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Les voyages d’apprentissage, de loisir et de curiosité aux XVII e et XVIII e siècles

3. MÉMOIRES ET RÉCITS DE VOYAGE

3.3. Les voyages d’apprentissage, de loisir et de curiosité aux XVII e et XVIII e siècles

Parmi ces voyageurs, on dénombre Nicolas Payen, né vers 1634 et décédé en 1718421. En 1663, il publie Les Voyages de Monsieur Payen, où sont contenues les descriptions d’Angleterre,

de Flandre, de Brabant, d'Holande, de Dennemarc, de Suède, de Pologne, d'Allemagne et

d'Italie […] Avec une table necessaire pour la commodité des voyageurs422. Le titre indique qu’il

est ici question d’un voyage de formation et de curiosité. Les destinations font penser au Grand Tour que les élites européennes effectuaient dans le cadre de leur éducation. Le récit est réédité en 1667. Cette fois-ci, le titre précise que l’auteur est lieutenant-général de Meaux423, fonction que Payen a reçu en 1664424. Quant à la troisième réédition, elle est dédiée à Hugues de Lionne, dont

418

À noter que Josué Chavagnac, père de Gaspard et protestant, avait été suspecté et arrêté lors du complot de Cinq-Mars : HOZIER DE SERIGNY Louis Pierre, Armorial général ou registres de la noblesse de France. Registre second.

Première partie, Paris, Prault Père, 1741, p. XX. 419

Sur la vie de l’auteur et son expérience polonaise, nous renvoyons à : VILLEURS Jean (de), « Avertissement de l’éditeur » in Mémoires du comte Gaspard de Chavagnac [1699], Paris, Flammarion, 1900, p. V-VI. MILEWSKI Dariusz, « Gaspard de Chavagnac o Janie Sobieskim », Silva Rerum, Muzeum Pałacu Króla Jana III w Wilanowie, en ligne, URL : http://wilanow-palac.pl/gaspard_de_chavagnac_o_janie_sobieskim.html [consulté le 14 mai 2018].

420

Ibidem, p. 260-285.

421 WAQUET Jean-Claude, Dictionnaire des grands maîtres des eaux et forêts de France de 1689 à la Révolution suivi

d’un dictionnaire des grands maîtres, Genève, Droz, 1978, p. 394. La date de naissance provient d’un catalogue de

livres anciens : Catalogue Illibrairie Beaux Livres, Genève, notice n°7482, en ligne, URL : http://illibrairie.ch/book/show/47478/details [consulté le 2 mai 2018].

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PAYEN Nicolas, Les Voyages de Monsieur Payen, où sont contenues les descriptions d’Angleterre, de Flandre, de

Brabant, d'Holande, de Dennemarc, de Suède, de Pologne, d'Allemagne et d'Italie ; où l’on voit les mœurs des nations, leurs maximes et les politique, la monnoye, la religion, le gouvernement, et les interests de chaque païs. Avec une table necessaire pour la commodité des voyageurs, Paris, Estienne Loyson, 1663.

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PAYEN Nicolas, Les Voyages de Monsieur Payen, lieutenant general de Meaux Où sont contenues les descriptions

d'Angleterre, de Flandre, de Brabant, d'Holande, de Dennemarc, de Suède, de Pologne, d'Allemagne & d'Italie: où l'on voit les moeurs des nations, leur maximes, & leur politique, la monnoye, la religion, le gouvernement, & les interests de chaque pays. Seconde édition. Augmentée de quelques aventures arrivées à l'autheur; avec une table necessaire pour la commodité des voyageurs, Paris, Estienne Loyson, 1667.

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Nicolas Payen était le parent et le protégé425. En 1673, le voyageur obtient la charge de président du présidial de Meaux, ville dont il est maire de 1710 à 1717426. Il entretient de bonnes relations avec l’évêque Bossuet, ce qu’attestent quelques lettres échangées entre les deux hommes427. Vers 1686, Bossuet félicite le lieutenant d’avoir démoli des temples protestants dans les environs de Meaux, sans réussir à lui faire obtenir de gratification428. Vu les fonctions occupées par l’auteur et son rapport à Bossuet, il est très probable qu’il adhère à la pensée du chantre de l’« absolutisme » royal, ce qui éclairerait ses critiques de la République nobiliaire dans les Voyages.

Albert Jouvin de Rochefort (v. 1640-v. 1710) est un autre « voyageur d’Europe », comme l’indique le titre de sa publication de 1672 : Le Voyageur d’Europe où sont les voyages de

France, d’Italie et de Malthe, d’Espagne et de Portugal, des Pays Bas, d’Allemagne et de

Pologne, d’Angleterre, de Danemark et de Suède429. L’auteur est aujourd’hui connu pour ses

cartes, en particulier pour celles de Paris430. En 1675, il obtient également la charge de trésorier de France à Limoges431. Comme le précise Olivier Salmon, Jouvin « voyage par goût de la découverte et de la curiosité »432. Dans son ouvrage, il exprime la satisfaction que donnent les voyages qui permettent de découvrir « la diversité des coûtumes et des manieres de vivre »433. C’est de ce point de vue qu’il décrit les curiosités de la Pologne, en particulier de ses assemblées434. Rochefort séjourne en Pologne après l’élection du roi Michel (en 1669) mais avant celle de Sobieski (en 1674), probablement en 1670 ou 1672435. Il rappelle le mariage de Louise-Marie de Gonzague avec Ladislas IV et Jean Casimir ainsi que l’abdication de ce dernier et son exil en France436. Le souvenir de ce rapprochement diplomatique reste donc bien vivant au début des années 1670. Enfin, le cartographe évoque ses relations personnelles avec un Polonais qu’il a

425

Ibidem. Le ministre d’État s’est marié en 1645 à la fille d’un Paul Payen, riche financier grâce auquel il a réussi des placements dans le domaine maritime : CRAS Jérôme, POUMARÈDE Géraud, « Entre finance et diplomatie ; les armements du commandeur François de Nuchèze pour le secours de Candie » in TOLLET Daniel, BÉLY Lucien (dir.),

Guerre et paix en Europe centrale aux époques moderne et contemporaine, Paris, Presses de l’Université de

Paris-Sorbonne, 2003, p. 536. Nous n’avons en revanche pas établi le lien unissant Paul et Nicolas Payen.

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WAQUET Jean-Claude, Dictionnaire des grands maîtres, op. cit., p. 394. FRÉMONT Léon, « Chronique », Revue de

Champagne et de Brie, 1890, t. II, p. 400. 427

Voir par exemple : Œuvres de Bossuet, évêque de Meaux, Revues sur les manuscrits originaux et les éditions les

plus correctes, t. XXXVIII, Versailles, J. A. Lebel, 1818, p. 24. 428

Sur les relations entre les deux hommes, voir : « Congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne », Revue de

Champagne et de Brie, 1890, t. II, p. 458-459. 429

JOUVIN DE ROCHEFORT Albert, Le Voyageur d’Europe où sont les voyages de France, d’Italie et de Malthe,

d’Espagne et de Portugal, des Pays Bas, d’Allemagne et de Pologne, d’Angleterre, de Danemark et de Suède, Paris,

Denis Thierry, 1672. La même année, le récit de voyage est également imprimé chez Claude Barbin.

430 BOUTIER Jean, Les Plans de Paris des origines (1493 à la fin du XVIIIe siècle) : études, carto-bibliographie,

catalogue collectif, Paris, BNF, 2002, p. 187-189 ; SARAZIN Jean-Yves, Rêves de capitale : Paris et ses plans

d’embellissement, Paris, BNF, 2003, p. 6-7. 431

Voir les notes biographiques dans : SALMON Olivier, Alep dans la littérature de voyage européenne pendant la

période ottomane (1516-1918), t. II, El-Mudarris, 2011, p. 1093 ; BADEAU Albert, Les Voyageurs en France depuis la

Renaissance jusqu’à la Révolution, Genève, Slatkine, 1970, p. 148. 432

SALMON Olivier, Alep dans la littérature de voyage européenne, op. cit., p. 1093.

433

JOUVIN DE ROCHEFORT Albert, Le Voyageur d’Europe, op. cit., t. III, p. 3.

434

Ibidem, p. 3-4, 323.

435

Le voyageur mentionne l’abdication de Jean Casimir et l’élection du roi Michel mais sans mentionner celle de Sobieski : ibidem, t. III, p. 264. Par ailleurs, il évoque le magnifique spectacle qu’offre une diète de Pologne à un voyageur étranger, et précise que celle-ci se tient à Varsovie : ibidem, t. III, p. 3-4. Or, entre 1669 et 1674, il y a eu deux diètes à Varsovie : une en mars-avril 1670, l’autre en janvier 1672.

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rencontré. Il raconte avoir eu une discussion avec lui au sujet du gouvernement de France, ce qui illustre les échanges entre Français et Polonais à l’occasion des voyages437.

Claude Jordan s’appuie lui aussi sur ses contacts polono-lituaniens pour donner crédit à son texte sur la Pologne. Il dit être informé des événements les plus récents par le gentilhomme « Blonovsky » 438. Le Français en question a passé plus d’une dizaine d’années à voyager. Selon l’avis au public, il n’y aurait rien de plus utile que l’étude des mœurs, coutumes, forces, gouvernement et religion des États étrangers439. Le voyageur a visité l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, la Moscovie et enfin la Pologne et la Suède. Chaque destination a fait l’objet d’une partie ou d’un volume des Voyages historiques de l’Europe, publiés en huit tomes entre 1692 et 1700. Le dernier volume concernant le pays de la Vistule est paru en 1700. Le tout est réédité une seconde fois en 1701440. La relation de Claude Jordan a une valeur avant tout descriptive. Bien qu’il s’inspire de nombreux auteurs antérieurs441, il apporte un point de vue inédit grâce à ses comparaisons avec d’autres États européens qu’il a visités442. Nous n’avons pas beaucoup d’informations concernant la vie de Claude Jordan, probablement né vers 1659 à Valence443. Après ses voyages, il s’installe à Leyde vers 1686, où il dirige une librairie444, puis revient à Valence dans les années 1690, où il est momentanément assesseur du maire de Valence. À cette occasion, il se présente comme « historiographe du roi comme Boileau »445. Il s’installe ensuite au Luxembourg, où il crée et dirige le journal La Clef du cabinet des princes de

l’Europe avec l’imprimeur André Chevalier, et enfin à Verdun, où il mène sa propre gazette Suite de la clef du cabinet. Celle-ci existe jusqu’en 1776446, survivant certainement à son fondateur, dont nous ne connaissons pas la date de mort.

Enfin, Aubry de La Mottraye (1674-1743), autre gentilhomme protestant français, a consacré la majeure partie de sa vie au voyage. Il commence ses expéditions en 1696 en se rendant en Italie puis en Angleterre, Turquie, Portugal et Danemark447. Son excursion en Laponie

437 Ibidem, t. III, p. 283-284.

438

Voir l’avis au public, non paginé, de : JORDAN Claude, Voyages historiques de l’Europe, vol. VIII, Paris, Nicolas Le Gras, 1701. Il s’agit probablement de Jabłonowski.

439

Ibidem.

440 Nous avons eu recours à l’édition de 1701 : ibidem.

441

Voir à ce sujet : DIAS-LEWANDOWSKA Dorota, « Podróż historyczna po nowożytnej Europie », Silva Rerum, Muzeum Pałacu Króla Jana III w Wilanowie, en ligne, URL : http://www.wilanow-palac.pl/podroz_historyczna_po_nowozytnej_europie.html [consulté le 18 mai 2018].

442

Par exemple, il compare la fonction de maréchal de la diète à celle d’orateur dans le parlement anglais : JORDAN Claude, Voyages historiques de l’Europe, op. cit., p. 129.

443

Cette date et ce lieu sont annoncés dans : HILGERT Romain, Les Journaux au Luxembourg 1704-2004, Luxembourg, Service information et presse du gouvernement luxembourgeois, 2004, p. 11.

444

FELLER François-Xavier, Biographie universelle : ou, Dictionnaire historique des hommes qui se sont fait un nom

par leur génie, leurs talens, leurs vertus, leurs erreurs ou leurs crimes, Tom 7, Paris, Gauthier Frères, 1834, p. 40. 445

Sur cette expérience valentinoise : BLANC André, La Vie dans le Valentinois sous les rois de France (de 1500 à

1790), Paris, Picard, 1977, p. 190. 446

Plus à ce sujet dans : HILGERT Romain, Les Journaux au Luxembourg, op. cit., p. 11-17.

447

Plus d’informations sur ce personnage et ses voyages dans : FLORION Nadine, Regard de trois voyageurs étrangers

sur l’Angleterre au début du dix-huitième siècle : Muralt, La Mottraye, De Saussure, thèse de doctorat, Université

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est particulièrement bien connue448. Il passe aussi une longue période en Suède, où il observe le règne de Charles XII, dont il est un admirateur449. Cette expérience l’autorise à publier en 1732 à Paris et à Londres une réponse à l’Histoire de Charles XII de Voltaire, sous le titre de Remarques

critiques sur l’histoire de Charles XII, roi de Suède, composée par M. de Voltaire450. Ses excursions l’amènent également en Pologne. En 1723, la première publication de son récit de voyage en langue anglaise est présentée au souverain George Ier, qui offre à l’auteur une gratification de 200 £. En 1727 à La Haye, paraît une première version française du récit451, qui reçoit un accueil favorable, et que les Lettres sérieuses et badines, par exemple, présentent comme une source d’information solide452. Nous avons eu recours à l’édition bilingue de 1732 :

Voyage en anglois et en françois d’A. de la Mottraye, en diverses provinces et places de la Prusse ducale et royale, de la Russie, de la Pologne, etc453.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les Français continuent de parcourir la Pologne, tels Pyrrhys de Varille et Caraccioli et les abbés Baudeau et Mably. Leurs textes ont déjà été présentés. Enfin, à la toute fin du siècle, avec l’éclatement de la révolution en France, un nouveau type de voyageur apparaît : les émigrés politiques.