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Chapitre 4 : Résultats : une enquête de deux mille CV

4.4 Données qualitatives

Dans le cadre d’un test écrit, il est rare de recueillir des données qualitatives permettant d’approfondir l’analyse de la discrimination. Bien que les recruteurs soient sans doute soucieux de ne rien laisser paraître – le biais de désirabilité sociale, il arrive néanmoins que certains laissent

101 À Lévis, le ratio du candidat latino-américain de sexe masculin (0,89) indique que celui-ci aurait un avantage par rapport au candidat majoritaire, mais l’écart avec ce dernier est statistiquement non-significatif.

Statut Ethnicité Genre envoyés CV Réponses positives Taux de rappel Ratio

Majoritaire Canadienne-française Masculin 76 29 38,2% -

Minoritaire - - 152 32 21,1%* 1,81 - Féminin 76 18 23,7% 1,61 - Masculin 76 14 18,4%* 2,07 Latino-américaine - 49 19 38,8% 0,98 Africaine - 47 8 17,0%* 2,24 Arabe - 56 5 8,9%*** 4,27 Latino-américaine Masculin 21 9 42,9% 0,89 Latino-américaine Féminin 28 10 35,7% 1,07 Africaine Féminin 20 5 25,0% 1,53 Africaine Masculin 27 3 11,1%*** 3,43 Arabe Féminin 28 3 10,7%*** 3,56 Arabe Masculin 28 2 7,1%*** 5,34

des traces d’un traitement inégal dans les réponses données aux candidats par courriel ou message téléphonique. Nous avons répertorié trois cas dans notre étude qui ajoutent des nuances aux données quantitatives fournies par le test. Pour la très grande majorité des réponses, aucun signe de ce type n’a été observé.

Le premier cas réfère à des questions posées au candidat minoritaire à la suite de la transmission de sa candidature, par courriel, pour un emploi de commis comptable chez un employeur privé. À l’occasion, les employeurs se servent de cette première réponse pour filtrer davantage les chercheurs d’emploi afin de ne retenir que ceux qui possèdent les compétences les plus en lien avec le poste offert. C’est surtout le cas pour les emplois en informatique où il est arrivé à plusieurs reprises qu’une série de questions soit soumise par courriel. Or, pour un poste en administration, l’employeur – un consultant gérant le processus de recrutement – a adressé quelques questions supplémentaires au minoritaire. Par courriel, ce dernier a demandé au candidat latino-américain d’évaluer ses capacités, sur une échelle de 1 à 10, par rapport à un ensemble de tâches en lien avec l’emploi. Comme à l’habitude, nous avons décliné en prétextant avoir trouvé un emploi. Cela en soi n’a pas de quoi surprendre. Or, avec un CV équivalent, le candidat de référence a directement reçu une invitation à l’étape de l’entrevue par téléphone. Il n’y a pas eu de demande d’évaluer ses compétences en lien avec les exigences de l’emploi, procédé auquel seul le minoritaire a été soumis. La candidature féminine n’a pas reçu de réponse pour cette offre d’emploi.

Un deuxième cas a permis d’observer un traitement légèrement différent selon le statut. Les candidatures ont été soumises via le formulaire du site Jobillico pour un poste très qualifié en informatique auprès d’un employeur privé. Seuls les candidats masculins ont reçu une réponse positive par courriel. Celle-ci était formulée exactement de la même manière pour chacun d’eux : « Bonjour Carlos/Maxime-Olivier, j’ai reçu votre CV sur Jobillico et j’aimerais avoir une discussion téléphonique avec vous. Faites-moi savoir quel serait le meilleur moment pour vous contacter. » À la suite de la réponse de l’employeur pour le minoritaire, nous avons demandé le retrait de la candidature pour les raisons habituelles. Il n’y a eu aucune réponse de l’employeur. Nous avons fait de même pour le majoritaire ayant reçu la même réponse positive, trois jours plus tard. Or, en réponse au désistement de ce dernier, l’employeur a répondu en ces mots : « Je comprends et je vous remercie, je vous souhaite le plus grand succès. Si la situation venait à changer, n’hésitez pas à me contacter; il me fera plaisir de discuter avec vous. »

Enfin, c’est le troisième cas qui nous apparaît le plus digne de mention. Cette fois-ci, il s’agissait manifestement d’un traitement inégal, voire d’une application distincte du principe de l’égalité dans l’accès à l’emploi pour les candidats majoritaire et minoritaire (Pager et Quillian, 2005; Pietrantonio, 2001). Nous avions soumis trois candidatures pour un poste très qualifié de contrôleur adjoint au sein d’une entreprise privée. Tant pour les postes de comptable que pour ceux de conseiller en ressources humaines, tous les CV utilisés dans notre enquête affichaient (faussement) que les candidats possédaient les certifications requises (Comptable professionnel agréé – CPA; Conseiller en ressources humaines agréé – CRHA). Les bases de données des personnes ayant cette certification sont facilement accessibles sur internet. Le recruteur peut, pour différentes raisons, confirmer cette information avant de contacter le candidat afin de poursuivre le processus d’embauche. Pour cette offre d’emploi donnée, le recruteur a contacté le majoritaire en laissant un message sur le répondeur qui spécifiait vouloir inviter le candidat en entrevue. Lors du rappel, le recruteur a rapidement émis un doute sur la certification présente sur le CV du majoritaire, car sa recherche dans le répertoire ne lui avait pas permis de trouver un Maxime-Olivier Tremblay ayant un titre de CPA. Surpris de cette première « découverte » de notre tromperie par un employeur, nous avons dû faire preuve de spontanéité pour ne pas trop étirer cette conversation et commettre un impair. Ainsi, nous avons émis l’hypothèse qu’il y avait peut-être eu une erreur d’orthographe dans le nom, tout en confirmant avoir déjà trouvé un nouvel emploi et remerciant l’employeur pour son intérêt. Cela dit, le fait qu’un recruteur ait possiblement découvert notre méthode basée sur la tromperie revêt peu d’importance. Ce qui ressort de cet épisode – situation qui ne s’est plus présentée par la suite – c’est que le recruteur ait quand même invité le majoritaire en entrevue, même s’il doutait de sa certification. À l’inverse, aucun des minoritaires n’a été contacté par cet employeur. Il s’agirait donc dans ce cas-ci d’un traitement reposant sur deux conceptions de l’égalité. D’une part, l’employeur a manifesté un intérêt à inviter le majoritaire en entrevue, même s’il doutait que celui-ci ait vraiment la certification nécessaire pour le poste. D’autre part, les minoritaires ayant postulé au même endroit et n’ayant pas non plus de véritable accréditation, n’ont pas reçu de réponse positive.