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CHAPITRE 1. L’ESPAGNE ET LA FRANCE SUR TOUS LES FRONTS

2. LA FRONDE, SES ENJEUX ET SES ACTEURS

2.3. Fronde des princes (1650-1653)

2.3.1. Cadre théorique

2.3.1.1. Honneur et devoir de révolte

Malgré leurs contradictions et leurs disparités, les membres de la noblesse française partagent un imaginaire et une idéologie où abondent des représentations communes. L’honneur tient une place capitale dans cet ensemble de schèmes. Arlette Jouanna affirme que l’honneur « tradui[t] l’intériorisation d’une forte exigence morale, même si cette morale p[eut] différer de celle de tout le monde. Avant d’être la réputation, l’honneur était d’abord la conduite honorable qui permet[…] de la conquérir; il s’impos[e] comme un devoir168. » Ainsi s’explique la préoccupation

166 Certes, les révoltés sont amnistiés, mais si la paix de Rueil confirme les déclarations du 31 juillet

et du 24 octobre, cela signifie que les mesures prises par le Parlement pendant le siège de Paris à l’hiver 1649 s’avèrent nulles, sans aucune légitimité. Pour cette raison, Simone Bertière parle d’une « paix boiteuse ». L’auteure insiste par ailleurs sur le fait qu’en mars 1649, les problèmes initiaux ne sont pas réellement réglés puisque les frondeurs n’ont pas obtenu le renvoi de Mazarin ni la signature de la paix avec l’Espagne, qui aurait permis le retour à un gouvernement ordinaire. Voir Simone Bertière, op. cit., p. 328-330.

167 Ils sont en quelque sorte contraints, par la menace espagnole en Picardie, de mettre de côté leurs

plans visant à forcer le camp du Parlement à l’obéissance. En effet, le marquis de Noirmoutier s’est occupé d’entrer en contact avec l’archiduc Léopold-Guillaume, alors gouverneur des Pays- Bas espagnols, afin que ce dernier envoie du renfort aux frondeurs dont il fait partie. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 136-140; Nina Brière, op. cit., p. 15.

168 Arlette Jouanna, Le devoir de révolte : la noblesse française et la gestation de l’État moderne

constante des nobles envers le regard d’autrui qui juge leur conduite et qui leur renvoie le reflet d’eux-mêmes, en attestant de leur degré de vertu, de bravoure et d’honneur. Cela explique également le besoin incessant de se prouver auprès de ses congénères et de l’autorité royale par de glorieux faits d’armes, par l’exercice de hautes fonctions dans l’État, etc. La réputation et le prestige ainsi gagnés par les services rendus à la couronne sont en quelque sorte mis en banque par la noblesse afin de pouvoir éventuellement être utilisés pour marchander des récompenses. Le principe d’échange prend ici tout son sens169. La reconnaissance et la gratification

du souverain sont notamment manifestées par l’octroi de gouvernements de provinces et de plus hautes charges pour eux et leurs proches. Toutefois, malgré la certaine efficacité de ce système, celui-ci demeure dans un équilibre précaire. Le pouvoir royal reconnaît que la loyauté de ses nobles sujets a bel et bien un prix, mais il doit user de prudence et bien doser ses rétributions afin de ménager les humeurs de ces individus qui ont beaucoup d’attentes envers lui et qui sont en mode de compétition les uns envers les autres170. Lorsque l’échange n’est plus fluide et

qu’il y a insatisfaction au sein de la relation, cela est souvent le signe d’une rupture éminente. La fidélité de la haute noblesse, celle des grands princes et des ducs qui détiennent les moyens de traiter avec le roi, a alors tendance à se dégrader jusqu’à laisser place à la révolte. Ainsi, lorsqu’un noble se croit lésé dans ses droits et ses privilèges et qu’il souhaite que justice lui soit rendue, il brandit son « devoir de révolte171 ».

La révolte apparaît ainsi comme le moyen d’exprimer une opposition politique, moyen archaïque, caractérisé par le recours à la violence et même à l’alliance avec l’étranger, mais moyen “normal” en l’absence de voies institutionnelles capables de jouer ce rôle : les assemblées représentatives étant trop peu nombreuses pour permettre vraiment aux

169 Michel De Waele, « Le prince, le duc et le ministre: conscience sociale et révolte nobiliaire sous

Louis XIII », Revue historique, 670 (2014), p. 318.

170 Michel De Waele, « Conflit civil et relations interétatiques dans la France d'Ancien Régime : la

révolte de Gaston d'Orléans, 1631-1632 », loc. cit., p. 568, 573. Arlette Jouanna affirme que « “caresser” la noblesse a été un principe généralement retenu par les monarques ». C’est-à-dire que les rois avaient conscience de l’utilité de la noblesse pour le royaume, bien que celle-ci se montre très exigeante et qu’elle représente un certain fardeau pour la couronne. Voir Arlette Jouanna, op. cit., p. 112.

sujets de faire entendre leur voix. La révolte résulte donc de cette discordance entre le légitime et le légal172.

Il est primordial de bien saisir que les nobles qui se révoltent à l’époque de la Fronde ne souhaitent en aucun cas le renversement de l’ordre établi et la fin de la monarchie. Ils n’en veulent pas à la personne du roi, car bien au contraire, c’est par respect pour lui qu’ils disent prendre les armes. Ils considèrent que leur monarque est mal entouré et mal conseillé et que ses proches ne l’aident pas à agir dans le sens du bien public. De plus, à l’époque de Richelieu puis de Mazarin, le contrôle exercé par les cardinaux-ministres sur la gestion de l’État exacerbe ce sentiment d’abandon que ressentent les nobles qui se considèrent traditionnellement comme les guides et les conseillers privilégiés du souverain. Ce n’est donc pas au roi qu’est attribuée la faute des maux du royaume et la figure du tyran; le roi est trompé et sa vision est brouillée par d’autres, qui, près de lui, ne travaillent que pour leurs intérêts propres173. Le révolté désire seulement créer un rapport de force avec le souverain,

afin d’être en assez bonne posture pour retrouver sa légitimé en tant qu’élément constitutif de la relation d’échange avec le pouvoir royal174.