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CHAPITRE 2. LA PAIX ENTRE LES DEUX COURONNES COMME LEITMOT

2. LES REPRÉSENTATIONS D’UNE ESPAGNE PACIFIQUE

Au sein d’une certaine proportion de mazarinades, les Espagnols ne sont pas représentés comme les principaux obstacles à la conclusion de la paix générale. Au contraire, les auteurs de plusieurs de ces pamphlets désirent montrer à quel point les Espagnols n’ont d’autre souhait que le retour à la tranquillité et qu’ils œuvrent ardemment à préparer cette paix. Les spécialistes de l’histoire de l’Espagne s’accordent toutefois pour dire que les autorités espagnoles d’alors perçoivent en l’avènement de la Fronde un grand espoir de revanche et que Philippe IV bel et bien continue de poursuivre ses ambitions de domination219. L’envoi d’émissaires et

d’espions en France ainsi que les alliances avec les nobles révoltés afin de nourrir les soulèvements en témoignent. Suite à la victoire de Lens et au contexte favorable aux Français, les Espagnols choisissent d’attendre d’être en meilleure posture avant de s’investir dans la paix avec le royaume voisin220. Également, Michel Devèze

affirme que les seuls éléments qui empêchent l’Espagne d’exploiter jusqu’au bout la conjoncture difficile en France entre 1651 et 1653 sont la division de ses propres chefs militaires (l’archiduc Léopold, Condé, Charles IV de Lorraine et Fuensaldagna) ainsi que la grave crise financière qui sévit chez elle et qui la restreint grandement221.

219 John Lynch, The Hispanic World in Crisis and Change, 1598-1700, Oxford, Blackwell, 1992,

p. 164-166; Michel Devèze, L’Espagne de Philippe IV, 1621-1665 : siècle d’or et de misère, tome 2, Paris, SEDES, 1971, p. 510-511; Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, Paris, Fayard, 1996, p. 265; Sophie Vergnes, op. cit., p. 85-89; Anne Dulphy, Histoire de l’Espagne, Paris, Hatier, 1992, p. 203.

220 Selon l’auteur John Lynch, Olivares, grand favori de Philippe IV, a cependant sérieusement songé

à faire la paix avec la France à la fin des années 1930, puisqu’il voyait que l’Espagne n’était plus en mesure de se battre sur plusieurs fronts, surtout suite à la défaite espagnole lors de la bataille des Dunes en octobre 1639. Il écrivit au roi, en mars 1640 : « Dieu veut que nous fassions la paix car il nous prive visiblement de tous les moyens de faire la guerre ». Voir John Lynch, op. cit., p. 141.

221 Michel Devèze, L’Espagne de Philippe IV, 1621-1665 : siècle d’or et de misère, tome 2, op. cit.,

Il va sans dire que la grande majorité des mazarinades disculpant les Espagnols sont issues du parti des princes, alliés à la puissance ibérique contre le cardinal- ministre Mazarin. Par conséquent, le discours qui y est véhiculé fait l’apologie de l’Espagne.

Dans ce cas où l’Espagne apparaît comme une alliée précieuse pour renverser le pouvoir de Mazarin, les auteurs encensent Philippe IV et ils font en contrepartie endosser au ministre italien tous les maux222. Au roi Très Catholique

sont alors attribuées les meilleures dispositions d’esprit face à l’apaisement général :

… car il est à prejuger que ce debonnaire Prince [Philippe IV] n’est point autheur de la guerre, veu qu’il n’a plus forte passion que de s’unir à la France par une bonne pacification, qui est dans le cœur de ses subjets, aussi bien que le regret d’avoir demeuré si long temps parmy des troubles qui ont tout ravagé, et qui n’ont donné aucun repos aux consciences, si ce n’est en celle de Mazarin et de ses complices, qui’y ont trouvé leur satisfaction; ce cruel a empesché la Paix, par ses astuces et inventions Italiennes & criminelles223.

La même mazarinade conduit l’attention du lecteur vers les tentatives de manipulation et de corruption du cardinal par rapport à l’Espagne : « Cét impie croyoit flechir cette ame Royale par l’excés de ses promesses, qui estoient fondées dans l’injustice, voulant donner à ce valeureux Prince libre accés dans la France, luy rendre toutes les Places que les armes florissantes des François avoient acquises à cét Estat224… » L’auteur induit l’idée que le roi d’Espagne ne s’est pas laissé

berner par Mazarin et que ce dernier n’a pas réussi à obtenir l’appui du monarque dans ses fourbes entreprises.

Le même type de discours empli de louanges à l’égard de l’Espagne et de ses représentants politiques revient dans un pamphlet datant du mois de septembre

222 Plaisant entretien du sieur Rodrigues, courtisan du pont neuf : avec Jules Mazarin, Qui ayant ruiné

la France, est resolu de s’en aller, disant son Peccavi, Paris, s.é., 1649, p. 7.

223L’union et alliance de l’Espagne avec la France avec les protestations du Roy d’Espagne contre

Mazarin. Sujet aussi remarquable, que curieux, op. cit., p. 5.

1650 au sein duquel Gaston d’Orléans répond notamment à la lettre de son cousin l’Archiduc Léopold sur le sujet de la paix générale : « Monsieur mon Cousin, je sçay que tous les sentiments de V. A. sont si sincéres & véritables, que je ne puis assez loüer les favorables dispositions qu’elle m’a tesmoignée d’avoir pour la paix : Aussi commançay-je d’en bien espérer, puisque Sa Majesté Catholique a agréable que V. A. la traite225… ». Il est à se demander dans quelle mesure ces mots reflètent les

vrais sentiments du duc et dans quelle mesure aussi le personnage emploi la politesse et la flatterie pour placer le destinataire de la lettre en de bonnes dispositions pour traiter. Toutefois, il n’empêche pas que cet extrait, du moins en apparence, reconnaît à l’adversaire une intention favorable à la réconciliation. Dans

Les entremises de son altesse royale et de l’archiduc Leopold, Pour la paix general d’entre la France & l Espagne, l’auteur anonyme exalte le sentiment d’affection de

l’archiduc envers les Français ainsi que son désir de voir se réaliser le retour à la tranquillité et ne cesse de mettre de l’avant, du même coup, le désir des Espagnols d’accéder à une bonne paix stable et sûre entre les deux couronnes. Il va même jusqu’à écrire que les Espagnols, « de nos ennemis qu’ils ont esté, se veulent rendre nos bons amis226 ».

Au moment où les princes de Condé et de Conti ainsi que le duc de Longueville sont emprisonnés à Vincennes en 1650, la duchesse de Longueville et le maréchal de Turenne approchent l’Espagne pour trouver une alliance avec elle, pour permettre la libération des trois prisonniers et pour contrer Mazarin. Il est par ailleurs pertinent de rappeler que pendant ce temps, la France appuie elle-même les révoltés catalans dans leur combat contre Philippe IV227; il s’agit donc d’un

« échange de bons procédés » où chacun des deux monarques appuie ceux qui se

225Lettre envoyee par l’Archiduc Léopol à Monseigneur le Duc d’Orleans : Avec la response de Son

Altesse Royale sur le sujet de la paix générale d’entre les Couronnes de France et d’Espagne, op. cit., p. 1178.

226Les entremises de son altesse royale et de l’Archiduc Leopold, Pour la paix general d’entre la

France & l’Espagne, op. cit., p. 4

227 Voir John Huxtable Elliott, The Revolt of the Catalans. A Study in the Decline of Spain (1598-

1640), op. cit., p. 533-534; Rafael Altamira, Historia de Espana y de la civilización española, vol. 2,

Barcelone, Crítica, 2001, p. 843-848; John Huxtable Elliott, Spain and Its World, 1500-1700:

Selected Essays, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 131; John Lynch, op. cit., p. 144;

révoltent face à l’autorité de son homologue. De part et d’autre des frontières franco- espagnoles, souverains et révoltés utilisent les mêmes règles pour jouer au même jeu de négociations. Dans ce contexte de recherche d’alliances est donc publié le

Manifeste de madame la duchesse de Longueville, au sein duquel la duchesse

témoigne de ce qu’elle a apparemment pu observer au contact des Espagnols quant à leurs intentions face au conflit avec la France. Ses propos sont intéressants car il n’est pas seulement question des dispositions de Philippe IV, mais également de ses ministres et du peuple espagnol lui-même :

En passant par les Estats du Roy Catholique, les peuples las de la guerre, haïssant le Cardinal Mazarin, odieux à tout le monde, et detestant ses malices, qui causent leurs troubles et les nostres me demandoient par tout la paix, et me conjuroient instamment de travailler à la faire; c’estoit le sentiment des Ministres d’Espagne, et le souhait des grands Seigneurs des Pais-bas; et j’avoüe que rencontrant tant de bonnes dispositions à un si grand bien, je concevois des esperances d’en envoyer des ouvertures à la Reyne et au Parlement228

La duchesse affirme aussi que les ministres espagnols ont accepté que l’Espagne joigne ses forces à celles des partisans des princes rebelles jusqu’à l’obtention de leur libération, pour ensuite seulement traiter de la paix, non pas avec Jules Mazarin, mais avec Messieurs les princes eux-mêmes229.

Dans un libelle de 1652, un auteur dit traduire une lettre de Philippe IV envoyée à son cousin le duc de Lorraine pour le convaincre de se détourner du parti du cardinal-ministre et de se rallier à Messieurs les Princes en faveur de la paix. L’auteur ajoute ses commentaires suite à la supposée traduction de la lettre :

…que nos plus grands ennemys ont regret de nos mal-heurs, & que dans la recherche de la paix, Ils tesmoignent d’estre Las de la pesanteur de nos armes, & craignent mesmes pendant tous nos desastres

228 Manifeste de madame la duchesse de Longueville, s.l., s.é., 1650, p. 7. 229 Ibid., p. 10-11.

l’ésloignement d’une chose si proffitable, & si desirée de toute la Chrestienté, comme est la paix230.

Il est également dit plus loin, dans cette même partie où l’auteur de la mazarinade s’exprime, que l’archiduc Léopold a lui aussi dépêché un courrier auprès du duc de Lorraine pour l’inciter à embrasser le parti des princes et pour anéantir celui de Mazarin231 afin que cesse le conflit entre les deux couronnes. Les intentions prêtées

aux voisins ibériques tout comme au gouverneur général des Pays-Bas espagnols sont donc ici positives en regard de la paix.

En juillet 1652, une mazarinade pro-espagnole met l’accent sur la volonté de coopération de Philippe IV avec le parti des Princes afin de faire converger leurs forces respectives vers un unique et même but : l’anéantissement du pouvoir de Mazarin. Le monarque espagnol somme l’archiduc Léopold de lever ses troupes stationnées en divers lieux limitrophes à la France et aux Pays-Bas pour les envoyer

230Lettre du roy d’Espagne envoyee au duc de Lorraine sur la frontiere de France pour le prier de

s’avancer pour le soulagement de Mrs les Princes, Paris, Jacob Chevalier, 1652, p. 6. Selon le

spécialiste des mazarinades Célestin Moreau, celle-ci est un faux, c’est-à-dire que son contenu n’est pas réellement ce qu’il prétend être et qu’il ne s’agirait donc pas d’une vraie lettre écrite par le roi d’Espagne au duc de Lorraine. Voir Célestin Moreau, op. cit., vol. 2,p. 184.Manuel Borrego parle aussi de plusieurs « lettres ou courriers soi-disant écrits par le roi d’Espagne ou l’empereur contenant des propos en faveur de la paix ». L’auteur affirme que ce procédé de propagande de la part de la noblesse révoltée servait à augmenter la crédibilité du parti à l’égard de son désir de paix et à montrer du doigt le seul coupable de la continuité de la guerre, Mazarin. Voir Manuel Borrego, loc. cit., p. 183.

231 Il ne faut pas oublier qu’au début de son règne dans les années 1620 et 1630, Philippe IV avait

eu lui aussi un ministre principal, le comte-duc d’Olivares, qui avait exercé un pouvoir presque absolu à la tête de l’État, profitant du manque d’expérience et d’intérêt du jeune monarque dans les affaires politiques et diplomatiques. En effet, Olivares, qui était entré au Conseil d’État en 1622, était devenu très rapidement le favori du roi (valido ou privado) et de par la confiance que ce dernier lui manifestait, il put agir pour tenter de maintenir la suprématie de l’Espagne, notamment en tentant d’imposer de nombreuses réformes économiques. Tout comme son homologue Richelieu à l’époque, Olivares avait une très grande marge de manœuvre et savait imposer ses vues de manière autoritaire. Toutefois, il ne réussit pas à relever l’Espagne de la grande crise financière et politique dans laquelle elle s’engouffrait de plus en plus. Ses nombreux détracteurs le tinrent responsable du déclin de l’Espagne et il dut s’exiler au début des années 1640. À ce moment, Philippe IV décida de ne plus partager les reines du pouvoir et de régner seul, « d’être son propre ministre ». Au sein de cette mazarinade de 1652, les attaques face au grand ministre de France qu’est Mazarin, favori d’Anne d’Autriche, ne sont donc pas anodines; les régimes du valido en Espagne et du ministériat en France sont alors détestés. Voir John Huxtable Elliott, The Count-Duke of Olivares: The Statesman in an Age of Decline, New Haven, Yale University Press, 1986, p. 146, 162-171, 651; Joseph Pérez, op. cit., p. 251-252, 256.

combattre aux côtés des princes et de Gaston d’Orléans contre « les Mazarins », soit le cardinal-ministre et ses fidèles232. Les armées espagnoles se trouvant en

Guyenne sont ailleurs dépeintes comme emplies de bonne volonté à se défendre, aux côtés des princes rebelles leurs alliés, contre les troupes royales françaises se trouvant sous les ordres du comte d’Harcourt. L’espérance de la paix générale, au sein de ces mazarinades en faveur des princes et donc des Espagnols leurs alliés, semble donc être le nouveau moteur de leur action et du déploiement de leurs efforts233.

Ces derniers pamphlets véhiculent une image explicitement bienveillante des Espagnols, de leur monarque et de ses armées et représentant cet ennemi traditionnel comme un collaborateur dans le processus de réconciliation des deux puissances européennes. Cependant, ils servent d’abord et avant tout le profit des princes s’opposant à Mazarin et à la régente. Comme l’indique Manuel Borrego,

ces textes se portant à la défense de la noblesse rebelle pendant la Fronde n’ont pas d’autre choix que de présenter l’Espagne de manière positive. […] Le principal objectif [de cette série de textes en faveur de la noblesse rebelle] est de montrer que les actions des nobles ne sont pas dirigées vers le bénéfice personnel mais plutôt vers la défense des intérêts de la France, incluant les intérêts de l’Europe entière234.

À la lumière de ce survol de la propagande princière en relation avec le thème de la paix apparaît la figure bien intentionnée de l’Espagnol, celle qui désire le retour au calme tout autant que la France. Toutefois, un plus large éventail de mazarinades maltraite les Espagnols et soulignent leurs erreurs et leurs incohérences au sein du combat mené contre la France, en montrant tout d’abord leur manque d’intérêt pour

232 L’arrivée du duc de Guyse en la ville de Bourg, à cinq lieuës de Bordeaux, avec deux mille

Espagnols. Ensemble l’Ordre du Roy d’Espagne, envoyée à l’Archi-Duc Leopold, de lever toutes les garnisons de Flandres pour assister Messieurs les Princes, Paris, André Chouqueux, 1652,

p. 4-6.

233 Le courrier extraordinaire apportant les nouvelles de Bordeaux, Bourg, Libourne, Tallemon, la

Bastide, & autres lieux. Avec l’Estat des Troupes Espagnolles. Ensemble la démarche du Comte d’Harcourt, & la disposition de l’Armée de Monsieur le Prince, Paris, Jacob Chevalier, 1652, p. 5-

7.

la paix puis ensuite les défauts et les vices inhérents à leur nature, tels la vanité et la ruse.

3. LE FOSSÉ ENTRE LES PRÉTENDUES BONNES INTENTIONS DE