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La cession de créance en droit français et en droit colombien

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Academic year: 2021

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école doctorale de droit privé

Thèse de doctorat en droit privé

soutenue le 21 novembre 2017

LA CESSION DE CRÉANCE EN DROIT

FRANÇAIS ET EN DROIT COLOMBIEN

Anabel RIANO SAAD

Sous la direction de Monsieur Michel GRIMALDI, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Sous la co-direction de Monsieur Edgar CORTÉS, Professeur à l’Université Externado de Colombie

Membres du jury :

Monsieur Alain BÉNABENT, Professeur des Universités (Avocat aux Conseils), rapporteur

Madame Marie GORÉ, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Monsieur Maxime JULIENNE, Professeur à l’Université d’Angers, rapporteur

Madame Adriana ZAPATA, Professeur à l’Université Externado de Colombie

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AVERTISSEMENT

Ni l’Université Panthéon-Assas (Paris II) ni l’Université Externado de Colombie n’entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier, tout d’abord, l’Université Externado de Colombie, grâce à qui mes études en France ont été possibles, ainsi que l’Université Paris II, pour le contrat doctoral qu’elle m’a accordé en vue de la préparation de cette thèse.

Je tiens également à remercier le regretté doyen Fernando Hinestrosa et M. le Professeur Roberto Núnez, qui m’ont fait confiance et m’ont encouragé à suivre mes études de droit à Paris. Je voudrais également remercier le Recteur de l’Université Externado de Colombie, Juan Carlos Henao, qui m’a fait confiance et m’a permis de mener ce travail à terme dans les meilleures conditions possibles.

Je remercie aussi mon directeur de recherches, le Professeur Michel Grimaldi, d’avoir accepté de diriger cette thèse, pour le temps accordé à lire et à discuter mes travaux et pour ses enseignements. Ma reconnaissance s’adresse aussi à mon codirecteur de thèse, le Professeur Edgar Cortés, pour les discussions que nous avons eues autour du sujet et pour m’avoir soutenue et encouragée tout au long de ce travail de recherche.

Je remercie également M. le Professeur Alain Bénabent, Mme le Professeur Marie Goré, M. le Professeur Maxime Julienne et Mme le Professeur Adriana Zapata, qui m’ont fait l’honneur d’accepterde siéger dans le jury de soutenance.

Je voudrais également remercier le Professeur Felipe Navia, dem’avoir généreusement accueillie au sein du Département de droit civil de l’Université Externado.

J’adresse également toute ma gratitude au personnel de la salle de droit civil, de la salle dedroit commercial et du laboratoire de sociologie juridique de l’Université Paris II, notamment Mme Clément pour son accueil et sa bienveillance.

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Cette thèse n’aurait pas pu voir le jour sans ma famille qui, malgré la distance, m’a soutenue de manière indéfectible tout au long de ces années ; je remercie particulièrement mes parents pour leur amour et leur confiance. Je tiens à exprimer ma gratitude infinie à Dani pour son amour, sa patience, son soutien sans faille, et pour avoir toujours eu un mot d’encouragement quand la fatigue se faisait pesante. Je ne peux oublier de remercier ma belle-famille, qui a rempli ma vie de joie et de souvenirs inoubliables.

Je pense aussi à mes amis, qui ont été à mes côtés tout au long de ce chemin… long et parfois difficile : Alejandra, Ana Maria, Andrés, Charles, Diego, Géraldine, Hussein, Julien, Lucia, Margarita, Marie, Nata, Octavie, Sandra, Xioma, et tout particulièrement Anne-Sophie et Michel pour leurs relectures et leurs précieux conseils. Je remercie aussi Virginie pour sa relecture et sa disponibilité. Pour son soutien inconditionnel, son amitié et ses encouragements, j’exprime toute ma gratitude à Fer. Ma profonde reconnaissance va à Claire pour son amitié indéfectible et sa générosité, pour tous les bons moments partagés, pour ses relectures et pour avoir rendu mon séjour à Paris plus agréable et heureux.

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RÉSUMÉ

La cession de créance est un mécanisme consacré tant en droit commun français qu’en droit commun colombien. Conformément à l’analyse classique dans ces deux systèmes juridiques, la cession de créance est un contrat translatif d’obligation envisagée activement. Ainsi, l’obligation passerait, telle qu’elle est, du patrimoine du cédant à celui du cessionnaire. Le débiteur de la créance cédée n’aurait donc rien à craindre, car l’obligation ne subirait aucune modification du fait de la cession. Il resterait tenu envers le cessionnaire dans les mêmes termes qu’il l’était envers son créancier initial : le cédant. La cession de créance opérerait donc un banal transfert d’un bien incorporel. Malgré le caractère ancré de cette conception, elle est critiquable. L’obligation reste avant toute chose un lien juridique de sorte que l’idée de sa transmissibilité, au moins par acte entre vifs, n’est pas convaincante. En réalité, on s’aperçoit que la cession de créance opère une modification de l’obligation par changement de créancier, et cela sans le consentement du débiteur, sujet passif du lien juridique. Le débiteur subit donc une telle modification, laquelle n’est jamais sans conséquence sur sa situation juridique, ce qui explique qu’il mérite une protection spéciale. C’est pourquoi les tentatives classiques de qualification du débiteur de partie ou de tiers à la cession et, par conséquent, la question de savoir si la cession produit à son égard un effet relatif ou un effet d’opposabilité se révèlent inopportunes.

Cependant, cette analyse ne doit pas cacher une autre vérité : la cession de créance est également un acte translatif de créance, bien incorporel qui ne se confond pas avec l’obligation, même si les rapports entretenus entre la créance et l’obligation sont étroits. En tant qu’acte translatif de créance -bien incorporel-, la cession présente des spécificités qui empêchent de la cantonner à un acte juridique déterminé. En effet, la cession permet la réalisation de différentes opérations juridiques, ce qui explique sa nature polyvalente. En outre, la nature incorporelle de la créance explique la spécificité de certaines règles régissant le rapport entre les parties et la cession et celui concernant les tiers et la cession ; notamment celles relatives à l’étendue du transfert et à la garantie due par le cédant au cessionnaire, ainsi que celles portant sur l’opposabilité du transfert aux tiers.

Descripteurs : accessoires de la créance ; cession de créance ; exceptions inhérentes à la dette ; mode d’acquisition de la

propriété ; modification de l’obligation ; novation de l’obligation ; transfert actif de l’obligation ; transmission de l’obligation ; opération juridique à trois personnes ; opposabilité ; vente d’une créance

ABSTRACT :

The assignment of claims is a mechanism enshrined in both French ordinary law and Colombian ordinary law. According to the classical analysis in these two legal systems, the assignment of claims is a contract transferring the obligation considered active. Thus, the obligation would pass as it is from the patrimony of the assignor to that of the assignee. The debtor of the assigned claim would therefore have nothing to fear as the obligation would not be affected by the assignment. He would remain liable to the assignee in the same terms as he was to his original creditor: the assignor. The assignment of a claim would thus operate a mere transfer of an intangible property. Despite the anchored nature of this conception, it is open to criticism. The obligation remains above all a legal bond so that the idea of its transmissibility, at least by inter vivos transaction, is not convincing. In fact, we can notice that the assignment of claim creates a modification in the obligation by change of creditor, without the debtor's consent, the passive subject of the legal bond. The debtor thus undergoes such a modification, which is never without consequence on his legal situation, which explains why he deserves special protection. Hence the classical attempts to qualify the debtor of a party or third party in the assignment and, consequently, the question whether the assignment produces a relative effect or an enforceability effect in his regard is undesirable.

However, this analysis must not hide this other truth: the assignment of a claim is also an act transferring of the claim, which is intangible property, not to be confused with the obligation, even if the relationship between the claim and the obligation is narrow. As an act transferring of the assignment, intangible property, the assignment presents specificities which prevent it from being framed in a particular legal act. Indeed, the assignment allows the realization of different legal operations, which explains its versatile nature. Moreover, the intangible nature of the claim explains the specificity of certain rules governing the relationship between the parties and the assignment and that relating to third parties and assignment, in particular, those relating to the extent of the transfer and the guarantee owed by the assignor to the assignee as well as those concerning the effectiveness of the transfer to third parties.

Keywords: accessories of the claim ; active transfer of the obligation ; assignment of claim-sale ; claim-mode of acquisition of the ownership ; enforceability ; exceptions inherent in debt-legal operation to three persons ; modification of the obligation ; novation of the obligation

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LISTE

DES

PRINCIPALES

ABRÉVIATIONS

al. Alinéa

an. Ancien

APD Archives de philosophie de droit AJDI Actualité juridique droit immobilier

AJCA AJ Contrats d’affaires, concurrence, distribution AJDA Actualité juridique du droit des affaires

Adde Ajouter

ACE Architecture, City and environnement

art. Article

Banque Revue Banque

Banque & Droit Revue Banque et Droit

BGB Bürgerliches Gesetzbuch (Code civil allemand)

Bull. civ. Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation

Bull. Joly Ent. Diff. Bulletin entreprises en difficulté

Bull. soc. ét. lég. Bulletin de la Société d’études législatives C. ass. Code des assurances français

CA Cour d’appel

C. civ. fr. Code civil français C. civ. co. Code civil colombien

CE Arrêt du Conseil d’Etat français

CEDH Arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme

Chron. Chroniques

Cass. ch. Mixte Arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation Cass. civ. Arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation

Cass. com. Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation Cass. soc. Arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation coll. Collection

CMF Code monétaire et financier

CCC Contrats, Concurrence, Consommation

comp. Comparer

concl. Conclusions

C.G.P. Co Code général du procès colombien CPC Code de procédure civile français

CPCE Code des procédures civiles d’exécution en droit français C.O. Code des obligations (Suisse)

contra en sens inverse

D. Recueil Dalloz

DA Recueil Dallloz Analytique D. aff. Dalloz affaires

Defrénois Répertoire du notariat Defrénois

Dig. Digeste

e.a. et alii (et autres)

éd. édition

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10 ibidem au même endroit

GJ Gazette Judiciaire colombienne

GAJC Grands arrêts de la jurisprudence française en droit civil D. AJ Recueil Dalloz, Actualité juridique

D. somm. Recueil Dalloz, Sommaires commentés

DH Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz DP Recueil périodique Dalloz

D. IR. Recueil Dalloz, Informations rapide Dr. et pat. Droit et patrimoine

dir. Sous la direction Gaz. Pal. Gazette du Palais

infra ci-dessous

Inst. Institutes de Gaius

IRJS Institute de recherche juridique de la Sorbonne Jour. not. av. Journal des notaires et des avoués

J-Cl. Juris-Classeur

J-Cl Civil Juris-Classeur Code civil Jur. gén. Dalloz Jurisprudence générale Dalloz

JCP E Semaine juridique, édition entreprises et affaires JCP G Semaine juridique, édition générale

JCP N Semaine juridique, édition notariale et immobilière

JO Journal officiel

LPA Les petites affiches

maj Mise à jour

M.R. Magistrat rapporteur

not. notamment

n° numéro

obs. observations

op. cit. opere citato

ord. Ordonnance part. partie préc. précité préf. préface rapp. rapport rappr. rapprocher

rev. proc. coll. Revue des procédures collectives RDBB Revue de droit bancaire et de la bourse RDBF Revue du droit bancaire et financier RDC Revue des contrats

RD imm. Revue de droit immobilier (Sirey-Dalloz) RDI Revue de droit international

Rép. civ. Répertoire civil Dalloz

Rép. com. Répertoire commercial Dalloz

Req. Arrêt de la chambre de requêtes de la Cour de cassation

RG Répertoire général

R. Soc. Revue des sociétés RGD Revue générale du droit

RGDA Revue générale de droit des assurances (à partir de 1996) RIDC Revue internationale de droit comparé

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11

RJ com Revue de jurisprudence commerciale, ancien Journal des agrées RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

RLDA Revue Lamy de droit des affaires RLDC Revue Lamy de droit civil

RPC Revue des procédures collectives RRJ Revue de recherche juridique RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial

S. Recueil Sirey

Sec. Section

Soc. Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation

Somm. Sommaire

SU Sentence d’unification de la Cour de cassation colombienne supra ci-dessus ss. sous t. tome trad. traduction V. Voir vol. volume v° verbo, mot

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SOMMAIRE

(Une table des matières détaillée figure à la fin de l’ouvrage)

PREMIÈREPARTIE

L’IDENTIFICATION DE LA DOUBLE NATURE JURIDIQUE DE LA CESSION DE CRÉANCE Titre I : La cession de créance : modification subjective et unilatérale d’un lien juridique

Chapitre I : L’analyse de la cession en un acte translatif d’obligation

Chapitre II : La remise en cause de l’analyse de la cession en un acte translatif d’obligation

Titre II : La cession de créance : transfert conventionnel et polyvalent d’un bien incorporel

Chapitre I : L’irréductibilité de la cession de créance à un acte translatif déterminé

Chapitre II : L’originalité de la cession de créance en tant que contrat générique de disposition

SECONDEPARTIE

LA PORTÉE DE LA DOUBLE NATURE JURIDIQUE DE LA CESSION DE CRÉANCE Titre I : A l’égard du débiteur de la créance cédée

Chapitre I : Le débiteur, sujet passif de la modification de l’obligation Chapitre II : Le débiteur, bénéficiaire d’une protection spéciale

Titre I : A l’égard des parties et des tiers

Chapitre I : La cession inter partes Chapitre II : La cession et les tiers

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Si on songe que tout l’effort des techniciens consiste justement à nous faire oublier les hommes dans le rapport juridique pour ne plus voir que le rapport, et qu’il leur apparaît comme le dernier mot du progrès juridique d’énoncer l’obligation comme la relation entre deux patrimoines, on jugera que cet appel à la loi morale apparaîtra à certains juristes comme une singulière régression dans l’histoire des idées juridiques. Mais, comme tout de même on a fini par s’apercevoir que toutes les constructions techniques imaginées depuis une quarantaine d’années, et qui ont été en partie inspirées du Code civil allemand, ont singulièrement troublé notre conception du droit sans nous apporter rien de bien satisfaisant, on pensera peut-être qu’il est permis aujourd’hui de chercher dans une autre voie, au risque d’être accusé de reprendre seulement de vielles idées ».

G. RIPERT1

1. Le rapprochement entre deux traditions juridiques aux origines communes peut parfois résoudre d'importants problèmes de sécurité juridique, notamment si l'un des deux systèmes n'est pas suffisamment intelligible tandis que l'autre est doté de solutions plus claires et d'une documentation abondante. Parfois même, alors que la comparaison avait pour but d'améliorer cette sécurité juridique, un aspect du sujet que chacun des deux systèmes occultait se trouve mis en lumière à cette occasion. Telle est la surprise qui s'offre à celui qui entreprend d'étudier la cession de créance en droit français et en droit colombien. En effet, si la cession de créance est expressément consacrée dans les Codes civils français et colombien, les analyses qu’elle suscite sont plus approfondies en droit français qu’en droit colombien. En dépit de cette différence, ces deux systèmes privilégient l’étude de la cession en tant qu’acte translatif de l’obligation activement, en confortant ainsi l’idée selon laquelle la possibilité de transférer l’obligation par acte entre vifs serait l’une des conquêtes de nos législations modernes. Certes, il est majoritairement admis que la novation et la procuratio in rem suam du droit romain permettaient d’aboutir aux mêmes résultats pratiques que ceux du dispositif contemporain de la cession de créance. Toutefois, les auteurs reconnaissent que ces procédés, permettant seulement un transfert indirect d’obligation, n’étaient pas dépourvus d’importantes difficultés dans leur mise en œuvre2. La raison de cette « évolution » résiderait dans le changement d’approche de l’obligation dans nos législations modernes : l’obligation à Rome n’était qu’un rapport personnel alors que l’obligation

1 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 1925, n° 2, p. 5.

2 À ce propos en droit français : J. CARBONNIER, Droit civil, t. II, Les biens, Les obligations, PUF, coll. « Quadrige », rééd. 2004, n° 1234, p. 2457. Quant au droit colombien : M. CASTRO De CIFUENTES, « Transmisión de las obligaciones », Derecho de las obligaciones, M. Castro

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est devenue, avec nos systèmes juridiques modernes, un rapport entre deux patrimoines3. Autrement dit, la patrimonialisation ou l’objectivisation de l’obligation expliquerait le passage de son intransmissibilité dans le droit romain à sa transmissibilité dans nos législations actuelles. Mais est-il certain que la cession de créance permette le transfert d’une obligation ?

2. Si l’on examine attentivement les dispositions relatives à la cession de créance en droit français comme en droit colombien, on s’aperçoit qu’aucune n’affirme que la cession de créance opère un transfert d’obligation. Il est vrai que les deux systèmes juridiques consacrent le dispositif de la cession de créance en tant qu’acte translatif. En droit français, les règles originaires du Code Napoléon qui réglementaient la cession comme un type de vente ne laissaient place à aucun doute : la vente est l’acte translatif par excellence4. L’ordonnance du 10 février 2016 est venue modifier cette approche : la cession a été détachée du contrat de vente pour être traitée dans le cadre du régime général des obligations. Néanmoins, le législateur a pris soin de définir la cession comme étant « le contrat par lequel

le créancier, appelé cédant, transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre son débiteur (appelé débiteur cédé) à un tiers, appelé cessionnaire ». En droit colombien, bien que la cession de créance ne soit pas

traitée dans le Code civil dans le chapitre dédié à la vente mais dans un chapitre indépendant, parmi les contrats spéciaux, la nature translative de la cession n’est pas non plus mise en question. Ce caractère s’explique par la vision majoritairement admise, tant par la doctrine que par la jurisprudence, selon laquelle la cession de créance serait l’acte de tradition d’une créance5 ; acte translatif par excellence6. Pour bien comprendre cette qualification, il importe de souligner que le législateur

3 E. GAUDEMET, Étude sur le transport de dettes à titre particulier, Editions Panthéon-Assas, rééd. 2014, p. 28-29 : « Si l’obligation est exclusivement

un lien personnel, le changement de personne l’anéantira, et il faudra substituer au lien ancien un lien nouveau. Si au contraire elle est exclusivement une partie du patrimoine, elle pourra, sauf modification, passer d’un créancier à un autre créancier, ou d’un débiteur à un autre débiteur, de même qu’un droit de propriété circule sans s’altérer. Or, de ces deux conceptions opposées, la première est celle du droit romain, et probablement de toutes les législations anciennes ; et c’est vers la seconde que tend le développement juridique moderne ». Voir également en ce sens la présentation du professeur Larroumet lors du Congrès

tenu au Mexique au sujet de la transmission de l’obligation : Ch. LARROUMET, « Présentation », in La transmission de l’obligation, Editions

Panthéon-Assas, colloques, 2017, p. 9 : « Or, il n’existait pas, en droit romain, de transmission inter vivos de l’obligation, du moins avant l’époque de

Justinien, quand la cession de créance fut admise pour la première fois. La raison de cette lacune était une conception subjectiv de l’obligation selon laquelle la relation d’obligation entre un créancier et un débiteur était considérée comme un lien entre deux personnes et non entre deux patrimoines ».

4 J. DUBARRY, Le transfert conventionnel de propriété, Essai sur le mécanisme translatif à la lumière des droits français et allemand , Préf. B. Dauner-Lieb et R. Libchaber, LGDJ, 2014, n° 4, p. 4-5 ; J. CARBONNIER,Droit civil, t. II, Les biens, Les obligations, op. cit., n°

776, p. 1707 : « En raisonnant de préférence sur la vente, mode le plus usuel d’acquisition par contrat, et spécialement sur la vente d’immeu ble,

la complexité de notre droit positif a suggéré de soumettre à une révision, sous divers angles, le schéma simplificateur de l ’art. 1138 ».

5 Voir not. F.-A. CASTILLO MAYORGA, « La cesión de crédito », Los contratos en el Derecho privado, F. Mantilla et F. Ternera (dir.), Universidad del Rosario & Legis, 2009, p. 417; F. VÉLEZ, Derecho civil colombiano, Código civil y leyes complementarias, t. VIII,

Editorial jurídica de Chile, 1997, p. 322-324; R. MEZA BARRIOS, Manual de Derecho civil, t. I, Colección Manuales jurídicos, p.

168 – 169; A. DE LAVEGA VÉLEZ, Bases del derecho de obligaciones, conferencias, 1re éd., Temis, 1976, n° 286, p. 271-272. 6 Rappelons que la tradition était l’un des modes d’acquérir la propriété par acte entre vifs en droit romain : Ph CHAUVIRE,

L’acquisition dérivée de la propriété, Le transfert volontaire des biens, Préf. Th. Revet, LGDJ, 2013, n° 18, p. 10 : « En droit romain, les conventions ayant pour objet le transfert de la propriété ne pouvaient pas l’opérer par elles-mêmes. Elles devaient impérativement être complétées par un mode d’acquisition : la mancipatio, l’in iure cessio ou encore la traditio » ; J. CARBONNIER, Droit civil, t. II, Les biens, Les

obligations, op. cit., n° 770, p. 1699 : « Le droit romain à l’état pur séparait catégoriquement les conventions et les modes d’acquérir. Une convention pouvait bien engendrer des obligations personnelles, ainsi l’obligation de transférer la propriété, mais elle ne p ouvait transférer la propriété directement. Après avoir conclu la convention, les parties devaient ramener à exécution l’obligation, qui en découlait, de tra nsférer la

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colombien, à la différence de son homologue français, a consacré dans le Code civil la distinction entre le titre d’acquisition de la propriété et le mode d’acquisition de propriété : une chose est le contrat ou acte créateur de l’obligation de donner ; autre chose est le mode d’acquisition ou tradition, acte d’exécution de l’obligation de donner7. C’est en raison de cette différenciation entre le titre et le mode d’acquisition en matière de biens que la doctrine majoritaire et la jurisprudence colombiennes ont trouvé un terrain fertile pour affirmer que la cession de créance ne serait que l’acte de tradition d’une créance, ou, plus précisément, l’acte permettant d’exécuter l’obligation de donner une créance ; obligation issue d’un contrat de vente ou de donation de créance, par exemple, titres d’acquisition de la propriété.

Mais, malgré la reconnaissance du caractère translatif de la cession en droit français et en droit colombien, on ne trouve aucune disposition énonçant expressément que l’objet de la cession est le transfert d’une obligation. On nous objectera qu’une telle précision n’est pas nécessaire : la créance étant l’obligation envisagée activement8, la possibilité de céder une créance reconnue par nos législateurs ne serait rien d’autre que la reconnaissance de la possibilité de transférer activement une obligation par acte entre vifs. La récente réforme du droit français pourrait être interprétée en faveur de cette position, car le législateur a réglementé la cession de créance dans un nouveau chapitre dédié « aux opérations sur les obligations ». Par ailleurs, cette conception semble être approuvée par certains systèmes juridiques étrangers dans lesquels la cession de créance est expressément réglementée dans une catégorie regroupant « les opérations translatives d’obligation »9.

En dépit de l’enracinement de cette approche, est-il certain que la créance ne soit que l’obligation envisagée d’un point de vue actif ? Pour y répondre, il convient, en premier lieu, de s’attarder sur l’origine de cette acception classique.

3. L’idée selon laquelle la créance ne serait que l’obligation envisagée activement peut s’expliquer par l’incidence de la théorie du droit subjectif sur l’analyse de la notion d’obligation héritée du droit romain. Plus précisément, l’analyse de la situation du créancier dans le rapport d’obligation

propriété, en procédant à une opération juridique distincte, qui seule avait le pouvoir d’accomplir le transfert : mancipatio, in jure cessio, modes d’aliéner formalistes que devait plus tard supplanter la traditio, simple remise de la possession ».

7 La tradition en droit colombien, mode d’acquisition de la propriété à côté de l’occupation, l’accession, la succession à cause de mort et la prescription (article 673 du Code civil colombien) est réglementée par les articles 740 et suivants du Code civil colombien.

8 P. PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, LGDJ, Schulthess Editions romandes, 2008, n° 1504, p. 334 : « Trois

notions se réfèrent à la même réalité, en fonction de points de vue différents » ; cf. n° 1505, p. 334 : « La dette, qui désigne le devoir du débiteur de payer quelque chose », cf., n° 1506, p. 334 : « La créance, qui désigne le droit du créancier d’exiger quelque chose (…)

L’obligation, qui désigne le lien juridique entre créancier et débiteur du point de vue du tiers ».

9 En droit brésilien, par exemple, la cession de créance est traitée dans un chapitre relatif à la transmission des obliga tions (voir les articles 286 et suivants du Code civil brésilien de 2002). En droit mexicain également, la cession de créance est analysée en un acte translatif d’obligation : voir en ce sens les articles 2029 et suivants du Code civil fédéral.

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en termes de droit subjectif est venue bouleverser la conception romaine de l’obligation. En effet, lorsqu’il a été question d’expliquer la situation du créancier dans le rapport d’obligation, une frange importante de la doctrine moderne a conclu à la reconnaissance d’un droit subjectif en faveur du créancier10. Ce droit subjectif de créance aurait deux caractéristiques principales.

4. Le droit de créance serait, en premier lieu, un droit personnel ; par opposition à un droit réel. Cette distinction est majoritairement admise en France11et en Colombie12, même si elle est parfois fortement critiquée13. Le caractère personnel du droit de créance s’expliquerait par le fait qu’il aurait pour objet l’activité d’une personne -l’exécution d’une prestation de la part du débiteur- ; par opposition au droit réel ayant une chose directement pour objet14. Même si le Code civil français ne contient aucune disposition expresse en ce sens, la proposition de réforme de son Livre II relatif aux biens, impulsée par l’Association Henri Capitant, allait dans ce sens. En effet, l’article 523 de cette proposition disposait que « le droit personnel est celui du créancier d’une obligation à l’encontre de son débiteur ». Le Code civil colombien propose quant à lui une définition de la créance qui conforte son appréhension en tant que droit personnel : « Les droits personnels ou des créances sont ceux qui seulement

peuvent être exigés de certaines personnes qui, pour un fait propre ou par disposition de la loi, se sont obligées corrélativement ; tels que celui qu’a l’emprunteur à l’encontre de son débiteur pour l’argent prêté, ou le fils à l’encontre de son père pour les aliments. De ces droits naissent des actions personnelles »15. Le Vocabulaire juridique de l’Association

Henri Capitant, dans le premier sens accordé au terme « créance », coïncide avec la définition précitée :

« droit personnel, en vertu duquel une personne nommée créancier peut exiger d’une autre nommée débiteur

l’accomplissement d’une prestation (donner, faire ou ne pas faire quelque chose) »16. Ainsi, la créance constituerait le droit du créancier d’exiger l’accomplissement d’une prestation déterminée de la part de son

10 Voir à propos des origines de cette conception : G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, Préf. F. Leduc, Dalloz, 2012, nos 217 et s., p. 141 et s.

11 Ch. LARROUMET et A. AYNES, Traité de droit civil, t. I, Introduction à l’étude du droit, 6e éd., Economica, 2013, n° 145, p. 89 ; J. ROCHFELD, Les grandes notions du droit privé, PUF, coll. « Thémis », 2011, p. 156.

12 A. VALENCIA ZEA et A. ORTIZ MONSALVE, Derecho civil, t. II, Derechos reales, op. cit., n° 1, p. 2; F. ARIAS GARCÎA, Bienes civiles

y mercantiles, op. cit., n° 2, p. 34-35.

13 Voir à propos de ces critiques : J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, avec le concours de M. Fabre-Magnan, Introduction au droit

civil, op. cit., n° 201, p. 153 ; P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 2005, n°30, p. 250 ;

14 P. PICHONNAZ, Les fondements romains du droit privé, op. cit., n° 711, p. 178 : « Les obligations ont un caractère relatif, c’est-à-dire

que le créancier ne peut exiger un comportement que d’une personne déterminée, le débiteur. Le vendeur ne peut p.ex. exiger le paiement du prix de vente que de l’acheteur et de personne d’autre. Un droit réel en revanche permet d’exiger un comportement d’abstention (ne pas avoir un comportement qui entrave la maîtrise de la chose) de n’importe quel tiers : il a donc un caractère absolu ».

15 Article 666 du Code civil colombien.

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débiteur17. Autrement dit, la créance représenterait un pouvoir légitime reconnu en faveur du créancier contre son débiteur pour l’exécution de la prestation due18.

5. La seconde caractéristique serait le caractère patrimonial du droit de créance. Celui-ci constituerait donc un droit subjectif patrimonial. La doctrine n’est cependant pas unanime quant au critère à retenir pour affirmer la patrimonialité du droit de créance. Même si la doctrine majoritaire affirme une patrimonialité directe du droit de créance, certains auteurs défendent davantage l’idée d’une patrimonialité indirecte.

Pour les partisans d’une approche directe de la patrimonialité du droit de créance, quatre critères principaux peuvent être évoqués. Le premier critère est celui du rattachement de la créance au patrimoine en raison de la possibilité de sanctionner sa violation par des dommages et intérêts19. Le deuxième critère est celui de l’incidence directe de la créance dans le patrimoine du créancier20. Le troisième critère est celui de la saisissabilité21. Enfin, le quatrième critère, la possibilité de mobilisation de la créance, serait le facteur déterminant de sa patrimonialité. Ainsi, seules les créances pouvant être l’objet d’une circulation entre patrimoines, en échange d’un prix22 ou non23, devraient être considérées comme patrimoniales. Aucun de ces quatre critères n’est toutefois pleinement convaincant. S’agissant du premier, on peut y voir un procédé artificieux dans la mesure où la violation de tous les intérêts, patrimoniaux ou non, donne lieu à une réparation monétaire24. Le deuxième présente le risque d’exclure du patrimoine certaines créances comme, par exemple, celles relatives aux services à la personne, dans la mesure où leur incidence directe sur le patrimoine du créancier n’est pas aisée à établir25. Le troisième est

17 Voir cependant les critiques à l’encontre de cette analyse classique : S. GINOSSAR, « Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel », RTD civ., 1962, p. 573-589 ; Voir J. DABIN, « Une nouvelle définition du droit réel », RTD civ, 1962, p. 20-44 ; S. GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance, Elaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux , LGDJ, 1960.

18 J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, avec le concours de M. Fabre-Magnan, Introduction au droit civil, op. cit., n° 201, p. 153 ; P. ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, op. cit., n°30, p. 250.

19 Voir à propos de ce critère et ses défauts : J. FRANÇOIS, « Les créances sont-elles des biens ? », Liber Amicorum Christian

Larroumet, Economica, 2010, n° 38, p. 174.

20 J. FRANÇOIS, ibidem, n° 39, p. 175.

21 P. BERLIOZ, La notion de bien, LGDJ, 2007, n° 679.

22 Sur l’idée selon laquelle la cessibilité de la créance en fait un bien : J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit civil, Les obligations, t. III, Le rapport d’obligation, 9e éd., Sirey, 2015; B. STARCK, H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil, Les obligations, t. III, Régime général, 6e éd., Litec, 1999, G. RIPERT et J. BOULANGER, Obligations, t.II, paris, 1957, n° 1299, p. 493.

E. GAUDEMET, Théorie générale des obligations, Dalloz, coll. « Bibliothèque Dalloz » 2004 (rééd.de l’éd. de 1937), n° 449, p. 12.

23 P. MALAURIE, Droit civil, Théorie des obligations, fasc. IV, Régime des obligations, Les cours de droit, 1982, n° 564.

24 J. FRANÇOIS, op. cit., n° 38, p. 174-175 ; P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n° 676. Voir aussi : N. HAGE-CHAHINE, La

distinction de l’obligation et du devoir en droit privé, Préf. Y. Lequette, Editions Panthéon-Assas, 2017, n°128, p. 114 : « Aujourd’hui, l’opinion défendue par Pothier est dépassée. Le droit positif offre au créancier de l’obligation extrapatrimoniale plusieurs moyens lui perme ttant d’obtenir la satisfaction de son intérêt moral » et ensuite l’auteur précise : « Tout d’abord, l’inexécution de l’obligation extrapatrimoniale peut être sanctionnée par l’octroi de dommages et intérêts. L’indemnisation du préjudice moral est aujourd’hui admise sans di scussion. La jurisprudence accorde la compensation de dommages de nature extrapatrimoniale en matière contractuel le et en matière extracontractuelle » (op. cit., n° 129, p. 114).

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discutable dans la mesure où il exclut du patrimoine toutes les créances non monétaires ; celles-ci étant les seules pouvant faire l’objet d’une saisie26. Enfin, le quatrième critère est critiquable dans la mesure où la restriction à la circulation d’un bien ne doit pas conduire à refuser son caractère patrimonial. Un auteur a pu souligner que l’extra-commercialité est un critère qui touche précisément aux choses patrimoniales27. La patrimonialité deviendrait alors le présupposé fondamental de la détermination des choses en dehors du commerce28.

En revanche, pour les partisans d’une conception indirecte de la patrimonialité du droit de créance, il s’agit d’affirmer que c’est en raison de la patrimonialité de la prestation de l’obligation que la créance peut être qualifiée de bien29. Plus précisément, le caractère patrimonial de la créance s’expliquerait par le fait que la prestation aurait pour objet de l’argent, ou bien des choses ou services évaluables en argent sur un marché30. Cette analyse ne devrait pourtant pas conduire à confondre l’évaluation de la créance avec celle de la prestation. Le droit de créance, en tant que droit personnel, ne confère que le droit d’exiger du débiteur l’accomplissement de la prestation due, sans garantir son obtention. Les cessions de créance à titre onéreux renforceraient cette analyse. En effet, le prix de la cession ne correspond pas forcément au montant de la prestation due par le débiteur. La raison en est que ce dernier assume les difficultés éventuelles de recouvrement de la créance cédée : « Lorsqu’on affirme que le droit est évaluable en

argent, on suppose en effet qu’il a une valeur indépendante de celle de la prestation qui en est l’objet. Au demeurant, si le droit de créance confère le pouvoir d’exiger la prestation ; il ne garantit pas l’obtention. Il comporte par essence un aléa sur celle-ci qui dépend de la diligence du débiteur et de sa solvabilité »31 .

26 En ce sens, l’article 42 de la Loi n° 92-644 du 13 juillet 1992 : « Tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance

liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail ».Voir à ce propos : J. FRANÇOIS, ibid.,

n° 40, p. 175-176 : « M. Berlioz n’en conclut pas moins que la cessibilité (et donc la saisissabilité) des créances constitue « le principe » est

donc « que les créances ont par principe vocation à être des biens ». Cette affirmation est en réalité illusoire. Le prétendu principe ne concerne guère que les créances pécuniaires, dans la mesure où elles sont saisissables. A contrario, le critère tiré de la ce ssibilité et de la saisissabilité achoppe une nouvelle fois sur les créances en nature ».

27 F. PAUL, Les choses qui sont dans le commerce au sens de l’article 1128 du code civil , Préf. J. Ghestin, LGDJ, 2002, n° 97, p. 77. 28 F. PAUL, ibidem ; P. CATALA, « La transformation du patrimoine dans le droit civil moderne », RTD civ, 1966, p. 185- 215. 29 J. FRANÇOIS, « Les créances sont-elles des biens ? », art. préc., n° 41, p. 176 : « Comme nous venons de le voir, la patrimonialité

est fuyante tant que l’on cherche à en faire un attribut direct du droit de créance. En effet, les créances en nature ne sont ni susceptibles d’évaluat ion monétaire ni même toujours rattachables au patrimoine de leur titulaire. Rien n’interdit cependant de déplacer le projecteur pour le braquer sur la prestation et plus exactement sur la chose ou le service dus au créancier. Il apparaît alors que la prestation est toujour s patrimoniale, dans la mesure où les choses que le débiteur est tenu de délivrer ou de fabriquer, tout comme les services qu’il est tenu d’accomplir, sont évaluables en argent ». Rappr. N.M.K GOMMA, Théorie des sources de l’obligation, Thèse Paris, 1968, n° 281 : « L’objet de l’obligation est toujours un

bien ou un service, une action, une abstention ou un transfert. Cet objet doit être de nature pécuniaire, c'est-à-dire économiquement appréciable » ;

M.BILLIAU, La transmission des créances et des dettes, LGDJ, 2002, n° 1, p. 3.

30 Voir not. : L. JOSSERAND, Cours de droit civil positif français, Théorie générale du droit et des droits, les personnes, la famille, la propriété

et les autres droits réels principaux, op. cit., n° 104, p. 85 ; J. GHESTIN et G. GOUBEAUX,avec le concours de M. Fabre-Magnan,

Traité de droit civil, op.cit., n° 215, p. 168-169 ; J.-L. Aubert et E. Savaux, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,

15e éd., Sirey, 2014, n° 201, p. 216 ; Ch. LARROUMET, Droit civil, t.I, Introduction à l’étude du droit privé, 5e éd.., Economica, 2006, n° 451, p. 294. En droit colombien: A. VALENCIA ZEA et A. ORTIZ MONSALVE, Derecho civil, t. II, Derechos reales, op. cit., §14,

p. 34.

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Il est intéressant de souligner que la thèse de la patrimonialité indirecte du droit de créance est prédominante au sein de la doctrine italienne. Cela peut s’expliquer par l’existence d’une disposition dans le Code civil italien prévoyant la nécessaire patrimonialité de la prestation. Plus précisément, l’article 1174 du Code civil italien dispose que la prestation, objet de l’obligation, doit être susceptible d’évaluation économique32 et doit correspondre à un intérêt du créancier, même si celui-ci n’est pas patrimonial. Les auteurs italiens affirment que l’exigence d’évaluation économique de la prestation, considérée pour elle-même, obéit à une raison fondamentale : l’éventualité de l’inexécution de la prestation de la part du débiteur. En effet, en cas d’inexécution de la prestation, le créancier peut demander l’exécution forcée de l’obligation pourvu que cela ne porte pas atteinte à la liberté personnelle du débiteur. Le cas échéant, le créancier pourrait réclamer un équivalent pécuniaire33 à la prestation non réalisée.

Il est vrai que ni le Code civil français, ni le Code civil colombien ne prévoit de disposition comparable à l’article 1174 du Code civil italien relative au caractère patrimonial de la prestation. Cela ne signifie pour autant qu’une telle exigence soit ignorée dans nos ordonnancements juridiques. La nécessité du caractère patrimonial de la prestation peut se déduire des dispositions relatives à l’exécution forcée en cas d’inexécution de l’obligation de la part du débiteur. En droit français, si le principe est celui de l’exécution en nature (nouvel article 1221 du Code civil)34, le nouvel article 1231-1 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 reconnaît l’exécution par équivalent35. Quant au droit colombien, les articles 1605 et suivants du Code civil disposent dans le même sens.

6. Indépendamment du critère adopté, c’est précisément l’appréhension du droit de créance en tant que droit subjectif patrimonial qui a entraîné un important bouleversement de la notion d’obligation romaine : alors que celle-ci exprimait l’idée d’un lien entre le créancier et le débiteur, et plus exactement d’un état d’assujettissement du second envers le premier, le développement de la théorie du droit subjectif a permis d’orienter l’analyse vers la situation du créancier afin de mettre en

32 Voir à propos du caractère patrimonial de la prestation : S. SCHIPANI, « Problemas sistemáticos en el derecho romano: la obligatio », Obligaciones, Contratos, Responsabilidad, Grupo para la armonización del derecho privado latinoamericano, Universidad Externado de Colombia, 2011, p.35.

33 E. BETTI, Teoria generale delle obligazioni, Prolegomeni: funzione economico-sociale dei rapporti d’obbligazione, Dott. A Giuffrè editore, 1953, p. 52.

34 Aux termes du nouvel article 1221 du Code civil, « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution

en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coû t pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». Voir art. 1er de la Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution : « Tout créancier

peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défailla nt à exécuter ses obligations à son égard ».

35 Selon le nouvel article 1231-1 « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution

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avant le fait que celui-ci bénéficiait d’un droit subjectif patrimonial36. C’est avec l’appréhension du droit de créance en tant que droit subjectif patrimonial qu’a été développée l’idée d’une conception objective de l’obligation selon laquelle celle-ci serait essentiellement un rapport entre deux patrimoines37. Cette approche expliquerait que l’obligation soit transmissible ; la cession de créance en témoignerait.

7. Si cette analyse prédomine en ce qui concerne la possibilité pour le créancier de céder sa créance, il n’en va pas de même quant à la possibilité pour le débiteur de céder sa dette38. Le Code Napoléon et le Code civil colombien semblent conforter cette conception, car si la cession de créance est un dispositif bénéficiant d’une consécration expresse, il n’en va pas de même quant à la cession de dette39. Il est vrai que les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 viennent de consacrer, aux nouveaux articles 1327 et suivants du Code civil, la possibilité pour un débiteur de céder sa dette. Mais le nouvel article 1327 du même code dispose que l’accord du créancier est nécessaire pour que la cession de dette puisse avoir lieu40. L’exigence du consentement du créancier pour la réalisation de la cession de dette révèle que celle-ci, telle que conçue par le législateur français, ne serait pas le pendant de la cession de créance41 ; même si une partie de la doctrine affirme que le fait de ne pas admettre un transport privatif de la créance opposable au créancier sans son adhésion n’équivaut pas à refuser la possibilité de céder une dette42. L’exclusion d’une symétrie entre la cession de créance et la cession de

36 G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, op. cit., n° 216, p. 139 : « Pendant toute cette période, qui s’étend à peu près

jusqu’au XVIe siècle, l’obligation ne cessera jamais d’être un lien objectif d’astriction-même si ce lien s’intellectualise davantage. En tant que

notion elle n’est, comme en droit romain, envisagée que du point de vue du débiteur. Le droit subjectif de créance n’apparaît en tant que tel ni chez les exégètes du droit romain, ni chez les canonistes, ni dans les coutumiers du début de l’Ancien Régime (…). L’obligation paraît ainsi amputée de l’idée de droit personnel. Cette composante, on l’a dit, n’est pas romaine. Elle est le fruit d’une mutation de la pensée juridique qui trouve sa source dans les travaux des romanistes du XVIe siècle ».

37 E. GAUDEMET, Étude sur le transport de dettes à titre particulier, op. cit., p. 31 : « La notion d’obligation est devenue une notion économique et purement

objective. L’obligation de faire elle-même se résout, en cas d’inexécution, en obligation de somme d’argent » ; J. FLOUR, J.-L. AUBERT et E. SAVAUX, Droit

civil, Les obligations, t. III, Le rapport d’obligation, op. cit., n° 353, p. 349 ; F.TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, 11e

éd., Dalloz, 2013, n° 1271, p. 1318. Pour le même raisonnement en droit colombien : H. D. VELÁSQUEZ GÓMEZ, Estudio sobre obligaciones,

Temis, 2010, n° 533, p. 1018.

38 F. LAURENT, Principes de droit civil français, t. XXV, Bruxelles, Paris, 3e éd., 1878, n° 211 : « Si on cède ses créances, on ne cède pas

ses dettes ». Cf., t. XXIV, n° 529 : « Le Code n’admet pas que les dettes puissent être cédées ; le débiteur est lié envers le créancier et il ne peut pas se dégager de ce lien ».

39 P.-Y. GAUTIER, « Aubry et Rau toujours hors-la loi : la querelle sur la transmission de la dette à l’ayant cause particulier se poursuit », RTD civ., 1998, p. 399.

40 Voir à propos de la portée de cette exigence : O. DESHAYES, Th. GENICON et Y.-M. LAITHIER, Réforme du droit des contrats,

du régime général et de la preuve des obligations, op. cit., art. 1327 et s., p. 655 et s. ; G. CHANTEPIE et M. LATINA, La réforme du droit

des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, Dalloz, 2016, n° 877 et s., p. 750 et s.

41 Pour certains auteurs, il existerait une difficulté insurmontable à admettre une « véritable cession de dette » : A. SERIAUX,

Droit des obligations, 2e éd., PUF, 1998, n° 179, p. 655. Voir également la conception de cet auteur selon laquelle la dette ne serait pas un élément du patrimoine : A. SERIAUX, « La notion juridique du patrimoine, Brèves notations civilistes sur le verbe

avoir », RTD civ. 1994, 803 et s. « "On ne peut enlever un débiteur à son créancier, ni lui en attribuer une autre à la place, sans son

consentement, la personnalité du débiteur jouant un rôle essentiel pour le créancier et la fongibilité n’existant pour les pe rsonnes" a dit un tribunal dans un jugement remarqué ». Voir TGI Strasbourg, 24 mars 1971, D. 1973, 16, note Ch. Larroumet.

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dette ne devrait donc pas être comprise comme la possibilité de céder la première et l’impossibilité de céder la seconde43.

8. Cette différence de traitement entre la cession de créance et la cession de dette ne témoignerait-elle pas, au fond, des inconvénients de l’analyse classique selon laquelle la créance, la dette et l’obligation ne seraient qu’une seule et même chose44 ? Comment peut-on, en effet, expliquer que si le transfert de la créance est possible en raison de la nature patrimoniale de l’obligation, le transfert de la dette n’est pas possible, alors que la dette ne serait que l’obligation envisagée passivement45 ? Si l’obligation se réduit donc à un rapport entre deux patrimoines et si la dette n’est que l’obligation envisagée passivement, il conviendrait de conclure à la possibilité de transférer la dette, à l’instar du traitement accordé à la créance46.

Par ailleurs, comment pourrait-on expliquer que les dettes soient transmises à cause de mort mais qu’elles ne puissent l’être par acte entre vifs ? Certes, la doctrine majoritaire en France comme en Colombie affirme que le fondement de la transmissibilité des dettes à cause de mort est le principe de la continuation de la personne du de cujus par l’héritier47. Ainsi, la transmissibilité des dettes à cause de mort ne devrait pas nécessairement conduire à leur cessibilité entre vifs. Cependant, il importe de rappeler que le principe de la continuation de la personne du de cujus par l’héritier est aussi le fondement qui justifie la transmissibilité des créances à cause de mort alors que la cessibilité de celles-ci par acte entre vifs s’explique par leur nature patrimoniale. La reconnaissance du principe de la continuation de la personne du de cujus

43 Ph. SIMLER, « Cession de dette, cession de contrat », in V. FORTI et L. ANDREU (dir.), Le nouveau régime général des

obligations, Dalloz, 2016, p. 102 : « C’est dire qu’une simple symétrie doit être exclue. Une cession de dette ne saurait, pour cette raison, se contenter d’une signification, encore moins d’une simple notification. Cette dif férence, pour importante qu’elle soit, n’est toutefois nullement exclusive du principe même de la cessibilité d’une dette ».

44 Voir G. FOREST, Essai sur la notion d’obligation en droit privé, op.cit., n° 11, p. 10-11 : « L’exemple le plus criant réside dans l’opposition qui existe

entre cession de dette et cession de créance. Sans qu’il soit besoin pour l’instant d’en étudier le détail ; la différence de traitement des deux mécanismes interpelle. La cession de créance est admise par le Code civil, qui lui consacre ses articles 1689 et suivants. Mais à l’inverse, la cession de dette n’a pas droit de cité. L’opinion est très largement partagée : il n’est pas possible, en droit français, qu’un débiteur transmette sa dette à un autre débiteur comme un créancier transférerait son droit à un autre créancier. Cette réalité dément l’idée d’une dette qui ne serait séparée de la créance que par une simple différence de point de vue ».

45 Voir Ph. SIMLER, « Cession de dette, cession de contrat », in Le nouveau régime général des obligations, art. préc., p. 100 : « Si le

lien d’obligation peut ainsi être transmis sans rupture par un cédant à un cessionnaire dans sa dimension active, pourquoi ne pourrait-il pas l’être dans sa dimension passive ? Si A, créancier de B, cède sa créance, ou si B, débiteur de A, cède sa dette, c’est bien du même lien d’obligation qu’il s’agit. Pourquoi ce qui est possible dans un sens serait-il conceptuellement impossible dans l’autre ? » ; qui se sert pourtant de ce

raisonnement en faveur de la reconnaissance de la cession de dette.

46 Voir Ch. LARROUMET, « La cession de contrat : une régression du droit français ? in Mélanges Michel Cabrillac, Dalloz-Litec, 1999, n° 9, p. 159 : « Pourtant, on ne peut logiquement admettre, eu égard à la conception que l’on a de l’obligation, une solution différente

selon qu’il s’agit de la transmission active ou bien de la transmission passive. On ne peut affirmer que l’obligation est plu s objective du côté de la créance et qu’elle est plus personnaliste du côté de la dette. La notion est unitaire. Dès lors, la cession doit être envisagée de la même façon, qu’il s’agisse de la créance ou de la dette ».

47 En droit français : F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, op. cit., n° 1272, p. 1320 : « Que les

obligations soient transmissibles à cause de mort, activement et passivement, est aujourd’hui une évidence : les héritiers sont les continuateurs de la personne du défunt ». En droit colombien: H. D. VELASQUEZ GOMEZ, Estudio sobre obligaciones, op.cit., n° 533, p. 1018.

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par l’héritier n’exclut donc pas d’admettre la possibilité de céder les créances par acte entre vifs sur le fondement de la prétendue nature « objective » de l’obligation.

On peut donc relever quelques inconvénients de l’analyse traditionnelle selon laquelle la créance, la dette et l’obligation ne seraient qu’une seule et même chose mais envisagée d’un point de vue différent. Si tel était le cas, les mêmes conclusions devraient semble-t-il s’imposer quant à la possibilité de céder la créance et la dette. La divergence de traitement entre celles-ci serait-elle l’un des signes de la nécessité, en réalité, de distinguer entre la créance, la dette et l’obligation ? Il s’agit précisément d’une position que l’on peut observer chez une partie de la doctrine contemporaine française.

9. En effet, certains auteurs contemporains français mettent en cause la vision classique selon laquelle la créance ne serait que l’obligation envisagée activement. L’obligation serait un lien ou rapport juridique entre deux sujets, alors que la créance et la dette ne seraient que des effets de l’obligation. L’obligation et la créance ne seraient donc pas une seule et même chose. Le rapport entre l’obligation et la créance est reconnu comme étant indéniable cependant, il ne devrait pas se traduire par une confusion des deux notions. Ce courant est représenté par plusieurs auteurs48.

En outre, même si conformément à certaines définitions l’« obligation » est parfois assimilée à la dette, on peut constater qu’il n’en va pas de même de la créance. Par exemple, le Lexique

des termes juridiques définit l’obligation, au sens étroit du terme, comme le « lien de droit entre deux personnes par lequel l’une, le débiteur, est tenue d’une prestation vis-à-vis de l’autre, le créancier »49. L’obligation serait donc, conformément à cette acception, synonyme de dette ; elle représenterait la « face négative » de la créance. En d’autres termes, si l’obligation est ici assimilée à la dette, elle n’est, en revanche, pas assimilée à la créance.

10. En définitive, la nécessité de distinguer entre la créance, la dette et l’obligation se justifie notamment par le fait que « notre théorie de l’obligation s’est logée dans les formes romaines alors que nous

sommes très loin de la conception romaine »50. En effet, comme certains auteurs l’ont souligné, à Rome « ce

qu’on appelle jus n’est pas le pouvoir du créancier, le droit de créance, mais l’obligation elle-même, le vinculum juris, le rapport liant objectivement le créancier et le débiteur »51. L’obligation était donc davantage envisagée comme

48 Voir not. M. BILLIAU, La transmission des créances et des dettes, op. cit., n° 10, p. 14 ; Ch. GARREAU, « Saisie-attribution, procédure collective et créances contractuelles », RTD com., juillet/septembre 2004, spéc. n° 7, p. 416 ; G. FOREST, Essai sur la notion

d’obligation en droit privé, op. cit ; A. RAKOTOVAHINY, L’évolution de la notion de créance, thèse Paris, 1999.

49 Lexique des termes juridiques, 24e éd., Dalloz, 2016-2017 ; Voir : « Obligation ». 50 G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., n° 207, p. 389-390. 51 M. VILLEY, La formation de la pensée juridique moderne, Quadrige, PUF, 2009, p. 246.

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le lien pesant sur le débiteur. Rappelons à cet égard la célèbre formule léguée aux Français et aux Colombiens par Justinien52 : Obligatio est juris vinculum, quo necessitate adstringimur alicujus solvendae rei,

secundum nostrae civilitatis jura53. En outre, indépendamment des divergences quant à l’origine de l’obligation telle qu’on la connaît aujourd’hui, ou même des significations qu’elle peut avoir en fonction du domaine envisagé, la doctrine souligne que l’« idée qui constamment la caractérise est celle du lien »54. Son étymologie nous conduit aux termes latins ob et ligare, qui signifient lier (ligare) de façon étroite (ob). Par ailleurs, certains auteurs qui ont dédié plusieurs études à la naissance de l’obligation dans le droit de la Rome antique ont pu aussi préciser que l’obligation au temps de la Grèce antique (σuvάλλαyμα) désignait non seulement le lien mais aussi l’acte créateur de ce lien55.

Par conséquent, le fait de reconnaître le caractère patrimonial de la créance ne devrait pas conduire à affirmer que l’obligation elle-même a une nature patrimoniale56. Ainsi, ce qu’on qualifie aujourd’hui de « droit de créance » ne correspond pas à l’obligation telle qu’elle était conçue par les Romains. C’est pourquoi, la reconnaissance de la possibilité de céder la créance ne doit nous mener à admettre que c’est l’obligation elle-même qui est transmise.

11. C’est peut-être en raison du caractère « forcé » de l’identification de la créance à l’obligation et, par conséquent, de l’analyse de la cession de créance en un acte translatif d’obligation, que l’étude de la situation du débiteur de la créance cédée devient malaisée et brouillée.

D’une part, il est difficile de déterminer la qualité du débiteur de la créance cédée : certains auteurs affirment qu’il est une partie à la cession de créance ; d’autres auteurs, en revanche, prônent son appréhension comme un tiers à la cession. Ainsi, il convient de se demander si la difficulté de déterminer la qualité du débiteur dans le cadre de la cession ne résulte pas, précisément, de l’analyse de la cession en un acte translatif d’obligation. Ne ferait-on pas mieux de renoncer à cette lecture et

52 Voir à propos de la reprise de la définition des Institutes par plusieurs auteurs : R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, t. I, Rousseau, Paris, 1921, n° 2, p. 3 : « La définition des Institutes a fait fortune. Pothier la reproduit. Le code civil s’en est inspiré dans

l’art. 1101 en définissant les contrats. Tous les auteurs modernes la reproduisent ou se contentent de la traduire ».

53 Dig. 44, 7, 3 pr. selon cette formule, « L’obligation est le lien de droit par lequel nous sommes astreints à la nécessité de payer quelque chose à quelqu’un conformément au droit de notre cité » :

54 D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF ; Voir : « Obligations », p. 1097. Voir également : G. RIPERT, La règle morale dans les obligations civiles, op. cit., n° 203, p. 381 : « L’obligation n’est pas une simple relation entre deux

patrimoines ; elle a toujours été et elle reste la soumission d’un homme à un autre homme, soumission qui ne peut être demandée et permis e que pour des fins légitimes, qui doit être contrôlée dans son existence et dans son exécution par le législateur et par le juge ».

55 J. GAUDEMET, « Naissance d’une notion juridique. Les débuts de l’"obligation" dans le droit de la Rome antique », Archives

de Philosophie du droit, t. 44, Dalloz, 2000, p.22.

56 Voir N. HAGE-CHAHINE, La distinction de l’obligation et du devoir en droit privé, Préf. Y. Lequette, Editions Panthéon-Assas, 2017, n° 133, p. 116-117 : « Le critère proposé consacre une conception patrimoniale de l’obligation. Dans cette conception, la patrimonia lité

de l’obligation est admise à la manière d’un postulat qui ne fait plus l’objet d’une démonstration positive par les auteurs q ui l’adoptent. Plusieurs manuels de droit des obligations affirment que l’obligation a un « caractère pécuniaire » sans aucune justification perceptible. On relève même des incohérences chez certains auteurs qui présentent l’obligation comme ayant un caractère pécuniaire, tout en reconnaissant l’e xistence d’obligations extrapatrimoniales ou ne conférant qu’un intérêt moral au créancier. Pourtant, aucun texte du Code civil n’exige la patrimonialité de l’obligation. Au contraire, la patrimonialité n’est pas de l’essence de l’obligation ».

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de tenter de déterminer la qualité du débiteur de la créance cédée en partant de l’idée qu’il est partie à un lien juridique dont il ne fait que subir le changement de créancier ?

D’autre part, cette compréhension de la cession en un acte translatif d’obligation est à l’origine de la vision classique selon laquelle la cession de créance serait un acte neutre pour le débiteur57, parce qu’elle ne ferait que transférer la même obligation dans le patrimoine du cessionnaire. Le débiteur ne subirait donc aucune modification dans sa situation juridique. Mais, à y regarder de plus près, une telle conclusion est peut-être hâtive58. Que dire de l’hypothèse dans laquelle le créancier cède à différentes personnes une partie de la créance ? La cession de créance est-elle vraiment indifférente pour le débiteur lorsqu’il dispose d’un droit de compensation à faire valoir à l’encontre de son créancier originaire ? Ou encore, dans l’hypothèse d’une contre-lettre existant entre le créancier originaire et le débiteur, ce dernier pourrait-il l’invoquer à l’encontre du cessionnaire ? La neutralité de la cession de créance à l’égard du débiteur est contestable. Si l’on pense aux créanciers ayant fait remise du restant de leurs créances au Birotteau dans l’œuvre de Balzac59 et au créancier Shylock dans Le

marchand de Venise60, il semble difficile d’affirmer que la personne du créancier est indifférente au débiteur.

12. Si obligation et créance ne se confondent pas, la conclusion selon laquelle un transfert de créance opère un transfert d’obligation ne s’impose pas non plus. Certes, la créance, comme la dette, sont des effets de l’obligation et, par conséquent, elles sont étroitement liées à celle-ci. Mais corrélation ne signifie pas identification : si le transfert de la créance a nécessairement des incidences sur l’obligation -le vinculum juris-, on ne doit pas conclure qu’il en résulte le transfert de celle-ci. En raison de la cession, le créancier originaire sort du rapport qui le lie à son débiteur pour laisser la place à quelqu’un d’autre qui viendra prendre sa position. La mise en avant de l’obligation en tant que lien juridique ne peut nous laisser indifférents à cette mutation. Il est important de redonner toute son

57 Par exemple en droit français : E. GAUDEMET, Étude sur le transport de dettes à titre particulier, op. cit., p. 35 : « De même on

s’explique facilement que la succession aux créances devance la succession aux dettes. D’une part, la créance peut être conçu e comme une valeur

(…). D’autre part, le changement de créancier ne porte aucune atteinte aux intérêts du débiteur, tandis que le changement de débiteur peut être

préjudiciable au créancier » (nous soulignons). Quant au droit colombien : C. GOMEZ ESTRADA, De los principales contratos civiles, 4e éd., Temis, 2008, p. 149.

58 J. CARBONNIER,Droit civil, t. II, Les biens, Les obligations, op. cit., n° 1234, p. 2458 : « D’une façon générale, c’est seulement dans une

théorie très abstraite de l’obligation qu’on peut considérer le changement de créancier comme indifférent au cédé : le rapport d’obligation est un rapport psychologique, et du créancier inconnu, le débiteur peut redouter un manque d’égards, voire une hostilité dramatique ».

59 Honoré de Balzac, Œuvres complètes, Arvensa éditions, p. 5063 : « Moyennant l’abandon de vos valeurs, dit Camusot à Birotteau, vos

créanciers vous font, à l’unanimité, remise du restant de leurs créances, votre Concordat est conçu en des termes qui peuvent adoucir votre chagrin ; votre Agrée le fera promptement homologuer : vous voilà libre ».

60SHAKESPEARE, Le marchand de Venise, Acte Quatrième, Scène I, à propos du billet prévoyant au profit de Shylock le droit d’exiger une livre de chair d’Antonio, celui-ciayant manqué à son obligation de rembourser les trois milles ducats dans les trois mois fixés : « PORTIA : Le procès que vous avez intenté est d’étrange nature. Cependant, vous êtes tellement en règle que les lois de

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