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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Les sciences et l'imaginaire pédagogique

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LES SCIENCES ET L'IMAGINAIRE PEDAGOGIQUE

Alain KERLAN

Ecole NonnaIe de Vesoul - I.N.R.P.

CUFOM Université de Besançon, Franche-Comté

MOTS-CLES : EDUCATION - SCIENCES - IMAGINAIRE - CULTURE - BACHELARD.

RESUME: Il semble impossible de penser l'éducation sans parler le langage des mythes et des symboles. L'éducation scientifique elle-même retrouve spontanément quelques-uns des archétypes et des symboles traditionnels de la quête du savoir. L'accès àla rationalité scientifique demeure ascension et transfiguration, épreuve et ascèse. L'oeuvre pédagogique de Gaston Bachelard illustre ce paradoxe. Par l'éducation, les sciences renouent avec l'imaginaire où s'enracine toute culture.

SUMMARY : It seems impossible to tackle the problems of education without speaking the language of myths ans symbols. Scientific edcation itself spontaneously finds again sorne of the archetypes and traditionaI symbols of the quest for knowledge. The access to scientific rationality remains ascension and transfiguration, ordeal and asceticism. The educational works of Gaston Bachelard exernplify this paradox. Through education, sciences revive fantasy in which every culture takes mot.

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Comment, s'agissant des sciences et de l'imaginaire, et plus encore à propos de l'éducation, ne pas évoquer la double figure de Gaston Bachelard, partagé entre une exigence épistémologique des plus rigoureuses et la fascination de l'imagination matérielle et poétique? Elle me permettra de faire un aveu, celui d'un philosophe lecteur assidu (sinon obligé... ) de Bachelard, un aveu que beaucoup de philosophes et étudiants philosophes pourraient faire: lisant Bachelard j'ai souvent éprouvé le sentiment de subir et de m'infliger les remontrances du vieux maître de sciences, ce1les qu'il adresse au philosophe, toujours en retard de comprendre, toujours embarrassé des scories d'une raison préscientifique. Bref d'être celui qui rêvasse toujours un peu dans un coin de la sa1le de cours, là où fleurissent les cancres sympathiques parmi les vapeurs qui ensommeillent la raison.

Lalecture de Bachelard épistémologue est donc quelquefois pour le philosophe l'invitation à une ascèse rationaliste, et aussi une espèce d'acte de contrition: à l'école de la science épuréeildoit faire l'aveu de tout ce qui recouvre encore sa raison de nuits obscures, et accomplir humblement, dans l'humiüté et le vrai labeur, sa réforme inte1lectue1le. Le titre d'un article de MichelSERRES(1970), publié dans un numéro que la revue"L'Arc"consacrait à Bachelard disait cela très bien, non sans ironie:"Laréforme et les sept péchés".

Cette attitude de la philosophie à l'égard des sciences, n'ayant plus d'autre ambition que de redoubler leurs discours, à quoi conduisait au moins un pan du bachelardisme, a été dominante en France. EUe est aujourd'hui un peu en recul, et ce recul me semble lié à la crise culture1le des sciences, à la conscience de plus en plus forte du divorce des sciences et de la culture.

Voici en quelques mots la thèse que je voudrais défendre et illustrer:ilest impossible que les sciences passent du savoir savant, du laboratoire, de leur pur état épistémologique à l'existence culturelle, à la diffusion sociale sans la médiation de l'imaginaire.

C'est je crois tout le problème d'une véritable éducation scientifique, le défi paradoxal qu'elle doit assumer: que faire, quoi faire, dans l'enseignement, avec tout cet imaginaire qui habite et parfois hante l'élève qu'on éduque à la rationalité scientifique?

Avec un imaginaire qui peut-être se loge au coeur même du projet d'éduquer? Ce défi propre à l'entreprise éducative se hausse, s'agissant de rationaüté scientifique, au rang d'un véritable paradoxe de la raison.

J'emploie à dessein le terme d'imaginaire plutôt que celui d'imagination.

nva de soi qu'il y a en

sciences une place éminente pour l'imagination entendue comme inventivité, pensée divergente, voire même intuition imageante : elles appartiennent à l'exercice de la raison. L'imaginaire désignera une dimension de l'existence humaine : une relation au monde et à soi-même, par le corps et le langage indissolublement. L'imagination, bien sûr, a au moins un pied dans cet imaginaire-là.

Que faire donc dans l'enseignement des sciences de l'imaginaire pédagogique? J'ai déjà implicitement rappelé la réponse que fournit à la pédagogie le paradigme bachelardien. L'éducation scientifique est une longue et difficile ascèse, une longue épreuve, l'itinéraire d'une lente épuration au cours de laque1le la raison se défait de ses scories, de cette gangue d'imaginaire dans laque1le elle se trouve prise et compromise. J'y reviendrai.

Ontrouve chez Bachelard un autre modèle pédagogique, négatif, qu'il n'a de cesse de dénoncer et démonter: celui de la science attrayante, manne spectaculaire offerte à l'imaginaire, dévoyée pour

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l'amusement du monde, l'édification des élèves au service des pouvoirs du maître, voire les satisfactions naïves de la libido. Bref, l'anti-science, pour ne pas dire l'Antéchrist, une figure du Malin.

On mesurera dès lors mon étonnement d'avoir rencontré dans un film patronné par...''Lalettre de l'éducation" et le SNI-PEGCl ! à peine fardée, cette figure pédagogique et culturelle des sciencessi vigoureusement dénoncée par Bachelard. Le film s'intitule "Espace", porte pour sous titre : "L'initiation scientifiqueàl'Ecole Maternelle" et veut montrer qu'ilya place, dès les premierspas dans le monde scolaire, pour une pensée plus objective, mieux affrontée aux objets et au réel que l'imaginerie enfantine dans laquelle on maintient trop souvent le jeune écolier.

Lepremier visionnement de ce document m'avait profondément irrité. Réflexe bachelardien acquis, sans doute, je protestais in pettoàchaque plan contre cette confusion de la rationalité scientifique et de l'imaginaire qui s'étalait sur l'écran.Lerésultat me paraissaitàpeu près inverse des intentions affichées.

J'ai ensuite interrogé les auteurs de ce document. Cétait aisé, le film a été réalisé dans l'Ecole Normale où j'enseigne. Il m'a semblé alors qu'il avait pour une large part échappé en cours de route aux intentions qui animaient initialement ses concepteurs. Comme si le projet, en traversant l'espace scolaire, en intégrant les diverses préoccupations éducatives des différents acteurs, se lestait inéluctablement d'imaginaire, au point d'en subir les lois d'attraction et de se plieràla logique de ses structures.

J'illustrerai celte réflexion en commentant quelques images significatives de ce film. Il suffit d'ailleurs pour cela de prendre àla lettre le mot-clé de son sous-titre: initiation scientifique. Chacun des plans qui conduisent les enfants vers les portes de l'univers des sciences doit être regardé comme une étape d'un rite, d'un rituel d'initiation au sens ethnologique et religieux de ce terme. "L'initié", dit le "Dictionnaire des Symboles" de Jean CHEVALIER et AlainGHEERBRANT,"franchit le rideau de feu qui sépare le profane du sacré; il passe d'un mondeàun autre et subit de ce fait une transformation; il change de niveau, il devient différent... L'initiation opère une métamorphose". Alors tout s'éclaire et l'on découvre que les auteurs et le réalisateur, sans l'avoir décidé nià proprement parler voulu, ont retrouvé quelques-uns des grands archétypes par lesquels l'imagination humaine a toujours exprimé symboliquement l'accèsàla connaissance. Même l'accompagnement musical composé pour le film, un peu obsédant, semble savoir que, comme l'écrivent encore les auteurs du dictionnaire des symboles, "(...) initier, c'est d'une certaine façon faire mourir, provoquer la mort. Mais la mort est considérée comme une sortie, le franchissement d'une pone donnant accès ailleurs". [Ces deux citations sont empruntées à l'article "Initiation (...)", p. 521].

Il n'est pas indifférent que le film s'ouvre d'emblée sur l'image d'une fillette jouantà cache-cache, et qui "colle", comme disent les enfants. D'emblée, la connaissance relève de ce que BACHELARD(1957) appelait dans"LaPoétiquede l'Espace" "la phénoménologie du caché". Je me suis plu à superposer à quelques-uns des plans du film des propos de ce livre. Il est très singulier que la plupart des archétypes inspirant les images du film soient expressément étudiés dans ce livre.La seule consultation de la table des matières permet de retrouver de nombreuses images du film, plus

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quelques autres qui auraient fort bien pu y figurer. Voici ce qu'écritBACHELARDà propos du secret: "(. ..) On ne communique aux autres qu'uneorientationvers le secret, sans jamais pouvoir dire objectivement le secret.Le secret n'a jamais une totale objectivité (...)". Belle formule, que peut

méditer celui qui veut éduquer à la rationalité scientifique.

L'iniùation se déroule dans une maison, elle possède sans doute cave et surtout grenier, en haut de l'escalier que gravit la fillette dans sa quête. Maison, escalier, grenier sont, selon BACHELARD,des vecteurs majeurs de l'imaginaire. "(.. .) Une sorte d'attraction d'images concentre les images autourde

la maison (. ..

r,

écrit-il (p. 23). Certes, "(.. .) la maison est de prime abord un objet àfone géométrie.

On est tenté de l'analyser rationnellement. Sa réalité première est visible et tangible. Elle est faite de solides bien taillés, de charpentes bien associées.Laligne droite y est dominatrice.Lefilàplomb lui a laissé la marque de sa sagesse de son équilibre. Un tel objet devrait résisteràdes métaphores qui accueillent le corps humain. l'âme humaine. Mais la transpositionàl'humain sefait tout de suite.(. ..)"

(p. 59). Et aussitôt "(...) la maison est imaginée comme un être vertical. Elle s·élève. Elle se

différencie dans le sens de la verticabi/ité (. ..)" (p.34-35).

Il va donc de soi, comme le note plaisammentBACHELARD,que "(. ..) l'escalier du grenier, plus

raide. on lemontetoujours. Il a le signe de l'ascension vers la plus tranquille solitude. Quand je retourne rêver vers le grenier d·antan. je ne redescends jamais (...

r.

(p. 41).BACHELARDn'ignore pas le symbolisme classique de l'escalier, symbole de la progression vers le savoir, de l'ascension vers la connaissance et la transfiguration. Identifiant dans les pyramides égyptiennes un analogue de l'escalier, le "Dictionnaire des symboles" souligne qu'il "(. ..) peut désigner non seulement la montée

vers la connaissance, mais une élévation intégrée de tout l'être(. ..)"(p. 413).

Le tunnel que doivent emprunter en rampant les enfants du grenier est sans doute la pièce centrale du parcours initiatique. On ne s'en étonnera pas. Le dictionnaire auquel je continue d'emprunter précise que "(. ..) le tunnel est le symbole de toutes les traversées obscures, inquiètes,

douloureuses, qui peuvent déboucher sur une autre vie. D'où l'extension du symboleà la matrice et au vagin de la mère. la voie initiatique du nouveau-né (. ..)"(p.981-982).

Comment oublier que ces enfants progressant dans le tunnel sont sortis d'une malle où ils s'étaient cachés?BACHELARDconsacre tout un chapitre aux tiroirs, coffres et armoires. Il a,àleur propos, des fonnules qui méritent elles aussi d'être méditées: "(. ..) Que de psychologies sous leurs

serrures! Ils portent en eux une sorte d'esthétique du caché. Pour amorcer dès maintenant la phénoménologie du caché, une remarque préliminaire suffira: un tiroir vide est inimaginable. Il peut seulement être pensé. Et pour nous qui avonsà décrire ce qu'on imagine avant ce que l'on connaît. ce qu'on rêve avant ce qu'on vérifie, toutes les armoires sont pleines (...)"(p.19)..

Passons avec la caméra qui les balaie longuement sur le désordre des objets, ces choses dont BACHELARDnous dit que "(...) croyant parfois (les) étudier ...• on s'ouvre seulement à un type de

rêveries ( .. )" (p. 19) ..passons aussi sur l'oeil grand ouvert de l'enfant qui nous rappelle comment

"(. ..) dans le règne de l'imagination tout ce qui brille est un regard (. ..)",comme sur l'araignée dont la trame imaginaire est fort riche. Il est vrai qu'à trop prouver on finirait par ne rien prouver. C'est le défaut incontestable du symbolisme que tout parle de tout à celui qui s'abandonne au langage des symboles.

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Reste qu'une si fone convergence des images vers une symbolique de la connaissance ne peut être sans signification. Le dernier plan du film, après un second volet beaucoup plus prosaïque qui se contente de montrer quelques aspects de l'activité pédagogique dans une classe, manipulations, observations, retrouve la veine imaginaire du premier volet avec l'image en gros plan d'un poisson et s'immobilise sur le bouillonnement des bulles de l'aquarium. L'eau, l'imagination, l'un des quatre points cardinaux de l'imagination matérielle.

Voilà, dira-t-on, l'enchaînement auquel on s'expose inéluctablementà laisser libre cours à l'imaginaire. Il faut donc bien rompre avec sa logique et se soustraire àl'attraction fatale de ses images. Bref, l'éducation scientifique doit être conçue comme coupure, rupture.

Serions-nous renvoyés au paradigme bachelardien ? Oui, mais je l'envisagerai à présent d'un tout autre oeil. Une relecture de"Laformation de l'esprit scientifique"(BACHELARD,1938) n'aurait pas trop de peine à se convaincre que la conception bachelardienne relève elle aussi d'une doctrine de l'initiation, s'adosse, ene aussi, à quelques-uns de ces symboles, de ces grands mythes de la connaissance.

Ce que propose Bachelard, c'est, comme le dit avec humour MichelSERRES,un"Traité de la Réforme" (article cité, p. 20). Comment accède-t-on à l'esprit scientifique? Par une catharsis de

l'impur. "(. ..)Toute culture scientifique doit commencer par une catharsis intellectuelle et affective

(...r,

affIrmeBACHELARD("La formation de l'esprit scientifique" p. 18). Pas de science donc sans

une "éthique purgative". L'âme savante est une âme héroïque: elle a traversé comme l'initié bien des épreuves et des tentations pour parveniràla connaissance. Mais le combat ici a été mené contre son propre corps et son propre langage. Au fonds symbolique de l'initiation, la doctrine bachelardienne superpose les thèmes chrétiens de l'ascétisme et de l'austérité, et la conviction des maléfices du corps. Ethique d'une haute austérité qui refuse le monde et les mondains, fuit la frivolité, et veut qu'on entre au laboratoire ou à l'école comme on entre au cloître, et qu'on en revienne toujours fermement aux voeux d'ascétisme qu'il a fallu prononcer.

Un mythe, du moins une légende, qui a pris dans notre culture la place et la valeur d'un mythe, celui de FAUST, traverse bien des pages de cet ouvrage. Pour accéder au savoir scientifique, l'esprit doit affronter la tentation faustienne. Dans une page au moins du texte deBACHELARD,la figure et le personnage de FAUST sont nommément invoqués. Il s'agit du FAUST de la légende du XVlème siècle, d'abord personnage douteux vivant entre 1480 et 1540 dans l'Allemagne du Sud, tantôt maître d'école aux moeurs suspectes et tantôt charlatan de foire ou astrologue. Pour expliquer ses pouvoirs magiques, un biographe anonyme lui supposera un pacte avec l'enfer et le châtiment d'une mort terrible propre à avertir tout bon chrétien tenté de faire alliance avec le diable. Bref, comme l'écrit l'auteur,0( ... )un FAUST hérétique et pervers (qui) a besoin de l'aide du démon pour assouvir ses passions (.. .)". (p. 50). Et il lui oppose la force d'âme de l'alchimiste, aussitôt: "Au contraire, un coeur fwnnête, une âme blanche, animée deforees saines, réconciliant sa nature particulière et la nature universelle trouvera naturellement la vérité. Il la trouvera dans la nature parce qu'i/la sent en lui-même. La vérité du coeur est la vérité du Monde. Jamais les qualités d'abnégation, de probité, de patience, de méthode scrupuleuse, de travail acharné, n'ont été si intimement intégrées au métier que dans l'ère a/chimique" (idem).

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alchimique entre l'exigence éthique et la vérité scientifique, entre l'âme et le monde, entre l'état subjectif et les données objectives, et c'est vrai que tout le livre la dénonce. L'attitude de cet écrivain et son jugement à l'égard de l'alchimie n'en sont pourtant pas moins ambivalents.

La suite immédiate du texte évoque le savant contemporain, ou plutôt celui qui fait métier de sciences et de recherche. "(...) Il semble, poursuit bachelard, que, de nos jours, l'Jwmme de laboratoire puisse plus facilement se détacher de sa fonction. Il ne mile plus sa vie sentimentaleàsa vie scientifique. Son laboratoire n'est plusdanssa maison, dans son grenier, dans sa cave. Ille quitte le soir comme on quitte un bureau et il retourne à la table de famille où l'attendent d'autres soucis, d'autres joies (...

r.

On sent passer dans ce constat comme un regret, une nostalgie tout autant éthique que romantique. La division du travail dans la cité scientifique assure sans tensions les partages de l'âme. L'esprit scientifique est sans doute à ce prix, et toutes les conquêtes de la rationalité scientifique. Ce passé-là est bien dépassé.

C'est pourquoi les vertus de l'alchimie, ce n'est pas le Bachelard épistémologue qui va pouvoir sans retenue les chanter, mais le Bachelard pédagogue! Etrange retournement. Voilà que l'éthique alchimique pourrait nous aider à concevoir un modèle d'éducation scientifique: "(.. .)Selon nous, en passant en revue les conseils qui abondent dans la pratique alchimique, en les interprétant, comme il semble qu'on puisse toujours le faire, dans leur ambivalence objective et subjective, on arriveraità

constituer une pédagogie plus proprement humaine, par certains côtés, que la pédagogie purement intellectualiste de la science positive. En effet, l'alchimie, tout bien considérée, n'est pas tant une initiation intellectuelle qu'une initiation morale. Aussi, avant de la juger au point de vue objectif, sur les résultats expérimentaux, il faut la juger, du point de vue subjectif, sur les résultats moraux (...)"

(p.50-51).

Qu'on se rapporte à présent à la fin de ce livre, à ces pages qui définissent"cette pédagogie de l'attitude objective propreàlascience contemporaine"(p. 242). Comment ne pas y entendre l'écho du programme éthiquede l'alchimie?

"(...) Nous devons,écritBACHELARD,commencer... par une véritable confession de nos fautes intellectuelles. Avouons donc nos sottises pour que notre frère y reconnaisse les siennes, et réclamons de lui l'aveu et le service réciproques... Rompons, ensemble, avec l'orgueil des certitudes générales, avec la cupidité des certitudes particulières (...

r

(p. 242-243).

C'est toujours de FAUST qu'il s'agit dans l'alchimie promue au rang de modèle pédagogique. Non plus dans sa version pessimiste, celle du pécheur damné dans une faute inexpiable. TI a plutôt les traits du FAUST de GOETHE, du second FAUST, plus optimiste, modèle d'humanité en ce qu'il manifeste plus de confiance dans l'aspiration de l'homme à l'idéal, sans ignorer les limites et les renoncements.

Serait-il donc impossible de parler et de penser l'éducation sans emprunter au langage du mythe et aux archétypes? La rencontre, chez Bachelard même, de l'alchimie et de la pédagogie en serait une illustration peut-être inattendue.

Qu'est-ce qu'un mythe? Selon Paul Dies (cf. "Lesymbolisme dans la mytJwlogie grecque"

préface de Gaston Bachelard), les figures les plus significatives de la mythologie représentent chacune une manifestation de la psyché, et leurs relations expriment la vie psychique des hommes, partagés entre les tendances opposées vers la sublimation ou vers le pervertissement. Lemythe est une

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dramaturgie de la vie intérieure.(00')"Jlaide, lit-on dans le "Dictionnaire des symboles"(CHEVALIER etGHEERBRANT, 1982, p. 656),à percevoir une dimension de la réalité hwnaine et mentre à l'oeuvre laJonction symbolisantede l'imagination(u.)".

Ainsi FAUST incarne-t-ill'ambiguïté des désirs et des élans de l'homme, et le double vertige qui est au coeur delacondition humaine.

Mais pourquoi l'éducation, la pédagogie devraient-elles recourir aux mythes, au langage et aux structures de l'imaginaire? Un début de réponse peut se trouver dans la justification que donne Bachelard de son intérêt pédagogique pour l'éthique alchimique: "En passant en revue tous les conseils qui abondent dans la pratique alchimique 00. on arriverait, espère-t-il, à constituer une pédagogie plus proprement humaine". Je souligne ces derniers mots. La pédagogie concerne ce qu'il y a de plus proprement humain. Ce que Bachelard découvre dans l'alchimie, c'est aussi un discours qui parle de l'homme même et de sa relation au monde, logé au coeur de cette "matrice archaïque" que la préscience laisse derrière elle. Pour l'éducateur, cette matrice, aussi archaïque soit-elle, n'est jamais derrière, détachée. Elle vit toujours dans le projet d'éduquer.

Je reprendrai pour conclure la question posée: que faire dans l'enseignement des sciences, de l'imaginaire ?

Nous sommes en présence d'un paradoxe constitutif de la culture et de la rationalité scientifique. C'est d'ailleurs à mon sens l'un des intérêts philosophiques de la pédagogie des sciences que de le manifester et de le déployer largement. La réflexion sur l'enseignement des sciences pourrait bien être une dimension à part entière de la réflexion sur la science.

D'un côté la connaissance scientifique ne peut être qu'un savoir en rupture avec l'imaginaire, avec la subjectivité, le langage naturel et le corps. A tel point qu'on a pu la définir comme un discours que ne tient aucun sujet. La notion bache1ardienne de rupture et de coupure épistémologique paraît irrécusable.

Il en va autrement quand on regarde du côté de l'éducation scientifique. Il s'agit en effet de faire paradoxalement de ce qui se constitue comme "le discours de personne", le savoir de quelqu'un. L'éducation est nécessairement réappropriation personnelle d'un savoir que seule la dépersonnalisation avait pu constituer. Comme l'écrivait B.JURDANT(1975),"(00.)à la question: "qui parle?",adressée

àla science, personne ne peut répondre "meC', sans impliquer sa subjectivité dans cette réponse, et donc sans trahir l'objectivité scientifique(.ur

La pédagogie doit toujours ainsi affronter ce que la science rejette pour s'instituer. Ce que les sciences retrouvent, dès qu'elles s'enseignent, c'est quelque chose comme leur propre matérialité refoulée, l'enracinement dans un sujet, dans un langage, dans un corps. C'est pourquoi le retournement des obstacles épistémologiques en obstacles pédagogiques s'opère chez Bachelard si aisément.

Il existe, me semble-t-il, sur le plan de la pédagogie et de l'éducation, trois façons au moins de gérer ce retour de l'imaginaire.

La première se situe en quelque sorte en deçà de la rupture. Elle s'efforce de faire de la connaissance scientifique un univers fabuleux, riche en merveilles et en images qui réjouissent l'oeil et l'esprit. Les sciences y déploient sans visibles arrières-pensées le spectacle révélé de la nature, de leurs

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conquêtes et de leurs prouesses. On installe ici sans complexe les savoirs près des sources de l'imaginaire. TI y a bien dans le film"Espaces"(GOUX) un peu de celte tentation. C'est un modèle que les développements de la pédagogie et de la didactique ont largement récusé, au nom de la rigueur épistémologique. N'oublions pas cependant qu'il suppose une philosophie ou une mythologie de la nature. Peut-on s'en passer? Par quoi les remplacer? Après tout,ilya bien dans le mouvement des Lumières et l'Encyclopédisme du XVillème siècle une semblable philosophie de la nature, et l'idée d'éducation universelle s'y trouve en partie fondée.

Le second modèle pédagogique se situe très précisément au niveau de la rupture. Eduquer, s'éduquer, c'est faire et refaire sans cesse ce geste de la rupture épistémologique, c'est cet effort toujours nécessaire et jamais achevé pour s'arracher à l'imaginaire. Modèle d'inspiration bachelardienne, qui nourrit assez largement les actuelles didactiques des sciences. TI est cependant indissociable, on l'a vu, d'une éthique, d'une morale de la transformation de soi et de la purification, d'une ascèse rationaliste. Est-on prêt à les assumer?

Enfin, le troisième modèle s'installe d'emblée au delà de la rupture, dans le discours savant constitué, dont l'enseignement sera la transposition et la transmission. C'est sans doute le modèle dominant. TI correspond vraisemblablement à ce que Bachelard appelait la"pédagogie purement intellectualistedela science positive",et à quoi il opposait le voeu d'une"pédagogie plus proprement hwnaine".

Reste à savoir si celte pédagogie intellectualiste échappe à l'imaginaire et aux mythes, comme elle ne manque pas de le professer.

L'évocation d'une autre figure de FAUST(DABEZIES,1968) peut nous aider à esquisser une réponse. "L'homme faustien", dans la mythologie contemporaine, n'incarne plus guère que la volonté de puissance et le désir de vivre de l'homme contemporain, maître et possesseur du monde, triomphant mais aveugle, oublieux de l'ambiguïté de ses désirs et de ses élans.

Je crains que ce soit celte version de FAUST qui tienne lieu malgré elle de mythe fondateur à "la pédagogie purement intellectualiste de la science positive", quand elle se croit à l'abri de toute mythologie. Tantilest vrai, comme l'écrit MichelSERRES (1974, P. 259), qu'''( .. .) un savoir sans illusion est une illusion toute pure (...)".

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Filmographie

Références

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