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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Saussure et les Alpes

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Academic year: 2021

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SAUSSURE ET LES ALPES

Observer et mesurer la nature au 18e siècle

Anne FAUCHE

LDES, Université de Genève, Genève, Suisse

Mots-clefs : Médiation culturelle–Histoire–Nature–Observation–Mesure

Résumé : Infatigable explorateur des Alpes, le naturaliste genevois Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) participa à l’établissement des fondements scientifiques de l’étude de la nature en montagne. Ses pratiques d’observation et ses méthodes de mesure, mises en perspectives historique et scientifique, ont permis d’élaborer des propositions originales visant des publics très divers dans le cadre de nombreux projets de médiation scientifique et culturelle.

Abstract: Tireless explorer of the Alps, the Genevan naturalist Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799) participated in the establishment of the scientific foundations of the study of the nature in mountain. His practices of observation and his methods of measure, put in historic and scientific perspectives, allowed to elaborate original propositions aiming at very diverse public within the framework of numerous projects of scientific and cultural mediation.

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INTRODUCTION

La collection d’instruments scientifiques conservée à Genève en musée municipal et ayant appartenu à Horace-Bénédict de Saussure, naturaliste genevois de la seconde moitié du 18e

siècle, a fait l’objet dès la fin des années 90 d’un systématique travail de médiation que nous avons alors initié pour en permettre l’accès à tous les publics, tant sur le plan de la didactique des sciences que sur celui de la sensibilisation à l’histoire des savoirs et des approches de la nature. Les pistes que nous avons explorées, régulièrement réajustées avec le temps selon les contextes et les publics, se sont révélées fécondes et ont fini par déborder les frontières du canton de Genève1.

DES OBJETS PORTEURS DE SAVOIRS

Les objets évoquant le contexte culturel des expéditions L’exposition permanente proposée au musée

d’histoire des sciences de la municipalité de Genève est constituée d’instruments scientifiques anciens. Le noyau historique provient de la collection de Saussure qui comporte, outre une panoplie d’instruments, des objets personnels témoins du contexte dans lequel le naturaliste parcourut les Alpes pendant quarante ans et qui ont un très fort impact sur les publics. Ainsi, la redingote de soie qu’il portait quand il gravit le Mont-Blanc, ses chaussures de terrain aux semelles munies de pointes et sa canne de jonc sont autant de facilitateurs pour entrer de plain pied dans la problématique générale de telles expéditions.

(Photo 1 : redingote portée lors de l'ascension au Mont-Blanc)

Alors que la montagne était alors considérée comme inviolable voire maudite par ses habitants et que les acteurs de la science s’y intéressaient peu, ou du moins ne se rendaient en aucun cas sur le terrain, Saussure osa se lancer avec ses instruments dans les Alpes quand

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lointains. Quant à son marteau de géologue, il témoigne de l’intérêt de Saussure pour l’énigme que constituait alors le processus de formation des montagnes sur lequel on commençait en Europe à émettre quelques hypothèses, encore timides étant données les approches théologiques fondamentalistes des églises chrétiennes de l’époque, tant protestantes que catholiques.

Les instruments scientifiques

À quelques exceptions près, les instruments scientifiques anciens ont, d’une manière générale, un immense avantage du point de vue didactique : ils ne sont pas des « boîtes noires ». Leur dispositif est visible, il peut être décrit, analysé et leur principe peut être éventuellement reproduit. Dans le cas qui nous occupe, les instruments de Saussure étaient portatifs, ce qui obligeait à les penser de façon encore plus sommaire, cette contrainte étant paradoxalement facilitante quand il s’agit d’aborder leur fonctionnalité.

On prendra ici à titre d’exemple un instrument qui mesure une grandeur difficile à se représenter bien que déterminante en météorologie : le taux de vapeur d’eau dans l’air. L’hygromètre à cheveu portatif qu’inventa Saussure est constitué d’un long cheveu2 préalablement dégraissé, tendu sur un cadre de laiton entre une vis et une poulie, elle-même reliée à une aiguille se déplaçant devant une graduation. L’appareil était étalonné avant chaque utilisation dans une boîte de fer-blanc où régnait une atmosphère saturée d’humidité : la graduation était alors calée sur le degré maximal avant d’être placé

pour la mesure dans l’air ambiant. Si le cheveu cassait, (Photo 2 : hygromètre à cheveu et sa boîte de transport) la graduation devenait caduque et on trouve souvent des tableaux de correspondance sur des papiers collés dans les boîtes de transport. Des exemplaires proposés par son inventeur aux scientifiques européens devaient encourager des mesures hygrométriques fiables, en vue d’établir un réseau météorologique à grande échelle.

D’autres instruments accompagnaient Saussure dans ses expéditions : baromètres à mercure servant aussi d’altimètres, thermomètres, électromètres, mais aussi diaphanomètre pour mesurer la transparence de l’air et un cyanomètre dont il sera question plus loin.

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LES PRODUCTIONS DE MÉDIATION POUR LES PUBLICS LOCAUX

Les types de médiation

Lors de l’expérience de terrain que nous avons initiée et développée pendant une dizaine d’années au musée, il est apparu que la présence d’un médiateur a un impact optimal dans le cas d’une exposition présentée de manière traditionnelle sous vitrine3. Ainsi, la visite commentée classique permet d’adapter les savoirs en jeu à tous les publics, scolaires compris. Par ailleurs, des ateliers pour le jeune public hors cadre scolaire peuvent être proposés, et des pistes pédagogiques à poursuivre en classe suggérées aux enseignants du primaire au secondaire, dans le cadre des cours de sciences ou d’histoire et en lien avec les programmes. Parallèlement à la médiation humaine, un petit livret d’aide à la visite4 récapitule pour les publics adultes, en peu de pages, l’essentiel des savoirs sur le contexte historique et la fonctionnalité des instruments. On peut regretter qu’à ce jour aucun type de médiation sur aucun support multimédia n’ait encore pu être développé au musée, mais on peut l’espérer, tous les éléments permettant leur création étant déjà rassemblés et leurs points forts discernés. Les axes de médiation, le cyanomètre

Le travail approfondi de médiation que nous avons développé autour d’un instrument inventé par Saussure pour mesurer les nuances de bleu du ciel lors de son ascension au Mont-Blanc déploie l’essentiel des axes de médiation élaborés pour les publics sur les problématiques liées au scientifique genevois. L’instrument, nommé cyanomètre, est un simple petit carton comportant 16 carrés évidés juxtaposés à 16 carrés de nuances de bleu aquarellées.

Ce curieux instrument suscite beaucoup d’engouement car il est facile, dans un premier temps, de s’approprier sa fonctionnalité et de le reproduire. On peut inciter des publics de tous âges à participer à partir de consignes simples à sa re-découverte et sa re-création avant de dévoiler l’original. Cependant, dans ce type d’atelier qui se révèle à la fois ludique et déconcertant, les questions surgissent vite en cascade, par exemple quant au protocole d’utilisation lié à l’orientation de l’objet, ou au moment de la journée où l’on fait la mesure, ou même au sens à donner à celle-ci. Toutes les réponses figurent dans les écrits de Saussure et c’est au médiateur de les proposer au cours de l’atelier au moment jugé le plus pertinent.

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(Photo 3 : cyanomètre utilisé lors de

l'ascension au Mont-Blanc)

(Photo 4 : atelier « cyanomètre » au musée)

Pour donner ici quelques indications sommaires, trois cyanomètres identiques ont été utilisés le 3 août 1787, orientés au zénith et au moment précis du midi du soleil, en trois lieux : à Genève, au pied du Mont-Blanc, et à son sommet, le fils de Saussure et un collègue à Genève étant mis à contribution. Grâce à ceux-ci, d’autres observations et mesures, en ces trois endroits proches géographiquement mais d’altitude différentes, étaient faites au même moment (pression, température, hygrométrie, quantité d’électricité dans l’air, etc.), et intimement associées aux yeux de son inventeur aux « vapeurs opaques » se raréfiant avec l’altitude. Le cyanomètre était un prototype peu abouti, et un seul exemplaire sur les trois réalisés et utilisés a été conservé, peut-être par hasard entre les pages d’un livre…

L’OUVERTURE EUROPÉENNE

L’Europe des découvertes pour les scolaires

Le cyanomètre a été retenu avec d’autres inventions suisses dans un projet européen destiné aux classes primaires intitulé L’Europe des découvertes en partenariat avec La main à la pâte. Toujours destinée aux maîtres, un ouvrage collectif au titre éponyme a vu le jour, où quelques inventions furent retenues : le cyanomètre en fit partie. Depuis lors, La main à la pâte propose sur son site des animations destinées aux élèves sur les inventions présentées dans le livre en

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prenant en compte le contexte historique tout autant que le contenu scientifique et, à destination des enseignants, un résumé du protocole à utiliser avec les élèves5.

A travers les déclinaisons successives de ce projet, Saussure a pris une place originale parmi les savants européens et a permis comme eux un travail d’acculturation des élèves tout en activant leur motivation à entrer dans des problématiques scientifiques incontournables.

Des publications pour le grand public

Nous avons repris et commenté avec un collègue français, Samuel Cordier, selon les axes culturels et scientifiques détaillés plus haut, le « journal » tenu par Saussure lors de son ascension au Mont-Blanc. Sa publication, assurée par les Editions Guérin de Chamonix, spécialiste des livres de montagne, a jeté des ponts entre des pôles peu amenés a priori à se croiser à savoir : science, histoire, observation scientifique de la nature, discernement et mesure de ses grandeurs physiques, et exploit « sportif » en haute montagne.

Un article sur cet ouvrage cosigné par les mêmes auteurs, Le rêve alpin de Saussure paru dans

Les génies de la science, collection dédiée à l’actualité de l’histoire des sciences de la revue Pour la science, a permis de sensibiliser d’autres publics aux mêmes problématiques.

CONCLUSION

Saussure, passionné par les sciences de la nature, était relativement isolé dans la petite république indépendante qu’était alors Genève, d’autant qu’il était tenu de participer activement à sa gestion politique. Il n’eut d’autre choix que d’adopter comme terrain d’exploration estival la haute montagne toute proche. Modeste mais très averti des savoirs scientifiques de l’époque, en contact avec l’élite savante européenne comme en témoignent ses voyages et sa correspondance, original dans ses recherches mais rigoureux dans ses protocoles, il a mené des travaux dont l’intérêt s’est révélé très porteur dans le domaine de la médiation. La large gamme des problématiques qu’on y propose étonne et captive les publics adultes, motive les plus jeunes à entrer en science et à construire leurs premiers instruments de mesures, et fait efficacement évoluer les représentations de tous en matière scientifique mais aussi culturelle. Nous estimons que c’est ainsi rendre justice au grand naturaliste de terrain que fut Horace-Bénédict de Saussure, d’autant plus qu’il avait en son temps tenté, peu

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soucieux de déplaire à ses pairs, de faire accéder le plus grand nombre de ses concitoyens au meilleur niveau d’instruction possible, en particulier dans les branches scientifiques.

NOTES

1. Elles ont par ailleurs été systématiquement archivées ou plus exactement « capitalisées » (pour reprendre le terme de Florence Belaën tel qu’explicité en 2003 dans Exemple de capitalisation de la médiation humaine lors du colloque sur les métiers de la médiation scientifique au Palais de la Découverte à Paris) pour pouvoir, après notre cessation d’activité au musée en 2007, être réactivées à tout moment dans la programmation culturelle du lieu.

2. Les cheveux, comme toutes les matières organiques, s’allongent quand le taux d’humidité augmente et se rétractent quand elle diminue. Pour la petite histoire, Saussure préconisait des cheveux blonds, plus fiables selon lui, et utilisait probablement ceux de sa femme Albertine.

3. On pourra se référer à ce que nous notions sur ce sujet dans La médiation-présence au musée d’Histoire des

sciences de Genève, Enjeux, objectifs, pratiques, réflexions, paru en 2002 dans le n°83 de la Lettre de l’OCIM.

4. Sous le ciel du Mont-Blanc, sur les traces d’Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), pionnier de la

météorologie alpine est un livret produit par le musée et la Ville de Genève.

5. Sur le site de La main à la pâte http://www.lamap.fr, le cyanomètre est présenté sous http://lamap.inrp.fr/europe/le_cyanometre_(suisse) et

http://www.lamap.fr/collaborative_projects/29/PDF/sausPistefr.pdf

BIBLIOGRAPHIE

BURKHALTER Isabelle, FAUCHE Anne, PONT Jeanne, VALLET Françoise, « Pour un musée au service de la société et de son développement », La Lettre de l’OCIM, n°105, mai-juin 2006, pp. 22-23.

CORDIER Samuel, FAUCHE Anne, « Le rêve alpin de Saussure », Pour la science, Les génies de la science, n° 34, février-avril 2008, pp. 10-13.

FAUCHE Anne, CORDIER Samuel, « Le cyanomètre d’Horace-Bénédict de Saussure » in L'Europe des découvertes, ouvrage collectif sous la direction de David Jasmin, éd. Le Pommier, Paris, 2004, pp. 69-90.

FRESHFIELD, Douglas W, Horace-Bénédict de Saussure, éd. Slatkine, coll. Slatkine Reprints, Genève, 1989.

SAUSSURE, Horace-Bénédict, Voyages dans les Alpes, t.1, éd. S. Fauche, Neuchâtel, 1779 ; t.2, éd. Barde et Manget, Genève, 1786 ; t. 3 et 4, éd. Fauche-Borel, Neuchâtel, 1796. SAUSSURE, Horace-Bénédict, Journal de l’ascension au Mont-Blanc, A. Fauche (ed.) et S.

Références

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