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2. LA LITTÉRATURE DE L’ACTION : DÉCLARATIONS, MANIFESTES, PAMPHLETS,

2.1. La littérature polémique des guerres de religion

Dans un premier temps, on retrouve la Pologne dans les écrits protestants. Un exemple frappant se situe dans la Declaration des causes qui ont meu ceux de la Religion a reprendre les

armes, publiée en 1574 à Montauban, bastion du protestantisme195. Véritable manifeste, ce texte

est aussi une déclaration de guerre justifiant la prise d’armes des réformés, qui déclenche la cinquième guerre de religion. Cet imprimé est donc extrêmement performatif. L’écho des

190 Sur les définitions du pamphlet : DUCCINI Hélène, « Regard sur la littérature pamphlétaire […] », op. cit., p. 313-315.

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Cf. DEBBAGI Tatiana, À coups de libelles. Une Culture politique au temps des guerres de religion (1562-1598), Genève, Droz, 2010 ; DUPRAT Annie, « La caricature, arme au poing […] », op. cit. ; DUPRAT Annie, Les Rois de

papier : la caricature de Henri à Louis XVI, Paris, Belin, 2002. 192

Nous empruntons à nouveau les paroles de Bernard Biancotto : « Sans nier l’extrême difficulté d’interprétation que présente la forme littéraire du pamphlet, dont chacun convient, nous pensons que ces textes, à travers les idées juridico-politiques qu’ils reprennent et réaménagent, pour les besoins de leurs causes, expriment les idées juridico-politiques du temps, dont ils témoignent de la plus ou moins grande vivacité. » (d’après CARRIER Hubert, Le Labyrinthe de l’État, op. cit, p. 13-14).

193

DUCCINI Hélène, « Regard sur la littérature pamphlétaire […] », op. cit., p. 327.

194

DUPRAT Annie, « La caricature, arme au poing […] », op. cit. Sur l’image, voir également : CHARTIER Roger, « La culture de l’imprimé », op. cit., p. 13-15.

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solutions institutionnelles et confessionnelles sarmates ne pouvait être plus vif, bien qu’il n’ait jusqu’alors jamais été remarqué.

Celui-ci se lit également dans un autre libelle qui vise à discréditer la monarchie des Valois : le Réveille-matin des François, publié en dehors de France en 1574 sous le pseudonyme d’Eusèbe Philadelphe196. Cet écrit prolonge le Dialogue auquel sont traitees plusieurs choses

avenues aux lutheriens et huguenots de la France, publié en 1573 au lendemain de la

Saint-Barthélemy197. Dénonciation virulente de la famille royale, de sa politique et du massacre d’août 1572, les deux textes sont des appels à la résistance198. Par ailleurs, le Réveille-matin mêle la dénonciation pamphlétaire des ennemis à la théorie politique199. On y retrouve des références aux traités d’Hotman ou de Bèze200. En outre, l’auteur y joint une « Epître aux Polonais »201, ce qui ancre le texte dans le contexte non seulement français mais aussi polonais et européen. Le reste du libelle revient régulièrement sur les événements sarmates. Le texte rencontre un succès immédiat : trois éditions voient le jour dès 1574202, d’où la vive réaction de la censure203. La paternité de l’œuvre pose problème. Elle a été attribuée à Théodore de Bèze, François Hotman, Hugues Doneau, Nicolas Barnaud, Simon Goulart, Louis de Masures ou encore à Antoine de La Roche-Chandieu204. Si la question n’est pas tranchée, il est certain qu’il s’agit d’une « personnalité de premier plan, très informée, bien intégrée au milieu calviniste »205.

Cette œuvre influence les écrits protestants ultérieurs, tels les Mémoires de l’estat de

France, sous Charles Neuviesme (1576) de Simon Goulart (1543-1628)206. Ce dernier est un

personnage éminent du monde protestant. Né à Senlis, il quitte son pays d’origine pour Genève, où il passe par l’académie de Calvin, dont il épouse la fille du beau-frère, et devient pasteur. Proche de Théodore de Bèze, il apparaît comme son successeur dès 1594-1595. Engagé dans les conflits religieux français, qui l’ont personnellement touché207, il publie de nombreux travaux à

196

Dans la présente thèse, nous avons eu recours à l’édition suivante : Le Réveille-matin des François et de leurs

voisins, Edimbourg, chez Jacques James, 1574. Si l’imprimé indique Londres comme lieu d’édition, le texte provient

probablement des presses suisses : ibidem, p. 125. Ce pamphlet est signalé par Stanisław Kot, Rzeczpospolita Polska w

literaturze politycznej Zachodu, op. cit., p. 32-33.

197 Pour la présentation du Réveille-matin, nous suivons l’introduction à la toute récente édition critique du libelle : FANLO Jean-Raymond, LAMBIASE Marino, MELLET Paul-Alexis, « Introduction » in Le Reveille-matin des François [1574], éd. FANLO Jean-Raymond, LAMBIASE Marino, MELLET Paul-Alexis, Paris, Classiques Garnier, 2016, p. 7-138.

198

Sur ce texte de 1573 voir : ibidem, p. 11-39. Le titre même de Réveille-matin présente cet écrit comme un signal d’alarme destiné non seulement aux huguenots mais aussi à tous les Français : ibidem, p. 43-45, 58-63, 84-85

199

Sur cette double dimension du texte : ibidem, p. 86-87. Jean-Raymond Fanlo, Marino Lambiase et Paul-Alexis Mellet insistent sur le caractère diversifié et éclectique du Réveille-matin, qui entrelace « le goût des mots rabelaisiens, les saillies, les piques, les récits informatifs, les fables, la poésie […] l’éloquence religieuse, le lyrisme de l’Ancien Testament, l’argumentation more syllogistico ». Ceci en fait « un livre unique dans la littérature politique du XVIe siècle » et lui donne une « grande intensité » : ibidem, p. 87.

200 Cf. Ibidem, p. 47-58, 71-76. 201 Ibidem, p. 39-40. 202 Ibidem, p. 122. 203 Ibidem, p. 133-136. 204

Au sujet de ces attributions : ibidem, p. 87-107.

205

Ibidem, p. 107.

206

Sur cette influence : ibidem, p. 16.

207

De passage à Senlis en 1572, Goulart échappe de peu à la Saint-Barthélemy. En 1589, il est l’aumônier des troupes de Genève qui s’opposent à l’armée du duc de Savoie. En 1576 et 1582-1583, il effectue des missions auprès des réformés de France. En outre, il publie de nombreux travaux en lien avec les conflits religieux de la fin du XVIe siècle,

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leur sujet, dont les Mémoires en question. Composés de trois volumes, ces derniers paraissent une première fois au tournant des années 1576-1577 puis trois fois en 1578-1579208. Ils sont diffusés sous une fausse adresse, chez Heinrich Wolf à Meidelbourg, à cause de difficultés avec la censure française et genevoise. Cette vive réaction du pouvoir ne fait que confirmer le succès de l’œuvre209. Se présentant comme un recueil de textes, cet imprimé intègre de nombreux pamphlets et traités de l’époque. On y retrouve les ouvrages de Bèze et Hotman. Œuvre qui se veut avant tout historique, elle relate et recoupe divers épisodes du règne de Charles IX. Outre les événements marquants des guerres de religion, l’élection polonaise d’Henri III et ses conséquences sur le contexte français sont largement évoquées. Un point commun unit tous les récits et tous les textes cités : la dénonciation polémique de la politique des Valois210. L’expérience polonaise d’Henri était alors d’autant plus facile à invoquer que son issue était connue. Pourtant, ce texte n’a été que très peu étudié du point de vue de cette présence sarmate.

*

Après 1575-1576, l’échec henricien a été utilisé par la plupart des opposants au pouvoir royal, y compris dans les pamphlets catholiques ligueurs.

Jean Boucher (1550-1644) y a largement recours. Curé de la paroisse Saint-Benoît et recteur de la Sorbonne depuis 1581, ce prêtre proche du cardinal de Lorraine joue un rôle fondateur dans la Ligue. Il participe à la déposition d’Henri III, prononcée par la faculté de théologie de la Sorbonne, et fait partie du Conseil des Quarante211. Il sert aussi le mouvement catholique par sa parole et par sa plume. En 1589, il publie le traité latin De justa Henricii tertii

abdicatione, où la Pologne est rapidement mentionnée dès la première page de la préface212. La

même année est éditée à trois reprises La Vie et faits notables de Henry de Valois, qui lui est attribuée213. L’ouvrage constitue une biographie d’Henri III, où tous ses déboires et échecs, dont l’expérience polonaise, sont mobilisés contre lui. Le curé de Saint-Benoît est peut-être aussi un

dans un « désir d’engagement » et d’intervention dans les débats de l’époque. Plus à ce sujet dans : HUCHARD Cécile,

D’encre et de sang, op. cit., p. 87-116, 125 ; JONES Léonard Chester, Simon Goulart, sa vie et son œuvre (1543-1628),

Paris, Champion, 1917 ; POT Olivier (dir.), Simon Goulart, un pasteur aux intérêts vastes comme le monde, Genève, Droz, 2013.

208

Sur les diverses éditions et leurs différences voir : HUCHARD Cécile, D’encre et de sang, op. cit., p. 126-133 ; JONES Léonard Chester, Simon Goulart, op. cit., p. XXXII. Dans le cadre de cette thèse, nous avons eu recours à : GOULART Simon, Mémoires de l’estat de France, op. cit.

209

HUCHARD Cécile, D’encre et de sang, op. cit., p. 130-131, 144-151.

210

Ibidem, p. 143, 146, 149. Pour une présentation plus détaillée de l’ouvrage : ibidem, p. 117-163.

211

Plus d’informations sur la biographie de Jean Boucher dans : COTTRET Monique, Tuer le tyran, op. cit., p. 121-123 ; CAMERON Keith, « Introduction » in BOUCHER Jean, La Vie et faits notables de Henry de Valois [1589], éd. CAMERON Keith, Paris, Honoré Champion, 2003, p. 10-14 ; DESCIMON Robert, Qui étaient les Seize ? Mythes et réalités de la

Ligue parisienne, 1585-1594, Paris, Klincksieck, 1983 ; DESCIMON Robert, IBANEZ José Javier Ruiz, Les Ligueurs de

l’exil. Le Refuge catholique français après 1594, Seyssel, Champ Vallon, 2005 ; BARNAVI Élie, Le Parti de Dieu :

étude sociale et politique des chefs de la Ligue parisienne, 1585-1594, Bruxelles, Nauwelaerts, 1980. 212

BOUCHER Jean, De justa Henrici tertii abdicatione e Francorum regno, libri quatuor, Paris, Jean Pillehotte, 1589, p. 1 : « quod prius minori in re in Polonia, nunc in longe graviori in Gallia verba faciamus. »

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BOUCHER Jean, La Vie et faits notables de Henry de Valois. Où sont contenues les trahisons, perfidies sacrileges,

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des auteurs du Dialogue d’entre le maheustre et le manant (1593)214, où la Pologne est très rapidement mentionnée. À ce titre, le pays sarmate apparaît tout aussi sommairement dans la version royale de ce texte, publiée en 1594 sous le même titre215. À cette date, la Ligue est en échec. C’est alors que Jean Boucher s’exile aux Pays-Bas, sous la tutelle espagnole. Il continue de jouer les premiers rôles au sein de la communauté ligueuse exilée, plaidant en faveur de la cause catholique voire de la monarchie élective. Il s’installe à Tournai, où il obtient un canonicat et où il meurt en 1644216.

L’exilé n’est pas le seul libelliste de la Ligue à récupérer dans ses dénonciations la République sarmate, son histoire et surtout le séjour qu’y a effectué Henri III. C’est aussi le cas d’autres pamphlets anonymes, tels le Discours d’un Polonois catholique sur la fuyte de Henry de

Valois troisiesme, hors du royaume de Pologne (1589)217 ; Les Meurs, humeurs et comportemens

de Henry de Valois representez au vray depuis sa Naissance (1589)218 ; l’Histoire de la mort

tragique et prodigieuse de Popiel roy de Polongne. Duquel les Tiranniques actes se peuvent conformer à son successeur, Henry de Vallois (1589)219 ; Le Discours au vray, sur la mort et

trepas de Henry de Valois, lequel est decedé le 2. Iour de ce present mois d’aoust (1589)220.

Cette apparition de la Pologne dans les écrits ligueurs trouve un très léger écho dans la propagande de la cour. Nous l’avons déjà vu avec le cas du Dialogue entre le maheustre et le

manant. On retrouve également le pays sarmate dans la Satyre Ménippée, diffusée pour

compromettre les états généraux convoqués par la Ligue en 1593221. Ces occurrences restent très secondaires, contrairement à ce que laisse entendre Abel Mansuy dans Le Monde slave et les

classiques français (1912)222.

*

Enfin, au sein de la littérature pamphlétaire du temps des premiers Bourbons, il est possible d’intégrer Le Tableau des esprits (Paris, 1625) de Jean Barclay (1582-1621), traduction française de l’Icon animarum de 1614223. L’auteur y brosse le portrait des diverses nations européennes, celui des Polonais étant particulièrement défavorable. Or, en plus de sa qualité de

214

Dialogue d’entre le maheustre et le manant, 1593. Sur les auteurs de ce texte : CONSTANT Jean-Marie, La Ligue, Paris, Fayard, 1996, p. 117-118.

215 Dialogue entre le maheustre et le manant, 1594.

216

CAMERON Keith, « Introduction », op. cit., p. 13 ; DESCIMON Robert, IBANEZ José Javier Ruiz, Les Ligueurs de l’exil,

op. cit., p. 48-49, 96-100, 136-139, 144, 155, 157, 168-169, 194, 197, 201, 205, 235-239, 241, 255-260. 217

Discours d’un Polonois catholique sur la fuyte de Henry de Valois troisiesme, hors du royaume de Pologne, Paris, André Le Coq, 1589.

218

Les Meurs, humeurs et comportemens de Henry de Valois representez au vray depuis sa naissance, Paris, Anthoine le Riche, 1589.

219

Histoire de la mort tragique et prodigieuse de Popiel roy de Polongne. Duquel les Tiranniques actes se peuvent

conformer à son successeur, Henry de Vallois, Paris, 1589. 220

Le Discours au vray, sur la mort et trepas de Henry de Valois, lequel est decedé le 2. iour de ce present mois

d’aoust, Paris, François Tabart, 1589. 221

Satyre Ménippée de la vertu du Catholicon d’Espagne. Et de la tenue des Estats de Paris, 1593.

222

L’auteur en exagère la portée : MANSUY Abel, Le Monde slave et les classiques français aux XVIe-XVIIe siècles,

Paris, Librairie ancienne Honoré Champion, 1912, p. 78-80.

223

BARCLAY Jean, Le Tableau des esprits, par lequel on cognoist les humeurs des nations, leurs advantages et defaux, Paris, Jean Petit-Pas, 1625.

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philosophe, théologien, écrivain, serviteur de Jacques Ier puis employé de la chancellerie pontificale, Jean est aussi le fils de William Barclay, auteur du De regno et regali potestate,

adversus Buchananum, Brutum, Boucherium et reliquos Monarchomachos, libri sex (1600)224. Ce

texte latin réfutait les traités tyrannomaques de la fin du XVIe siècle. C’est d’ailleurs lui qui a donné naissance au terme « monarchomaque ». Cet imprimé diffusait déjà une image noire de la République sarmate. En prolongeant la critique des peuples qui s’écartent du modèle de la monarchie absolue, Jean se fait le continuateur de son père225.