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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Slow food et imaginaire gustatif

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Academic year: 2021

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SLOW FOOD ET IMAGINAIRE GUSTATIF

Diana BRATU

LIMSIC, Université de Bourgogne

MOTS-CLÉS : COMMUNICATION – IMAGE – IMAGINAIRE – VALEUR – IDENTITÉ ALIMENTATION – GOÛT

RÉSUMÉ : Slow Food construit un imaginaire alimentaire dont les axes principaux sont le plaisir et l’éducation du goût. À la différence d’un produit industriel, fabriqué à la chaîne, l’aliment slow a une forte identité : il porte l’empreinte des gens qui l’ont produit et il marque l’esprit du consommateur. Manger est un acte symbolique qui prend sens à travers les sens.

ABSTRACT : Slow Food builds an imaginary of food based on pleasure and taste education. Unlike an industrial mass product, slow food has a strong identity, it carries the imprint of people who produced it and it marks its consumer. Eating is a symbolic act that makes sense through senses.

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1. INTRODUCTION

Slow Food est un mouvement international d’origine italienne constitué en 1989 comme réaction

contre le Fast food et contre la standardisation et l’homogénéisation des goûts et des produits. Dans un contexte caractérisé par l’industrialisation et la mondialisation, Slow Food milite pour la sauvegarde de la biodiversité et de l’agriculture traditionnelle, tout en soutenant les petits producteurs et les espèces de plantes et animaux en voie de disparition.

Dans le cadre de notre travail de recherche sur l’alimentation et les modalités d’expression et de représentation du goût à l’intérieur d’une société et d’une culture, la stratégie globale de communication de Slow Food offre un terrain d’application très riche pour la réflexion. Étant données les multiples dimensions de l’acte alimentaire (biologiques, culturelles, symboliques, identitaires etc.), et la multitude de représentations dont il s’accompagne, nous nous interrogeons sur la manière de laquelle Slow Food construit autour du goût et des pratiques alimentaires un espace de communication, offrant un imaginaire riche de notre rapport à l’alimentation. Nous limitons notre étude à l’analyse du magazine Slow, la revue trimestrielle du mouvement, qui est conçue en tant que document porteur de l’identité de Slow Food.

La démarche suivie ici reprendra les différents niveaux de construction du sens, du niveau éthique, celui des valeurs véhiculées dans les divers discours de Slow Food, explicitement ou non, au niveau esthétique qui articule des choix figuratifs et thématiques de communication et au niveau esthésique qui concerne l’émergence de sensations. Notre hypothèse liminaire est que, entre esthésie, esthétique et éthique, Slow Food construit autour du goût un espace de communication porteur d’une logique identitaire complexe qui met en jeu un imaginaire riche en significations, dont il nous revient la tâche de cerner à travers l’analyse du magazine trimestriel Slow.

2. DIMENSION ÉTHIQUE

Nous nous proposons de représenter les valeurs de Slow Food à partir de quatre dimensions sensibles dans les divers discours du mouvement : éthique, hédoniste (le plaisir comme mode de vie et modalité d’action, dans un sens épicurien, qui n’exclut pas l’ordre et l’austérité), éducationnelle (l’éducation du goût est une des préoccupations primordiales) et relationnelle (qui concerne la relation à l’autre, médiée par l’aliment). Schématiquement, une possible organisation des valeurs pourrait prendre la forme suivante :

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Ethique Educationnel Relationnel Hédoniste Engagement Responsabilité Tolérance Solidarité Transmission Sensibilisation Plaisir Convivialité 3. DIMENSION ESTHÉTIQUE

La revue trimestrielle Slow porte le sous-titre « magazine culturel du goût ». Édité en cinq langues actuellement, il a le rôle déclaré de promouvoir une philosophie associative1 parmi ses membres qui

le reçoivent gratuitement. Cela impliquerait, d’après les propos du mouvement, l’ambition de partager une culture œnogastronomique et la reconnaissance de la biodiversité. Il est donc un moyen de communication avec les adhérents et un document porteur de l’identité de Slow Food. Avec un format A4, imprimé sur du papier recyclable, en couleurs, il est plus proche dans la forme d’un cahier d’études ou d’un recueil d’articles que d’un magazine habituel. Outre les informations sur les divers événements du mouvement, le magazine se veut avant tout un lieu d’échanges d’idées, d’informations mais aussi d’expériences. Son contenu est très riche, on y retrouve des études, des réflexions sur les pratiques alimentaires (l’espace, les lieux, le temps, les codes sociaux mis en jeu par la nourriture), sur les techniques de production, de distribution et de consommation, des interviews, des histoires, des témoignages, des expériences partagées etc. Le style adopté va de l’essai au discours scientifique, technique ou journalistique, au point de vue historique ou sociologique. Le collectif de rédaction est formé de membres permanents et de collaborateurs du monde entier, des spécialistes de domaines divers (sociologues, historiens, ethnologues, anthropologues etc.). En un mot, multiculturalisme et diversité. La couverture est un élément distinctif primordial pour l’identité du magazine. Construite dans une logique de rupture avec l’esthétique des magazines actuels, elle a non seulement une fonction d’accroche mais aussi ludique, en jouant sur le décalage, la surprise ou le choc visuel, avec de fortes implications émotionnelles pour le lecteur. En voici quelques exemples :

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Regardons maintenant la structure à l’intérieur du document. La mise en page aérée, suit un parallélisme constant, avec une marge de 5 centimètres, intention claire de laisser la place à la réflexion et à l’expression. Au niveau graphique, le lecteur est surpris par la finesse des caractères, de petite taille. Ce souci pour l’ordre, presque austère, est renforcé par les images : des photos d’art, en noir et blanc ou couleurs, peintures, gravures, dessins. Toute cette rigueur de la forme, malgré les couleurs vives de certaines images, engendre chez le lecteur une prise de distance par rapport au texte. Le manque de fioritures, de fantaisie dans la forme, dégage un sentiment d’inaccessibilité, renforcé par le niveau iconique. L’acte de lecture ne se déclenche pas instantanément. Il s’agit d’une expérience esthétique qui implique une prise de distance du sujet par rapport à l’objet, une réflexion et une volonté de découvrir et de comprendre. Mais le contenu des articles reste, lui, accessible. Une fois la lecture entamée, l’imagination, l’esprit du sujet se retrouvent captivés par le sujet en lui-même, malgré la difficulté première, qui est liée à la typographie et qui ralentit la lecture. Le magazine Slow, tel que son nom l’indique, a l’ambition d’être un document de réflexion, qui se lit lentement, en prenant le temps. Ainsi, la relation qui s’établit avec le lecteur repose sur une expérience esthétique telle que Jean Caune (1987) la définit : il s’agit tout d’abord, d’un plaisir de l’esprit, mais il intègre des éléments cognitifs, pratiques et émotifs. Comme toute expérience esthétique, elle est à définir, à construire. C’est le concept de formation (Bildung) qui peut fonder l’expérience esthétique. C’est dans ce sens même que l’on pourrait interpréter la signification du document. Malgré son inaccessibilité apparente, le magazine a comme ambition celle de former, dans la continuité des activités primordiales du mouvement qui s’organisent autour de l’éducation du goût.

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4. DIMENSION ESTHÉSIQUE

La dimension esthésique concerne l’émergence de sensations. L’activité perceptive se construit à l’intérieur d’un espace figuratif qui crée un monde de sensations à travers la synesthésie et le syncrétisme. Les sens coopèrent dans la synesthésie, un transfert de signification s’opère entre deux ou plusieurs systèmes sensoriels : l’œil « entend », « touche », « goûte ». Nous voyons une nourriture d’une couleur, d’une apparence particulière, nous imaginons son goût, sa consistance. Le syncrétisme sensoriel concerne les modes sensoriels, comme organisations complexes : verbal, visuel, spatial, gestuel. Ainsi, la sollicitation d’un acteur, d’un certain contexte, convoque des dimensions visuelles, sensori-motrices et tactiles.

Le magazine explore très peu cette dimension, qui apparaît dans d’autres supports de la communication de Slow Food. L’attention est portée sur les processus de production, sur la mise en scène des acteurs, de leur liaison avec l’aliment qu’ils produisent, sur leur habitat et leurs histoires personnelles et traditions.

5. CONCLUSION

Au bout de cette analyse, nous pouvons saisir quatre dimensions qui articulent l’univers gustatif et ses manifestations au niveau de l’image. En voici la projection dans un carré sémiotique :

CORPS ESPRIT

Dimension sensorielle Dimension intellectuelle

AME CŒUR

Dimension spirituelle Dimension émotionnelle

Au-delà des enjeux sensoriels liés à la perception d’un aliment par le corps, le goût, dans un sens culturel, est médiateur d’un processus intellectuel complexe d’enrichissement de l’esprit. L’acquisition du « bon goût » dépend de notre intelligence, qui est cette faculté de comprendre facilement et d’agir avec discernement. Ce propos est d’ailleurs fermement soutenu par l’éthique et les actions de Slow Food, puisque le goût est une faculté à développer à travers l’éducation. Dans une dimension spirituelle, l’aliment porte l’empreinte des gens qui l’ont produit, raconte leurs

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et leur mémoire se laisse imprégnée à travers une sorte d’expérience mystique par laquelle l’âme des choses touche l’individu. Nous pouvons ainsi comprendre la relation émotionnelle forte, qui s’établit avec un tel produit à travers l’expérience gustative, mais restant labile entre dysphorie et euphorie.

À travers ces quatre dimensions, l’univers du goût se déploie dans un large espace de communication capable de rendre compte d’un imaginaire gustatif construit autour de l’alimentation, à la transmission duquel Slow Food se propose de contribuer. Néanmoins, sa démarche peut paraître dérisoire, si l’on pense que la question qui se pose, encore trop souvent dans le monde, est de pouvoir manger. Mais l’ambition de Slow Food est justement celle de remettre en cause les questions liées à la nourriture et de souligner ses enjeux et son importance vitale dans un monde qui se confronte à la fois à la pénurie et à l’abondance. Il nous revient encore la tâche de comprendre si cette même démarche va conduire le mouvement à accorder son éthique avec ses choix stratégiques en communication afin de déclencher chez l’individu une prise de conscience et une volonté d’action.

BIBLIOGRAPHIE

- (2002). Il Dizionario di Slow Food, Slow Food Editore, Bra.

BOUTAUD J.-J. (1998). Sémiotique et communication. Du signe au sens. Paris : L’Harmattan. CAUNE J. (1987). Esthétique de la communication. Paris : Presses Universitaires de France. FLOCH J.-M. (1995). Identités visuelles. Paris : Presses Universitaires de France.

SEMPRINI A. (1996). Analyser la communication. Comment analyser les images, les médias, la

Références

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