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CHAPITRE 1. L’ESPAGNE ET LA FRANCE SUR TOUS LES FRONTS

2. LA FRONDE, SES ENJEUX ET SES ACTEURS

2.2. Fronde parlementaire (1648-1649)

En janvier 1648, les magistrats du Parlement s’opposent à l’annonce de la création de douze nouveaux offices de maîtres des requêtes. Ils refusent de procéder à l’enregistrement des nouveaux édits de Particelli d’Hémery qui vont à l’encontre de leurs intérêts professionnels148 et qui nourrissent la forme de

gouvernement extraordinaire qu’Anne d’Autriche et que Mazarin veulent maintenir, sans égard face au droit de remontrance traditionnel des parlementaires149. Malgré

l’indignation du Parlement, le gouvernement de la régente décide de forcer la main des magistrats en obligeant l’enregistrement des édits par la tenue d’un lit de justice, le 15 janvier. Anne d’Autriche perçoit les protestations des parlementaires comme une attaque au pouvoir législatif traditionnel de la couronne. En janvier 1648 débute ainsi une suite d’offensives et de contre-offensives de la part des deux camps qui ne conçoivent pas de la même manière les limites de l’étendue du pouvoir de chacun au sein de l’État.

Au printemps, l’animosité des magistrats envers les agissements de la régente, de Mazarin et du surintendant des finances d’Hémery refait surface lorsque le 30 avril paraît la déclaration qui renouvelle le droit annuel, aussi appelé paulette150. L’indignation vient du fait que ce renouvellement n’est pas accordé de la

148 Rappelons que la création de nouveaux offices diminuait la rareté donc la valeur de ceux déjà

existants, ce qui n’était pas du tout à l’avantage des détenteurs de ces charges. Sur les maîtres des requêtes, voir Michel Pernot, op. cit., p. 68.

149 Le gouvernement extraordinaire était celui qui avait été mis sur pied dès 1635 sous Richelieu. Il

impliquait, selon Christian Jouhaud et Robert Descimon, quatre éléments interdépendants : « le ministériat, la mainmise des financiers sur les finances publiques, la guerre et l’administration par commissaires, en particulier les fameux intendants. Ce type de gouvernement extraordinaire s’opposait au gouvernement ordinaire, ou coutumier, qui prônait le contraire de ces quatre éléments, soit l’« exercice direct, sans Premier ministre, de la souveraineté royale-ce qui impliquait […] le conseil des cours issues de l’ancienne curia regis et même celui d‘institutions “représentatives”, tels les États généraux; prééminence de la justice, première fonction royale, sur la finance; paix dans la Chrétienté; administration normale par les officiers de justice et de finance. » Voir Christian Jouhaud et Robert Descimon, loc. cit., p. 308.

150 Déclaration du roi, portant que les officiers des cours souveraines de ce royaume jouiront cy après

durant neuf années, commençant au premier jour de la présente année 1648, et finissant au dernier décembre 1656, de la dispense de la rigueur des quarante jours que chacun officier doit survivre après le contrôle de la quittance de la résignation de son office, aux conditions portées par ladite déclaration, vérifiée en la grande chancellerie de France, le dernier jour d’avril 1648,

Paris, Antoine Estienne, 1648, 7 p. Le droit annuel ou paulette était une sorte de taxe qui autorisait, pour celui qui la payait, l’hérédité de sa charge. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 422.

même manière aux officiers de toutes les compagnies. En effet, alors que les autres cours souveraines parisiennes et que les cours provinciales également doivent payer quatre années de gages en échange du droit annuel, le Parlement parisien en est exempté. Cette stratégie est employée par le gouvernement royal pour faire taire les protestations des officiers du Parlement ainsi que pour désunir les diverses cours qui affichent une solidarité et un esprit de corps151. Il s’avère que cette déclaration

concernant la paulette déclenche une réaction contraire aux attentes de la régente : le 13 mai 1648, le Grand Conseil, la Chambre des Comptes, la Cour des Aides et le Parlement qui se sont unis au début de mai, rendent l’arrêt d’union152. À la surprise

de Mazarin et de la régente, le Parlement, la plus privilégiée des cours, a accepté de faire front avec les autres, pour réagir contre le retranchement des gages inhérent à la déclaration concernant la paulette. Le gouvernement casse cet arrêt et va même jusqu’à faire arrêter des membres du Grand Conseil et de la Cour des Aides, mais les magistrats persistent dans leur opposition et désobéissent aux ordres. Ils se rencontrent à la Chambre Saint-Louis du Palais de la Cité dès le 16 juin pour délibérer sur la question de la paulette mais aussi sur plusieurs projets de réforme de l’État qui pourraient mener à un retour à un gouvernement ordinaire. La solidarité de la robe pousse les magistrats plus conservateurs et les autres plus radicaux à travailler ensemble153.

Face à cette force des magistrats qui s’organise, Mazarin, fin négociateur et agile diplomate, conseille à la régente de faire des concessions pour calmer le jeu, ce qu’elle fait. Le Parlement en profite alors pour élargir ses revendications; il veut s’attaquer réellement aux abus constatés dans les finances publiques. Les délibérations de l’assemblée de la Chambre Saint-Louis ont pour conséquence la soumission, au début de juillet, de vingt-sept articles résumant les propositions de

151 Michel Pernot, op. cit., p. 71-72, 422-423; Alanson Lloyd Moote, op. cit., p. 109.

152 Concernant l’arrêt d’union, voir ces deux mazarinades : Ode à nosseigneurs de la cour de

Parlement de Paris sur l’arrêt d’union donné le … 1648, et quelques autres pièces ensuite, Paris,

Nicolas Bessin, 1649, 8 p.; L’oygnon ou l’union qui fait mal à Mazarin, avec quelques autres pièces

du temps contre lui, Paris, 1649, 12 p.

réforme des magistrats154. Il faut aussi mentionner le fait que le tiers des autres

parlements français, soit ceux d’Aix, de Bordeaux et de Rouen ont joint le mouvement de contestation des magistrats parisiens, ce qui augmente les tensions au sein du royaume155. Dans la querelle ouverte depuis janvier, le gouvernement

royal a perdu du crédit par rapport à sa capacité d’appliquer son autorité pour soumettre le Parlement à l’obéissance. Il doit accepter de lâcher du lest, en attendant d’être en position plus favorable pour reprendre le dessus et réduire la portée d’action des parlementaires. Ainsi, pour modérer l’ardeur de ses adversaires politiques, il destitue Particelli d’Hémery puis révoque les intendants, que les officiers désirent ardemment remplacer pour mieux gérer l’administration du royaume et enrayer les abus156. La déclaration du 31 juillet entérine la grande majorité des vingt-

sept articles157.

La glorieuse victoire sur les Espagnols à Lens le 20 août 1648 redonne au gouvernement le moyen de prendre de court le parti des parlementaires. En effet, au moment où un Te Deum est chanté à Notre-Dame de Paris le 26 août, la régente fait arrêter les leaders de l’opposition. Parmi eux se trouve notamment un conseiller de la Grand-chambre, Pierre Broussel, surnommé « le père du peuple » par les bourgeois de Paris. Cette offensive stratégique enflamme la population de la capitale qui monte immédiatement aux barricades, en signe de colère et afin que les magistrats soient libérés158. Pour freiner l’agitation, la régente et son Premier

154 Il est possible de consulter ces vingt-sept articles, soit les propositions de la Chambre Saint-Louis,

au sein du Journal contenant ce qui s’est fait et passé en la cour de Parlement de Paris, toutes

les chambres assemblées, sur le sujet des affaires du temps présent ès années 1648 &1649,

Paris, Gervais Alliot et Jacques Langlois, 1649, 428 p. Voir Célestin Moreau, op. cit., vol.2, p. 84- 85. Michel Pernot, op. cit., p. 76-77, 423.

155 Nina Brière, op. cit., p. 15. 156 Michel Pernot, op. cit., p. 78-79.

157 Déclaration du roi, vérifiée en parlement, Sa Majesté y séant en son lit de justice, le dernier juillet

mil six cens quarante-huit, Paris, Imprimeurs et libraires ordinaires du roi, 1648, 12 p.

158 La bourgeoisie est à l’origine des émeutes qui durent jusqu’au 29 août, mais elle fut suivie par les

autres Parisiens, de moindre statut social. Michel Pernot tente d’expliquer l’origine du soulèvement massif des habitants de la capitale pour la libération de Broussel lors des journées des barricades par la « psychologie collective » : « Dans certaines circonstances difficiles ou dramatiques, les groupes humains (villes, peuples, nations) en arrivent à incarner dans un homme leurs aspirations et leurs espoirs, à professer pour lui une vénération quasi religieuse, “fétichiste” dit Roland Mousnier et à nourrir à son égard des sentiments exaltés, de nature passionnelle, pouvant donner naissance à des comportements aussi irrationnels que violents. C’est ce qui s’est

ministre choisissent momentanément la souplesse et l’accommodement. Pierre Broussel et le magistrat René Potier de Blancmesnil retrouvent leur liberté. Le 24 octobre, une déclaration royale sanctionne celle du 31 juillet et concède au Parlement un plus grand rôle au sein de l’administration étatique159.

Quelques mois plus tard, dans la nuit du 6 janvier 1649, la cour quitte Paris en direction de Saint-Germain-en-Laye, permettant à la régente et à son principal ministre de retrouver une plus grande liberté d’action. La nouvelle alerte toute la ville puisque ce déplacement n’est pas de bon augure. Le pouvoir royal a l’intention de faire reculer les parlementaires. Il exige que le Parlement soit déplacé dans la ville de Montargis, sous la menace du siège de Paris160. Les magistrats s’unissent pour

déclarer Mazarin « auteur de tous les désordres » et « ennemi du roi et de l’État161 ».

Ils souhaitent que le cardinal-ministre quitte le royaume et afin de se défendre contre lui, ils recrutent parmi les habitants de la capitale des hommes prêts à se battre. Ils réussissent même à rallier de leur côté le Bureau de ville et le Prévôt des marchands. Pendant la semaine qui suit le transport de la cour à Saint-Germain-en-Laye, un réel parti frondeur s’organise. Le Parlement reçoit de très nombreux appuis parmi la bonne bourgeoisie mais également au sein de la petite bourgeoisie et de la populace, qui se soucient de leurs intérêts matériels beaucoup plus que des revendications des magistrats. Par ailleurs, d’autres éléments viennent gonfler le rang des frondeurs : plusieurs grands nobles quittent la cour pour participer à l’effort

passé en août 1648. La peur des soldats du roi, du pillage, du viol et de l’incendie a fait le reste. » En même temps, Pernot affirme que l’arrestation de Broussel fut le détonateur, le prétexte, qui permit aux bourgeois de manifester indirectement leur crainte et leur mécontentement envers les mesures fiscales que le gouvernement royal tentait de leur imposer. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 88-90.

159 Déclaration du roi, portant règlement sur le fait de la justice, police, finances et soulagement des

sujets de Sa Majesté, vérifiée en parlement, le 24 octobre 1648, Paris, Imprimeurs et libraires

ordinaires du roi, 1648, 19 p.

160 Déclaration du roi par laquelle la séance du parlement de Paris est transférée en la ville de

Montargis, avec interdiction de s’assembler, ni faire aucun acte de justice dans Paris, Saint-

Germain-en-Laye, 1649, 8 p.

161 Olivier Lefèvre d’Ormesson cité par Michel Pernot, op. cit., p. 101. Voir également Arrêt de la cour

de parlement, donné, toutes les chambres assemblées, le huitième jour de janvier 1649, par lequel il est ordonné, que le cardinal Mazarin videra le royaume, et qu’il sera fait levée de gens de guerre, pour la sûreté de la ville et pour faire amener et apporter sûrement et librement les vivres à Paris,

contre le cardinal-ministre et la régente. Ceux-ci, qui ont, pour plusieurs d’entre eux, des comptes à régler avec le pouvoir royal mais surtout avec le successeur de Richelieu, offrent leurs services au Parlement162. Ainsi, le duc d’Elbeuf, gouverneur

de la Picardie, est un des premiers à se positionner dans le camp du Parlement. S’ensuivent le prince de Conti, frère du prince de Condé, qui sera nommé généralissime de la Fronde, puis le duc de Longueville, qui possède le gouvernement de la Normandie. Son épouse la duchesse de Longueville, sœur des princes de Condé et de Conti, ainsi que l’amant de cette dernière, le prince de Marcillac détenant le gouvernement du Poitou, s’engagent dans la Fronde. Il en est de même pour le duc de Bouillon et son frère le vicomte de Turenne, ainsi que les ducs de Beaufort et de La Mothe163. Il faut aussi souligner l’implication du coadjuteur

de Paris, Jean-François Paul de Gondi, qui supporte très mal le principe du ministériat et donc la présence de Mazarin auprès de la régente et du jeune roi. Initialement, il supporte le Parlement, mais il viendra à défendre son propre parti au sein de la Fronde164. Avec ce nouvel engagement militaire de la part de plusieurs

grands du royaume, le camp des parlementaires gagne donc en force et en prestige. Alors que sa sœur et son frère deviennent frondeurs, le prince de Condé demeure fidèle à la couronne et se voit confier le commandement des troupes royales afin d’assiéger la capitale. Le blocus de Paris dure jusqu’à ce que la paix de Rueil soit conclue le 11 mars165. Celle-ci va dans le même sens que les déclarations royales

162 Il est ici essentiel de spécifier que l’expression « Fronde parlementaire » fait fi de la réalité

historique puisque la noblesse ne s’est pas engagée dans la Fronde qu’à partir de ce qui fut appelé la « Fronde des princes » de 1650 à 1653, mais bien dès le début de 1649, en soutenant la cause parlementaire. Bien que leurs motifs pour prendre part à la révolte ne soient initialement pas les mêmes que ceux des magistrats des cours souveraines, ils ont des sentiments en commun, soit le mécontentement par rapport au gouvernement de la régente et surtout, un grand mépris pour Jules Mazarin. Les grands alimentent donc déjà, à leur manière et avec les moyens propres à leur statut, « l’abaissement du pouvoir royal ». Cela révèle donc que les bornes temporelles qui furent longtemps imposées pour distinguer les divers moments de la Fronde ne sont pas du tout étanches et que les deux Frondes, celle des parlementaires et celle des princes, se sont réellement chevauchées. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 93.

163 Le Parlement savait qu’il pourrait compter sur cet appui de la part de plusieurs nobles d’épée.

Orest Ranum met bien en évidence le fait que cela découlait des réseaux de clientèles et de fidélités qui liaient souvent les robins aux grands du royaume. Comme il fut déjà mentionné, les diverses catégories sociales de l’époque étaient dans une dynamique constante d’échange entre elles. Nous en reparlerons plus en détail un peu plus loin. Voir Orest Ranum, op. cit., p. 208.

164 Michel Pernot, op. cit., p. 103-104, 108; Nina Brière, op. cit., p. 14.

165 Les articles de la paix conclue et arrêtée à Ruel, le mercredi 11e mars 1649, Saint-Germain-en-

du 31 juillet et du 24 octobre 1648. De plus, elle amnistie les généraux de la Fronde et ceux-ci reçoivent même des faveurs de la part du gouvernement royal166. Par la

conclusion de la paix de Rueil, Mazarin et la régente fléchissent une fois de plus, du moins en apparence, avant de contre-attaquer167. À partir de ce moment, le

Parlement n’aura plus le rôle prépondérant qu’il avait jusqu’à maintenant au sein des troubles de la Fronde, puisque l’opposition au pouvoir de la régente et de Mazarin change de mains. Elle sera dorénavant menée par les grands du royaume, le prince de Condé à leur tête, mais cette fois-ci pour faire valoir les droits et les devoirs inhérents à leur propre statut.

2.3. Fronde des princes (1650-1653)