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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le « maître de papier » et l'expérimental

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Academic year: 2021

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LE « MAÎTRE DE PAPIER » ET L’EXPÉRIMENTAL

Élisabeth PLÉ

IUFM Champagne Ardenne

MOTS-CLÉS : ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE – EXPÉRIMENTAL – INVESTIGATION – MANUEL – MÉDIATION

RÉSUMÉ : Nous analyserons comment les manuels scolaires actuels pour l’école élémentaire en sciences et technologie gèrent ce que nous qualifions de « conflit de médiation interne» concernant l’investigation empirique. Ces ouvrages, qualifiés ici de « maître de papier » doivent en effet concilier des exigences antinomiques : fournir des ressources sous forme de photos, schémas et textes et inviter les élèves à une investigation effective à partir du réel, proposer une démarche de recherche et viser des tâtonnements.

ABSTRACT : Our purpose is to analyze how current science and technology primary textbooks deal with the “conflict of inner mediation” concerning empirical investigation. These books, here referred to as “paper teachers”, have to reconcile contradictory requirements : provide teaching materials such as photos, graphs and texts and invite pupils to actually investigate real world, suggest a methodology in investigation and aim at making pupils proceed by trial and error.

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1. INTRODUCTION

Après avoir présenté le rapport que nous envisageons entre l’expérimentation et la documentation nous questionnerons la fonction instrumentale du manuel (Choppin, 2005) et analyserons comment le manuel scolaire en tant qu’instrument didactique négocie cette exigence paradoxale : mettre les élèves en démarche d’investigation à partir du réel et apporter, suivant une logique de présentation, des ressources sous forme de textes, photos, schémas.

2. LA CHOSE À MANIPULER ET LA « CHOSE IMPRIMÉE »

2.1. Survol historique

Depuis que le livre existe, l’apprentissage par le livre a été sujet de défiance. Rabelais et Montaigne condamnent déjà l’apprentissage par les livres. Mais c’est certainement Rousseau dans l’Émile qui en fait la critique la plus acerbe. « Point d’autre livre que le monde, point d’autre instruction que

les faits. L’enfant qui lit ne pense pas, il ne fait que lire, il ne s’instruit pas, il apprend des mots…L’abus des livres tue la science…Tant de livres nous font négliger le livre du monde… »

En 1908, Pauline Kergomard, inspectrice de l’Éducation Nationale, après avoir sillonnée la France, met en garde les enseignants concernant l’usage des livres dans les activités scientifiques. « Règle

absolue : l’enfant doit voir la chose sous toutes ses faces, sous tous ses aspects, le dessus et le dessous, l’intérieur et l’extérieur ; il doit la voir dans la lumière et dans l’ombre, avec les yeux, mais aussi avec les doigts- car il ne voit bien que ce qu’il touche- il doit la sentir si elle a de l’odeur, l’écouter si elle a du son, la goûter si elle a de la saveur. » Concernant l’usage des livres,

elle précise : mais les livres ne suffisent pas ; il faut voir, expérimenter, étudier sur le vif. La leçon

de chose, pour tout professeur consciencieux, c’est presque l’infini ». Certes, en ce début de

vingtième siècle, il s’agissait de lutter contre un enseignement essentiellement livresque mais ces propos, de 250 ans ou d’une centaine d’années, demeurent cependant d’une étonnante actualité. Curieusement c’est du côté des démarches actives et avec Freinet que la documentation au service d’un apprentissage scientifique reçoit le meilleur accueil. M. Barré (1983) justifie le recours à la documentation en faisant le pendant avec les pratiques des scientifiques. « Les chercheurs, dont

c’est le métier d’expérimenter dans les voies nouvelles, ne sauraient travailler sans documentation permettant de confronter leurs expériences, leurs observations avec celles d’autres chercheurs, de refaire ces expériences. Loin de court-circuiter leurs propres recherches, la documentation aide à les approfondir. »

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2.2. Un épaulement mutuel

De nos jours aussi, expérimentation et documentation s’opposent encore dans les discours :

• Pour les uns, l’information fait écran au réel, nuit à l’observation, à l’action, à l’imagination, la curiosité, est réductrice, donne une mauvaise image de l’activité scientifique, car elle apporte un savoir construit privant l’élève d’une propre construction…

• pour les autres, l’investigation expérimentale ne donne accès qu’à un monde proche de l’enfant, ne permet pas de généraliser, est réductrice, donne une image éloignée de la science qui se pratique…

Pour notre part, c’est plutôt en termes d’épaulement mutuel que nous envisageons les rapports entre expérimentation et documentation.

L’information est nécessaire dans l’apprentissage scientifique pour :

• comparer des résultats, confronter, débloquer des situations, aider à la conception d’expériences, aider à l’observation, généraliser…

• ouvrir sur les sciences qui se pratiquent, ouvrir sur les relations sciences/techniques/société, faire participer à l’aventure scientifique.

L’investigation expérimentale est nécessaire pour s’approprier l’information scientifique :

• la consultation documentaire finalisée par les questions engendrées par l’investigation empirique est plus productive et efficace ;

• la construction de concepts, modèles et langages à travers l’investigation expérimentale, facilitent l’accès à la consultation documentaire.

3. UN CONFLIT DE MÉDIATION

3.1. La médiation selon Lenoir

Lenoir (1996, 2001) présente l’apprentissage scolaire comme résultant d’un double processus de médiation (figure 1). L’un liant S, les sujets apprenants en interaction, à l’objet de savoir O, appelé médiation cognitive, l’autre liant l’enseignant E à ce rapport S-O, appelé médiation pédagogico-didactique.

Dans le premier sens, la médiation cognitive rappelle que l’appropriation de l’objet de savoir par l’apprenant n’est pas immédiate. Selon Piaget, on peut dire que la connaissance construite finalement par l’apprenant résulte d’une intervention active du sujet, processus « d’assimilation » qui n’a rien à voir avec une réception d’informations et exige manipulations, pratique ou cognitive, d’un objet de savoir. Par ailleurs, l’objet réagit en retour sur le sujet qui « s’accommode ». Pour

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Vygotsky, les outils médiateurs sont de l’ordre des signes (médiation sémiotique) et, le langage dans l’interaction sociale occupe le premier rang.

Dans le second sens, la médiation pédagogico-didactique désigne les modalités d’intervention d’une personne, l’enseignant, sur le rapport sujet-objet. En tenant compte d’une part du sujet (relation psychopédagogique), d’autre part du contenu à enseigner (relation didactique), l’enseignant met en œuvre une démarche d’apprentissage (DA), en recourant éventuellement à des outils didactiques, afin de rendre opérante la médiation cognitive.

S sujets apprenants en interaction 0 objets d’apprentissage E enseignant (médiateur) PA processus d’apprentissage AD action didactique DA démarche d’apprentissage RPP relation psychopédagogique RD relation didactique

S

O

E

RPP

RD

PA

AD

DA

Figure 1 : Schéma de médiation (simplifié) (d’après Y. Lenoir)

3.2. Manuel scolaire et médiation

Au cours d’activités d’investigation, divers usages du manuel peuvent être envisagés. Nous en dégagerons deux : le manuel scolaire comme registre de documents auxquels le sujet a recours en fonction des besoins dans le cadre d’une consultation documentaire en appui à une investigation empirique, le manuel scolaire comme outil pour l’enseignant pour soutenir son intervention. Dans ce cas, le manuel peut aller jusqu’à se substituer à l’action médiatrice de l’enseignant. Il peut bien sûr devenir aussi un servant du maître, un auxiliaire ou un rival ! C’est dans ce sens que nous le qualifierons de « maître de papier ». Cependant ce maître ne se contente pas d’assurer une médiation didactique en apportant des directives de travail et une organisation des activités, il propose aussi des matériaux bruts ( photos, dessins) ou élaborés et structurés (schémas, graphiques, textes), offrant par là matière à une médiation cognitive.

Martinand (1989) relevait trois contradictions fondamentales inhérentes aux manuels de sciences : conflit de pouvoir, antagonismes de tâches, contradiction sur les démarches. Nous proposons, en convoquant le concept de médiation ainsi défini, de présenter ces contradictions sous l’aspect de deux conflits :

• un « conflit de médiation didactique » entre l’ouvrage et l’enseignant de la classe. Celui-ci se révèle lors de l’usage par les enseignants et ne sera pas étudié ici.

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• un « conflit interne de médiation », entre

- les intentions didactiques annoncées qui invitent l’élève à une investigation empirique de choses par observation et manipulation et les matériaux apportés par la « chose imprimée » qui risquent de court-circuiter les activités visées

- une logique de structuration des activités présentées et une démarche d’apprentissage qui exige une structuration active de la part du sujet

4. ANALYSE DES MANUELS

Nous analyserons 6 manuels de sciences et technologie de cycle 3 pour l’école élémentaire désignés ici par les lettres A, B, C, D, E, F. Pour ce faire, nous avons choisi un thème commun, celui de « mélanges et solutions » et retenu comme unité d’analyse, la « double-page » (Annexe 1Doc2), qui constitue, sauf pour E, la forme d’une séquence pédagogique.

4.1. Des profils (schémas 1 et 2)

Huit items d’analyse ont été retenus : part d’activités, part des activités expérimentales, niveau des tâches des activités, part d’informations, part d’informations relevant d’un environnement non accessible par l’élève (pratiques sociales, techniques diverses…), procédés permettant la problématisation, « l’accroche », la prise en compte des représentations mentales des élèves.

Le graphique présentant le profil d’un ouvrage est conçu de façon à ce que les informations se trouvant sur la partie supérieure de la ligne « prise en compte des représentations/problématisation relèvent de ce que nous appelleront un « guide d’activités », alors que celles situées sous cette ligne désignent un « album documentaire » (schéma 1).

La comparaison des profils fait

apparaître 3 groupes d’ouvrage, un premier (A, B, D) où la part d’activités l’emporte largement sur la part « informations », mais avec une très nette différence pour D qui ne renferme pas d’informations, un second, constitué ici d’un seul ouvrage, F, présentant un profil d’album

Schéma 1 :Exemple de profil d’un manuel

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documentaire ( c’est d’ailleurs ainsi qu’il est présenté par l’éditeur), un dernier (C, E), sans tendance particulière mais avec une forte part d’informations (schémas 2-.A à F)

A - 64 enquêtes pour comprendre le monde,

Magnard, Cycle 3 B - Sciences et Technologie CE2,Collection Tavernier, Bordas,

C - Sciences et Technologie CE2, Les ateliers, Hachette D – J’apprend les sciences par l’expérience, Belin, Cycle 2

E - Multi Livre CE2, Istra F – Collection Tournesol CE2, Hatier

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4.2. Le conflit de médiation interne dans le manuel

Hormis pour F qui présente un profil particulier, nous avons repris les profils précédents (Doc 4) en tenant compte du conflit potentiel entre l’invitation à l‘investigation et les ressources proposées, c’est-à-dire de la probabilité que les activités expérimentales soient réellement réalisées.

Seul le profil de A n’est pas affecté par ce « conflit de médiation interne », en revanche C et E sont vidés de leur substance, et apparaissent sans véritable identité.

L’activation de ce conflit est produite par deux types de procédés :

• invitation à l’investigation expérimentale et photos ou textes donnant le résultat (B, C, E) • invitation à l’investigation expérimentale et absence de ressources pour aider l’élève (D)

ruinant ainsi tout espoir de voir aboutir la recherche.

a proposé des procédés intéressants pour éviter ce « court-circuit » :

• une recherche ouverte sans ressources dans la double-page mais avec une aide par des sortes de lien hypertextes renvoyant à des mots-clés dans un autre espace du manuel. Ces liens, permettant, après un « libre parcours », d’accéder à des schémas d’expériences.

• Pour une autre activité, une recherche sous forme d’une méthode à réinvestir avec d’autres produits, une photo montrant le résultat de l’action à réaliser sur un exemple prototypique. La plupart de ces ouvrages, à l’exception de B qui distingue une rubrique « activités » des autres informations, sont structurés suivant une logique de déroulement de séquence, privant du même coup le lecteur d’une propre structuration de connaissances. Les ouvrages C et E sont même des « leçons sur le papier » déroulant l’activité du point de départ à la conclusion. B, qui, à l’inverse de A, offre un certain degré de liberté dans le parcours à suivre, recentre malgré tout, en fin de parcours, sur le savoir à acquérir au moyen de la rubrique « Faisons le point ».

Enfin, comme le ferait un enseignant, certains de ces « maîtres de papier », c’est le cas de B en particulier, invitent à des confrontations avec des productions d’autres élèves ( de papier là aussi!)

Manuel A. : 64 enquêtes pour comprendre le monde – Magnard, Cycle 3 Comparaison entre le prévu ( premier graphique) et le réalisable

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Manuel B. Sciences et Technologie CE2 – Bordas, collection Tavernier Comparaison entre le prévu ( premier graphique) et le réalisable

Manuel C. Sciences et Technologie CE2 – Les ateliers Hachette Comparaison entre le prévu ( premier graphique) et le réalisable

Manuel D. J’apprend les sciences par l’expérience, Belin, Cycle 2

Comparaison entre le prévu (premier graphique) et le réalisable

Manuel E. Multi Livre CE2, Istra

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5. CONCLUSION

Pas facile, pour un « maître de papier » d’être polyvalent par rapport aux apprentissages des élèves, de laisser une place à l’enseignant de la classe, et de séduire, probablement pour d’autres raisons, l’acheteur potentiel ! Le défi est encore plus grand en sciences car la « chose imprimée » risque de priver l’élève d’investigation directe sur le réel. Si l’on n’a pas de miracle à attendre des compromis, les auteurs de manuels pourraient utilement déjouer quelques pièges, évitant ainsi de dénaturer leurs ouvrages. Mais une deuxième chance l’attend sûrement dans les mains des élèves, comme outil au service d’un mode d’intervention didactique non prévu par l’auteur…

BIBLIOGRAPHIE

BARRÉ M. (1998/ 1983). L’aventure documentaire. Editions ICEM.

BIRON D., LAROSE F., LEBRUN J., LENOIR Y., MASSELTER G., ROY G. R., SPALLANZANI C. ( 2001). Le manuel scolaire et l’intervention éducative : des représentations à la pratique. In Le rôle du manuel scolaire dans les pratiques enseignantes au primaire. Sherbrooke : Editions du CRP.

CHOPPIN A. (2005). L’édition scolaire française et ses contraintes: une perspective historique. In Bruillard E. (dir.), Manuels scolaires, regards croisés. Caen: SCEREN.

LENOIR Y. (1996). Médiation cognitive et médiation didactique. In C. Raisky et M. Caillot ( dir.),

Au-delà des didactiques, le didactique. Débats autour de concepts fédérateurs. Bruxelles :De Boeck

Université.

MARTINAND J.-L. (1989). Les manuels de sciences : contradictions et fonctions. In Giordan A., Martinand, J.-L., Raichvarg D., Actes JIES XI, Paris: DIRES-Université Paris 7.

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ANNEXES

A. « 64 enquêtes pour comprendre le monde ». Cycle3. Magnard

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Figure

Figure 1 : Schéma de médiation (simplifié) (d’après Y. Lenoir)

Références

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