRAPHIE

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