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CHAPITRE 2. LA PAIX ENTRE LES DEUX COURONNES COMME LEITMOT

1. L’OMNIPRÉSENCE DE L’IDÉE DE LA PAIX

Au fil de la lecture des mazarinades, force est de constater que les auteurs, qu’ils adhèrent à une vision favorable à l’Espagne ou plutôt anti-espagnole, soulignent d’une manière très évidente et récurrente les conséquences désastreuses de la guerre qui dure depuis longtemps ainsi qu’à l’inverse, les vertus

de la paix tant attendue. Certains pamphlétaires diabolisent ainsi la guerre de cette manière :

qu’il ne faut plus recourir aux fables pour aller chercher la plus commune origine de la guerre dans les Enfers? L’expérience ayant fait voir qu’elle est la source et la mére nourriciére des impietez, le tombeau des loix, la meurtriére du genre humain, la ruïne du commerce, & laquelle n’ayant jamais trouvé d’autre excuse parmi les plus barbares que la fin pour laquelle on l’entreprend, qui est la paix; c’est bien manquer de jugement que de s’éloigner de cette fin, tandis qu’on y aspire202.

À l’opposé, la paix revêt un aspect divin et sacré et elle est représentée comme « la vraye fille du Ciel203», à l’image du paradis204 : « … il n’y a point de difficulté qui ne

se puisse surmonter, quand on se laisse conduire à l’Esprit de douceur & de paix : de laquelle naist l’abondance, & tous les Arts refleurissent : comme la guerre produit la pauvreté & la misère205. » Ces représentations sont liées au rôle particulier du

monarque français face à la justice, en tant que dernier arbitre du royaume206; rôle

qui prime sur celui du « roi de guerre207 ». Vis-à-vis de celui dont le « nom seul

estouffe les troubles et séditions208 » et dont la lumière dissipe les ténèbres, la

202Lettre envoyee par l’Archiduc Léopol à Monseigneur le Duc d’Orleans : Avec la response de Son

Altesse Royale sur le sujet de la paix générale d’entre les Couronnes de France & d’Espagne,

Paris, Bureau d’Adresse, 1650, p. 1180. La correspondance du nonce extraordinaire Flavio Chigi en déplacement à Münster en 1646 abonde en ce sens. Il crédite le témoignage d’une femme apparemment possédée dans la région de Cologne qui aurait affirmé, suite à son exorcisme, que l’esprit mauvais l’ayant quittée avait demandé de ne pas retourner aux Enfers, puisque ces derniers étaient déserts, de par le déplacement des démons à Münster pour anéantir les travaux pour la paix. La diabolisation de la guerre est donc un fait également remarqué chez certains représentants de la papauté voulant continuer de jouer leur rôle de médiation et d’influence entre les diverses puissances européennes de l’époque. Voir Géraud Poumarède, Pour en finir avec la

Croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Presses

universitaires de France, 2009, p. 261-262.

203 Les entremises de son altesse royale et de l’Archiduc Leopold, Pour la paix general d’entre la

France & l’Espagne, Paris, 1650, p. 6.

204L’union et alliance de l’Espagne avec la France avec les protestations du Roy d’Espagne contre

Mazarin. Sujet aussi remarquable, que curieux, Paris, Pierre Variquet, 1649, p. 5.

205 Lettre envoyee par l’Archiduc Léopol à Monseigneur le Duc d’Orleans : Avec la response de Son

Altesse Royale sur le sujet de la paix générale d’entre les Couronnes de France & d’Espagne, op. cit., p. 1180.

206 Richard A. Jackson, Vivat rex : histoire des sacres et couronnements en France, Strasbourg,

Association des publications près les Universités de Strasbourg, 1984, p. 19.

207 Jean-Pierre Bois, « Louis XIV, roi de paix? », Revue historique des armées, 263 (2011), p. 1-4. 208 Richard A. Jackson, op. cit., p. 141.

population nourrit des attentes qu’il se doit de satisfaire. Lors de son serment de sacre, il s’exprime en ces termes, les mains sur l’Évangile :

Je promets au nom de Jésus-Christ ces choses aux Chrestiens à moy sujets : Premièrement, je mettray peine que le peuple Chrestien vive paisiblement avec l’Eglise de Dieu. Outre je tacheray faire qu’en toutes vocations cessent rapines et toutes iniquitez. Outre je commanderay qu’en tous Jugements l’équité et miséricorde ayent lieu, à celle fin que Dieu clement et misericordieux fasse misericorde à moy, et à vous. Outre je tacheray à mon pouvoir en bonne foy, de chasser de ma Jurisdiction et terres de ma sujétion, tous Hérétiques dénoncez par l’Eglise : promettant par serment de garder tout ce qu’a esté dit. Ainsi Dieu m’ayde, et ces Saincts Evangiles de Dieu209.

La paix occupe donc une place réellement importante dans le contrat liant le roi à ses sujets. Elle doit être sûre et stable, aussi durable sinon davantage que la longue vie d’un olivier210. Un argument qui revient souvent pour renforcer l’exhortation

générale à la paix est celui du soulagement et du repos du peuple qui attend désespérément la fin des calamités qu’entraîne le conflit211. Cet argument, qui dans

les faits se fonde sur une grande part de vérité, demeure tout de même employé à des fins stratégiques dans les mazarinades, puisqu’il ne faut pas oublier que chacun des auteurs de pamphlets travaille à servir les intérêts d’un parti.

En octobre 1648, la paix de Westpahlie scelle la fin de la guerre de Trente Ans mais elle laisse toutefois en plan le contentieux opposant la France et l’Espagne. Certaines mazarinades reflètent la nécessité de pallier aux lacunes de cette paix et de mettre un frein à la guerre franco-espagnole afin de pouvoir réunir toutes les

209 Ibid., p. 57-58.

210 Jacques Mengau, L’horoscope impérial de Louis XIV, Dieu-donné. Predit par l’Oracle François &

Michel Nostradamus, Paris, François Huart, 1652, p. 18-19. Dans cette mazarinade, il est question

de l’espérance de la paix que pourrait apporter aux Français le mariage de Louis XIV avec Marie- Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne, réconciliant ainsi les deux couronnes. En effet, ce mariage aura lieu peu après la Paix des Pyrénées, en 1660.

211 Voir notamment, Procez verbaux de ce qui s’est n’aguéres traitté à Stenay en l’abouchement du

Député de France & de celui d’Espagne, sur le sujet de la paix, Paris, Bureau d’Adresse, 1651,

p. 453; Lettre du roy, au Parlement de Paris : Escrite de Saumur le 22. Fevrier 1652. sur les

puissances chrétiennes d’Europe sous un même étendard. La réconciliation de toute la chrétienté pourrait permettre la convergence des forces vers les grandes menaces extérieures. Ici, l’auteur prend la parole en personnifiant la figure de l’Europe, afin de supplier les quatre grandes monarchies chrétiennes, soit l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, d’unir leurs forces :

Je [Europe] ne suis pas satisfaite, de voir que la paix soit entre la France, l’Allemagne, la Suede, et les Potentats de l’Empire. Si ce n’est qu’avecque cela, je voye aussi contracter une union indissoluble, entre la méme France, et l’Espagne, que le Dannemarc soit bien d’accord avec la Suede, et que la Pologne soit dessasuiettie des incursions que luy font iournellement les vassaux, & les Partisans du Grand Seigneur212.

Jusqu’alors, l’ennemi principal de la France avait été la dynastie des Habsbourg et le royaume s’était même allié aux Ottomans pour mieux résister à celle-ci213.

Toutefois, la fin de la guerre contre les Espagnols aurait pour résultat de libérer des effectifs du côté des deux couronnes pour empêcher la progression des Turcs musulmans sur le continent ainsi que pour les déloger de la Terre Sainte214. Par

ailleurs, toujours dans l’éventualité d’une réconciliation avec l’Espagne, l’Angleterre,

212Le Grand Seigneur était en fait le sultan de l’Empire ottoman. Dans Les pressantes exortations de

l’Europe aux quatres monarchies Chrestiennes, & autres Etats de son Empire, pour la paix universelle, & l’union de leurs armes, pour la destruction de l’Empire Ottoman, Paris, s.é., 1649,

p. 18-19.

213 Jean Delumeau, op. cit., p. 345-346. Pour plus de précisions sur la menace musulmane turque

ressentie au sein de la chrétienté de l’époque, voir Jean Delumeau, op. cit., p. 342-355; Géraud Poumarède, op. cit., p. 7-79, 199-305 ; Jean-François Solnon, Le turban et la stambouline.

L’Empire ottoman et l’Europe, XIVe-XXe siècle, affrontement et fascination réciproques, Paris,

Perrin, 2009, p. 51-54, 113-115.

214Les pressantes exortations de l’Europe aux quatres monarchies Chrestiennes, & autres Etats de

son Empire, pour la paix universelle, & l’union de leurs armes, pour la destruction de l’Empire Ottoman, op. cit., p. 11-12, 18. Cela correspond par ailleurs à l’argumentaire mis de l’avant par le

Saint-Siège lors des négociations en Westphalie dans les années 1640 en vue de la pacification. Malgré l’insistance de la papauté sur l’importance de la menace turque et ses nombreux efforts de persuasion, quoi que son attention ne soit elle-même pas tournée uniquement que vers les Ottomans mais également vers les protestants jugés hérétiques en Europe, les divers États impliqués dans les pourparlers sont alors davantage concentrés sur les affaires européennes qui les touchent directement. Dans les faits, la question turque ne s’avère donc pas être le motif le plus mobilisateur animant les États au sein de leurs démarches pour la paix. Voir Géraud Poumarède, op. cit., p. 260, 264-265.

considérée en France comme une « infame parricide de son Roy legitime215 » suite

à la décapitation de Charles Ier, deviendrait une cible plus facilement atteignable :

« Et apres vne bonne Paix generale […], les Couronnes estans vnies, à la faueur de leurs Peuples, on prendra les armes contre ces execrables Anglois, qui ont miserablement massacré leur Roy, qui par cét horrible attentat, ont attiré la malediction du Ciel & de la Terre216. » L’argument du combat conjoint orienté vers

un ennemi commun et extérieur est donc véhiculé dans plusieurs mazarinades qui prônent la conclusion de la paix générale avec Philippe IV217. Alors que dans nombre

de mazarinades la France et l’Espagne sont dépeintes comme des peuples ennemis et si opposés en tant de points, l’aboutissement des négociations de paix devient si urgent que certains auteurs désirent influencer l’opinion des lecteurs en tentant de réduire le fossé creusé entre les deux adversaires :

… voicy l’Europe qui vous conjure, par tout ce qui vous est de plus cher au monde, de vous accorder à ses vœux, de travailler avec elle à l’éternel repos de la Chrestienté, et non seulement de faire une paix ferme, et stable avec l’Espagne, qui vous est allié en tant de façons, qu’il semble n’y avoir rien plus facile à faire que vostre union218… »

215Les pressantes exortations de l’Europe aux quatres monarchies Chrestiennes, & autres Etats de

son Empire, pour la paix universelle, & l’union de leurs armes, pour la destruction de l’Empire Ottoman, op. cit., p. 19.

216L’union et alliance de l’Espagne avec la France avec les protestations du Roy d’Espagne contre

Mazarin. Sujet aussi remarquable, que curieux, op. cit., p. 8.

217 Pour faire front commun face à un ennemi redoutable, il faut absolument calmer les antagonismes

existant à la base entre les divers individus, groupes, institutions, villes, États, etc. L’unité devient alors la clé de voûte pour l’accroissement de la force de frappe face à la menace externe. À la fin du XVIe siècle, Henri IV avait fait usage du même procédé afin, notamment, d’unifier ses sujets

en proie aux déchirements engendrés par les guerres de religion et d’ainsi mieux se battre contre la grande ennemie commune et extérieure, soit l’Espagne de Philippe II. La guerre fut donc déclarée à cette dernière le 17 janvier 1595. Il s’agissait ainsi de convertir la guerre intra-étatique en guerre inter-étatique. Dans le cas de la menace ottomane à l’époque qui nous intéresse, le principe s’avère être le même; seule l’échelle change. Voir Michel De Waele, Réconcilier les

Français : la fin des troubles de religion (1589-1598), op. cit., p. 235.

218Les pressantes exortations de l’Europe aux quatres monarchies Chrestiennes, & autres Etats de

son Empire, pour la paix universelle, & l’union de leurs armes, pour la destruction de l’Empire Ottoman, op. cit., p. 19-20.

Miser sur les points communs au lieu d’accentuer les points de désaccord et les oppositions « naturelles » et « héréditaires » est donc un moyen d’instrumentaliser la figure de l’Espagnol pour prôner un rapprochement diplomatique.