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Les espérances de l’Espagne fondées sur les divisions internes en

CHAPITRE 2. LA PAIX ENTRE LES DEUX COURONNES COMME LEITMOT

4. OPPORTUNISME ET HYPOCRISIE : L’ESPAGNE COMME ENNEMIE

4.1. La superbe du lion espagnol

4.2.1. Les espérances de l’Espagne fondées sur les divisions internes en

Les thèmes de l’unité et de l’obéissance des sujets face à leur souverain apparaissent à quelques reprises comme la solution par excellence pour empêcher l’ennemi de nourrir le monstre que la France a enfanté, soit la « guerre civile299 »,

synonyme de confusion et de chaos300 : « Et d’autant qu’il n’y a que de la division

des membres d’avec leuf Chef & leur Roy, qui puisse causer à la France, la desolation et le mal-heur qui semble la menacer, n’ayant jamais esté possible aux

297 Sieur de Sandricourt, La descente du polit. lutin aux limbes, Sur l’Enfance & les Maladies de

l’Estat, op. cit., p. 22.

298 Silhon, Avis aux Flamens. Sur le Traité que les Espagnols ont fait avec la Duchesse de

Longueville, & le Mareschal de Turenne, op. cit., p. 6-7.

299 L’expression « guerre civile » est bel et bien employée dans la source. Revoir, toutefois, la

définition que nous en avons donnée dans l’introduction.

300 Sieur de Sandricourt, L’accouchée espagnole, avec le caquet des politiques : ou La suite du

Estrangers de luy nuire tandis qu’elle a esté unie avec toutes ses forces301… ». Par

contre, pendant la Fronde, l’unité se brise et la soumission du peuple face à l’autorité royale représentée par la régente et Mazarin est remise en cause. La situation devient très instable et place le royaume en position de vulnérabilité sur la scène européenne.

L’argument le plus couramment employé pour avancer que l’Espagne n’a pas la vraie ambition de conclure la paix générale est celui qui affirme qu’elle ne cesse d’entretenir les troubles des Français de l’intérieur pour amenuiser leurs forces dans le combat qui se joue entre les deux couronnes et pour leur rappeler qu’une épée de Damoclès pend au-dessus de leur tête302. Cette imputation n’est pas nouvelle

puisqu’elle date de l‘époque des guerres d’Italie. Cependant, son importance fut renouvelée lors des guerres de religion au moment où Philippe II vint en aide aux catholiques extrémistes de la Ligue contre les calvinistes303. Quelques références à

cette période sont ainsi visibles au sein des mazarinades pour accroître le poids des propos des propagandistes anti-espagnols304. Par ailleurs, sous le règne de Philippe

IV, l’Espagne entretint au contraire des intelligences avec les huguenots et elle montra son intérêt à les soutenir dans leur lutte contre Louis XIII305, ce qui témoigne

de l’inconstance et de l’opportunisme de la puissance ibérique.

301 S. n., Lettre du roy, au Parlement de Paris : Escrite de Saumur le 22. Feurier 1652. sur les affaires

presentes, op. cit., p. 6-7. Voir aussi Sieur de Sandricourt, L’accouchée espagnole, avec le caquet des politiques : ou La suite du Politique Lutin, sur les maladies de l’Estat, op. cit., p. 12; L’Espagne affligée et en trouble, de voir la France paisible, & exempte du naufrage, où elle pensoit que que nos derniers troubles la devoit faire abimer, op. cit., p. 16.

302 En effet, certains auteurs mettent de l’avant la corrélation entre les troubles en France et l’entrée

de l’Espagne dans le royaume. Voir entre autres S.n., Lettre envoyee par l’Archiduc Léopol à

Monseigneur le Duc d’Orleans : Avec la response de Son Altesse Royale sur le sujet de la paix générale d’entre les Couronnes de France & d’Espagne, op. cit., p. 1174.

303 Michel De Waele, Réconcilier les Français : la fin des troubles de religion (1589-1598), op. cit.,

p. 131, 135; Joseph Pérez, op. cit., p. 203, 234-235; Michel Bareau, « L’univers de la satire anti- espagnole en France de 1590 à 1660 », loc. cit., p. 728; Rafael Altamira, op. cit., p. 822; Hélène Duccini, « Regards sur la littérature pamphlétaire en France au XVIIe siècle », loc. cit., p. 316; 304 Voir L’Espagne affligée et en trouble, de voir la France paisible, & exempte du naufrage, où elle

pensoit que que nos derniers troubles la devoit faire abimer, op. cit., p. 6; Sieur de Sandricourt, L’accouchée espagnole, avec le caquet des politiques : ou La suite du Politique Lutin, sur les maladies de l’Estat, op. cit., p. 11; Ode sur dom Joseph de Illescas, pretendu envoyé de l’Archiduc Leopold, op. cit., p. 4.

305L’Espagne affligée et en trouble, de voir la France paisible, & exempte du naufrage, où elle pensoit

que que nos derniers troubles la devoit faire abimer, op. cit., p. 7. À ce sujet, voir John Huxtable

Voici là un premier « procedez oblique » employé par l’ennemi rusé. Selon plusieurs, l’Espagne instrumentalise cette vulnérabilité française pour tenter de supplanter son opposant. Un pamphlet de 1649 en est un parfait exemple :

… et maintenant cette race ambitieuse n’espere plus les avantages que de nostre des-union. La mes-intelligence nouvellement arrivée à ce Royaume luy a fait concevoir de si hautes esperances de son bon heur, que toute en joye et en réjouïssance, elle a creu que le mal ne seroit pas moindre que celuy qu’elle a senty de la revolte de Naples, qu’elle a encore bien de la peine à reduire, et à remettre en son premier Estat. Il n’y a point d’Espagnol qui n’ait fait un feu de réjoüissance en son ame de nostre divison, dont tout leur Estat, par une suite qu’ils forgeoient à sa mode, et selon son caprice, esperoit tirer un notable avantage306.

Cet avantage consiste à reprendre le dessus et à, notamment, être en mesure de reconquérir les possessions perdues, dans les Flandres par exemple. Par ailleurs, la référence à la révolte de Naples, ayant grandement ébranlé le pouvoir central espagnol, revient de manière récurrente et elle est comparée avec les troubles vécus au moment de la Fronde307. Selon les dires de plusieurs propagandistes, les

supposés souhaits de l’Espagne d’assister à l‘accroissement des conflits civils de ses voisins et d’en constater des conséquences aussi déplorables que les événements de Naples sont toutefois vains. Comme Silhon le rappelle, les « esperances […] qu’ils establiss[…]ent sur la discorde des François [sont si peu fondées, puisque ces derniers] se broüillent & se racommodent si facilement308 ».

L’ennemi ne devrait donc pas considérer comme acquis le prolongement des conflits civils ainsi que leurs conséquences déplorables, puisque cet épisode sera passager, selon les bonnes dispositions des Français envers la paix et la tranquillité.

306L’Espagne affligée et en trouble, de voir la France paisible, & exempte du naufrage, où elle pensoit

que que nos derniers troubles la devoit faire abimer, op. cit., p. 15.

307 Elle réapparaît notamment dans La France restablie, ou les pressantes exortations à ses peuples,

pour les obliger à l’union, à la concorde, & à la res-joüissance, en faveur de la Paix & des Lys florissans, Paris, s.é.,1649, p. 3.

308 Silhon, Avis aux Flamens. Sur le Traité que les Espagnols ont fait avec la Duchesse de

Le même auteur donne un sens à l’attitude de résistance et au manque de collaboration de l’Espagne dans le processus de réconciliation qui a eu lieu en Westphalie : « Qu’est-ce qui a tant fait roidir le Comte de Pigneranda, contre les offices faits par le nonce du Pape & l’Ambassadeur de Venise, pour faire succeder la paix des deux Couronnes, à celles des Hollandois & à celles de l’Empire; Que le fruit qu’il s’estoit imaginé que son Maistre recueilliroit, des troubles arrivez en France309? » Le plénipotentiaire d’Espagne est accusé de s’être présenté à Münster

dans le seul et unique objectif de traiter la paix avec les Pays-Bas, sans avoir eu aucun désir de voir se conclure la paix générale, tant attendue par les Français mais aussi par l’Espagne, selon l’opinion répandue par certaines mazarinades citées précédemment. Il aurait plutôt tenté de mesurer les avantages que cette paix ciblée octroierait à la couronne d’Espagne dans le conflit contre la France, puisque qu’il faut rappeler que les Pays-Bas faisaient auparavant figure d’alliés pour la régente et son Premier ministre310.

Afin de défendre la vision d’une Espagne avide de semer et d’entretenir la zizanie, plusieurs mazarinades font également allusion à la propagande alimentée par elle afin d’entretenir de fausses rumeurs au sein du royaume. Cela met également la lumière sur l’existence de sujets corrompus du roi, « ennemis du bien et du repos de leur patrie311 », qui acceptent de traiter avec l’adversaire et de le

servir. Quelques pamphlets dénoncent ainsi les publications qui circulent pour influencer l’opinion publique, notamment lors du moment de tranquillité qui suit la signature de la paix de Saint-Germain :

… nous sçavons bien que nostre joye afflige l’Espagne, qui est nostre ennemie irreconciliable. Quelle peste tant qu’elle voudra, qu’elle enrage si elle veut, de ce qu’elle se void décheuë d’élever un trophée de nostre ruine, que ses partisans & ses espions qu’elle entretient dans mon Royaume, publient tant qu’ils voudront que la paix de Saint Germain, faite avec mon illustre Parlement ne sera point de durée, qu’il en renaistra une

309 Ibid., p. 5. 310 Ibid., p. 7.

311 Lettre du roy, au Parlement de Paris : Escrite de Saumur le 22. Feurier 1652. sur les affaires

seconde, des cendres de la premiere, ny les uns ny les autres n’en verront point nos ré-joüissances ammoindries, puisque nous sommes bien certains, que Dieu ne nous a envoyez Astrée312 dans cét Etat, que

pour y regner eternellement avec nous313.

Selon l’auteur royaliste du pamphlet intitulé Le bon et le mauvais françois en

contraste, sur le sujet de la guerre passé, & sur celuy de la Paix presente. Dialogue,

cette propagande a plusieurs visées : dresser le peuple contre son roi et l’amener à fomenter une nouvelle sédition ou bien provoquer encore davantage de mauvais sentiments et de mauvais desseins à l’encontre de Jules Mazarin, afin de lui nuire314.

Contrairement aux idées que les Espagnols et leurs alliés répandent, plusieurs pamphlétaires de la Fronde affirment qu’à ce moment, les « ennemis ne sont plus en puissance de sapper ny de renverser les fondements inebranlables de [la] Monarchie [française]315 ». C’est-à-dire que l’Espagne n’a plus, désormais,

l’opportunité d’exploiter à son compte les troubles entre les parlementaires et la couronne puisque la paix sera de longue durée et qu’elle annonce une stabilité contre laquelle l’Espagne ne pourra rien.

Toutefois, quelques mois plus tard, lorsque débute la Fronde des princes, les événements viennent chambouler cette vision. Le potentiel d’affaiblissement et d’ingérence de l’ennemi en France transparaît à nouveau au sein des mazarinades. Avec tous les soulèvements qu’occasionnent l’arrestation des princes à la mi-janvier 1650, le désir de paix dont se défend l’Espagne et ses partisans est remis en question à nouveau par les propagandistes qui usent de la conjoncture pour miner son image; « un accident inopiné survenu en France [l’emprisonnement de Condé,

312 Astrée, dans la mythologie grecque, représente la Justice. « Juste et vertueuse, cette fille de Zeus

et de Thémis vivait au milieu des mortels dans les moments heureux de l’âge d’or. Mais, lorsque l’âme humaine se fut pervertie, elle se retira, avec sa sœur la Pudeur, du séjour des vivants et, sous le nom de Virgo, se fixa dans les cieux parmi les astres. » Voir Joël Schmidt, op. cit., p. 51.

313La France restablie, ou les pressantes exortations à ses peuples, pour les obliger à l’union, à la

concorde, & à la res-joüissance, en faveur de la Paix & des Lys florissans, op. cit., p. 4-5.

314 Le bon et le mauvais françois en contraste, sur le sujet de la guerre passé, & sur celuy de la Paix

presente. Dialogue, Paris, s.é., 1649, p. 7-8.

315La France restablie, ou les pressantes exortations à ses peuples, pour les obliger à l’union, à la

Conti et Longueville] par les nouvelles esperances de prosperité qu’il a fait luire en Espagne a esté comme un coup de vent qui a rejetté au large le vaisseau qui sembloit devoir prendre terre316 ». L’Espagne est ainsi, une fois de plus, accusée du

plus grand des opportunismes.

4.2.2. Des tentatives d’alliance avec tous est chacun : l’opportunisme de