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L'Autre comme instrument de propagande : les représentations des Espagnols en France durant la Fronde (1648-1653)

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L'Autre comme instrument de propagande- Les

représentations des Espagnols en France durant la

Fronde (1648-1653)

Mémoire

Sara Cossette-Blais

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

(2)

L’Autre comme instrument de propagande

Les représentations des Espagnols en France durant

la Fronde (1648-1653)

Mémoire

Sara Cossette-Blais

Sous la direction de :

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Résumé

En 1648, les traités de Westphalie mettent un terme à la guerre de Trente Ans mais ne permettent pas le dénouement des hostilités franco-espagnoles, officiellement ouvertes depuis 1635. Alors que la lutte entre les deux puissances se poursuit, la France est secouée par plusieurs mouvements de contestation internes principalement orientés vers la régente Anne d’Autriche et son Premier ministre Jules Mazarin. Les révoltes de la Fronde (1648-1653) fournissent alors aux Espagnols l’occasion de nourrir les troubles français et de tenter des alliances avec les révoltés. Cette conjoncture effervescente favorise l’émergence d’une littérature « guerrière » où chacun des partis frondeurs tout comme le gouvernement royal tentent d’attaquer et de se défendre par la plume à l’aide de divers écrits auxquels il fut attribué le titre de mazarinades. Au sein de cette littérature, l’Espagne de Philippe IV fait notamment couler l’encre des polémistes qui s’appliquent soit à en faire l’apologie, soit à souligner les vices et les mauvaises intentions des autorités espagnoles, surtout au regard de la paix tant attendue avec la couronne de France. Dans les deux cas, ces images et représentations de l’Espagne sont manipulées et instrumentalisées par les divers camps qui cherchent à justifier leurs propres actions et intérêts. Ce mémoire met donc en lumière la présence du thème espagnol au sein des mazarinades ainsi que les stéréotypes véhiculés à leur égard au profit des propagandistes au moment de la Fronde.

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Abstract

In 1648, the Treaties of Westphalia ended the Thirty Years’ War without ending the French-Spanish hostilities, which were officially declared in 1635. During the continuation of the fighting between the two great powers, the France is shaken by many contestation’s movements mostly concerning the government of Anne of Austria and her chief minister Jules Mazarin. The revolts of the Fronde (1648-1653) give the Spaniards the opportunity to nourish the troubles of their neighbours and to attempt alliances with the rebels. This conjuncture leads to the emergence of a warrior literature through which all parties of the Fronde attack and defend themselves by using words, namely the mazarinades. The Spain of Philip IV is represented by the polemicists in many pamphlets because they want to do the apology of it or, on the contrary, they want to emphasize its vices and its bad intentions, mostly with regards to the long awaited peace with the French crown. In both cases, these representations are manipulated by the parties as a justification of their own actions and interests. This thesis highlights the presence of the spanish theme in the mazarinades and the recurrence of the stereotypes of the Spaniards that were put to good use by the propagandists during the Fronde.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Remerciements ... vii

INTRODUCTION ... 1

Considérations historiographiques et définition des concepts ... 3

La Fronde : une période de crise difficile à cerner ... 3

L’originalité et la complexité des mazarinades ... 8

Histoire des représentations ... 10

Du stéréotype pour définir l’Autre ... 13

Le délicat débat sur l’« opinion publique » au XVIIe siècle ... 15

Limites du mémoire ... 19

Sources et méthodologie ... 20

CHAPITRE 1. L’ESPAGNE ET LA FRANCE SUR TOUS LES FRONTS ... 23

1. LA GUERRE DE TRENTE ANS ET LE CONFLIT FRANCO-ESPAGNOL ... 23

1.1. La guerre « couverte » menée par la France (1618-1635) ... 24

1.2. La guerre ouverte (1635-1648) ... 28

1.3. Pérennité du conflit franco-espagnol, de 1648 à 1659 ... 32

2. LA FRONDE, SES ENJEUX ET SES ACTEURS... 35

2.1. Bouillonnements pré-frondeurs (1643-1648) ... 36

2.2. Fronde parlementaire (1648-1649) ... 39

2.3. Fronde des princes (1650-1653) ... 44

2.3.1. Cadre théorique ... 44

2.3.1.1. Honneur et devoir de révolte ... 44

2.3.1.2. Moyens de la révolte ... 46

2.3.2. Déroulement chronologique ... 48

2.3.2.1. Mise en place de la fronde princière (1649-1650) ... 48

2.3.2.2. Libération des princes et guerre condéenne (1651-1652) ... 49

2.3.2.3. Fin de la Fronde (1652-1653) ... 52

CHAPITRE 2. LA PAIX ENTRE LES DEUX COURONNES COMME LEITMOTIV DE LA PROPAGANDE À L’ÉGARD DES ESPAGNOLS... 55

(6)

2. LES REPRÉSENTATIONS D’UNE ESPAGNE PACIFIQUE ... 60

3. LE FOSSÉ ENTRE LES PRÉTENDUES BONNES INTENTIONS DE L’ESPAGNE ET SES AGISSEMENTS ... 66

4. OPPORTUNISME ET HYPOCRISIE : L’ESPAGNE COMME ENNEMIE IRRÉCONCILIABLE DU ROYAUME DE FRANCE ... 69

4.1. La superbe du lion espagnol ... 70

4.1.1. L’orgueil des Espagnols et son effet distordant sur la réalité ... 70

4.1.2. Une voracité sans limite camouflant de nombreuses faiblesses 75 4.2. Le « rusé et cauteleux regnard » ... 85

4.2.1. Les espérances de l’Espagne fondées sur les divisions internes en France ... 87

4.2.2. Des tentatives d’alliance avec tous est chacun : l’opportunisme de l’Espagne ... 92

CONCLUSION ... 98

BIBLIOGRAPHIE ... 101

I. SOURCES ... 101

II. OUVRAGES GÉNÉRAUX ... 105

III. ÉTUDES ... 105

ANNEXE I : Repères chronologiques (1635-1661) ... 115

ANNEXE II : L’Europe centrale après la guerre de Trente Ans ... 126

ANNEXE III : La France en 1648 ... 127

ANNEXE IV : Paris pendant la Fronde ... 128

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Remerciements

Marathon. Selon Le nouveau Petit Robert, le marathon se définit comme une « épreuve ou séance prolongée qui exige une grande résistance1 ». Résistance, oui,

ça fait écho en moi. Résister. Malgré l’impatience de la sprinteuse. Résister. Finir, franchir le dernier pas, se délecter du sentiment du devoir accompli, de la joie de l’achèvement, de l’avènement jouissif du temps des remerciements, enfin.

Tout d’abord, un grand merci à mon directeur de recherche Michel De Waele pour sa bienveillance, pour la justesse de ses commentaires, la rapidité de ses réponses et le respect de ma liberté et de mon rythme. Un grand merci également à Alain Laberge pour son enthousiasme communicatif et ses encouragements ainsi qu’à Stéphane Haffemayer pour sa rigueur. Merci à tous pour la pertinence et la complémentarité de vos analyses respectives face à mon travail. Je veux également remercier Patrick Rebollar qui, de l’autre bout du monde, a répondu à plusieurs de mes interrogations en lien avec les mazarinades.

Je suis par ailleurs reconnaissante pour le soutien financier dont j’ai eu la chance de bénéficier de la part de la Faculté des Lettres et du Bureau international de l’Université Laval, du Fonds général pour les études supérieures du Conseil de recherches en sciences humaines et de l’Association des étudiantes et étudiants de Laval inscrits aux études supérieures. Cette aide m’a permis de pouvoir réaliser un séjour de recherche très intéressant à Paris.

Enfin, à vous, les piliers de ma vie. À toi, Jean-Luc, qui m’as attendue, qui t’es même oublié toi-même, par moments, pour résister avec moi et qui a été un soutien d’absolument tous les jours, un immense merci pour ton amour, ton incommensurable patience et ton pragmatisme lucide. À vous mes parents, Roger

1 Josette Rey-Debove et Alain Rey, Le nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique

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et Marie-France, passionnés d’histoire, de culture et de spiritualité qui m’avez transmis cet amour pour le profond, pour l’humain. À vous qui m’avez précédée dans le monde difficile de la longue course académique, dans les sprints comme dans les marathons, et à vous qui avez couru avec moi, depuis le début, à mes côtés, en m’abreuvant d’encouragements infinis et en communiant à mes angoisses, à mes joies et à mes peines, un merci infini. À toi Virginie, ma sœur d’amour, qui m’a soutenue, toujours, malgré l’incompréhension de mon obstination envers ces étranges mazarinades, et qui, par ta fidélité sans borne, a accueilli mes propos et mes émotions les plus diverses avec une grande patience, un infini merci. À Athos, Porthos et d’Artagnan, mes femmes fortes qui m’inspirez au quotidien, un immense merci pour votre présence dans ma vie et pour vos intensités, votre urgence de vivre. À vous ma deuxième et très chère famille de la maison bleue : André, Carole, Péroline et Bertille qui m’avez si souvent donné du courage, énergisée à nouveau, un immense merci. Merci à toi Marissa pour ton efficacité, tes conseils pratiques et tes encouragements concernant le monde des grands. Merci à toi Michèle, pour tes nombreux conseils de doctorante et pour le modèle que tu as été pour moi. Merci à vous Daniel et Fernand, chers amis et grands intellectuels, qui m’avez poussée à aller jusqu’au bout de moi-même. Un merci particulier également à Monique Dussault et Marcel Frenette, pour leur grande délicatesse et leur générosité à mon égard. Finalement, merci à tous mes amis(es) ainsi qu’à mes oncles et tantes Cossette-Baril qui ont eu un impact positif, de près ou de loin, sur ma participation à ce long marathon.

Ce mémoire est pour moi un ouvrage collectif, celui d’un réseau de solidarité entier, celui de ma grande famille, forte et vivante.

(9)

INTRODUCTION

À peine remis des guerres de religion qui déchirèrent catholiques et huguenots pendant plus d’une trentaine d’années (1562-1598), la France s’implique ouvertement dès 16352 dans le conflit d’envergure européenne qui dure depuis

1618, soit la guerre de Trente Ans. Elle s’élève ainsi contre la puissante maison de Habsbourg qui encercle son territoire3. Alors qu’est officialisée la paix avec le

Saint-Empire romain germanique, et donc la branche allemande des Habsbourg, lors de la signature du traité de Münster le 24 octobre 16484, les hostilités se poursuivent

avec la branche espagnole de la puissante famille. En son sein, le royaume de France se trouve par ailleurs secoué par une période de conflits internes nourris par plusieurs partis défendant leurs intérêts respectifs sur la scène politique. Cette période appelée la Fronde (1648-16535), au moment où Louis XIV n’a pas encore

atteint la majorité, fragilise la France face à l’ennemi espagnol6. La révolte des

officiers parlementaires (1648-1649) puis celle des princes (1650-1653) face au pouvoir central alors représenté par Anne d’Autriche et son Premier ministre le cardinal Jules Mazarin, entraînent dans leur foulée le soulèvement de tout un réseau de clientèles dans la capitale comme dans les provinces, auquel le gouvernement doit faire face. Les troubles avec lesquels la France est aux prises fournissent

2 Pour une liste chronologique détaillée des événements majeurs survenus entre 1635 et 1659,

années de la guerre ouverte entre la France et l’Espagne, voir ANNEXE I. Bien que le mémoire couvre plus spécifiquement l’époque de la Fronde (1648-1653), il nous apparaît très pertinent de replacer cette période dans son contexte plus large.

3 Pierre Goubert, Splendeurs et misères du XVIIe siècle; Mazarin; Louis XIV et vingt millions de

Français, Paris, Fayard, 2005, p. 43. Pour plus de détails par rapport à l’implication de la France au sein de la guerre de Trente Ans, voir Lucien Bély, La France au XVIIe siècle : puissance de

l’État, contrôle de la société, Paris, Presses universitaires de France, 2009, p. 162-332.

4 Pour une idée du dessin géographique de l’Europe suite à la guerre de Trente Ans, voir ANNEXE

II.

5 Nous avons choisi 1653 plutôt que 1652 pour baliser la fin de la Fronde, même s’il y a débat

historiographique sur la question. C’est-à-dire que plusieurs historiens considèrent que la Fronde se termine lors de la reddition de Paris, à l’automne 1652, alors que d’autres la prolongent jusqu’à l’été suivant, jusqu’au moment où le mouvement populaire de l’Ormée (voir la note infrapaginale 197) s’éteint en Guyenne. Hubert Carrier, grand spécialiste de la presse de la Fronde, met de l’avant ce cadre temporel pour délimiter la période : du 13 mai 1648 au 31 juillet 1653. Voir Hubert Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades, vol. I : La conquête de l’opinion, Genève, Librairie Droz, 1989, p. 64-71.

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conséquemment une plus grande marge de manœuvre à l’adversaire espagnol, qui peut alors tenter des alliances avec les révoltés.

Simultanément, les hostilités outrepassent les sphères politique et diplomatique pour se répercuter dans le monde littéraire, dans la culture de l’imprimé. Ainsi se transposent dans un grand combat de plumes les revendications et les intérêts de tous les partis impliqués dans les troubles internes. D’un côté, les écrivains et les imprimeurs-libraires se mettent au service des différentes factions, alors que de l’autre, toute une propagande s’organise autour de Mazarin et de la régente pour mettre de l’avant la politique royale. La capitale parisienne7, avec ses

quelque 400 000 habitants, devient donc le centre névralgique d’une guerre de plumes partisane. À cette époque où le pouvoir d’influence des mots et des images sur l’« opinion publique » n’est pas inconnu puisqu’il a déjà été observé auparavant, notamment au temps de la Ligue8 où les catholiques radicaux combattaient les

protestants en partie par toute une propagande9 pamphlétaire, les meneurs de

chacun des partis ainsi que leurs fidèles clients s’impliquent dans une véritable « guerrilla [sic] intellectuelle10 ». La masse extraordinaire de pamphlets, de libelles,

de placards, d’actes et d’édits officiels ainsi que de mémoires relatifs aux hostilités de la Fronde publiés entre le 13 mai 1648 et le 31 juillet 1653 ont ainsi été regroupés, au fil du temps, par les bibliothécaires et les historiens sous une appellation

7 Pour un portrait de Paris pendant la Fronde, voir ANNEXE IV.

8 Sur la bataille pamphlétaire à l’époque de la Ligue, voir Denis Pallier, Recherches sur l'imprimerie

à Paris pendant la Ligue (1585-1594), Genève, Droz, 1976, 561 p.; Jeffrey K. Sawyer, Printed poison : pamphlet propaganda, faction politics, and the public sphere in early Seventeenth-century France, Berkeley, University of California Press, 1990, 198 p.

9 Hubert Carrier emploie de nombreuses expressions inhérentes au champ lexical entourant le

concept de propagande, à l’époque du conflit: « emporter l’adhésion des lecteurs », « frapper l’imagination », « émouvoir la sensibilité », « provoquer le rire », « convaincre par la force du raisonnement », « valeur démonstrative ou émotionnelle des libelles », « frapper le public », « procédés » employés par les pamphlétaires, « action psychologique », « multiplié les avances au lecteur et cherché à se mettre à sa portée », « mécanismes de ces armes redoutables du combat politique » et finalement « constante recherche d’un art de persuader ». Le dernier élément de l’énumération est sans doute celui qui résume le mieux ce qu’est la propagande. Dans Hubert Carrier, op. cit., p. 293-294.

10 Cette expression est employée en lien avec les mazarinades, par Thomas Gomez, dans son article

« Littérature populaire et subversion politique : La Santisima Gaceta, poème satirique anonyme et l’insurrection comunera de Nouvelle Grenade (1781) », dans Mélanges de la Casa de

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commune faisant référence au fameux cardinal-ministre : les mazarinades. Étant donné la superposition de la Fronde au conflit déjà existant avec la couronne espagnole, les mazarinades ne sont pas dénuées de diverses références aux habitants de la péninsule ibérique, et plus particulièrement à Philippe IV ainsi qu’à son entourage politique. Bien au contraire, la propagande intérieure ne peut faire fi de la situation diplomatique extérieure. Plusieurs mazarinades évoquent ainsi ces étrangers selon diverses perspectives, toujours teintées du subjectivisme dont fait preuve chacun des partis selon sa propre expérience avec le royaume voisin.

Ainsi est-il pertinent de s’interroger sur les types de représentations que les divers partis impliqués dans les troubles civils français mettent en circulation et alimentent par rapport aux Espagnols pendant la période de la Fronde. De quelles manières ces représentations sont-elles instrumentalisées pour servir les intérêts de tous et chacun? Sont-elles hétérogènes ou plutôt analogues? Quels sont les thèmes les plus récurrents employés par les propagandistes lorsqu’ils font allusion à l’Espagne? Usent-ils de stéréotypes ou leurs propos sont-ils davantage nuancés? Quel portrait global ressort-il de l’ensemble de toutes les images employées pour parler de cet Autre, cet étranger?

Afin de mieux répondre à ce questionnement et avant de délimiter les paramètres de notre analyse dans le cadre de ce mémoire, attardons-nous d’abord à l’évolution de la production scientifique dans les divers champs d’étude interpellés par notre sujet, puis à travers elle, à la définition des concepts essentiels à l’intelligibilité des principaux enjeux.

Considérations historiographiques et définition des concepts

La Fronde : une période de crise difficile à cerner

La période de la Fronde, de par sa complexité, son lot de péripéties, le nombre important d’institutions, de factions et d’individus qui y furent impliqués ainsi que de par la diversité des motifs et des intérêts de chacun, a longtemps souffert du

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désintéressement des historiens ou du malaise que ces derniers ont éprouvé à la définir11. François Bluche a même dit d’elle qu’elle était « inracontable12 ». Le

principal élément à propos duquel les voix des historiens ne font pas du tout consensus se trouve être la nature même de cette période de conflits à l’intérieur du royaume de France, de 1648 à 1653, alors que les témoins de la Fronde ont eux-mêmes employé diverses appellations pour la dire13. Les différentes définitions qu’ils

emploient pour en parler en sont bien la preuve; à travers le temps lui ont été assignés les titres de rébellion, de guerre civile, de révolution ou de révolte. Ces concepts, tous liés à la notion de conflit, n’ont cependant pas du tout la même signification, la même gravité et les mêmes conséquences, ce qui requiert donc une attention particulière.

En premier lieu, la rébellion se réfère à « un refus d’obéir à un ordre donné, […] un geste non violent dans son essence même, mais qui peut avoir une importance politique capitale14 ». Pour ceux qui désobéissent face à l’autorité, la

violence n’est pas la première option et la négociation est donc privilégiée. Plusieurs actions des magistrats en 1648 et 1649 sont des exemples de rébellion par rapport au pouvoir royal, tels que le refus du Parlement d’enregistrer les nouveaux arrêts de Particelli d’Hémery. Cependant, il n’est pas possible de qualifier la Fronde parlementaire dans son ensemble, et encore moins celle des princes, de simple rébellion15, puisque leurs mouvements de contestation s’avèrent être beaucoup plus

larges et complexes qu’une simple désobéissance.

11 Michel De Waele, Réconcilier les Français : la fin des troubles de religion (1589-1598), Paris,

Hermann, 2015, p. 18-22; Michel Pernot, La Fronde, 1648-1653, Paris, Tallandier, 2012, p. 9-10.

12 François Bluche, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986, p. 65.

13 Michel De Waele, op. cit., p. 22; Nina Brière, La douceur du roi. Le gouvernement de Louis XIV et

la fin des Frondes, 1648-1661, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 7-8.

14 Michel De Waele, op. cit., p. 18-22, 32.

15 Michel Pernot établit une différenciation de statut entre la crise de 1648-1649 et la Fronde des

princes. S’il considère la Fronde parlementaire comme une rébellion, il n’en est pas de même pour la suite, qui se complexifie. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 10.

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En deuxième lieu, le concept de guerre civile16 revêt un aspect

particulièrement grave de par le fait qu’il faut anéantir l’ennemi et que celui-ci n’est pas étranger et lointain, mais plutôt tout près, vivant au sein même de sa propre communauté, de sa propre ville. La guerre civile suppose une lutte idéologique irréconciliable où l’antagoniste doit à tout prix périr, et où l’État n’arrive pas, cette fois-ci, à baliser le conflit. En aucun cas, les groupes impliqués ne considèrent de moyens intermédiaires, notamment la négociation ou le compromis, pour régler le contentieux. Enfin, une guerre civile force chacun des habitants du territoire touché à prendre position au sein de la violente polarisation des idées, sans quoi il est exterminé lui aussi. Les territoires concernés par ce type de conflit sont donc très souvent le théâtre d’idéologies et de violences extrêmes et radicales17. Dans le cas

de la Fronde, les populations qui ont été impliquées dans le conflit ne se sont pas mobilisées de manière radicale derrière des idéologies opposées les menant à une lutte fratricide, mais leurs soulèvements relèvent surtout du fardeau fiscal qui pèse sur eux ou bien du problème de leurs prérogatives ou privilèges traditionnels.

En troisième lieu, le concept de révolution18 renvoie quant à lui à « une rupture

brusque, introduisant un avant et un après, constituant un “ancien Régime” auquel on ne reviendra jamais véritablement19 ». Une révolution implique en conséquence

16 Cette appellation revient particulièrement souvent sous la plume des auteurs de mazarinades tout

comme sous la plume d’historiens récents qui traitent de la Fronde. Pour quelques exemples, voir Sophie Vergnes, « D’une guerre l’autre : les interactions entre guerre civile et guerre étrangère pendant la Fronde (1648-1653) », dans Emmanuel Dupraz et Claire Gheeraert-Graffeuille, dir., La

guerre civile : représentations, idéalisations, identifications, t. 1, Mont-Saint-Aignan, Presses

universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 83; Michel Devèze, L’Espagne de Philippe IV,

1621-1665 : siècle d’or et de misère, tome 1, Paris, SEDES, 1970, p. 151; Ibid., tome 2, 1971, p. 483.

17 Michel De Waele, op. cit., p. 36-38. Pour plus de détails sur le concept, voir Jean-Pierre Deriennic,

Les guerres civiles, Paris, Presses de Science-Po, 2002, 284 p.; William Zartman, Elusive Peace : Negociating an End to Civil Wars, Washington, The Brookings Institution, 1995, x, 353 p.

18 Sur le problème que pose la définition de ce concept de révolution dans la façon de faire l’histoire,

voir Reinhart Koselleck, Futures Past. On the Semantics of Historical Time, New York, Columbia University Press, 2004, p. 43-57.

19 Michel Vovelle, « Révolte et révolution », dans Révolte et société : actes du IVe colloque d’Histoire

au Présent, Paris, mai 1988, t. I, Paris, Histoire au Présent, 1989, p. 26. Selon Javier Fernández

Sebastián, la révolution n’implique aucunement l’absence d’éléments de continuité entre les réalités pré-révolutionnaire et post-révolutionnaire. Cela souligne le « problème historiographique de la dialectique entre persistance et rupture, permanence et innovation, dans la compréhension des processus révolutionnaires ». Voir Javier Fernández Sebastián, « Langue, politique et société aux origines de la modernité », dans Patrick Fournier, Jean-Philippe Luis, Luis P. Martin et

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la destruction d’un ordre social et politique afin d’en voir naître un nouveau qui représente un idéal. Si certains historiens ont pensé la Fronde en tant qu’une période de crise annonciatrice de la Révolution de 178920, d’autres l’ont définie

comme une révolution en soi. Il en est notamment ainsi de l’américain Orest Ranum qui a affirmé que « la nature révolutionnaire de la Fronde réside dans les actions des juges qui, en 1648, refusèrent d'appliquer la loi du roi et devinrent eux-mêmes des contrevenants21 ». Michel Pernot affirme que ce sont « les concessions

arrachées par les magistrats au pouvoir royal22 » qui permettent à certains auteurs

de mettre de l’avant l’aspect révolutionnaire de la Fronde. Plus récemment, Francesco Benigno a questionné le courant historiographique qui perçoit la Fronde comme n’ayant rien à voir avec la notion de révolution : « la radicalité des discours est rendue possible par la violence du rejet qu’inspirent le régime du ministériat et l’administration de l’extraordinaire23. » En contrepartie, dans l’historiographie des

dernières décennies, nombreux sont les auteurs qui vont à l’encontre de cette thèse de la Fronde en tant que révolution : « il est clair que les juges et les nobles, qui sont temporairement aliénés mais qui savent que leur destinée se situe au sein de l’établissement, du système en place, font de pauvres révolutionnaires24 ». Le

spécialiste de la Fronde Ernst Kossmann a également mis de l’avant le fait que « le Parlement de Paris était trop attaché à l’absolutisme de droit divin pour défier les principes monarchiques fondamentaux25 ». Il en est de-même pour les nobles du

royaume très redevables envers le roi et ayant des privilèges tributaires du système

Natividad Planas, dir., Institutions & représentations du politique. Espagne-France-Italie, XVIIe

-XXe siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2006, p. 160.

20 Parmi ces auteurs, Michel Pernot cite le fameux Adolphe Chéruel, Histoire de France pendant la

minorité de Louis XIV, tome 2, Paris, Hachette, 1879, p. 511-513; Louis Madelin, Une révolution manquée : la Fronde, Paris, 1931, p.97; Paul Rice Doolin, The Fronde, Cambridge-Londres, 1935,

p. 9. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 74, 410.

21 H. M. Scott, « Review of The Fronde: A French Revolution, 1648-1652 by Orest Ranum », The

Journal of Modern History, 67, 4 (1995), p. 934. Pour plus de précisions, voir Orest Ranum, La Fronde, Paris, Éditions du Seuil, 1995, 434 p.

22 Michel Pernot, op. cit., p. 67.

23 Jean-Frédéric Schaub, « Révolutions sans révolutionnaires? Acteurs ordinaires et crises politiques

sous l’Ancien Régime (note critique) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 55,3 (2000), p. 649-650. Voir Francesco Benigno, Specchi della rivoluzione. Conflitto e identità politica nell’Europa

moderna, Rome, Donzelli Editore, 1999, 302 p.

24 Alanson Lloyd Moote, The Revolt of the Judges : the Parlement of Paris and the Fronde,

1643-1652, Princeton, Princeton University Press, 1972, p. 368-369.

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monarchique. La Fronde a certainement déstabilisé et affaibli la tête de l’État temporairement, mais au sortir de cette série de conflits, le système monarchique était toujours bien en place, avec une souveraineté royale réaffirmée en la personne de Louis XIV, ce qui est loin de représenter un changement radical dans la société d’alors.

En quatrième et dernier lieu, en ce qui concerne la révolte, il s’agit plutôt d’« actes concrets par lesquels une ou plusieurs personnes prennent les armes pour mener l’offensive contre une autorité légitime26», l’usage de la violence étant ainsi

inhérent à ce type de conflit. Un mouvement de révolte peut mobiliser des individus, des groupes ou même des communautés entières qui revendiquent un retour à une situation antérieure qui était plus avantageuse, et qui, se sentant lésés, désirent se faire entendre par le monarque sans pour autant remettre en cause sa souveraineté ni l’entièreté du système politique en place. Finalement, devant la révolte, l’État se positionne stratégiquement et use de moyens de coercition pour finalement réussir à ramener dans le calme et la soumission les individus ou groupes impliqués, moyennant certains compromis27. Comme il fut mentionné précédemment, plusieurs

historiens se rangent aujourd’hui derrière l’argument qu’en aucun cas pendant les quelques années que durèrent les conflits, il ne fut question de renverser le pouvoir monarchique, de faire table rase pour reconstruire sur la base d’un nouveau système. Ainsi, la définition attachée au terme « révolte » est celle qui sied définitivement le mieux au phénomène de la Fronde; nous considérons donc cette dernière comme une série de révoltes28. Celles-ci sont accompagnées de plusieurs

mouvements de propagande issus de chacun des partis impliqués dans les conflits et l’imprimé en est le véhicule privilégié. Il est donc nécessaire de s’attarder aux mazarinades, armes littéraires de l’époque.

26 Michel De Waele, op. cit., p. 33.

27 Ibid., p. 33-35. Au point 2.3.1.1du présent mémoire, il sera question plus en détail du devoir de

révolte des nobles d’épée et des moyens qu’ils employaient pour se révolter face au pouvoir royal.

28C’est entre autres le point de vue de Nina Brière, qui définit clairement les quatre concepts de

« révolution », de « rébellion », de « guerre civile » et de « révolte » avant de prendre position à l’égard de la Fronde. Nina Brière, op. cit., p. 7-8.

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L’originalité et la complexité des mazarinades

Très longtemps, le corpus hétéroclite et éclaté des mazarinades, prenant aussi bien la forme d’un mémoire, d’un pamphlet satirique, d’un édit royal, d’une chanson, d’un poème burlesque ou d’un libelle cinglant, fut méprisé, en raison de son prétendu manque de qualité sur les plans matériel et littéraire, ainsi qu’en raison de sa supposée incapacité à contribuer à une meilleure compréhension de la Fronde29. Les mazarinades ont été qualifiées par certains comme une « débauche

d’écriture - voire écriture de débauchés -, gratuité perverse […] littérature pour rien dire30 ». Christian Jouhaud, un de ceux qui ont permis la réhabilitation des

mazarinades, s’exprime en ces termes : « Voilà le malentendu : les mazarinades sont disqualifiées dans ce qui est leur originalité, le bruit de leur discours, alors qu’on va fâcheusement les suivre dans ce qu’elles ont de plus faible : le récit, la dimension documentaire31. » Ainsi, Jouhaud défend les mazarinades en tant qu’une littérature

d’action où « presque tous les libelles sont des armes32 qui servent dans le combat

des partis » impliqués dans la Fronde, afin de détruire le « crédit symbolique de l’adversaire33 ». Selon lui, « les mazarinades ont des objectifs de court terme, et,

contrairement à la propagande du temps des guerres de religion, ou de la Ligue, elles ne s’inscrivent pas dans de grands débats. Les métaphores les plus adéquates pour les désigner seraient sans doute guerrières34 », et non pas idéologiques ou

politiques. Elles sont bien particulières et difficiles d’approche car il faut user de prudence avec elles, étant donné que bien qu’elles éclairent certains événements, elles ont un but de propagande partisane et leurs auteurs les écrivent et les mettent en circulation de manière stratégique35.

29 Hubert Carrier, op. cit., p. 1-8.

30 Christian Jouhaud, « Écriture et action au XVIIe siècle : sur un corpus de mazarinades », Annales.

Économies, Sociétés, Civilisations, 38, 1 (1983), p. 42.

31 Ibid., p. 42-43.

32 Déjà, au XIIe siècle, Pierre le Vénérable, qui cherchait à combattre les musulmans en Espagne,

croyait à la force combative de l’écriture et considérait celle-ci comme une arme réelle pour s’élever contre « l’erreur mahométaine ». Dans Dominique Reynié, Le triomphe de l’opinion

publique : l’espace public français du XVIe au XXe siècle, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 201.

33Christian Jouhaud et Robert Descimon, « La Fronde en mouvement : le développement de la crise

politique entre 1648 et 1652 », XVIIe siècle, 145 (1984), p. 315.

34 Christian Jouhaud, « Propagande et action au temps de la Fronde », Publications de l’École

française de Rome, 82 (1), 1985, p. 342.

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Au milieu du XIXe siècle, Célestin Moreau fut un des premiers défricheurs à

tenter une réelle étude des mazarinades dans leur ensemble, en les classifiant tout en essayant de les situer dans leur contexte. Sa fameuse bibliographie des mazarinades en trois volumes s’avère être un pilier pour tout chercheur se penchant sur le sujet36. Également, plusieurs bonifications furent par la suite apportées à son

catalogage37. Christian Jouhaud est bien sûr un des maîtres à penser à propos de

ces documents circonstanciels, mais on ne peut en aucun cas oublier Hubert Carrier et son ouvrage majeur en deux volumes intitulé La presse de la Fronde

(1648-1653) : les Mazarinades. Ce dernier fournit énormément d’informations sur la

diversité incroyable entourant la littérature pamphlétaire et polémique du milieu du XVIIe siècle. Avec la même considération que celle d’Henri-Jean Martin par rapport

au livre dans sa globalité38, Carrier se penche sur toutes les facettes des

mazarinades : conditions de production, milieux sociaux d’où elles tirent leurs origines, divers acteurs qui les produisent, divers groupes ou individus qui les reçoivent, leur matériau, leur contenu, les systèmes de représentations qu’elles prônent, les conditions de leur diffusion, les réactions en chaîne qu’elles provoquent, etc. Elles ont aussi été traitées plus spécifiquement en lien avec divers sujets d’étude tels que les représentations d’Anne d’Autriche39, les répliques du

gouvernement royal face à la production pamphlétaire le critiquant au moment de la Fronde40, etc. Le seul auteur qui, à notre connaissance, a mis directement en

relation le corpus des mazarinades avec le sujet de l’Espagne et des représentations

36 Célestin Moreau, Bibliographie des mazarinades, 3 vol., Paris, J. Renouard, 1850-1851; New-York,

Johnson Reprint Corporation, 1965.

37 À propos, voir la note infrapaginale 1 de l’article de Christian Jouhaud, « Écriture et action au XVIIe

siècle : sur un corpus de mazarinades », loc. cit., p. 63.

38 Voir Éric Le Ray, « Henri-Jean Martin : fondateur de l’École française de l’histoire du livre »,

Communication et langages, 155, 155 (2008), p. 145-154; Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), 2 vol., Genève, Droz, 1999, 1 091 p.

39 Fanny Mansbendel, La figure d’Anne d’Autriche à travers les Mazarinades, mémoire de master 1,

Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2006, 89 p.

40 Josée Poirier, Contrer les mazarinades : les préambules des édits royaux pendant la Fronde

(1648-1652), d’après le Recueil des anciennes lois françaises d’Isambert, mémoire de maîtrise,

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des Espagnols s’avère être Manuel Borrego41. Par contre, celui-ci s’en tient à

l’esquisse du nombre et de la variété des mazarinades qui font allusion à l’Espagne, soit un peu plus de quatre-vingt documents. Il les regroupe selon divers thèmes tout à fait pertinents : la rivalité franco-espagnole, la paix, les affrontements militaires sur le front nord-ouest (Flandres) et le front catalan, les informations ou nouvelles de l’Espagne, l’alliance entre les nobles de la Fronde et l’Espagne et finalement, Mazarin et l’Espagne. Cet article constitue ainsi un excellent outil facilitant le travail de débroussaillage et dans le cadre de ce mémoire, il s’est avéré être un bon point de départ à notre recherche des représentations de l’Espagne par la France à l’époque. Pour mieux saisir notre objet d’étude, il faut maintenant préciser ce que nous entendons exactement par le terme « représentations ».

Histoire des représentations

L’étude de la perception d’un peuple face à un autre, et de la manière dont les individus et plus largement les peuples se représentent l’étranger est un élément relativement nouveau au sein des préoccupations des chercheurs en histoire. Cela fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire dite des représentations, héritière de l’histoire des mentalités, elle-même issue de l’histoire sociale à la française. À la fin des années 1920, l’école des Annales menée par Marc Bloch et Lucien Febvre en France est le premier courant historique à se pencher sur la notion de mentalité, en proposant une nouvelle manière de faire l’histoire qui « replacerait les idées, les œuvres et les comportements au sein des conditions sociales dans lesquelles elles

41 Manuel Borrego, « Espana en las mazarinadas (1648-1652), una aproximación », dans Jorge

García López et Sònia Boadas, dir., Las relaciones de sucesos en los cambios políticos y sociales

de la Europa Moderna, Bellaterra, Universitat Autònoma de Barcelona, 2015, p. 177-193. Michel

Bareau a quant à lui étudié l’évolution de la propagande anti-espagnole sur une plus longue durée, incluant l’époque de la Fronde (Michel Bareau, L’univers de la satire anti-espagnole en France de

1590 à 1660, thèse de doctorat, Paris, École pratique des hautes études. Section des sciences

historiques et philologiques, 1969, 421 p.). Toutefois, nous n’avons découvert l’existence de cette thèse qu’après notre séjour de recherche à Paris et étant donné qu’elle ne semble pas être accessible en ligne, il n’a donc pas été possible de la consulter. On peut toutefois accéder à un résumé des idées de l’auteur en consultant cet article : Michel Bareau, « L’univers de la satire anti-espagnole en France de 1590 à 1660 », École pratique des hautes études. 4e section,

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[sont] appar[ues]42. » Le concept d’ « outillage mental » alors développé par L.

Febvre est fondé sur « l’ensemble des catégories de perception, de conceptualisation, d’expression et d’action qui structurent l’expérience tant individuelle que collective [et qui va plus loin que] ce que l’on appellerait aujourd’hui un système de représentations puisqu’elle inclut la langue, les affects ou encore les techniques43 ». Empruntant ainsi beaucoup à la psychologie, à l’ethnologie et à la

sociologie de la première moitié du XXe siècle, les partisans des Annales

revendiquent alors un élargissement de la discipline historique, jusque-là confinée à la sphère politique. L’histoire des mentalités atteint son paroxysme dans les années 1970, avant que celle des représentations ne prenne son essor sous l’action de modernistes à la fin des années 1980, et particulièrement suite à la publication du fameux texte de Roger Chartier intitulé « Le monde comme représentation44 ». Ce

dernier désigne la notion de « représentation » ainsi :

travail de classement et de découpage qui produit les configurations intellectuelles multiples par lesquelles la réalité est contradictoirement construite par les différents groupes qui composent une société; ensuite les pratiques qui visent à faire reconnaître une identité sociale […]; enfin, les formes institutionnalisées et objectivées grâce auxquelles des « représentants » (instances collectives ou individus singuliers) marquent de façon visible et perpétuée l’existence du groupe, de la communauté ou de la classe45.

Pour Chartier, les représentations touchent donc à la fois au monde des imaginaires et à celui du réel et des pratiques. Cet apport nouveau est primordial pour comprendre comment s’est développé ce domaine de l’histoire depuis les trente dernières années, et nous nous appuyons ainsi sur cette ligne de pensée qui

42Jacques Revel, « Mentalités » dans André Burguière, dir., Dictionnaire des sciences historiques,

Paris, Presses universitaires de France, 1986, p. 451.

43 Ibid., p. 451.

44 Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales. Économies. Sociétés. Civilisations,

44e année, 6 (1989), p. 1505-1520. Voir également Elisa Brilli, « L’essor des images et l’éclipse

du littéraire. Notes sur l’histoire et sur les pratiques de l’ “histoire des représentations” », L’Atelier

du Centre de recherches historiques [En ligne], 06 (2010), paragraphe 5, consulté le 12 avril 2014,

http://acrh.revues.org/2028.

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appréhende les représentations en tenant compte d’une multitude de facteurs et d’indices. Le fait de vouloir rendre intelligible la manière de se figurer l’Autre au sein d’une société quelconque et de concevoir plus précisément l’étranger s’inscrit dans le désir de mettre en lumière les conceptions intellectuelles des individus et des groupes et de comprendre leurs pratiques et leurs actions à l’intérieur de systèmes de pensée changeants, intégrant réalité et imaginaire.

Plus précisément en lien avec le cadre spatio-temporel de ce mémoire, de nombreux chercheurs ont récemment étudié l’histoire des représentations de l’Autre en Europe ainsi que les imaginaires collectifs face à l’étranger à l’époque moderne. Les nombreux ouvrages sur lesquels s’appuie cet exposé en témoignent, par exemple L’image de l’Autre européen, XVe-XVIIe siècles46, Ennemi juré, ennemi

naturel, ennemi héréditaire. Construction et instrumentalisation de la figure de l’ennemi. La France et ses adversaires (XIVe-XXe siècles)47 ou encore L’imaginaire

du territoire en Espagne et au Portugal, XVIe-XVIIe siècles48. Il en est de même pour

la production florissante d’articles et d’ouvrages sur les perceptions des habitants de la péninsule ibérique en France au XVIIe siècle49. Hélène Duccini a entre autres

étudié les innombrables caricatures et gravures satiriques de l’Espagnol à l’époque de Louis XIII50, alors que Clara Rico-Oses a réalisé l’analyse du contenu des ballets

de cour français au long du XVIIe siècle51. Jean-François Dubost a quant à lui traité

des stéréotypes nationaux réciproquement entretenus par les diverses populations

46 Jean Dufournet, Adelin Charles Fiorato et Augustin Redondo, dir., L’image de l’Autre européen :

XVe-XVIIe siècles, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1992, 282 p.

47 Jörg Ulbert, « Ennemi juré, ennemi naturel, ennemi héréditaire : la France et ses adversaires à

l’époque moderne », dans Burghart Schimdt et Jörg Ulbert, dir., Ennemi juré, ennemi naturel,

ennemi héréditaire. Construction et instrumentalisation de la figure de l’ennemi. La France et ses adversaires (XIVe-XXe siècles), Hambourg, DOBU Verlag, 2011, p. 9-20.

48 François Delpech, dir., L’imaginaire du territoire en Espagne et au Portugal, XVIe-XVIIe siècles,

Madrid, Casa de Velazquez, 2008, 380 p.

49 La question des représentations et des stéréotypes entretenus en France par rapport aux Italiens

a également attiré particulièrement l’attention des chercheurs et fait l’objet de plusieurs études intéressantes. À ce propos, voir Henry Heller, Anti-Italianism in Sixteenth-Century France, Toronto, University of Toronto Press, 2003, ix, 307 p.; Jean-François Dubost, La France italienne,

XVIe-XVIIe siècles, Paris, Aubier, 1997, vi, 524 p.

50 Hélène Duccini, Faire voir, faire croire. L'opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon,

2003, p. 473 à 501.

51 Clara Rico-Oses, L’Espagne vue de France par les ballets de cour du XVIIe siècle. Genève,

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européennes à l’époque moderne, faisant entre autres ressortir les principaux clichés répandus à l’égard de l’Espagne52. Il a démontré les différents lieux

d’expression de ces stéréotypes, soit la littérature de voyage, la littérature historique et géographique, et la littérature pamphlétaire, polémique et caricaturale, qui ont grandement contribué à l’édification de la fameuse « légende noire » espagnole53.

Par ailleurs, Michel Bareau a dressé un portrait plus approfondi de l’évolution des images de l’Espagne véhiculées en France, de l’époque de la Ligue à celle de la paix des Pyrénées, pour en faire ressortir les éléments de continuité ainsi que de rupture54. Cet intérêt des auteurs pour les représentations de l’Autre nous amène à

développer les concepts de « stéréotype » et d’« opinion publique » qui reviennent à maintes reprises dans leur discours.

Du stéréotype pour définir l’Autre

À l’époque moderne, l’appréhension et la peur sont particulièrement présentes dans les psychologies collectives55. L’Autre, proche voisin ou lointain

inconnu, revêt très souvent un aspect menaçant et est souvent jugé avec suspicion. Par conséquent, il subit facilement, à travers le processus mental de généralisation de la part de celui qui le regarde et le juge, l’attribution de stéréotypes, sur le

52 Jean-François Dubost, « Les stéréotypes nationaux à l’époque moderne (vers 1500-vers 1800) »,

Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, 111, 2 (1999), p. 667-682.

53 Selon Julián Juderías, la légende noire espagnole caractérise « “une Espagne inquisitoriale,

ignorante, fanatique, incapable de figurer au nombre des peuples cultivés, aujourd’hui aussi bien qu’hier, toujours disposée aux répressions violentes, ennemie du progrès et des innovations”. Il s’agirait donc d’une vision exagérée des exactions menées par les souverains espagnols, aboutissant, de facto, à une perception erronée du peuple dirigé par ces derniers, considéré comme religieux, fanatique, cruel et sans scrupules. » Dans Grégory Wallerick, Guerre par l’image

et légende noire anti-espagnole (à partir de deux acteurs: Théodore de Bry et Richard Verstegan),

Lille, Institut de recherches historiques du Septentrion, 2013, p. 2-3. Pour plus de détails, voir Julian Juderias, La leyenda negra: estudios acerca del concepto de Espana en el extranjero, Madrid, Nacional, 1960, 449 p.

54 Michel Bareau, « L’univers de la satire anti-espagnole en France de 1590 à 1660 », École pratique

des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1969-1970, 1970,

p. 727-731.

55 Au sujet de l’omniprésence de la peur à cette époque, voir Jean Delumeau, La peur en Occident

(XIVe-XVIIIe siècles) : une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978, 607 p.; William G. Naphy et Penny

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fondement de sa différence56. Celui qui fait l’action de juger part de lui-même, de

ses propres repères. Par conséquent, son jugement de l’Autre est l’aboutissement d’une réflexe ou d’une réflexion égocentrique voire ethnocentrique : « la perception traditionnelle de l’étranger, qui le rejette à la périphérie du monde connu ou simplement reconnu, implique une conséquence logique : le groupe dominant se situe au centre de l’univers57. » Cet ethnocentrisme mène bien souvent à un regard

condescendant sur ce qui existe à l’extérieur de soi. À l’encontre de la pluralité, car il n’existe aucune société complètement homogène58, le stéréotype national59 adjoint

une même idiosyncrasie à tous les individus occupant un même territoire60. Lorsque

« l’observation des peuples étrangers […] abouti[t] à une simple caractérisation à partir d’une démarche globalisante, réduisant la diversité sous des traits généraux [et que] la caractérisation se répand[] et connai[t] un certain succès, elle devient stéréotype61 ». Si la xénophobie est présente dans l’esprit de celui qui stéréotype

l’Autre, la vision qui en résulte devient essentiellement péjorative. Il suffit que celui qui définit l’Autre ait une intention hostile ou réductrice pour que le stéréotype qu’il développe, consciemment ou non, donne naissance à une caricature ou bien à une attaque62. En temps de conflit, les tensions avec l’adversaire contribuent souvent à

la détérioration de la perception de l’Autre et une inversion des valeurs se crée plus facilement. Ainsi, une force chez l’Autre se voit transformée en défaut ou en vice.

56 Le terme « stéréotype » prend ici le sens de « cliché » ou de « généralisation ». À l’époque

moderne, si le terme « stéréotype » n’existe pas encore pour définir les autres peuples, d’autres expressions renvoient cependant à la même idée : « propriété des gens » (Louis Le Roy), « humeurs des nations » (La Mothe Le Vayer), « génie de la nation » (Montesquieu). Dans Jean-François Dubost, loc. cit., p. 669.

57 Katérina Stenou, Images de l’autre. La différence : du mythe au préjugé, Paris, Seuil/UNESCO,

1998, p. 129.

58Contrairement à l’idée que défend Carl Schmitt dans son ouvrage La Notion de politique, Paris,

Calmann-Lévy, 1972, p. 69. Voir Jörg Ulbert, loc. cit., p. 11.

59 Rappelons qu’à l’époque moderne, l’État-nation est en processus de construction et que la nation

telle que définie aujourd’hui n’existe par conséquent pas encore. Cependant, les auteurs (entre autres Jean-François Dubost, Michel Bareau et Hélène Duccini) qui traitent aujourd’hui des visions réciproques que les diverses sociétés européennes entretenaient les unes vis-à-vis des autres utilisent très souvent l’expression « stéréotype(s) national(aux) ». Ces termes sont donc repris dans ce mémoire car ils expriment bien l’échelle à laquelle s’appliquent les stéréotypes dont il sera question.

60 François Delpech, « Introduction », dans François Delpech, dir., L’imaginaire du territoire en

Espagne et au Portugal (XVIe-XVIIe siècles), vol. 105, Madrid, Casa de Velázquez, 2008, p. xiii.

61 Jean-François Dubost, loc. cit., p.667-668. 62 Ibid., p. 669.

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L’ennemi courageux devient l’ennemi arrogant et au lieu de faire montre de patience, il fait plutôt preuve de lâcheté63. En contraste par rapport à l’anti-héros dépeint, celui

qui s’érige en juge se présente comme l’archétype héroïque, possédant toutes les vertus et les aptitudes. Un schéma manichéen se dresse alors, accréditant, par exemple, la prétendue « antipathie naturelle64 » entre la France et l’Espagne. Or, il

ne faut pas omettre le fait que face à l’inconnu peuvent également exister des perceptions de l’Autre mues par des sentiments d’attraction et de curiosité, voire même d’admiration, qui poussent à s’intéresser à l’étranger et même parfois à l’idéaliser, à le mettre sur un piédestal. L’étranger n’est pas non plus qu’un ennemi. Il demeure tout de même que d’une manière ou d’une autre, celui qui crée ou qui use d’un stéréotype ne s’attarde nullement à l’analyse exhaustive de la réalité et il se laisse mouvoir davantage par son affectivité que par sa rationalité65. Le

stéréotype de l’Autre, par le reflet que l’image de l’altérité renvoie de soi-même, possède donc le pouvoir de renforcer une identité et un sentiment d’appartenance à une communauté de référence66. Cette notion est donc indubitablement à prendre

en compte dans l’analyse des représentations mises de l’avant par les protagonistes de la Fronde et leurs partisans, en regard des Espagnols.

Le délicat débat sur l’« opinion publique » au XVIIe siècle

La circulation des représentations et des stéréotypes s’avère être aussi importante que les motifs sous-jacents qui poussent à leur production. Comment faire en sorte que les idées soient véhiculées et déploient leur pouvoir d’influence

63 Ibid., p. 672.

64 Le thème de l’antipathie entre les peuples espagnol et français se retrouve notamment dans

l’œuvre La antipatia de los Franceses y Espanoles du docteur Carlos Garcia, publiée en 1617. L’auteur est un espagnol vivant en France, après s’être exilé de l’Espagne sous le gouvernement de Philippe II. Voir Michèle Fernandez-Gaillat, « L’Espagne dans la presse française du début du XVIIe siècle », dans Pierre Civil, dir., Écriture, pouvoir et société en Espagne aux XVIe et XVIIe

siècles. Hommage du CRES à Augustin Redondo, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2001,

p. 130.

65 Michel Bareau, loc. cit., p. 730.

66 Jean-François Dubost parle du « sentiment national ». « En soulignant, par un processus classique

d’inversion, les tares du peuple adverse, on fait implicitement ressortir les vertus nationales. Garcia [Carlos García, l’auteur de La oposición y conjunción entre los dos grandes Luminares de

la Tierra…] a […] mis le doigt sur l’essentiel en remarquant que le Français est un “Espagnol renversé” ». Dans Jean-François Dubost, loc. cit., p. 678.

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dans les milieux ciblés? Quels sont ces milieux que les propagandistes souhaitent interpeller? Quels mots et quelles images employer pour les convaincre, pour faire passer le message de chacun des partis? L’historien qui se penche sur ces questions, sur le pouvoir et l’efficience de l’imprimé à l’époque de la Fronde se doit de nourrir une réflexion sur le concept d’« opinion publique », qui s’avère ici particulièrement central dans le cadre de cette recherche. Le débat entourant l’« opinion publique » et la « sphère publique » ne date pas d’hier, mais son histoire, dans la mouvance du courant culturel, s’est plutôt développée au cours des quatre dernières décennies. L’ouvrage fondateur des recherches sur ce thème est celui de Jürgen Habermas initialement publié en 1962 et intitulé L’espace public :

archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise.

L’auteur traite du concept de « public » comme d’un tribunal politique dont la réalité n’apparaît qu’au XVIIIe siècle « afin d’atténuer les tensions existant entre l’État et la

société civile : il est le moyen par lequel la bourgeoisie cherche à limiter et à transformer le pouvoir absolutiste67. » Ainsi, « l’opinion publique n’est plus le simple

reflet ou la reproduction de l’opinion philosophique des Lumières, elle est partie intégrante de l’exercice de la Raison critique, imaginée par Kant et étendue à tous les domaines de l’activité humaine68. » Pour Habermas, la naissance d’un réel public

et par le fait même d’une opinion publique ne naît donc que pendant la période pré-révolutionaire. Le chercheur Keith Michael Baker situe également la naissance de l’opinion publique au XVIIIe siècle, lorsque, à son avis, la toute-puissance de

l’absolutisme éclate et que « la loi du silence imposée par le monarque absolu ne parv[ient] plus à contenir les débats et les contestations qui en appelaient de façon toujours plus explicite à l’opinion publique par-delà le cercle traditionnel des acteurs institutionnels69. » Pour Christian Jouhaud, « le concept d’ “opinion publique”,

d’ailleurs ambigu, a très peu de pertinence pour le temps de la Fronde [puisqu’au

67Keith Michael Baker, « Politique et opinion publique sous l’Ancien Régime », Annales. Économies,

Sociétés, Civilisations, 1 (1987), p. 44. Pour plus de précisions, voir Jürgen Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris,

1978, Payot, 324 p.

68 Daniel Roche, « L’opinion publique a-t-elle une histoire? » dans Association des historiens

modernistes des universités françaises, L’opinion publique en Europe (1600-1800), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2011, p. 17.

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XVIIe siècle,] il est vrai qu’on évoque le “bruit commun” mais les lieux de la

discussion active, ceux dans lesquels on “opine” ne sont pas publics. Quant à ceux où se tenaient les discussions publiques, on ne saurait leur reconnaître la capacité de transformer des “bruits” en opinions70. » Christophe Angebault cautionne pour sa

part les propos de Jouhaud : « les mazarinades ne sont pas l’expression d’une opinion publique, manifestation d’une société civile délibérant librement et rationnellement, mais elles rassemblent et construisent leur public, socialement hétérogène, par un effet de spectacle71 ». Ainsi, les affirmations des auteurs qui ne

croient pas à une véritable opinion publique à l’époque de la Fronde soulèvent ainsi les problèmes de savoir si pendant la Fronde existe un réel public, si celui-ci possède les capacités nécessaires à la construction de réelles opinions et s’il y a un espace où il puisse énoncer ces dernières et en débattre. Pour eux, les mazarinades sont des sources d’action qui génèrent certes des réactions, mais qui ne reflètent pas la pensée d’un public.

Pour sa part, l’historien Daniel Roche s’affirme en ces termes :

L’opinion publique de la première modernité et des temps d’affirmation du classicisme de l’absolutisme a eu ces espaces de discussion spécifique, définis par la coutume, les privilèges, les oppositions au centralisme. Ce sont ceux de la fortune des corps intermédiaires. Elle correspond à la permanence de la conception corporative du corps social dans le sens de la grande chaîne qui unit les peuples et le roi. Elle s’exprime dans les époques de révoltes et de crises quand l’autorité se heurte aux dissidences et s’efforce de définir les catégories répressives […] C’est dans cette perspective que la visibilité des châtiments fait partie de la pédagogie du contrôle de l’opinion populaire, de même que la discipline de la rue qui parle, celui de la publication et de la diffusion des écrits […] Une définition de la première émergence d’une opinion

publique avant l’espace public est donc possible72.

70 Christian Jouhaud, « Propagande et action au temps de la Fronde », loc. cit., p. 337-338.

71 Christophe Angebault, « Théologie des clés et censure du public : lecture d’une mazarinade à clé

du Sieur de Sandricourt intitulée Le Censeur du temps et du monde, portant en main la clef

promise », Littératures classiques, 54, 2 (2004), p. 46.

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L’historienne Hélène Duccini, dans son ouvrage Faire voir, faire croire : l’opinion

publique sous Louis XIII, rend compte de l’influence du « quatrième pouvoir », celui

de la propagande et de la communication, sur la manière de se représenter les événements et les personnages politiques. Ses références à une opinion publique sont nombreuses73, tout comme Hubert Carrier traite des mazarinades en étudiant

leur pouvoir d’influence au sein de plusieurs groupes sociaux, ce qui suggère l’existence d’une opinion partagée en leur sein.

Au regard des différentes visions mises de l’avant au sein de ce débat, nous croyons qu’au XVIIe siècle, si l’« espace public » n’existe pas encore sous la forme

plus complète et assumée qu’elle prendra au siècle des Lumières, cela ne doit pas occulter le fait de la circulation des idées ainsi que l’importance du « bruit commun » qui pouvait s’exprimer dans les rues où la population réagissait aux événements et à la propagande. Évidemment, l’essence même de la propagande est de tenter d’infléchir les idées, de convaincre, de soulever les passions. Cela implique nécessairement que l’on avait déjà compris que la croyance et l’opinion des gens ont le pouvoir de se propager très rapidement et que le pouvoir de persuasion est quelque chose de très puissant au sein de tous les milieux, de là l’importance de contrôler la pensée des individus74. Par ailleurs, le pouvoir des mots n’était pas

efficient uniquement qu’au sein des pamphlets et libelles qui circulaient, mais également sous d’autres formes telles que l’oralité, par l’intermédiaire de « crieurs »

73Certains lui reprochent toutefois d’occulter le problème de la définition de l’ « opinion publique »

trop facilement sans égard à toute la complexité et à toute l’importance que celle-ci comporte lorsqu’il est question du pouvoir d’influence des médias et de la réception des messages que ces derniers véhiculent auprès de divers publics de récepteurs. Duccini passe outre la « querelle de mots » dont elle qualifie le débat sur la question. Voir Yann Lignereux, « Hélène Duccini, Faire

voir, faire croire. L'opinion publique sous Louis XIII, Seyssel, Champ Vallon, coll. “Époques”,

2003 », Histoire, économie et société, 24, 1 (2005), p.149.

74 De là, en conséquence, l’importance du phénomène de la censure par le gouvernement royal sous

l’Ancien Régime ainsi qu’en contrepartie la présence de tout un système de privilèges octroyés aux imprimeurs, éditeurs, libraires et afficheurs de l’époque. Voir entre autres Dominique Reynié,

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de rue ou bien sous l’action des prédicateurs qui, par leurs sermons, pouvaient jouer de leur influence partisane eux aussi75.

Limites du mémoire

Nous avons conscience que notre mémoire comporte plusieurs limites, qui proviennent principalement de la grande diversité, de l’hétérogénéité et de l’anonymat des sources76, qui ont bien sûr exigé des choix. Par exemple, nous avons

pris la décision de circonscrire notre étude à l’analyse des mots véhiculant des représentations de l’Espagne, en mettant de côté l’étude des images, qui sont souvent complémentaires et qui bonifient, en l’illustrant, le contenu écrit. L’examen des images aurait par ailleurs requis des compétences plus poussées dans le champ de l’histoire de l’art.

De plus, notre sélection de sources n’a pas été réalisée en fonction du parti d’où elles étaient issues, mais plutôt selon la substantialité de leur contenu en termes de représentations face à l’Espagne. Il s’est avéré que les sources les plus intéressantes provenaient principalement du parti des officiers parlementaires, du parti des princes et dans une moindre mesure, du pouvoir royal. Le fait que les sources issues du pouvoir royal occupent une place moins considérable au sein de l’échantillon s’explique par le fait que les mazarinades consultées issues de la propagande royale, bien qu’elles fassent parfois allusion aux Espagnols, n’en traitent pas d’une manière signifiante. Par ailleurs, bien que la grande majorité des mazarinades choisies soient anonymes, à notre connaissance, aucune d’elles ne semble provenir du camp du cardinal de Retz.

75 À ce sujet, voir Richard M. Golden, The Godly Rebellion. Parisian « cures » and the Religious

Fronde (1652-1662), Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1981, 221 p.; Dominique

Reynié, op. cit., p. 102-107.

76 Hubert Carrier, qui consacra une partie de sa vie à l’étude des mazarinades, affirme que « par leur

masse même, les libelles de la Fronde semblent défier toute étude statistique menée par des moyens artisanaux ». Voir Hubert Carrier, op. cit., p. 47.

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Enfin, nous n’avons pas abordé précisément les questions de la réception des mazarinades et de leur impact concret sur les mentalités au sein des diverses couches sociales de la France d’alors, bien qu’elles soient des plus pertinentes et qu’elles puissent donner lieu, à elles seules, à la production d’un autre mémoire77.

Nous ne sommes donc pas en mesure de présenter ici des résultats quant à l’impact des représentations des Espagnols mises de l’avant par les mazarinades sur les esprits individuels et les mentalités collectives françaises de l’époque. Il s’agit plutôt de développer sur la nature même de ces représentations et sur les intérêts partisans qu’elles servaient à défendre.

Sources et méthodologie

Comme il fut mentionné auparavant, les sources qui furent sélectionnées dans le cadre de cette étude sont issues du corpus considérable que forment les mazarinades. Nous avons choisi de puiser au sein de ce corpus parce que nous connaissons l’ampleur et la richesse des informations qu’il peut fournir sur l’époque de la Fronde et sur les rouages de la propagande opérée par chacun des acteurs impliqués dans la chaîne de production, partant des têtes d’affiche des partis et allant jusqu’aux dernières ramifications de leurs réseaux de clientèles respectifs, en passant par les imprimeurs, les libellistes ou les crieurs.

S’il y a environ quatre-vingts pièces qui ont un lien quelconque avec le thème de l’Espagne au sein de l’ensemble des mazarinades78, elles ne sont pas

toutes pertinentes et aptes à nourrir notre propos quant aux représentations et aux opinions qu’entretenaient les divers partis impliqués dans la Fronde face à

77 Il apparait évident que les mazarinades étaient bel et bien lues puisqu’elles pouvaient parfois faire

l’effet d’une bombe dans le camp adverse et que leur contenu pouvait par la suite être réutilisé par les adversaires pour répliquer. Concernant la connaissance et la prise en compte de la littérature et de l’argumentaire ennemis en période de conflit civil, voir Michel De Waele et Félix Lafrance, « La rédemption par l’Histoire : le cas de Pierre Matthieu (1563-1621) », Annales

canadiennes d’histoire, 47, 1 (2012), p. 29-58. Toutefois, le cadre de ce mémoire n’a pas permis

de développer la question de l’élargissement de l’influence des mazarinades à l’extérieur de la sphère partisane, jusque dans les couches sociales les moins instruites.

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