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CHAPITRE 2. LA PAIX ENTRE LES DEUX COURONNES COMME LEITMOT

3. LE FOSSÉ ENTRE LES PRÉTENDUES BONNES INTENTIONS DE

Les premiers éléments décriés et employés dans l’argumentaire développé autour des mauvaises dispositions de l’adversaire s’avèrent être les signes du manque de motivation et d’implication des Espagnols dans les négociations pour la paix. Les extraits qui mettent l’accent sur les symptômes de l’indifférence ou de la résistance de l’Espagne sont nombreux, à travers plusieurs événements. La mazarinade intitulée Avis aux Flamens. Sur le Traité que les Espagnols ont fait avec

la Duchesse de Longueville, & le Mareschal de Turenne est tout à fait caractéristique

des accusations qui fusent à l’égard des Espagnols. Ici, l’auteur Silhon235 porte

l’attention du lecteur sur l’écart entre les prétendus désirs de paix de l’Espagne versus ses actions allant dans le sens opposé afin de maintenir le conflit. Il revient sur le passé pour donner du poids à son argumentaire. Il fait tout d’abord mention de l’attitude injuste de l’Espagne au sein du conflit entourant la succession de Mantoue, vingt ans auparavant, en lui faisant notamment endosser la responsabilité de l’implication de l’empereur Ferdinand II dans le conflit236. Puis, l’épisode des

négociations à Münster est également exploité. Il est dit que les Espagnols ont mis des obstacles au travers du processus de conciliation dans l’Empire et qu’après les traités de Westphalie, ils ont considéré que ce qui avait été entendu n’était plus avenu, étant donné le bouleversement dans les « Affaires de France », soit le

235 Jean de Silhon fut un des premiers membres de l’Académie française. Avant que de devenir un

important publiciste de Mazarin, il exerça le rôle de secrétaire auprès de son prédécesseur Richelieu, lui offrant sa plume en tant qu’apologiste. Il est notamment l’auteur de ces œuvres marquantes : Panégyrique à monseigneur le cardinal de Richelieu, sur ce qui s’est passé aux

derniers troubles de la France (1629), Le Ministre d’Estat, avec le veritable usage de la Politique moderne (1631;1642) et Esclaircissement de quelques difficultez touchant l’administration du cardinal Mazarin. Première partie (1651). Voir Hélène Duccini, op. cit., p. 427, 456, 459; Hubert

Carrier, La presse de la Fronde (1648-1653) : les Mazarinades, vol. I : La conquête de l’opinion,

op. cit., p. 153; Célestin Moreau, Bibliographie des mazarinades, vol. I, op. cit., p. 347-348.

236 Silhon, Avis aux Flamens. Sur le Traité que les Espagnols ont fait avec la Duchesse de

changement de conjoncture dû au déclenchement de la Fronde237. Silhon déplore

ainsi grandement leur mauvaise foi.

Au sein de la même mazarinade, il est également écrit que le traité que Turenne et la duchesse de Longueville ont mis en place avec l’Espagne « a plustost esté une conspiration pour rendre la guerre immortelle; qu’une association pour acheminer la Paix, et pour rompre les obstacles, qui l’ont jusques icy si fort traversée238 ». L’auteur va même jusqu’à affirmer que cet adversaire a une

« invincible aversion […] pour la Paix, et [une] ardente soif qui [le] travaille d’immortaliser la guerre239 ». Il ne peut donc y avoir plus grand heurt entre cette

supposée attitude des Espagnols et le sentiment d’urgence des Français face à l’aboutissement des hostilités. Par ailleurs, le même propagandiste souligne le manque de crédibilité de l’Espagne sur la scène diplomatique dû à la contradiction aberrante entre ses belles paroles et son manque de proactivité dans le processus pour traiter la paix. Il fait même appel à cette très belle analogie pour expliciter son propos : « N’est ce pas le mesme, que qui pretendroit de naviger sans s’embarquer, et de passer une carriere sans se mettre sur les rangs240 ». Le comportement de

l’ennemi est donc représenté comme étant incohérent, illogique.

Un autre pamphlet de 1649 met en scène l’Espagne aux pieds du Parlement, « auguste Senat », en position de repentir. Elle vient humblement lui demander la paix. Alors qu’une première partie du document fustige l’Espagne, la seconde et dernière partie lui donne ironiquement la parole pour qu’elle se confonde en justifications de toutes sortes par rapport à son manque de proactivité dans le processus vers la paix. Elle y fait donc la promotion de son véritable et profond désir de paix, à l’encontre des apparences. Le premier argument apologétique placé dans la bouche de l’Espagne repose sur la figure du cardinal de Richelieu, qui de son vivant, a été pour les Espagnols, selon les dires du représentant de l’Espagne qui

237 Ibid., p. 5. 238 Ibid., p. 9. 239 Ibid., p. 7-8. 240 Ibid., p. 12.

prend la parole, un obstacle considérable à leur investissement dans la paix : « Ce grand homme, que je ne sçaurois nommer autrement, quelque mal que sa Grandeur m’aye peu faire, me faisoit sentir la guerre de toutes parts, comme si j’eusse esté un hydre à mille testes il armoit mille bras pour m’exterminer. Tous les jours je recevois de sa main de nouvelles atteintes; & j’avois tant d’occupations à penser mes playes que je n’avois pas le loysir de vous implorer241 ». Par la suite, Gaston d’Orléans

apparaît comme une deuxième justification au manque d’investissement de l’Espagne pour la paix. Il est comparé au dieu de la guerre Mars qui n’a pas cessé de la persécuter, elle et ses gens d’armes, et qui lui a barré le chemin vers la réconciliation, et cela, même après le décès de Richelieu. L’auteur de la mazarinade place ainsi ces mots dans la bouche de l’Espagne :

… il estoit impossible de traitter avec vous [le Parlement] pendant que vous employriés deux hommes [Richelieu et le duc d’Orléans] lesquels s’ils avoient esté; en vostre place ne m’auroient regardée que comme un esclave. […] cette fierté que la nature m’a donné m’abandonnoit à chaque moment de sorte que par excés de crainte i’on m’a estimée orgueilleuse, quand je n’avois pas la force de decouvrir mes justes desirs, lon en a creu que i’en avois de mauvais242.

Après avoir porté la faute sur ces deux premiers personnages, le locuteur la fait ensuite reposer sur le cardinal Mazarin qui fait selon lui désespérer l’Espagne d’en arriver à la pacification. Au-delà de ce Premier ministre dépeint comme un « deloyal [aux] noirs desseins », le représentant de l’Espagne s’attaque au principe même de l’existence des favoris en France, alors que Philippe IV, lui, n’en a plus. Il affirme d’une manière générale que les favoris abusent de la confiance du souverain pour défendre leurs intérêts propres plutôt que pour travailler à la gloire du Royaume. Ainsi, les accusations dirigées initialement vers l’Espagne sont déviées pour être projetées tour à tour sur d’autres. Voilà l’apologie de l’adversaire, qui défend sa transparence et son intégrité : « … mon discours ne cache point de perfidie dans

241L’Espagne demandant la paix aux pieds de la majeste royalle, et du parlement, Paris, J.Dedin,

1649, p. 5.

mon ame & mon cœur ne dement point ce que ma bouche pousse dehors. Je ne viens point icy vous presenter de la hayne, ny vous surprendre par artifice; je suis ce que vous me voyez & vous m’entendez243... ». Malgré la place laissée à la

défense de l’Espagne dans ce document de propagande anti-espagnole, l’idée centrale demeure de représenter l’ennemi comme humilié, abaissé, soumis, et se justifiant par toutes sortes d’excuses. Cette idée rejoint celle de plusieurs autres mazarinades : quand bien même que les Espagnols « avoyent eu la volonté [de la paix], la France lui respond que pour le faire croire il faudroit l’avoir encor244 ».

4. OPPORTUNISME ET HYPOCRISIE : L’ESPAGNE COMME