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CHAPITRE 1. L’ESPAGNE ET LA FRANCE SUR TOUS LES FRONTS

2. LA FRONDE, SES ENJEUX ET SES ACTEURS

2.1. Bouillonnements pré-frondeurs (1643-1648)

Au moment où Mazarin entre réellement en scène en 1643, les coffres de l’État sont complètement vides. Le déficit est plus que considérable puisqu’il atteint entre 40 et 50 millions de livres tournois135. Par ailleurs, de 1643 à 1648, la guerre

seule exige 41 millions de livres annuellement136. Ce conflit de grande portée

influence directement la fiscalité et force les administrateurs à constamment mettre de l’avant de nouvelles mesures susceptibles de pourvoir aux besoins financiers du royaume137. À titre d’exemple, l’impôt direct qu’est la taille, qui repose

presqu’exclusivement sur les épaules de la paysannerie, a approximativement triplé au cours du ministériat du cardinal Richelieu, alors que la gabelle, taxe indirecte, a doublé depuis 1635, ce qui crée un mécontentement grandissant auprès des populations touchées138. À cette pression fiscale toujours croissante s’ajoutent de

mauvaises récoltes et l’augmentation du prix des denrées de base. Le ministre italien entre donc au service d’Anne d’Autriche dans ce contexte difficile et très délicat.

À la fin du mois d’août 1643, suite à la nomination de Mazarin, plusieurs grands du royaume, le duc de Beaufort139 de la maison des Vendôme à leur tête,

entretiennent une conspiration afin d’écarter le nouveau ministre et de le remplacer auprès de la régente. Ce qui fut appelé la Cabale des Importants est un exemple

134 Les années 1643 à 1648 sont perçues de diverses manières au sein de l’historiographie. Ernst

Kossmann croit que l’importance de cette période a souvent été exagérée afin de pouvoir expliquer, par la présence d’éléments précurseurs, le déclenchement de la Fronde. Cependant, d’autres conçoivent ces années en tant qu’étape préparatoire au sein de laquelle on trouve les ferments essentiels des conflits à venir. À ce titre, Michel Pernot parle notamment d’une « préface tumultueuse à la Fronde ». Quoi qu’il en soit, certains événements se produisant lors de cette période ne sont pas sans intérêt pour mieux saisir la suite des choses. Voir Ernst Heinrich Kossmann, La Fronde, Leiden, Universitaire Pers Leiden, 1954, p. 41; Michel Pernot, op. cit., p. 45.

135 Michel Pernot, op. cit., p. 34.

136 Richard Bonney, « La Fronde des officiers : mouvement réformiste ou rébellion corporatiste? »,

Dix-septième siècle, 145 (1984), p. 333.

137 À ce sujet, se référer absolument à Françoise Bayard, Le monde des financiers au XVIIe siècle,

Paris, Flammarion, 1988, 621 p.

138 Michel Pernot, op. cit., p. 34-35.

139 Il faut spécifier que le duc de Beaufort est le fils de César de Vendôme, lui-même fils naturel

d’Henri IV et de sa maîtresse Gabrielle d’Estrées. Il fait partie de la lignée Vendôme-Beaufort- Mercœur. Voir Françoise Hildesheimer, op. cit., p. 265-266; Michel Pernot, op. cit., p. 47-48.

illustre de la mentalité nobiliaire de l’époque. Mazarin ravive l’insatisfaction des grands envers le système du ministériat par rapport auquel ils étaient déjà en résistance au temps de Richelieu. C’est contre la « tyrannie » des cardinaux- ministres que l’on s’insurge. Il faut rappeler le fait que plusieurs nobles des grands lignages de France impliqués dans ce complot avaient été actifs au sein de conjurations antérieures puisqu’ils voyaient déjà leurs intérêts et privilèges menacés. Les grands refusent donc de perdre leur pouvoir d’influence auprès du roi au profit d’un ministre principal, qui par ailleurs, depuis 1643, s’avère être d’origine étrangère et donc trop peu connaisseur du fonctionnement de l’État français.

Quant à eux, les officiers, principalement ceux des cours souveraines, s’inquiètent du manque de considération du pouvoir monarchique face à leur rôle de garde-fou de l’État, en matière administrative et judiciaire. Les parlementaires perçoivent leur corps politique comme étant « ce sage milieu entre le despotisme et l‘anarchie140 ». Bien qu’ils soient investis de la mission de réviser les textes de loi

émanant du roi et qu’ils puissent user de leur droit de remontrance pour faire part au souverain de leurs jugements et avis, les officiers prennent conscience que depuis le ministère de Richelieu, la royauté du roi de justice connaît un processus évolutif vers un nouvel État de finances, exigé par les impératifs de la guerre141. La confiance

du Conseil du roi est désormais tournée vers les partisans, ces « Français riches, issus des milieux marchands ou judiciaires, qui pren[nent] à ferme142 le droit de

percevoir les impôts indirects [les aides]143 ». En ces années 1630-1640, le recours

à ces individus est assurément le moyen le plus rapide d’obtenir des liquidités144.

140 Journal du conseiller Jean Leboindre, A.N., U 336, f° 3, cité par Christian Jouhaud et Robert

Descimon, loc. cit., p. 306.

141 Françoise Hildesheimer, op. cit., p. 72, 142, 204.

142 L’affermement des impôts est « un grand moyen de perception des impôts indirects » qui consiste

en « un triple avantage pour le Roi. Il permet de prévoir le montant minimum des recettes fiscales; il économise à l’État la mise sur pied et le contrôle de tout un personnel spécialisé; il établit un écran susceptible de préserver la popularité du monarque. » Dans François Bluche, L’Ancien

Régime : institutions et société, Paris, Éditions de Fallois, 1993, p. 190. Sur toute cette question

des fermes et des fermiers, la meilleure référence demeure Françoise Bayard, op. cit., p. 104- 162.

143 Orest Ranum, op. cit., p. 46. 144 Ibid., p. 47-50.

Par ailleurs, l’irritation des officiers est aussi entretenue par le rôle accordé aux commissaires, et surtout aux intendants, dans l’administration juridique et financière du royaume. Ces intendants, issus de la robe, sont des fonctionnaires investis de vastes pouvoirs, octroyés par commission royale, qui incarnent l’autorité du roi dans les provinces françaises et auxquels les officiers locaux sont subordonnés. Ils détiennent des outils politiques et militaires persuasifs afin d’exiger les paiements fiscaux dus par les sujets. Les officiers méprisent la manière souvent brutale dont ils s’y prennent pour opérer la levée des tailles et ils les perçoivent comme de « petits tyrans de provinces145 », complices des partisans s’enrichissant au détriment de

tous. Le Parlement parisien revendique donc ouvertement l’abolition de cette fonction.

Dans les années 1640, les propositions fiscales de Particelli d’Hémery, contrôleur général des finances travaillant au côté du cardinal-ministre, sont un autre facteur expliquant le mécontentement grandissant. Les mesures mises de l’avant visent surtout les propriétaires immobiliers des faubourgs parisiens (Édit du toisé) ainsi que les individus fortunés de la ville (« taxe d’aisés »), qui jusqu’alors, étaient exemptés d’impôts146. Ces mesures concernent directement l’élite bourgeoise de la

capitale, ces « “honorables hommes”, bons marchands ou gens de loi, attachés aux privilèges urbains et aux avantages économiques qu’ils impliquent147 », dont font

partie de très nombreux officiers des cours souveraines. Cette recherche toujours plus poussée d’expédients afin de subvenir aux besoins de la guerre n’inquiète donc pas seulement les milieux de la robe, mais aussi l’ensemble de la bourgeoisie traditionnelle de la capitale qui en paie de plus en plus les frais.

145 Ernst Heinrich Kossmann, op. cit., p. 54; Orest Ranum, op. cit., p. 39-40. 146 Ernst Heinrich Kossmann, op. cit., p. 36-37.