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CHAPITRE 1. L’ESPAGNE ET LA FRANCE SUR TOUS LES FRONTS

1. LA GUERRE DE TRENTE ANS ET LE CONFLIT FRANCO-ESPAGNOL

1.2. La guerre ouverte (1635-1648)

À la fin de l’année 1634, la France, qui « [avait mis] [jusqu’alors] la main à la bourse et non aux armes104 », se prépare concrètement à attaquer l’Espagne. Avant

de pouvoir se lancer dans la lutte armée, la France s’assure du maintien et de la solidité de ses alliances, en offrant notamment sa protection à certains États qui s’engagent en contrepartie à lui demeurer fidèles105. Par plusieurs traités, elle s’allie

ainsi aux princes allemands protestants, aux États généraux de la République des Provinces-Unies et à la Suède106. Le véritable casus belli qui pousse la France à

déclarer la guerre à l’Espagne le 19 mai 1635 est l’emprisonnement par les Espagnols, à la fin du mois de mars 1635, de l’Électeur de Trêves Philippe- Christophe de Sötern, protégé de la France. Louis XIII, en faisant basculer son royaume dans la guerre ouverte, souhaite répondre à ce qu’il perçoit comme une attaque à sa réputation107.

L’offensive française se déploie principalement en ces lieux : les Flandres, l’Empire germanique, l’Italie du Nord et les Pyrénées. La France se rend vite compte de la puissance militaire des Habsbourg et de l’efficacité des tercios espagnols108.

Cependant, elle se trouve dans une meilleure disposition générale que l’Espagne. La couronne espagnole s’est épuisée dans le combat pour la répression de la révolte des Pays-Bas et depuis 1618, elle s’investit aux côtés de l’empereur pour garantir la

104 Richelieu cité par Madeleine Laurain-Portemer, Études mazarines, t. II, Une tête à gouverner

quatre empires, Paris, chez l’auteur [diffusion Nogent-le-Roi, Éditions Jacques Laget], 1997, p. 138.

105 Sur cette pratique de la protection, voir Fabrice Miccalef, Un désordre européen : la compétition

internationale autour des “affaires de Provence” (1580-1598), Paris, Publications de La Sorbonne,

2014, p. 80-95, 104-105, 239, 369-370, 382-389; Albert Cremer, « La “protection” dans le droit international public européen du XVIe siècle », dans Stegmann, André (dir.), Théorie et pratique

politiques à la Renaissance. Actes du XVIIe colloque international de Tours, Paris, Librairie

philosophique J. Vrin, 1977, p. 145-157.

106 Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 445; Lucien Bély, Les relations internationales en Europe,

XVIIe-XVIIIe siècles, op. cit., p. 119.

107 Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 454; Lucien Bély, Les relations internationales en Europe,

XVIIe-XVIIIe siècles, op. cit., p. 120; Geoffrey Parker, op. cit., p. 226-227.

108 À l’époque, les tercios étaient des unités d’infanterie reconnues pour être le noyau dur de l’armée

espagnole. Formées de professionnels de guerre, ces unités avaient la réputation d’être invincibles. Voir Françoise Hildesheimer, op. cit., p. 125; Simone Bertière, Condé, le héros

fourvoyé, Paris, Éditions de Fallois, 2011, p. 172; Thomas Glesener, « Flandre et Flamands dans

pax austriaca en Europe, ce qui est très contraignant financièrement. Par ailleurs,

au moment où l’Espagne vit une crise démographique importante, la France s’avère très populeuse et est donc en mesure de mettre sur pied une armée considérable109.

Malgré ces faiblesses de l’Espagne, jusqu’à la fin des années 1630, un certain statu

quo se crée entre les deux puissances ennemies. Il en résulte une longue alternance

de victoires et de défaites pour chacun des deux camps. Les places fortes situées sur les frontières communes sont les plus disputées et les armées y pratiquent une épuisante guerre de siège. Le recours à des chefs de guerre étrangers et à des mercenaires est primordial pour faire gonfler les effectifs. En ce sens, le duc Bernard de Saxe-Weimar offre ses services à Louis XIII pour guerroyer pour la France avec son armée composée de mercenaires germaniques110. De plus, les alliances

entretenues avec d’autres États s’avèrent bénéfiques sur divers terrains. Les Hollandais viennent notamment en aide aux Français sur la Manche et lors de la bataille des Dunes en 1639, ils infligent une grande défaite à la marine espagnole dont les pertes en vaisseaux et en hommes sont énormes. L’Espagne ne peut plus rivaliser sur le plan naval suite à cette « catastrophe militaire111 ». Elle s’essouffle de

plus en plus, alors que la puissance des Bourbons semble s’affermir. La victoire française de Rocroi en 1643, pour laquelle le crédit se voit accordé au jeune duc d’Enghien, Louis II de Bourbon-Condé, le confirme. Le vieux mythe de l’invincibilité des tercios est alors anéanti et cela procure une plus grande confiance à la France pour la suite des choses112.

Alors que se succèdent les affrontements en divers lieux d’Europe, la situation est telle que le poids écrasant de la guerre pèse très lourdement sur les populations des États impliqués et en tout premier lieu sur la paysannerie ainsi que le petit peuple des villes. Le cours du conflit est donc perturbé par plusieurs soulèvements

109 Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 138-140; Lucien Bély, Les relations internationales en

Europe, XVIIe-XVIIIe siècles, op. cit., p. 120.

110 Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 553; Michel Pernot, op. cit., p. 130 et 336

111 Alain Hugon, Rivalités européennes et hégémonie mondiale : modèles politiques, conflits militaires

et négociations diplomatiques, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Colin, 2002, p. 125; Madeleine Laurain-

Portemer, op. cit., p. 553.

populaires d’ampleur variée que les gouvernements tentent de mater. En France, la révolte des Croquants dans le Périgord en 1636-1637 et celle des Nu-Pieds en Normandie en 1639 expriment clairement la contestation des populations face à la centralisation progressive de l’appareil d’État et au poids fiscal écrasant que celui-ci leur impose pour poursuivre la guerre113. Du côté de l’Espagne, les Catalans et les

Portugais114 cherchent à retrouver leur autonomie traditionnelle face au pouvoir

castillan en brisant le lien de fidélité qui les unit à Philippe IV115. Leurs révoltes

ouvrent une brèche à travers laquelle s’immiscent les Français pour alimenter les mouvements de sédition et nuire à l’adversaire116.

Alors pleinement engagée dans la guerre extérieure ainsi que dans la répression des révoltes sur son propre territoire, la France entre simultanément dans une période de transition politique au tournant des années 1640. Les décès du cardinal-ministre Richelieu en 1642 puis du roi Louis XIII l’année suivante placent à la tête du royaume le très jeune Louis XIV, alors âgé d’à peine cinq ans. Sa mère, Anne d’Autriche, infante d’Espagne et donc sœur du souverain Philippe IV, devient régente de France. Afin de disposer de toute la liberté dont elle désire en ce qui concerne le choix de ses conseillers, elle casse le testament de son défunt mari, qui lui imposait un Conseil de régence, par la tenue d’un lit de justice au Parlement de Paris le 18 mai 1643117. Elle choisit comme principal ministre le cardinal Jules

Mazarin, créature de Richelieu d’origine roturière et italienne. La régente place toute

113 Guy Lemarchand, « Troubles et révoltes populaires en France, XVIe-XVIIe siècles. Essai de mise

au point », Cahier des Annales de Normandie, 30, 1 (2000), p. 135, 137 et 143; Yves-Marie Bercé,

Révoltes et révolutions dans l’Europe moderne, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, CNRS éditions, 2013,

p. 190-193. Concernant ces deux révoltes paysannes de la fin des années 1630, voir Yves-Marie Bercé, Croquants et nu-pieds : les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris,

Gallimard : Julliard, 1974, 240 p.

114 Plus précisément, voir John Huxtable Elliott, The Revolt of the Catalans. A Study in the Decline of

Spain (1598-1640), Cambridge, Cambridge University Press, 1984 (1963), 648 p.; John Huxtable

Elliott, Imperial Spain, 1469-1716, Londres, Edward Arnold Publishers, 1963, p. 337-345; Bartolomé Bennassar, Histoire des Espagnols, VIe-XXe siècle, 2e éd., Paris, Robert Laffont, 1992

(1985), p. 464-467.

115 Françoise Hildesheimer, op. cit., p. 126.

116 Lucien Bély, Les relations internationales en Europe, XVIIe-XVIIIe siècles, op. cit., p. 130-134;

Yves-Marie Bercé, Révoltes et révolutions dans l’Europe moderne, XVIe-XVIIIe siècles, op. cit., p.

196-197.

sa confiance en lui pour les affaires de l’État et celui-ci, diplomate pontifical de formation, use de ses grandes aptitudes de négociateur pour mener à bien la poursuite de la politique belliqueuse de son prédécesseur Richelieu, toujours dans l’objectif d’abaisser l’hégémonie des maisons d’Espagne et d’Autriche118. Ainsi, au

lendemain de Rocroi, la guerre se poursuit.

Parallèlement, le monde diplomatique se trouve en effervescence puisque se préparent les congrès de paix en Westphalie. Depuis plusieurs années, le pape Urbain VIII travaille activement à réunifier la chrétienté. Des rapprochements se font dès 1641 entre la France et l’Empire en vue de négociations, mais ce n’est qu’en 1644 que débutent deux congrès qui se tiennent simultanément : un premier à Münster pour les puissances catholiques et un second à Osnabrück regroupant les États protestants119. Les trois années de négociations qui s’ensuivent sont difficiles

et complexes. Tout d’abord, l’avancement des pourparlers dépend sans cesse des aléas des campagnes militaires. Chacun des belligérants se refusant à l’idée d’un armistice, chaque revirement sur les champs de bataille influence le cours des congrès. Chaque année, la France espère qu’elle pourra infliger la défaite ultime qui ruinera définitivement l’ennemi, mais en vain. L’Espagne, bien qu’ébranlée, résiste120. En 1647, le siège de Lérida121 se solde par un échec pour les armées du

prince de Condé, et cela renforce la volonté des Espagnols de poursuivre le combat. Philippe IV exige, en échange de son engagement dans les négociations de paix, l’obtention des places fortes de Pignerol et de Moyenvic122, ce que la France refuse.

Le pouvoir espagnol se concentre donc sur une autre stratégie : obtenir une paix séparée avec les Provinces-Unies, qui commencent à craindre le pouvoir

118 Simone Bertière, op. cit., p. 179. 119 Pierre Goubert, op. cit., p. 147-148.

120 Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 141-142.

121 Située en Catalogne, la ville de Lérida s’avère être une porte ouvrant sur le royaume d’Aragon. 122 Pignerol, en Piémont, est un lieu d’une très grande importance stratégique puisqu’il permet un

passage vers l’Italie du Nord. Cette place a été conquise par la France en 1630. Par ailleurs, Moyenvic est une forteresse qui bloque le passage vers le Rhin et qui protège l’accès à la Lorraine. L’endroit est occupé par les Français depuis 1631. Voir Michel Pernot, op. cit., p. 54; Madeleine Laurain-Portemer, op. cit., p. 450.

grandissant de la France ainsi que son manque de loyauté123, pour réduire le

nombre de ses adversaires et rendre ainsi disponibles sur d’autres fronts les effectifs impliqués dans la guerre qui dure depuis plus de soixante-dix ans déjà avec elles124.

Ainsi, ce projet se concrétise à Münster le 30 janvier 1648, alors que l’indépendance des Provinces-Unies est enfin reconnue par la couronne espagnole125. Ce coup dur

pour la France est toutefois suivi par deux revers importants vécus par ses adversaires : les grandes victoires françaises sur les troupes austro-bavaroises le 17 mai 1648 à Zusmarhausen puis sur les Espagnols à Lens, le 20 août. Ces triomphes français accélèrent ainsi la finalisation des négociations de paix et mène à la signature des deux traités de Westphalie, le 24 octobre de la même année, par lesquels l’Empire conclut la paix séparément avec la France puis la Suède. Ce que l’Espagne appréhendait depuis longtemps se produit enfin : « l’alliance naturelle » entre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche est brisée126.