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Chapitre 5 : Enjeux d’ethnicités, de genres et d’identités

5.1 Retour sur les hypothèses

5.1.4 Stigmatisation des Arabo et Afro-Québécois

En combinant ces variables, l’analyse des données du test de correspondance a démontré que la discrimination ethnoraciale était modérée par la différence de genre. Ces résultats corroborent ceux de testings menés aux Pays-Bas (Andriessen et coll., 2012), en Suède (Bursell, 2014) et au Danemark (Dahl et Krog, 2018). Ces chercheurs ont tous conclu que les candidats d’Afrique du nord et du Moyen-Orient subissaient un taux de discrimination plus élevé que leurs consœurs. La sociologue M. Bursell (2014) a employé le terme « discrimination à l’embauche ethno- genrée »104 pour indiquer que les minoritaires d’une même ethnicité ne subissaient pas autant de

préjudice en raison de leur sexe.

L’analyse de la présente enquête a montré l’existence d’une barrière à la fois symbolique et structurelle, affectant inégalement l’insertion professionnelle des minorités ethniques. Dans la hiérarchie « ethno-genrée » révélée par le testing, la discrimination est atténuée par l’origine latino- américaine et le sexe féminin. L’écart entre les candidats de même sexe semble croître en fonction des préférences et des antipathies ethniques suggérées par les comportements des

employeurs. Plus spécifiquement, les ratios globaux indiquent l’existence de divers degrés de discrimination entre les candidates latino-américaine (1,04), arabe (1,59) et africaine (1,81). Une gradation analogue existe également entre les candidats latino-américain (1,40), arabe (2,09) et africain (3,06). Moins une ethnicité est discriminée, moins grand est l’écart entre les membres de sexe différent d’une même origine.

D’une part, les statistiques indiquent que la candidate latino-américaine ne semble pas discriminée, et ce, peu importe l’angle d’analyse utilisé. En effet, celle-ci jouit globalement d’un taux de rappel équivalent à celui du majoritaire, voire favorable dans certaines circonstances. Tant l’origine latino-américaine – la plus valorisée du test – que le genre féminin paraissent atténuer la discrimination à l’embauche de cette candidature. Nous verrons également que son homologue masculin est dans une situation similaire.

D’autre part, la situation du candidat au nom à consonance africaine semble préoccupante. En effet, ce dernier est caractérisé par l’origine ethnique africaine – la moins prisée du testing – et par le sexe masculin qui apparaît aussi, quoique dans une moindre mesure, un facteur le prédisposant à subir davantage de préjudice lors du tri des CV. Même au sein du sous-échantillon des employeurs adhérant au principe d’équité en emploi, le taux de rappel du candidat africain, dont l’écart entretenu avec le taux calculé pour le candidat de référence était très significatif, suggérait une prévalence du traitement inégal à son égard. Pour pallier cette inégalité dans l’accès à l’emploi et obtenir autant d’invitations en entrevue que le majoritaire, le candidat noir devrait en moyenne envoyer trois fois plus de CV, voire « blanchir » sa candidature (Kang et coll., 2016). Par conséquent, l’hypothèse voulant que la candidate arabe soit la plus discriminée de l’enquête a été catégoriquement infirmée. Toutefois, entre ces résultats opposés, révélés par le testing, les quatre autres minoritaires font également l’objet d’un traitement inégalitaire substantiel.

Dans l’ensemble, le taux de rappel et le ratio du candidat latino-américain (1,40) témoignent d’une faible probabilité qu’il subisse de la discrimination. De plus, dans le sous- échantillon des emplois en informatique, la différence entre le taux de rappel ce dernier (36,4%) et celui du candidat majoritaire (37,7%) est non-significative, suggérant l’absence de préjudice. La grande majorité des autres indicateurs calculés dans le test indique que ce minoritaire est peu stigmatisé à l’étape initiale du processus d’embauche.

Par ailleurs, avec un ratio global (1,59) et un taux de rappel (22.7%) dont l’écart avec celui du candidat majoritaire est statistiquement significatif (P < 0.05), la candidate arabe apparaît largement discriminée dans la majorité des cas analysés ci-haut. Cela est particulièrement

manifeste dans le secteur privé, auprès des employeurs n’adhérant pas au principe d’équité en emploi et dans le secteur de l’administration. Bien que la situation semble plus favorable pour cette candidate à Québec (1,44), c’est l’inverse à Lévis. En effet, le taux de rappel (10,7%) ainsi que le ratio (3,56) observés dans cette ville lui confèrent une probabilité élevée de subir un traitement inégal à l’embauche. Cependant, dans le secteur de l’informatique, le préjudice subi par cette dernière semble inexistant, comme en témoignent son taux de rappel (28,6%), dont l’écart est statistiquement non-significatif avec le candidat de référence, et son ratio (1,32).

En informatique, si le ratio (1,58) du candidat arabe masculin semble indiquer une plus grande distance avec le majoritaire, le taux de rappel (23,8%) dont l’écart est statistiquement non- significatif suggère qu’il n’est pas discriminé dans ce secteur. Or, dans l’ensemble du test, le taux de rappel (17,4%), dont l’écart avec le candidat majoritaire est très significatif du point de vue statistique, ainsi que le ratio (2,09) observés indiquent qu’il fait l’objet d’une discrimination pratiquement identique à celle examinée dans le prétest (2,10). Cette situation est notamment causée par l’accès plus ardu aux emplois du secteur de l’administration, où le ratio (2,34) calculé sur la base d’un taux de rappel dont l’écart avec le candidat de référence demeure très significatif (P < 0.01)105. Par ailleurs, nombre d’autres indicateurs témoignent de la discrimination à

l’embauche du candidat au nom à consonance arabe. Les ratios à Québec (1,85), auprès d’employeurs du secteur privé (2,27) et de ceux n’adhérant pas au principe d’équité en emploi (2,31), et de manière identique pour les emplois en comptabilité et en administration générale (3,02), vont dans le même sens. Qui plus est, la situation rapportée pour ce candidat à Lévis est encore plus nette que pour la candidate arabe. Avec un taux de rappel très faible (7,1%), le ratio (5,34) suggère que celui-ci a très peu d’accès à l’étape de l’entrevue. En d’autres mots, à Lévis, un dénommé Hafid a cinq fois moins de chance de se faire inviter à l’entretien d’embauche qu’un dénommé Tremblay, et ce, à compétences égales.

À l’instar de son homologue de sexe masculin, le taux de rappel (20,0%) et le ratio (1,81) de la candidate africaine suggèrent globalement qu’elle est discriminée dans maintes situations. D’une part, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les taux de rappel de cette dernière pour les emplois en administration générale (28,8%) et à Lévis (25,0%) et ceux du

105 Ci-dessous, selon les niveaux de qualification faible et moyen, les écarts observés entre les taux de rappel des candidats arabe et de référence, très significatifs du point de vue statistique (P < 0.01), signalent aussi une forte probabilité d’être discriminé pour le candidat arabe. À l’inverse, le taux de rappel – dont l’écart est non-significatif en comparaison avec celui du candidat majoritaire – observé pour le niveau de qualification élevé suggère qu’il n’est pas discriminé.

candidat de référence. Toutefois, le préjudice apparaît plus élevé dans le secteur de l’administration (21,0%), et spécifiquement pour les emplois en comptabilité (17,7%). De plus, la candidate africaine a des taux de rappel égaux dont les écarts sont très significatifs auprès des employeurs n’adhérant pas au principe d’équité en emploi, dans le secteur privé (17,5%) ainsi qu’à Québec (19,3%). Ces indicateurs laissent donc entendre que celle-ci est sujette à subir un traitement inégal à l’embauche.

La méthode du testing en soi est un outil par excellence pour mesurer l’ampleur de la discrimination à l’embauche (Heath et Di Stasio, 2019). Même s’il demeure ardu d’en déterminer les causes avec celle-ci, les pratiques discriminatoires à cette étape du processus d’embauche ont pour effet de priver les candidats des opportunités de faire valoir leurs compétences lors de l’entrevue afin d’obtenir l’emploi désiré. C’est sans doute là un facteur explicatif du taux de chômage des minorités racisées qui est environ deux fois plus élevé que la moyenne.