• Aucun résultat trouvé

Les frontières invisibles de l’embauche des Québécois minoritaires : hiérarchie ethnique, effet modérateur du genre féminin et discrimination systémique : dévoiler la barrière à l’emploi par un testing à Québec

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les frontières invisibles de l’embauche des Québécois minoritaires : hiérarchie ethnique, effet modérateur du genre féminin et discrimination systémique : dévoiler la barrière à l’emploi par un testing à Québec"

Copied!
269
0
0

Texte intégral

(1)

Les frontières invisibles de l’embauche des Québécois

minoritaires : hiérarchie ethnique, effet modérateur du

genre féminin et discrimination systémique -

Dévoiler

la barrière à l’emploi par un testing à Québec

Thèse

Jean-Philippe Beauregard

Doctorat en sociologie

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

(2)

Les frontières invisibles de l’embauche des

Québécois minoritaires : hiérarchie ethnique, effet

modérateur du genre féminin et discrimination

systémique

Dévoiler la barrière à l’emploi par un

testing

à Québec

Thèse

Jean-Philippe Beauregard

Sous la direction de :

(3)

Résumé

Dans la foulée de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’adoption du Civil Rights Act aux États-Unis, une tradition de recherche originale s’est construite autour de la méthode du testing. Combinant offres d’emploi réelles et CV fictifs construits par les chercheurs, celle-ci permet de mesurer précisément l’ampleur de la discrimination survenant à l’étape du tri des CV. Affectant autant les immigrants que leurs descendants, l’ethnicité en soi serait le principal facteur à l’origine de ce fait social qui est désormais largement documenté dans les sociétés occidentales. Malgré l’adoption d’une pluralité de lois, de chartes, de politiques et de programmes d’accès à l’égalité pour contrer cette discrimination structurelle, les auteurs des méta-analyses estiment que les candidats minoritaires doivent envoyer 50% plus de CV afin d’accéder à autant d’entrevues que les postulants majoritaires. Cet enjeu serait d’une moindre ampleur au Canada.

Selon la première enquête par testing menée à Montréal par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), un majoritaire dénommé Tremblay avait un avantage à l’embauche de plus de 60% sur les Québécois arabes, latino-américains et noirs. Cela confirme les conclusions d’autres études ayant montré que certaines personnes nées, entièrement socialisées et scolarisées au Québec subissent souvent du profilage, des actes haineux, de la discrimination ou du racisme. En ce sens, l’hypothèse du caractère systémique de ces traitements inégaux – partiellement confirmée par les résultats et les analyses de cette enquête – est vivement débattue sur la place publique et divise la population québécoise. Inscrits malgré eux dans un rapport social leur assignant le statut de minoritaire en raison de la consonance de leur nom rappelant une origine ethnique autre que celle du groupe majoritaire, ces personnes peinent à se trouver un emploi décent. Leurs compétences sont souvent occultées par les préjugés, les stéréotypes et les biais inconscients. Qui plus est, les femmes des groupes racisés seraient davantage préjudiciables en raison des effets croisés négatifs de leur genre, leur origine nationale et leur appartenance ethnique qui contribueraient à les invisibiliser. Malgré l’évidence apportée par les récents tests de correspondance menés au Québec, ayant montré que le phénomène est omniprésent et persistant, il demeure ardu de cerner si le fondement de la discrimination à l’embauche est rationnel ou implicite, universaliste ou particulariste. Nuisant à l’intégration socioprofessionnelle des minorités, cette barrière symbolique et structurelle interroge l’effectivité du principe de l’égalité des chances sur les marchés de l’emploi. Or, dans la région métropolitaine de Québec, depuis longtemps caractérisée par une faible diversité ethnique et plus récemment

(4)

par une rareté de la main-d’œuvre, qu’en est-il de la discrimination à l’embauche des minorités ethnoraciales? Est-ce un fait social plus substantiel que dans la métropole québécoise?

Avec une méthodologie novatrice inspirée de l’approche intersectionnelle, nous avons effectué un test de correspondance à Québec. Si l’objectif de cette enquête était davantage empirique - soit de colliger un large échantillon de données afin d’analyser l’impact croisé du genre et de l’ethnicité à l’embauche, l’insertion de cette étude dans les débats théoriques représentait également un objectif essentiel de cette thèse. Avec un échantillon totalisant près de 2 000 CV et plus de 700 offres d’emploi en administration et en informatique, les résultats ont montré que la discrimination est marquée par une hiérarchie ethnique affectant particulièrement certaines minorités. Ainsi, la discrimination ethnoraciale à l’embauche est dorénavant documentée tant à Montréal qu’à Québec et, fait étonnant, elle est globalement d’une ampleur équivalente dans ces deux régions métropolitaines. Si la situation est préoccupante pour les Arabo- et les Afro-Québécois, elle semble favorable pour les Latinos-Québécois qui ne sont pas discriminés significativement. Pour toutes les minoritaires féminines, la compétition contre l’unique candidat majoritaire – aussi dénommé Tremblay – s’est soldée par une discrimination moins substantielle que prévue. Lueur d’espoir s’il en est, l’effet modérateur du genre confère un avantage relatif aux femmes racisées, lesquelles sont souvent traitées plus inégalement que leurs confrères au Québec. Néanmoins, la persistance de la discrimination systémique à l’égard des minorités québécoises, soit-elle rationnelle ou implicite, demeure un enjeu d’actualité complexe. Avec la rareté de la main-d’œuvre, les employeurs s’ouvriront-ils davantage aux Québécoises et Québécois dont le nom signale une ethnicité autre que celle du groupe majoritaire?

Mots clés : discrimination à l’embauche, test de correspondance, minorité, ethnicité, ville de Québec, genre, intersectionnalité.

(5)

Abstract

Following the adoption of the Universal Declaration of Human Rights by the United Nations and Civil Rights Act in the United States, a tradition of research was built around the testing method. Combining real job offers and fictitious resumes made by the researchers, the original device allows to measure precisely the extent of employment discrimination at the CV screening stage. Affecting both immigrants and their descendants, ethnicity per se is seen as the main factor driving such unequal treatment, a social fact that is now well-documented in most of western societies. Nonetheless the adoption of laws, charts, public policies and affirmative action programs to counteract this structural discrimination, authors of metaanalyses estimate that minority applicants need to send 50% more resume in order to access equal amount of job interview than majority candidate. This specific issue appears to be smaller in Canada.

Inquiry presented below aims to expand the analysis of this issue by providing empirical insights about how ethnic minorities face varying degrees of employment discrimination in Quebec City. In this metropolitan area, a cultural context characterized by low ethnic diversity and a large French-Canadian majority, issue is assumed larger than in cosmopolitan Montreal. Also, in an unorthodox approach, the intersection of ethnic minority and Female gender is being explored. The inquiry is based on a correspondence test including almost 2 000 resumes and more than 700 job offers. Comprising mostly business administration jobs of various qualification levels, sample also contains a proportion of computer science jobs.

On a positive note, results suggest Latin-American Female and Male are not significantly discriminated. In contrast, Arab and African minorities endure a persisting and high level of unequal treatment, especially Males. Research results show various barriers in the hiring process and an ethnic hierarchy appearing to be moderated by Female gender. To deepen further this analysis, researchers are encouraged to replicate similar audit study with a White Female majority candidate. This thesis fulfils three identified gaps in the literature. First, by studying employment discrimination of the three largest ethnic minorities in Quebec metropolitan area. Second, inspired by the intersectional approach, by implementing an audit study for analysing the intersection of Female gender with ethnic minority origin. Last, by targeting computer science jobs. The enduring systemic discrimination hampering Quebec’s minorities in their access to decent jobs, be it rational or implicit, remains a complex and an urgent issue. Yet, minority applicants used in this testing – possibly born, entirely raised and schooled in Quebec society –

(6)

are often subject to profiling, heinous acts, discrimination and racism. Because of the persistent scarcity of human resources, will employers get more engaged toward qualified Quebecers which names are signalling an origin different from the French-Canadian majority?

Keywords: Hiring discrimination, correspondence testing, minority, ethnicity, Quebec City, gender, intersectionality.

(7)

Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iv

Table des matières ... vi

Liste des tableaux ... xii

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... xiv

Remerciements ... xviii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Discriminations et frontières ethniques ... 5

1.1 Statuts ... 6

1.1.1 Majoritaires ... 6

1.1.2 Minoritaires ... 7

1.1.3 Égalités ... 8

1.1.4 Tri des curriculum vitae ... 10

1.1.4.1 Biais potentiels ... 10 1.1.4.2 Sources de biais ... 11 1.1.4.3 Pistes de solutions ... 12 1.2 Discriminations ... 13 1.2.1 Causes de la discrimination ... 14 1.2.1.1 Facteurs intrapsychiques ... 15 1.1.2.2 Facteurs organisationnels ... 16 1.1.2.3 Facteurs structurels ... 16 1.2.2 Formes de discrimination ... 17

1.2.3 Approche de la discrimination systémique ... 18

1.2.3.1 Programmes d’accès à l’égalité ... 19

1.2.4 Discrimination à l’embauche ... 20

1.2.4.1 À Montréal ... 21

(8)

1.2.4.3 En fauteuil roulant ... 22 1.2.4.4 À Québec ... 23 1.3 Ethnicités ... 24 1.3.1 Frontières ... 24 1.3.2 Nation ... 26 1.3.3 Minorités ... 27

1.3.4 Rapports sociaux ethniques ... 29

1.4 Intersectionnalité ... 31

1.4.1 Sexe, ethnicité et inégalités ... 31

1.4.2 Outil d’analyse et praxis ... 32

1.4.3 Thématiques et domaines de pouvoir ... 34

1.4.4 Discrimination intersectionnelle ... 38

1.4.5.1 Droit antidiscriminatoire... 38

1.4.5.2 Testings intersectionnels ... 39

Chapitre 2 : Inégalités systémiques à l’embauche ... 42

2.1 Débat sur les inégalités ... 43

2.1.1 Thèse du marché ... 43

2.1.2 Thèse du contact ... 45

2.1.3 Thèse de la transformation ... 46

2.1.4 Thèse de la discrimination indifférenciée ... 48

2.2 Traditions de recherche ... 50

2.2.1 Essor du testing à l’embauche ... 51

2.2.1.1 Amérique du Nord et Australie ... 52

2.2.1.2 Enquêtes du Bureau international du travail en Europe ... 54

2.2.2 Virtualisation des tests écrits ... 56

2.2.3 Variables secondaires ... 57

2.2.3.1 Orientation sexuelle ... 58

2.2.3.2 Religion ... 58

(9)

2.2.4 Tendances de fond ... 62

2.3 Enjeux de la discrimination ... 64

2.3.1 Enjeux psychosociologiques ... 64

2.3.2 Enjeux juridiques ... 65

2.3.3 Enjeux de santé mentale ... 67

2.3.4 Stratégies individuelles ... 68

2.4 Théories de la discrimination ... 69

2.4.1 Théories économiques ... 69

2.4.2 Théories psychosociologiques ... 71

2.4.2.1 Théorie du conflit réel ... 71

2.4.2.2 Théorie de l’identité sociale ... 71

2.4.2.3 Théorie de la dominance sociale ... 72

2.4.2.4 Théorie de la discrimination implicite... 72

Chapitre 3 : Méthodologie : un terrain virtuel ... 74

3.1 Origines du testing... 74 3.1.1 Tests de situation ... 74 3.1.2 Tests de correspondance ... 76 3.2 Enjeux de testing ... 77 3.2.1 Enjeux méthodologiques ... 77 3.2.2 Enjeux épistémologiques ... 78 3.2.3 Enjeux éthiques ... 81

3.3 Dispositif de testing intersectionnel ... 83

3.3.1 Choix méthodologiques ... 83

3.3.2 Construction des outils d’enquête ... 85

3.3.2.1 Prétest ... 86

3.3.2.2 Testing principal ... 87

3.3.3 Orientations empiriques ... 88

3.3.3.1 Questions de recherche ... 88

(10)

3.4 Déroulement des tests ... 90

3.4.1 Prétest ... 91

3.4.2 Apports de la recherche-médiation ... 92

3.4.3 Testing principal ... 93

Chapitre 4 : Résultats : une enquête de deux mille CV ... 95

4.1 Prétest ... 95

4.1.1 Catégories d’emploi... 96

4.1.2 Sexe ... 97

4.1.3 Ethnicité maghrébine ... 99

4.2 Testing principal ...100

4.2.1 Statut et niveau de qualification ... 101

4.2.2 Ethnicité ... 103

4.2.3 Genre ... 105

4.2.4 Ethnicité et genre ... 106

4.3 Sous-variables ...108

4.3.1 Statuts des employeurs ... 108

4.3.2 Secteurs : administration et informatique ... 109

4.3.2.1 Administration...110 4.3.2.2 Informatique ...111 4.3.3 Catégories d’emplois ... 112 4.3.3.1 Comptabilité ...113 4.3.3.2 Administration générale ...113 4.3.4 Variables de contrôle ... 115

4.3.4.1 Ordre d’envoi des CV ...115

4.3.4.2 Gabarit de CV ...115

4.3.4.3 Gabarit de lettre ...116

4.3.4.4 Lieu des emplois...117

4.4 Données qualitatives ...119

(11)

5.1 Retour sur les hypothèses ...123

5.1.1 Montréal versus Québec ... 123

5.1.2 Préférences et antipathies des employeurs ... 124

5.1.3 Effet modérateur du genre féminin ... 127

5.1.4 Stigmatisation des Arabo- et Afro-Québécois ... 128

5.2 Sous-variables agissantes ...131

5.2.1 Effet de la région de Québec ... 131

5.3.2 Principe d’équité : équitable? ... 133

5.2.3 Diverses inégalités à l’embauche ... 136

5.2.3.1 Administration et informatique ...136 5.2.3.2 L’aporie de la discrimination en GRH ...138 5.2.4 Avantages du baccalauréat ... 139 5.2.4.1 Formation professionnelle ...139 5.2.4.2 Formation collégiale ...141 5.2.4.3 Formation universitaire ...143

5.3 De quelle discrimination parle-t-on? ...145

5.3.1 Discrimination indifférenciée ... 145 5.3.2 Discrimination hiérarchisée ... 146 5.3.3 Discrimination intersectionnelle ... 150 5.3.4 Discrimination ethnoreligieuse ... 151 5.3.5 Discrimination implicite ... 153 5.3.6 Discrimination statistique ... 154 5.3.7 Discrimination systémique ... 155 5.3.8 Discrimination raciste ... 157

5.4 Frontières invisibles et mouvantes ...160

5.4.1 Les mutations de la nation ... 160

5.4.2 L’État et la redéfinition du « Nous » ... 161

5.4.3 Ambiguïtés de l’identité et de la citoyenneté québécoises ... 163

(12)

Conclusion ...166

Annexe A : Gabarits du prétest ...171

Annexe B : Gabarits du testing principal ...188

(13)

Liste des tableaux

Tableau 1 : Taux nets de discrimination à l’embauche dans la première phase des études du BIT (p. 54)

Tableau 2 : Taux nets de discrimination à l’embauche dans la seconde phase des études du BIT (p. 55)

Tableau 3 : Répartition des minorités visibles (MV) et de leurs taux de chômage au Québec et dans les régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal et de Québec (p. 84)

Tableau 4 : Type de traitement observé selon les catégories d’emplois (p. 96)

Tableau 5 : Type de traitement observé selon le genre du candidat minoritaire (p. 98) Tableau 6 : Type de traitement observé selon l’origine ethnique des candidats (p. 99) Tableau 7: Taux de rappel selon le statut des candidats (p. 101)

Tableau 8: Taux de rappel selon le statut et le niveau de qualification des candidats (p. 101) Tableau 9 : Taux de rappel selon le statut et l’ethnicité des candidats (p. 103)

Tableau 10 : Taux de rappel selon le statut et le genre des candidats (p. 104)

Tableau 11 : Taux de rappel selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 106)

Tableau 12 : Taux de rappel dans le secteur privé selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 108)

Tableau 13 : Taux de rappel pour les emplois en administration selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 109)

Tableau 14 : Taux de rappel pour les emplois en informatique selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 111)

Tableau 15 : Taux de rappel pour les emplois en comptabilité selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 112)

Tableau 16 : Taux de rappel pour les emplois en administration générale, le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 113)

Tableau 17 : Taux de rappel à Québec selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 116)

(14)

Tableau 19 : Taux de rappel selon la non-adhésion des employeurs au principe d’équité en emploi, le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 133)

Tableau 20 : Taux de rappel pour les emplois peu qualifiés selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 138)

Tableau 21 : Taux de rappel pour les emplois moyennement qualifiés selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 140)

Tableau 22 : Taux de rappel pour les emplois très qualifiés selon le statut, l’ethnicité et le genre des candidats (p. 142)

Tableau 23 : Ratios selon le niveau de qualification des emplois, le lieu des testings et l’origine ethnique des candidats minoritaires (p. 146)

(15)

Liste des abréviations, sigles, acronymes

ACFAS : Association francophone pour le savoir

ACSALF : Association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française AEC : attestation d’études collégiales

AISLF : Association internationale des sociologues de langue française BIT : Bureau international du travail

CEETUM : Centre d’études ethniques des universités montréalaises CDPDJ : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse CPA: comptable professionnel agréé

CRHA : conseillère ou conseiller en ressources humaines agréé

CRIDE : Chaire de recherche sur l’intégration et la gestion des diversités en emploi CRSH : Conseil de Recherches en sciences humaines du Canada

CV : curriculum vitae

DEC : diplôme d’études collégiales DEP : diplôme d’études professionnelles

DESS : diplôme d’études supérieures spécialisées

EDI : Equality, Diversity & Inclusion – Équité, diversité et inclusion GRH : gestion des ressources humaines

MV : minorités visibles

(16)

PAÉ : programmes d’accès à l’égalité PME : petites et moyennes entreprises

RéDoc : Réseau international d’écoles doctorales en sociologie / sciences sociales RH : ressources humaines

RMR : région métropolitaine de recensement

UNESCO : Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture UNITAR : Institut des Nations unies pour la formation et la recherche

(17)

Cette thèse est dédiée à toutes les Québécoises et tous les Québécois dont les droits garantis par la Charte sont injustement brimés par toute forme de discrimination, quel qu’en soit le motif.

(18)

« Quand, donc, le sociologue entreprend d’explorer un ordre quelconque de faits sociaux, il doit s’efforcer de les considérer par un côté où ils se présentent isolés de leurs manifestations individuelles. » (Durkheim, 2007 [1937], p. 45)

(19)

Remerciements

Merci à mes parents de m’avoir éduqué dans une famille saine où j’ai pu développer l’estime de soi si vitale à la poursuite d’études post-secondaires et dans la vie en général. Depuis le début de la maîtrise, Daniel m’a guidé dans le monde des cycles supérieurs. Grazie mille pour ton soutien continu et ta confiance

en mes capacités de mener mon projet d’études doctorales à terme. Toujours présent, aux moments les plus opportuns. Un merci particulier à Guy pour avoir réactivé en moi l’idée de « faire » un doctorat, ainsi qu’à tous les membres du jury (Sébastien, Charles, Marie-Thérèse et Richard) pour leurs encouragements et leurs critiques constructives. Et à mon père et mon amie Isa pour la lecture complète du premier jet de la thèse. Merci au CRSH et à l’Université Laval de m’avoir appuyé financièrement dans ce parcours académique.

De nombreuses autres personnes ont mis une pierre à l’édifice de cette thèse. Merci à Gabriel et Renaud de vous être engagés dans l’aventure d’un « premier » testing à Québec, à l’aube de l’après attentat

à la Grande mosquée, le 29 janvier 2017. Des souvenirs à la fois tristes et féconds, comme Recherches sociographiques en témoignera. Merci à Sylvie d’avoir cru en moi et en ce projet d’article dès notre première

rencontre. À Paul Eid pour le partage des CV du testing montréalais de la CDPDJ. Merci à Arfinn

Midtbøen et Devah Pager pour leur collaboration. À Évelyne pour la révision des CV. Merci à Caroline et Gabriel pour les rappels des employeurs lors des testings. À Christèle, Saïd et Ariane de m’avoir accepté

pour ma première communication au colloque international de l’Université de Poitiers. Merci à l’ACSALF et l’ACFAS de m’avoir permis de présenter mes travaux lors de leurs colloques et congrès annuels. À

Radio-Canada, au Journal de Québec, à La Presse et au mensuel Les immigrants de la Capitale d’avoir donné un

important écho médiatique à mes travaux de recherche. À Tania et Marie-Thérèse de m’avoir accueilli au colloque du CEETUM et de m’avoir invité à présenter à celui de l’EDI. Merci à l’équipe ayant organisé l’Université d’été du RÉDOC à Ottawa, plus particulièrement à Jean-Marc. À Kamel de m’avoir permis de coorganiser un colloque de la CRIDE, fait entrer dans son réseau et proposé de poursuivre mes études au sein de la Chaire. Merci à Éric Desrosiers du journal Le Devoir d’avoir écrit un article résumant

habilement les idées centrales de ma thèse, avant l’heure de la soutenance. À Mamadou de m’avoir initié aux rudiments d’un nouveau langage, indispensable.

Merci à Mathieu et Julien – sources intarissables de fierté, Marzia, sœurs, frère et siblings, amies et

amis, collègues et étudiants des universités et du Cégep Limoilou, personnes rencontrées dans les colloques et les retraites de rédaction organisées par Thésez-vous et la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval. Ce fut un plaisir inestimable que de pouvoir rédiger sereinement dans ces espaces stimulants et parfois carrément inoubliables – comme à l’Abbaye St-Benoit-du-Lac!

(20)

Introduction

Depuis 2016, le gouvernement des États-Unis persiste dans son projet d’érection d’un mur à la frontière sud du pays afin de mieux contrôler l’arrivée d’immigrants. Si l’efficacité réelle d’une telle mesure demeure à être démontrée (Bureau, 2019), ce symbole de fermeture agit sur l’opinion des gens et polarise les électeurs. Dans plusieurs pays européens où des candidats de l’extrême droite ont été élus, des enjeux similaires se posent. Au Québec, le changement de gouvernement en 2018 s’est accompagné de projets de loi et de lois visant à réduire le nombre d’immigrants et interdire le port de signes religieux pour certains emplois. Cela permettra-t-il d’améliorer les relations entre les Québécois majoritaires et minoritaires, comme le pense le premier ministre? Cette vision de la laïcité est-elle compatible avec le pluralisme culturel et l’ouverture que la majorité de la population québécoise manifeste envers la diversité (Dutrisac, 2019)?

Quand les gens viennent s’installer ici pour améliorer leurs conditions de vie, la recherche d’emploi pour subvenir à leurs besoins peut s’avérer un défi de taille. En sus de devoir composer avec les valeurs et les façons de faire propres à la société québécoise, l’intégration sociale et professionnelle des immigrants est marquée par des obstacles tels la maîtrise de la langue française, la reconnaissance des diplômes acquis à l’étranger, l’absence d’expérience de travail en sol canadien, etc. Ces difficultés tendent à s’estomper après quelques années, mais certains enjeux sont tenaces et perdurent, parfois même au-delà de la première génération. Des études ont montré que certaines personnes nées, entièrement socialisées et scolarisées au Québec sont souvent discriminées dans leur accès à l’emploi. Inscrits malgré eux dans un rapport social leur assignant le statut de minoritaire en raison de leur ethnicité, ces Québécoises et ces Québécois ne peuvent compter sur le principe de l’égalité des chances dans leur insertion sur les marchés de l’emploi.

Depuis longtemps, une nette majorité des immigrants arrivant au Québec choisit de vivre dans la région de Montréal. Rares sont ceux qui tentent leur chance ailleurs dans la province. Dans la seconde région métropolitaine, à Québec, les immigrants - ou personnes nées à l’étranger - comptent pour moins de 5% de la population (Lesage, 2011). Récemment, dans un contexte marqué par la rareté de la main-d’œuvre, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante a demandé au gouvernement d’accepter davantage de travailleurs étrangers non qualifiés afin de pallier l’inadéquation entre les candidats très qualifiés qui sont sélectionnés et les besoins réels des PME (Champagne, 2016). Selon un sondage, environ 70% des entreprises auraient de la

(21)

difficulté à recruter de la main-d’œuvre, surtout pour des emplois exigeant une formation collégiale ou secondaire, voire aucune formation (Lévesque, 2017). Ainsi, les difficultés éprouvées par nombre d’immigrants à se trouver un emploi découleraient de l’inadéquation de leur niveau de formation en regard des besoins des entreprises, plutôt que de leur identité en soi. Bien que certains recruteurs fassent des pieds et des mains pour attirer ces candidats, d’autres demeurent réfractaires à embaucher des immigrants, et ce, même s’ils déplorent les pénuries de main-d'œuvre (Saint-Arnaud, 2018). En effet, tout n’est pas que question d’emplois. La réalité des Québécoises et des Québécois issus de l’immigration comporte plusieurs enjeux, qui se trouvent à être complexifiés par la présence sur la place publique de groupes de l’extrême droite. Dans les années 1990, de tels groupes avaient engendré de la violence raciste et dépeint l’immigrant du Québec comme « un être impur, non blanc et non québécois » (Bataille et coll., 1998, p. 126). Plus récemment, avant l’attentat à la Grande mosquée de Québec, d’autres groupes ont propagé des discours hostiles à l’immigration et à l’islam, notamment via des autocollants affichant le slogan « Brûle ta mosquée locale » (Porter et Sioui, 2017). L’étude d’une vingtaine de ces groupes partageant un nationalisme exclusif a montré que leur présence publique était plus visible et décomplexée que par le passé (Porter, 2017). L’exacerbation des tensions sociales autour des enjeux identitaires nuit à la cohésion de la société québécoise, soit aux relations entre les majoritaires et les minoritaires.

La tension est particulièrement vive lorsqu’il est question de religion, surtout de l’islam, d’un projet de mosquée, d’un cimetière musulman, du port du voile1, etc. Depuis les années

2000, les francophones du Maghreb représentent l’un des plus importants groupes issus de l’immigration au Québec. Or, les événements du 11 septembre 2001, la « crise » des accommodements raisonnables et le projet de loi 60 - Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement - ont contribué à propager des attitudes négatives à l’égard des individus et des groupes identifiés comme arabes ou musulmans (Arcand et coll., 2009; Gauthier, 2016). Conjuguée à la réticence croissante des employeurs à embaucher les immigrants, leur insertion en emploi est freinée par plusieurs obstacles, dont la discrimination. Analysant le processus de déqualification des immigrantes, M.-T. Chicha (2012) a montré que celles-ci étaient plus susceptibles que leurs pairs masculins de connaître un taux de chômage élevé, d’avoir de faibles

(22)

revenus et des conditions de travail précaires. Selon la chercheuse, il faut recadrer leur situation dans la perspective d’une discrimination systémique et intersectionnelle car elle résulte du cumul de plusieurs motifs de discrimination, soit les effets croisés négatifs du genre, de l’origine et de l’appartenance ethnique. Les politiques actuelles qui encadrent la sélection et l’intégration des immigrants ainsi que la lutte contre la discrimination contribueraient, selon elle, à nier ces spécificités et à les invisibiliser. Selon une étude de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques, la discrimination systémique toucherait surtout les personnes immigrantes issues des « minorités visibles » et celles ayant un nom « qui ne sonne pas québécois » (Poirier, 2016).

Par ailleurs, la récente polarisation autour de la consultation publique sur la discrimination systémique et le racisme au Québec a témoigné de la division de la population québécoise sur ces enjeux. Il en va de même pour les opinions rapportées dans les sondages indiquant l’ambivalence des Québécois dans leur rapport à l’immigration. Dans l’un de ceux-ci, près d’une personne sur trois souhaite que le gouvernement interdise carrément l’immigration des musulmans et environ 40% estime que la « pureté du pays » est menacée par la trop grande présence des immigrants en général (Pouliot et Julien, 2017). Dans un autre sondage, environ 70% de la population croit qu’on a besoin de l’immigration pour répondre à l’actuelle rareté de main-d’œuvre et que les immigrants apportent une contribution positive au Québec. Paradoxalement, dans le même échantillon, environ la moitié des gens estime que les immigrants sont mal intégrés et qu’il y en a trop au Québec (Perreault, 2018). Bref, la peur de l’Autre et de sa différence semble persister chez les Québécois majoritaires et il est probable que les relations entre ceux-ci et les minorités aient souffert des actes à caractère haineux commis dans les dernières années (Asal et coll., 2019). Dans ce contexte, nous avons étudié ces relations ethniques en focalisant sur l’accès à l’emploi des minorités racisées.

Dans le premier chapitre, les concepts de majorité, minorité, égalité, ethnicité, intersectionnalité, discrimination à l’embauche ainsi que l’approche systémique sont abordés. Ensuite, le second chapitre traite du débat sur les inégalités, des traditions de recherche fondées sur le testing, des enjeux et des modèles théoriques de la discrimination. Dans le troisième chapitre, nous présentons la méthode du testing et le dispositif méthodologique intersectionnel novateur conçu afin d’examiner les effets croisés de l’ethnicité et du sexe dans la région métropolitaine de Québec. Le quatrième chapitre présente les résultats de l’enquête – en incluant le prétest et le testing principal – totalisant près de 2 000 CV. Puis, au cinquième chapitre,

(23)

l’interprétation de ces données montre l’existence de la discrimination ethnoraciale à l’embauche ainsi qu’une hiérarchie ethnique atténuée par le sexe féminin. Aussi, nous évaluons ces relations ethniques entre majoritaires et minoritaires en lien avec les enjeux relatifs à l’identité québécoise. Finalement, nous identifions les limites et les faits saillants de l’enquête. Nous suggérons aussi des pistes de recherche visant à mieux comprendre les pratiques et les motifs à l’origine des frontières ethniques privant des Québécoises et des Québécois d’accéder librement à l’étape de l’entrevue, étape essentielle à l’obtention d’un emploi, ainsi que deux recommandations pour le gouvernement.

(24)

Chapitre 1 : Discriminations et frontières ethniques

Depuis le milieu du 20e siècle, les origines de la population québécoise n’ont cessé de se

diversifier avec l’immigration2. Pendant ce temps, les idéaux des droits de la personne ainsi que

les luttes des minorités pour l’égalité ont acquis une légitimité accrue. De plus, à cause d’événements tels le referendum de 19953 ayant augmenté les tensions entre les majoritaires et

les minoritaires, le racisme et la discrimination ont rejoint le débat public à la fin des années 1990 (Bataille et coll., 1998; Bauer, 1994; Bourhis et Montreuil, 2004). Néanmoins, l’étude des préjugés raciaux et de la discrimination demeure une question sensible en raison du statut symbolique et matériel de minoritaire du Québec, tant au sein de l’Amérique du Nord qu’au Canada (Bourhis et Gagnon, 1994; Potvin et Latraverse, 2004). Très développées dans le reste du Canada (Wilkinson, 2003), les recherches sur l’ethnicité feraient l’objet d’une suspicion ancrée dans l’essor du nationalisme québécois4. En raison des enjeux liés au double statut du groupe

francophone, à la fois minoritaire au Canada et majoritaire au Québec, les études ethniques québécoises n’ont pas connu un développement aussi important qu’aux États-Unis, en Europe et dans le reste du Canada. Si le profilage racial (Eid et coll., 2011) et la discrimination à l’embauche des minorités racisées (Eid et coll., 2012) ont fait l’objet de vastes enquêtes, ces enjeux demeurent souvent confinés à la métropole québécoise.

Analysant la transformation des frontières ethniques au Québec, des critères d’inclusion et du Nous collectif, la sociologue D. Juteau (2015) estime que les minorités en sont exclues de facto. Quant à la sociologue S. Bilge (2018), elle considère que les études existantes servent surtout à discuter des politiques publiques dans une posture peu critique en raison de l’hégémonie de la rhétorique d’une nation qui est toujours fragile et blessée. Malgré la pertinence de ces positions critiques, des recherches menées en sciences sociales5 ont contribué à mieux

2 Contrairement aux immigrants précédents, surtout originaires d’Europe, les Québécois francophones ont été confrontés à de nouvelles minorités aux origines très différentes, soit non chrétiennes et venant de sociétés aux cultures souvent mal comprises ou peu connues (Bauer, 1994).

3 Dans une perspective similaire, Le Moing (2016) estime que la « crise » des accommodements raisonnables a contribué à renforcer les préjugés racistes et la discrimination.

4 Selon Bataille et coll. (1998), dans une période où l’emploi était rare au Québec, la discrimination en emploi a été une stratégie visant à protéger le marché contre l’entrée des minoritaires.

5 Selon Potvin et Latraverse (2004, p. 45) : « les sciences sociales ont largement contribué, directement ou indirectement, à l’évolution de la compréhension de la discrimination et à la légitimité sociale de l’approche systémique, par la construction de diagnostics ou d’évidences de son existence, de sa dynamique collective, de sa mesure

(25)

comprendre les causes et les conséquences de ces enjeux dans la société québécoise contemporaine.

Dans ce chapitre, nous abordons les statuts de majoritaires et de minoritaires ainsi que les concepts de la discrimination et d’ethnicité. Puis, nous examinons les conceptions de l’égalité et les biais inhérents au tri des CV dans le processus d’embauche. Enfin, nous abordons l’approche intersectionnelle, appliquée à la problématique de la discrimination.

1.1 Statuts

La sociologue L. Pietrantonio (2002) estime que le majoritaire constitue toujours le point de référence. Même silencieusement, ce dernier représente la meilleure manière d’être socialement. Le chercheur G. Bourgeault (2004) partage cette idée. D’après lui, le majoritaire perçoit et explique les actions des minoritaires en fonction de ses intérêts, demeurant souvent lui-même dans l’ordre de l’impensé. Dans toute analyse des rapports sociaux de pouvoir, la notion de majoritaire est centrale même si celle-ci reste le plus souvent implicite (Pietrantonio, 2002, 2005). Par exemple, nombre d’études basées sur la méthode du testing ont recours à ces notions pour cerner de manière générale le statut social des candidats, sans toutefois les définir. Selon nous, aborder le phénomène discriminatoire exige de définir le statut des individus impliqués dans le tri des CV.

1.1.1 Majoritaires

Qu’est-ce qu’un groupe majoritaire? Comment définit-on ce concept? Quel est son rapport avec les minorités? Deux visions distinctes permettent de rendre compte de ce qui distingue une majorité d’une minorité, un majoritaire d’un minoritaire. Dans le sens statistique, la majorité réfère au nombre d’individus représentant plus de la moitié d’une population donnée. Inversement, la minorité est un ensemble de personnes qui est moins nombreux qu’un autre groupe. Au Québec, il y a une majorité de gens qui parle le français et des minorités qui parlent l’anglais ou d’autres langues, dont celles autochtones.

La perspective sociologique implique de penser la terminologie majoritaire-minoritaire autrement. En effet, cette terminologie renvoie à un concept par lequel on caractérise un type particulier de relations sociales impliquant, sur plusieurs plans, de la domination (Juteau, 2015; Pietrantonio, 2005). La notion de majoritaire, dans son sens sociologique, ne réfère donc pas tellement à la prépondérance numérique d’un groupe, mais plutôt à sa prééminence en termes

(26)

de pouvoir. Sur la base de critères divers tels le sexe, l’ethnicité, ou le statut socioéconomique, par exemple, cette catégorisation s’effectue dans nombre de relations sociales. Ce rapport social de pouvoir instauré entre deux groupes comporte à la fois des dimensions symboliques et concrètes. Prenons l’exemple des femmes. Même si elles représentent environ la moitié de la population, elles sont fréquemment perçues et traitées comme des minoritaires et elles demeurent largement sous-représentées au sein des postes de pouvoir dans lesquels le rapport de domination est inhérent (Fabriès, 2019). C’est aussi le cas avec l’ethnicité. Il en va de même pour les chercheurs d’emplois. De facto, ceux-ci sont en position de dominés par rapport aux employeurs, souvent représentés par des conseillers en ressources humaines, qui déterminent les paramètres du processus d’embauche. Dans cette situation précise, le rapport dominant/dominé peut être double si le candidat appartient à un groupe ethnique minoritaire, voire triple s’il est de sexe féminin.

En somme, la majorité et les minorités entretiennent entre elles un rapport antagonique et dialectique. Dans le rapport social qui les constitue, elles occupent des positions inégales en matière de pouvoir et de statut. Si l’utilisation des termes de groupes majoritaire et minoritaires réfère implicitement à une relation dans laquelle il y a de la domination, on ne peut présupposer que celle-ci soit consciente, rationnelle ou délibérée. Étudier la discrimination ethnique à l’embauche s’inscrit dans cette perspective d’analyse. Dans ce texte, nous utilisons le terme majorité pour traiter du groupe majoritaire québécois et celui de majoritaire pour une personne appartenant à ce dernier. Similairement, nous employons le terme minorité pour parler d’une minorité québécoise et minoritaire pour une personne appartenant à ce groupe dominé. Ces notions, tout comme celles de minorité, d’égalité et d’ethnicité, sont imbriquées au cœur du tri des curriculum vitae.

1.1.2 Minoritaires

Les minoritaires sont définis par un rapport social dans lequel ils sont dominés par les majoritaires en termes de pouvoir et de statut. Selon la caractéristique choisie pour établir la distinction, il existe plusieurs termes pour qualifier les minorités. Sur le plan linguistique, pensons à l’utilisation des termes francophones, anglophones, allophones et autochtones. Cette distinction est commune et ne pose pas de problème, mais cela se complique lorsqu’il est question de l’origine ethnique ou du statut des immigrants. Au sens juridique, le terme d’immigrant réfère à une personne qui a été sélectionnée à la suite du processus mené

(27)

conjointement par les gouvernements du Canada et du Québec, puis admise au pays comme résidente permanente (Mc Andrew et coll., 2013a). N’ayant pas le statut de citoyen lui permettant de se présenter comme candidat pour accéder au pouvoir politique, l’immigrant6 est en position

de minoritaire par rapport aux Québécois natifs. Le traitement de l’origine ethnique, surtout dans les analyses statistiques, apporte aussi son lot de termes.

Les concepts de groupe ethnique – examiné ci-dessous - et de communauté culturelle ont été utilisés longtemps dans le discours public pour désigner les groupes composés de personnes dont les origines ne sont ni autochtone, ni française, ni anglaise. Le premier est davantage de mise en sociologie (Juteau, 2015) et au Canada alors que le second a été en usage seulement au Québec (Mc Andrew et coll., 2013b). Si ces deux concepts ont été fortement critiqués – chaque groupe possède sa propre culture, sa propre ethnicité – le concept de groupe ethnique a fini par s’imposer dans la littérature académique en raison de son caractère inclusif. Selon les auteurs, le second concept n’a jamais été défini de manière conceptuellement satisfaisante, même s’il figure dans des textes de loi. Un synonyme souvent employé à l’échelle internationale, notamment à l’UNESCO, est celui de minorité ethnoculturelle. Il désigne un groupe de personnes qui, selon leur langue, leur ethnicité, leur religion ou leur culture, est en minorité au sein d'une population donnée. Analyser les relations entre minoritaires et majoritaires, au sein desquelles les inégalités sont omniprésentes, implique également de se pencher sur le concept d’égalité.

1.1.3 Égalités

Habituellement définie de manière implicite en référence au marché du travail, l’égalité est une notion désignant des situations sociales exemptes d’entraves ou de discrimination (Pietrantonio, 2001, 2005). Vital dans les démocraties occidentales, le principe de l’égalité des chances ne se concrétise pas automatiquement dans la vie quotidienne. Au contraire, il existe souvent un décalage entre la théorie et la pratique. Dans son analyse des discours entourant le débat sur les programmes d’accès à l’égalité (PAÉ) en emploi au Québec, Pietrantonio (2001) a observé une double dualité des conceptions de l’égalité. D’une part, la simple description d’une recherche d’emploi donne parfois lieu à l’utilisation de deux verbes au sens distinct pour décrire la même

6 Selon McAndrew, Bakshaei et Ledent (2013a, p. 4), « il est préférable de faire les distinctions pertinentes entre la première et la deuxième générations et même avec la génération 1,5, soit les élèves qui sont nés à l’étranger, mais qui ont été scolarisés entièrement dans le pays d’accueil. Par ailleurs, le terme immigrant de deuxième génération doit absolument être banni, car une telle expression associe deux termes contradictoires. »

(28)

action. Postuler est le verbe employé pour décrire ce processus lorsqu’il implique un majoritaire. À l’opposé, le verbe convoiter est utilisé lorsque cela concerne un minoritaire. Contrairement à la première, la seconde formulation de ce comportement est connotée péjorativement.

D’autre part, la terminologie employée varie aussi en fonction du groupe quand l’on traite de l’égalité. Pour les majoritaires, l’égalité existe. C’est une caractéristique qui est assurée par la structure sociale et symbolisée par le rapport social égalitaire entre les membres de divers sexes et origines ethniques. Avec la langue française, l’égalité en général est l’une des valeurs et des normes7 les plus associées à l’identité québécoise. Quant aux minoritaires, ils la perçoivent

comme une idéologie ou un idéal à atteindre mais qui est entravé par des obstacles (Pietrantonio, 2005), telle la discrimination à l’embauche. Cela est d’autant plus vrai lorsque la culture, la langue ou la religion d’une minorité est perçue comme menaçante pour les valeurs du groupe dominant. Le cas échéant, l’intolérance8 est susceptible de rendre l’accès à l’égalité encore plus ardu (Blumer,

1958; Quillian, 1995; Renaud et coll., 2004).

Dans une recherche combinant des tests de discrimination et des entrevues avec les employeurs (Pager et coll., 2009), les chercheurs étatsuniens ont répertorié trois moments dans le processus d’embauche où le principe de l’égalité des chances n’a pas été respecté. Premièrement, l’exclusion catégorique représente un rejet immédiat des candidats minoritaires (Afro-Américains) dans des situations où seule la « race » semblait être le critère. Cette inégalité représente la forme de discrimination la plus manifeste, soit un déni de l’égalité. Deuxièmement, les auteurs ont analysé des standards changeants qui reflètent une dynamique plus complexe. Dans celle-ci, les employeurs évaluent les mêmes qualifications différemment selon la « race » du candidat, voire en exigent davantage des minoritaires pour un même emploi. Troisièmement, lors du placement en emploi, les recruteurs dirigent les minoritaires vers des emplois moins qualifiés et les majoritaires vers des emplois plus qualifiés. Confirmant que la discrimination peut survenir à différentes intersections du processus d’embauche, et non pas seulement dans le tri des CV, ces données suggèrent l’existence d’une discrimination systémique en emploi. De plus, cette étude montre que les différences raciales influencent encore significativement les décisions des employeurs, lesquelles font ressortir différentes conceptions de l’égalité.

7 Dans son analyse de la norme, Pietrantonio (2005, p. 120) conçoit la norme comme la « situation sociale de référence », un « mode d’être souhaité par tous, exempt de contraintes sociales et d’assignations identitaires ». Or, c’est justement ce qui est remis en question par la discrimination à l’embauche. En plus de générer, consciemment ou inconsciemment, l’assignation d’une identité indésirable au candidat minoritaire, cette pratique constitue en soi un obstacle pour ce dernier dans sa recherche d’emploi.

(29)

En focalisant l’analyse sur les inégalités dans l’accès à l’emploi, les tests de discrimination permettent de jauger la concrétisation du principe d’égalité des chances dans une situation sociale réelle. Comme d’autres enquêtes de ce type, celle menée dans la région de Montréal (Eid et coll., 2012) a montré que des biais potentiels dans le tri des CV peuvent générer la discrimination des minorités dites racisées ou ethniques.

1.1.4 Tri des curriculum vitae

L’usage des CV pour postuler à une offre d’emploi est devenu une pratique courante qui est largement répandue à travers le monde. En dépit de cet outil conventionnel, les professionnels des ressources humaines peinent parfois à opérer une sélection qui soit juste et exempte de biais. En effet, plus d’une centaine de recherches effectuées depuis la fin du 20e siècle a montré que ce

processus était empreint de préjugés, de stéréotypes et de biais inconscients qui peuvent affecter le jugement rationnel de ces professionnels. Dans ce contexte, des chercheurs ont étudié spécifiquement les biais ethniques impliqués dans le tri des CV à l’aide d’un modèle d’analyse novateur (Derous et Ryan, 2018). Nous effectuons un résumé critique de leur étude en abordant les biais dans le tri des CV, les facteurs en cause ainsi que les solutions potentielles pour les contrer.

1.1.4.1 Biais potentiels

Le modèle d’analyse proposé par les chercheuses Derous et Ryan (2018) cible trois étapes qui sont sujettes à biaiser le tri des candidatures. La première concerne la soumission du CV, outil servant principalement à transmettre deux types d’informations. D’une part, il s’agit des compétences liées à l’emploi postulé qui sont signalées par les diplômes, les certifications, les habiletés langagières ainsi que les expériences de travail et de bénévolat. D’autre part, un CV véhicule aussi des informations qui ne sont pas directement liées à l’emploi, soit des caractéristiques davantage personnelles. Explicitement ou implicitement, le nom du candidat, son adresse, la chronologie de son parcours académique et professionnel peuvent donner nombre d’indices sur son âge, son sexe, son statut social, etc. qui sont susceptibles d’influencer la décision des recruteurs.

La seconde étape du modèle scrute le traitement de ces informations par les employeurs (Derous et Ryan, 2018). Alors que leurs impressions du candidat se forment, les recruteurs sont enclins à s’engager dans deux types de processus cognitifs. D’une part, il est possible qu’ils soient automatiquement ou inconsciemment amenés à catégoriser le candidat sur la base de stéréotypes

(30)

associés à son groupe. Il y a plus de risque que cela survienne lorsque la qualité et la quantité des informations contenues dans le CV sont moindres. D’autre part, et cela survient surtout lorsque davantage d’informations personnalisées sont signalées sur le CV, l’employeur peut agir rationnellement afin de s’assurer que les compétences du candidat concordent avec les besoins de l’emploi et de l’organisation. Les chercheuses n’excluent pas la possibilité que les deux processus cognitifs opèrent simultanément.

Troisièmement, en examinant les résultats du tri des CV, le modèle suppose que l’activation de la catégorisation peut mener à deux résultats (Derous et Ryan, 2018). D’une part, si le recruteur s’est basé sur les caractéristiques personnelles d’un candidat associé à un groupe minoritaire, la discrimination peut être le résultat de sa décision. De nombreuses études présentées dans le chapitre suivant ont documenté ce traitement inégal survenant à l’embauche. À l’inverse, advenant une ressemblance culturelle du candidat majoritaire avec le recruteur, la sélection peut conforter une homogamie sociale déjà présente dans le milieu de travail. Toutefois, les chercheurs signalent que la présence d’informations plus personnalisées et le traitement plus rationnel des CV devraient rendre les recruteurs plus disposés à être conscients des biais inhérents à leur sélection et à pouvoir limiter leur emprise.

1.1.4.2 Sources de biais

Trois sources susceptibles de favoriser la catégorisation des candidats minoritaires à l’embauche ont été identifiées par Derous et Ryan (2018). La première repose sur les indices signalant indirectement une ethnicité minoritaire sur les CV. Tant en laboratoire que sur le terrain, nombre d’études ont montré que le seul nom pouvait générer un taux de discrimination ethnique significatif à cette étape du processus d’embauche (Riach et Rich, 2002; Zschirnt et Ruedin, 2016). De plus, la présence d’une photographie sur le CV (Weichselbaumer, 2016), l’ambiguïté des compétences détenues par les candidats (Dovidio et Gaertner, 2000) et le fait d’aller voir les pages des candidats sur les médias sociaux (Derous et Ryan, 2018) augmentent la possibilité d’un traitement inégal.

Deuxièmement, peu analysés dans les études employant la méthode du testing, les personnalités, les stéréotypes ainsi que les préjugés des recruteurs sont également susceptibles d’activer les biais inconscients lors de la sélection. Toutefois, malgré les recherches menées en laboratoire et utilisant les tests d’associations implicites (Blommaert et coll., 2012; Rooth, 2010), il demeure difficile de prédire les effets des préjugés explicites et implicites. Il en va de même

(31)

pour le niveau d’expertise des recruteurs, lequel est lié à un plus grand ou plus faible niveau de discrimination envers les minoritaires ethniques (Derous et Ryan, 2018).

Enfin, le contexte plus général dans lequel prend place le tri des CV représente le troisième facteur pouvant activer les biais à l’embauche. Les caractéristiques des emplois et les stéréotypes qui leur sont associés peuvent influencer les biais. La discrimination ethnique semble plus élevée pour des emplois exigeant une haute fréquence de contacts avec la clientèle (Booth et coll., 2012; Eid et coll., 2012). Les caractéristiques du milieu de travail telles la grandeur des entreprises, les politiques d’embauche ainsi que les ressources allouées au tri des CV auraient des impacts significatifs. Lorsque des contraintes de temps et de motivation sont présentes dans cette tâche, les employés sont plus susceptibles de recourir au processus de catégorisation pour prendre leurs décisions (Reskin, 2000), ce qui influence négativement l’accès des minoritaires à l’emploi. Or, connaître ce qui pose problème au travail permet également d’identifier des pistes de solution susceptibles de freiner cette propension à discriminer. Ce faisant, les chercheurs et les professionnels des ressources humaines sont amenés à porter un regard critique sur leurs pratiques.

1.1.4.3 Pistes de solutions

Plusieurs chercheurs ont analysé le problème de la discrimination à l’étape initiale de l’embauche, mais l’étude des pistes de solutions a reçu moins d’attention (Bertrand et Duflo, 2016). Néanmoins, certaines avenues discutées dans la littérature (Bertrand et coll., 2005; Bielby, 2000; Derous et Ryan, 2018; Reskin, 2000) ont permis de proposer des actions pour réduire l’emprise des biais ethniques dans ce processus.

Dans leur analyse des biais récurrents à l’étape du tri des CV, Derous et Ryan (2018) ont identifié trois types d’interventions pour favoriser le respect du principe de l’égalité. Le premier concerne la soumission des candidatures. L’anonymisation des CV, pratique testée dans quelques pays, a généré des résultats mitigés. Selon les chercheuses, moins il y a d’informations sur les CV, plus les employeurs seraient enclins à adopter inconsciemment le processus de catégorisation (Reskin, 2000). Par ailleurs, les recherches sur la personnalisation du CV – la construction d’un document audiovisuel ou l’ajout d’informations complémentaires sur les médias sociaux (ex. Facebook) – n’ont pas conclu que cela permettait d’accroître l’objectivité des décisions prises à l’embauche. Toutefois, la standardisation des formulaires électroniques semble une voie prometteuse. En effet, à l’instar du traitement informatique permettant de cacher

(32)

automatiquement le nom des candidats dans le secteur public en Angleterre (Wood et coll., 2009), l’utilisation de formulaires plus structurés et des médias sociaux professionnels tels LinkedIn permettrait de réduire les biais ethniques à l’embauche. Outre les interventions ciblant les recruteurs – sélection, formation, imputabilité et utilisation d’algorithmes – Derous et Ryan (2018) ont proposé des mesures visant le développement d’une organisation de travail exempte de discrimination. Pour tendre vers cet idéal, elles suggèrent le magasinage mystère, les tests de discrimination, le recrutement ciblé et la promotion des marchés du travail diversifiés. Largement documenté sur le plan empirique, le phénomène discriminatoire constaté dans l’accès à l’emploi rend ces mesures souhaitables, voire nécessaires.

1.2 Discriminations

Dans le livre Outsiders, le sociologue H. S. Becker (1963) a analysé le processus par lequel la société a créé la déviance. N’existant pas a priori, c’est seulement suite à l’adoption de normes légales prohibant certains comportements que ces derniers deviennent par le fait même déviants. C’est exactement ce qui s’est produit dans les années 1960 avec « l’invention de la discrimination » (Fassin, 2002). Avec l’adoption des lois telles le Civil Rights Act (1964) aux États-Unis et le Race Relations Act (1965) au Royaume-Uni, des comportements auparavant légaux et tolérés sont devenus illégaux et passibles de sanctions formelles. Depuis, plusieurs études ont montré la persistance de la discrimination ethnique à l’embauche, malgré l’adoption de lois, politiques et programmes (Zschirnt et Ruedin, 2016). Plusieurs disciplines ont contribué à l’étude de ce phénomène qui, depuis quelques années, tend à être appréhendé comme un mécanisme de production d’inégalités9 (Anne et L’Horty, 2013; Bilge et Roy, 2010). D’abord, la notion même

de discrimination provient de l’approche juridique, laquelle a fixé des balises permettant de distinguer ce qui est discriminatoire de ce qui ne l’est pas (Bereni et Chappe, 2011). Du point de vue économique, ce phénomène est davantage perçu comme une inégalité de traitement survenant sur les marchés et où les préférences des recruteurs à l’embauche se traduisent par un accès inégal à l’emploi ou des salaires inégaux. Dans la perspective de la psychologie sociale, l’accent est mis sur les processus cognitifs individuels, principalement influencés par les concepts de préjugés et de stéréotypes10, ainsi que les relations intergroupes et les biais inconscients. En

9 En utilisant une formule similaire, « inégalité illégitime déclarée illégale », Fassin (2002) ne met toutefois pas l’accent sur le caractère processuel menant à l’inégalité, mais plutôt sur l’état de la discrimination.

10 Notre enquête ne vise pas à traiter spécifiquement de ces concepts ni d’en mesurer leur influence dans la discrimination à l’embauche. Toutefois, nous retiendrons que les stéréotypes représentent un ensemble de croyances

(33)

sociologie et dans l’approche intersectionnelle, la focalisation de l’analyse porte sur le contexte social, les rapports sociaux et les fondements collectifs de la discrimination.

Avant d’entrer dans les considérations propres aux études de terrain, nous abordons successivement les principales causes et formes de la discrimination ainsi que, plus spécifiquement, l’approche de la discrimination systémique et la discrimination à l’embauche. 1.2.1 Causes de la discrimination

La discrimination est un phénomène social complexe où les intentions discriminatoires ne se concrétisent pas automatiquement dans les actions11 (LaPiere, 1934; Légal et Delouvée, 2015;

Merton, 1949; Pager, 2007). Celle-ci peut survenir dans une pluralité de situations sociales et être basée sur un ensemble de motifs prévus par les chartes et les lois protégeant le droit à l’égalité des individus. Ces normes législatives sont d’ailleurs sujettes à changement au fil des années. Ce qui est discriminatoire dans une province, par exemple prendre une décision sur la base de l’état familial, ne l’est pas nécessairement dans les autres12. Pour analyser les déterminants de la

discrimination, les sociologues D. Pager et H. Shepherd (2008) distinguent trois types de facteurs : intrapsychiques, organisationnels et structurels. Le premier concerne les dynamiques complexes dans lesquelles les stéréotypes, les préjugés et les discriminations s’enchevêtrent. Le second porte sur le fonctionnement même des organisations et insiste sur les rapports de force. Le troisième niveau d’analyse est spécifique à l’étude plus générale des mécanismes de domination. Il met l’accent sur les lointains ancrages de la discrimination, les pratiques et les politiques publiques contemporaines, et l’accumulation des désavantages dont les effets négatifs s’étendent dans plusieurs domaines.

réelles ou présumées sur un groupe alors que les préjugés prédisposent à juger négativement les individus sur la base de leur appartenance à un groupe social (Légal et Delouvée, 2015).

11 « Si la discrimination repose sur l’existence de préjugés, les préjugés ne se traduisent pas toujours en actes discriminatoires. Bien que la discrimination puisse émaner des préjugés, cette relation n’est pas automatique. En effet, de nombreuses études ont pu mettre en évidence que la relation entre attitudes (préjugés) et comportements (discrimination) était loin d’être systématique » (Légal et Delouvée, 2015, p. 64), dont l’étude de LaPiere (1934). 12 Par exemple, il est interdit de discriminer en fonction de l’état familial en Ontario (

http://www.ohrc.on.ca/fr/les-droits-de-la-personne-et-la-famille-en-ontario). Or, c’est la seule province qui, actuellement, prévoit des sanctions officielles pour ce type de traitement inégal. Au Québec, l’actuel président de la CDPDJ a déjà évoqué son souhait d’ajouter ce motif à la liste prévue par la Charte ( https://www.ledevoir.com/societe/529290/changer-la-charte-des-droits-pour-eviter-la-discrimination-contre-les-familles).

(34)

1.2.1.1 Facteurs intrapsychiques

Dans la perspective situant la cause première de la discrimination dans des processus intrapsychiques, deux explications divergent quant aux facteurs en cause. D’une part, la discrimination est vue comme un comportement négatif, injustifiable et dirigé à l’encontre des individus d’un exogroupe ou groupe minoritaire envers lequel des préjugés sont entretenus (Gaertner et Dovidio, 1986; Légal et Delouvée, 2015). Des gens ayant des préjugés et des stéréotypes négatifs agiraient conformément à ceux-ci en adoptant des comportements discriminatoires. L’une des premières thèses développées en sciences sociales, dès la fin des années 1950, s’inscrit dans cette perspective où l’action est perçue comme étant intentionnelle (Becker, 1971 [1957]). L’on retrouve ce type d’explication principalement en économie et en psychologie.

D’autre part, la discrimination serait causée par un processus cognitif normal, soit la catégorisation sociale (Quillian, 2006; Reskin, 2000). Ce processus, exempt d’affects négatifs13

envers les minoritaires – c’est-à-dire qu’il ne vise pas explicitement à les stigmatiser – se fait rapidement et de manière non-intentionnelle, ce qui expliquerait sa persistance dans les organisations. Lorsqu’il est exacerbé par des contraintes telles une limite de temps ou une surcharge cognitive, ce processus inconscient active des stéréotypes qui permettent à la personne d’agir tout en préservant ses ressources. Dans une tâche relativement simple comme le tri des CV, exigeant peu de réflexion et effectuée de manière quasi-automatique, la catégorisation permettrait de déterminer efficacement si une candidature est appropriée pour l’emploi à combler. Dans une étude menée aux Pays-Bas, des chercheurs ont déposé des CV fictifs sur des bases de données virtuelles fréquentées par des employeurs (Blommaert et coll., 2014). Ils ont constaté la discrimination à l’encontre des candidats arabes lors de deux phases distinctes : au nombre de clics de souris pour voir le CV complet des candidats, après en avoir vu un aperçu avec le nom, et lorsqu’ils étaient invités à l’entrevue. L’étude a montré que la discrimination était particulièrement élevée dans la première phase et que les candidats néerlandais avaient 60% plus de chance de recevoir une réponse positive. Or, dans les organisations, il est possible d’éviter

13 Entre autres facteurs complexes et difficiles à examiner, les préjugés implicites seraient aussi en cause. En effet, l’étude de Rooth (2010) a montré que la présence de telles attitudes inconscientes chez les recruteurs augmentait la discrimination à l’embauche envers les candidats arabomusulmans en Suède. Cette analyse est fondée sur les résultats de tests d’associations implicites menés auprès des employeurs, à la suite d’un test de discrimination. Or, la légitimité de ces tests est sujet à débat (Derous et Ryan, 2018).

(35)

l’occurrence de ce traitement préjudiciable par des actions qui permettent de réorienter ou de supprimer les effets négatifs de la catégorisation (Reskin, 2000).

1.1.2.2 Facteurs organisationnels

Selon le sociologue W. Bielby (2000), la diminution de l’effet des préjugés implicites et des comportements discriminatoires passe par la modification des pratiques au sein des organisations. Il suggère de favoriser des pratiques assurant une plus grande imputabilité des décisions prises en milieu de travail. Par exemple, l’adoption d’une politique encadrant le processus d’embauche permettrait de court-circuiter les tendances inconscientes qu’ont les gens à se laisser guider par leurs stéréotypes, lesquels agissent comme des théories implicites qui biaisent nos perceptions, nos évaluations et nos encodages des informations provenant des autres personnes (Reskin, 2000). À l’étape du tri des CV, cette politique pourrait préciser quels sont les critères pertinents à la prise de décisions, soit les éléments de compétence. Dans cette perspective, Dasgupta et Stout (2012) suggèrent l’utilisation d’un schéma d’entrevue hautement structuré. Mettre en place des mécanismes pour que les jugements des employés soient imputables et que la contribution de leurs supérieurs à l’atteinte de ces objectifs soit évaluée régulièrement serait aussi pertinent. Avec une telle volonté au sein des organisations, Bielby (2000) estime que l’on peut lutter efficacement contre la discrimination ethnique à l’embauche. 1.1.2.3 Facteurs structurels

D’autres auteurs insistent sur les relations entre les groupes pour expliquer l’origine de la discrimination, soit les causes collectives des préjugés. Les préjugés raciaux seraient fondés sur un processus collectif et existeraient en fonction de la place occupée par un groupe social en relation avec les autres groupes (Blumer, 1958). Ainsi, la position sociale occupée par le groupe dominant influencerait la catégorisation des groupes subordonnés et formerait le fondement des préjugés raciaux. Le sociologue H. Blumer identifie quatre types d’émotions ressenties par les majoritaires et qui servent de fondement à ce processus : le sentiment de supériorité; la croyance voulant que les groupes minoritaires sont fondamentalement différents; le sentiment de propriété et la peur que le groupe minoritaire soit menaçant. Selon lui, ce sentiment apporté par la position du groupe dominant agit comme une norme puissante, influençant les actions individuelles des membres du groupe, même ceux ayant des idées contraires à ce sentiment collectif. Dans cette perspective, le préjugé est une réaction défensive à des compétitions qui mettent en péril la position du groupe dominant. Le sociologue L. Quillian (1995) a testé cette

(36)

théorie sur des groupes majoritaires et minoritaires de plusieurs pays européens. Selon son analyse, les préjugés augmentent selon la taille des groupes minoritaires et lorsque les conditions économiques sont défavorables. En somme, ses observations ont rejoint l’analyse de Blumer (1958) : le préjugé est fonction de la menace du groupe minoritaire perçue par le groupe dominant; les préjugés individuels apparaissent seulement lorsque cette menace est perçue de manière plus prononcée. Au chapitre suivant, nous verrons d’autres modèles théoriques développés en économie et en psychologie sociale pour expliquer ce phénomène.

1.2.2 Formes de discrimination

Selon la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, la discrimination est généralement motivée par des stéréotypes et des préjugés, conscients ou inconscients. Elle est définie comme une distinction, une exclusion ou une préférence qui a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à l’égalité. Elle disqualifie ou stigmatise des gens en raison de la couleur de leur peau, de leur apparence ou de leur appartenance, réelle ou présumée, à un groupe. Dans un travail de réflexion portant sur les situations particulières des femmes, des minorités ethniques et des personnes handicapées en lien avec l’emploi, Chicha-Pontbriand (1989) a distingué et analysé la discrimination directe, indirecte et systémique. Des formes de discrimination similaires sont également reconnues en sociologie (Hirsh et Cha, 2008; Pager et Shepherd, 2008). Par ailleurs, la notion de discrimination systémique ne représenterait pas une forme de traitement inégal, mais une approche dynamique permettant d’étudier les diverses facettes de ce phénomène social. Alors que la Cour suprême du Canada a reconnu deux modalités de discrimination, intentionnelle et non-intentionnelle, ainsi que deux formes, directe et indirecte, la discrimination systémique implique une autre perspective d’analyse (Potvin, 2004).

Premièrement, la discrimination directe renvoie à une situation dans laquelle un individu ou un groupe est intentionnellement soumis à un traitement distinct en raison d’un motif prohibé par la loi (Chicha-Pontbriand, 1989). Refuser explicitement la candidature d’un individu qui est à la recherche d’un logement ou d’un emploi parce qu’il appartient à une minorité ethnique représente un cas de discrimination fondée sur l’origine. C’est un traitement différentiel qui se produit dans un rapport social où l’intention est généralement consciente, par exemple lorsque des travailleurs sont associés à certaines tâches sur la base de leur sexe (Pager et Shepherd, 2008). Très présente dans l’espace public avant l’adoption des premières législations luttant contre la discrimination dans les années 1960 et 1970, cette discrimination est moins visible que par le

Figure

Tableau 1 : Taux nets de discrimination à l’embauche dans la première phase des  études du BIT
Tableau 2 : Taux nets de discrimination à l’embauche dans la seconde phase des  études du BIT
Tableau 3 : Répartition des minorités visibles (MV) et de leurs taux de chômage au  Québec et dans les régions métropolitaines de recensement (RMR) de Montréal et de
Tableau 4 : Type de traitement observé selon les catégories d’emplois
+7

Références

Documents relatifs

L'obligation d'agir de manière fondée qui est une composante du principe de proportionnalité (lequel semble être reconnu dans les deux normes précitées) regroupe en

S’appuyant sur une ethnographie d’environ quatre ans, effectuée au sein d’un GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) d’une grande ville française, l’enquête

L’introduction du statut officiel de la minorité exclusivement religieuse pour les peuples non-échangés, les stipulations de protection des droits minoritaires par

Kolev est perçu comme un Bulgare en voie de romisation (à des fins parfois jugées commerciales). 55 Voir Krasimir K ă nev, The First Steps: An Evaluation of Nongovernmental

Le Tableau 1 présente les résultats de l’enquête pour les deux identités à consonance française (partie gauche du tableau) et maghrébine (partie droite) qui arrivent en

Le processus de minorisation peut prendre la forme d'un choix de langue préférentielle au détriment d'une autre (c'est le cas lorsque des parents "choisissent" de parler

Des dossiers rassembleront tous les documents, les réponses aux questions posées sur ces problèmes brûlants (la forme de parution sera décidée ulté- rieurement

N'est-il pas normal que la culture française s'épanouisse aujourd'hui au détriment de toutes les cultures minoritaires de l'hexagone et que celles-ci s'éteignent