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Hartknoch puis Lengnich ouvrent une nouvelle période dans l’historiographie polonaise183. Originaire de la Prusse royale, Hartknoch (1644-1687) a écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire des terres prussiennes et de la République nobiliaire. Pour cela, il a analysé de façon précise et méthodique un grand nombre de sources de diverses origines, à savoir non seulement les chroniques mais aussi les actes légaux de la République. Ceci constituait encore une exception dans l’historiographie de l’époque184. Qui plus est, la réflexion de l’auteur s’accompagne d’un

Recherche dix-huitiémiste. Raison universelle et culture nationale au siècle des Lumières, Paris, Honoré Champion,

1999, p. 71-80 ; RYDZEWSKA-JAKUBOSZCZAK Agnieszka, L'Influence française dans les salons polonais au milieu du

XVIIIe siècle, op. cit., p. 9-10, 325.

179

FABRE Jean, Stanislas Auguste Poniatowski et l’Europe des Lumières, op. cit., p. 32-33. GIEROWSKI Józef, « Przenikanie myśli Oświecenia do Rzeczypospolitej » in Między wielką polityką a szlacheckim partykularyzmem,

op. cit., p. 89-91. NAWROT Dariusz, « Kryzys gospodarczy Rzeczypospolitej w pismach ekonomistów polskich II

połowy XVIII wieku » in SKRZYPIETZ Aleksandra, KUREK Jacek (dir.), Z dziejów kryzysu państwowości polskiej,

op. cit., p. 33-38. NITA Marek, « Rozwój przemysłu manufakturowego w Polsce w drugiej połowie XVIII w. » in

Ibidem, p. 43-46. 180

Les Volumina Legum rassemblent l’ensemble des constitutions de la République. Composés entre 1732 et 1782, complétés en 1889 et 1952 pour les dernières années de la République, ils représentent une source législative fondamentale : WREDE Marek, Sejm i dawna Rzeczpospolita, op. cit., p. 202.

181

Ibidem. KUREK Jacek, « Kondycja szlachty polskiej u schyłku panowania Augusta II » inSKRZYPIETZ Aleksandra, KUREK Jacek (dir.), Z dziejów kryzysu państwowości polskiej, op. cit., p. 19-20. MARKIEWICZ Mariusz, Historia Polski,

op. cit., p. 299-301. BARDACH Juliusz, LEŚNODORSKI Bogusław, PIETRZAK Michał, Historia ustroju i prawa polskiego,

Warszawa, PWN, 1996 [1re édition : 1976], p. 284-297.

182

LECLERCQ Natacha, La Vie politique polonaise, op. cit., p. 65-74. FABRE Jean, Stanislas Auguste Poniatowski et

l’Europe des Lumières, op. cit., p. 156-157. OLSZEWSKI Henryk, Doktryny prawno-ustrojowe czasów saskich, op. cit.

Adam Lityński écrit qu’à l’époque saxonne, en particulier à partir de la moitié du siècle, on a affaire à « un changement progressif des conceptions, imaginaires et opinions de la société nobiliaire, entre autres au sujet de l’état actuel de l’État, du fonctionnement des institutions, dont le liberum veto. » (LITYŃSKI Adam, Sejmiki ziemskie 1764-1793. Dzieje

reformy, Katowice, Uniwersytet Śląski, 1988, p. 140). KRIEGSEISEN Wojciech, Sejmiki Rzeczypospolitej, op. cit., p. 253.

Michał Zwierzykowski, quant à lui, insiste sur la volonté réformatrice des nobles à l’échelle locale : ils avaient le souci d’améliorer le fonctionnement pratique de l’armée et de la justice (sans faire nécessairement référence aux grands projets de réformes). C’est ce que l’historien a démontré dans son intervention au IIIe Congrès International de l’Histoire de la Pologne (3rd International Congress for Polish History) : ZWIERZYKOWSKI Michał, « Między sejmem a samorządem terytorialnym. Konsekwencje ustrojowe funkcjonowania sejmików dawnej Rzeczypospolitej » in

III Kongres Zagranicznych Badaczy Dziejów Polski, Kraków, 2018 ; ZWIERZYKOWSKI Michał, « Between the Sejm and

the territorial selg-government: the constitutional consequences of the sejmiks and their functioning in the Polish-Lituhuanian Commowealth » in The 3rd International Congress for Polish History, Cracow, 2017. Mariusz Markiewicz

remarque que beaucoup de réformes de l’époque stanislavienne ont déjà été postulées à l’époque saxonne : MARKIEWICZ Mariusz, Historia Polski, op. cit., p. 649.

183

KRAWCZYK Antoni, « Źródła informacji do Respublica Polonica Jana Krzysztofa Hatknocha », Annales

Universitatis Mariae Curie-Skłodowska Lublin-Polonia, Vol. XL, 1985, p. 117-118. 184 Ibidem, p. 117-141.

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appareil critique : une bibliographie au début de ses ouvrages, et des références exactes dans le corps du texte185.

Ce travail de fond a entre autres donné naissance aux De Republica Polonica libri duo, publiés pour la première fois en 1678186. Le premier livre de cet ouvrage est une histoire de la Pologne depuis les temps anciens jusqu’au règne de Jean III Sobieski. Hartknoch puise ici surtout dans les chroniques de ses prédécesseurs. Son originalité se situe principalement dans le second livre qui est une description très précise des institutions de la République et de leurs évolutions, fondée sur les actes et constitutions du sejm. Jerzy Serczyk insiste sur la valeur de cette œuvre :

« Il s’agit du premier précis du système de la République nobiliaire dans la littérature imprimée. Certes, on avait déjà auparavant tenté de publier des travaux dans ce domaine […] mais c’étaient des études fragmentaires. Hartknoch fonda ses démonstrations sur l’intégralité de la législation, en essayant même de sortir au-delà de ses cadres, en esquissant aussi les relations sociales. »187

Jerzy Serczyk ajoute que si Hartknoch se limitait à une description systématique du régime, elle était menée de telle manière que le lecteur polonais « puisse rester convaincu que c’était un bon système politique. Hartknoch vante le liberum veto, tout comme le pospolite

ruszenie. Cette œuvre répondait amplement aux besoins idéologiques des tenants nobiliaires de la

« liberté dorée »188 ». Il s’agit donc d’une œuvre qui décrit et systématise les savoirs sur les institutions polono-lituaniennes.

*

Lengnich (1689-1774), dont seul Hartknoch peut être reconnu comme précurseur, est le fondateur de l’approche critique de l’histoire en Pologne189. Également originaire de la Prusse royale, il a créé la première revue scientifique historique sur le territoire de la République : le

Polnische Bibiothek190. Il y pose le problème de la méthodologie interprétative des sources historiques. Il remet en question la crédibilité des chroniques médiévales, en particulier pour l’histoire dite mythologique de la Pologne (avant Mieszko I)191, ce qui implique une mise en doute de la thèse sarmate192. L’auteur publie ses conclusions à ce sujet en 1732 dans le De Polonorum

185

Bien évidemment, cet appareil critique de Hartknoch n’équivaut pas aux normes d’aujourd’hui : ibidem, p. 119-120.

186 HARTKNOCH Krzysztof, De Republica Polonica Libri Duo, Lipsiae, Thomam Fritsch, 1698.

187

Traduction de : SERCZYK Jerzy, « Krzysztof Hartknoch (1644-1687), profesor Gimnazjum Akademickiego w Toruniu, historyk Pomorza i Prus » in BISKUP Marian (dir.), Wybitni ludzie dawnego Torunia, Warszawa, Poznań, Toruń, PWN, 1982, p. 85.

188

SERCZYK Jerzy, « Krzysztof Hartknoch (1644-1687) […] », op. cit., p. 85.

189

ORZEŁ Joanna, « L’histoire de la République des Deux Nations dans la littérature du XVIIIe siècle - longue durée ou changement ? » in Les Dynamiques du changement dans l’Europe des Lumières, IIe Rencontre franco-polonaise des

dix-huitiémistes, [en cours de publication] ; SALMONOWICZ Stanisław, Od Prus Książęcych do Królestwa Pruskiego,

op. cit., p. 84-85. 190

Ibidem, p. 76.

191

Cette thèse est notamment transmise dans les Recherches politiques sur l’état ancien et moderne de la Pologne,

appliquée à sa dernière révolution de 1795. L’auteur explique que selon Lengnich rien n’est sûr au sujet de l’histoire de

la Pologne avant le IXe siècle : GARRAN DE COULON Jean-Philippe (pseud.), Recherches politiques, op. cit., p. 118.

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maioribus, dissertationem praeside, par la suite inséré dans sa Historia Polona a Lecho ad

Augusti II mortem, connue en France par sa première édition en 1740193.

Au siècle des Lumières, le « sarmatisme », terme né à cetté période, commence à prendre des connotations péjoratives dans certains milieux. Celles-ci ne concernent pas uniquement les théories historiques stricto sensu. On dénonce le conservatisme de la szlachta, tout en promouvant le changement194. Lengnich participe aussi à ce mouvement réformateur. Conseiller et pensionnaire du roi Auguste III, il travaille en collaboration avec le chancelier Andrzej Stanisław Załuski dans la perspective d’une réforme de l’État polonais. Il lui dédicace son Ius publicum

Regni Poloniae (1742), cité en France par Garran de Coulon195. Dans ce texte, Lengnich émet des

remarques critiques envers les confédérations et le liberum veto, contrairement à Hartknoch196. Ces idées se retrouvent d’ailleurs dans ses textes et traductions françaises, dont il a été question dans notre première sous-partie. Notons néanmoins que dans les années suivantes, Lengnich s’engage dans la défense des privilèges de sa ville de Gdańsk, ce qui l’amène à s’opposer aux réformes du gouvernement de Stanislas Auguste Poniatowski et à rejoindre la confédération des dissidents en 1767, ce que lui reprochent bien souvent ses biographes197, et ce qui illustre en tout cas les limites de son esprit réformateur.

*

Or cet esprit souffle sur la Pologne-Lituanie du XVIIIe siècle, comme l’illustrent des penseurs tels que Załuski, Leszczyński, Konarski ou même, dans une certaine mesure, Wielhorski, tous quatre connus des hommes de lettres français.

La volonté réformatrice s’exprime également dans la législation. Dès la diète de 1717, Auguste II tente quelques améliorations, certes limitées, dans le fonctionnement des diétines et dans le domaine de la trésorerie et de l’armée198. C’est surtout l’accession au trône de Stanislas Auguste (1764-1795) qui se fait sous le signe de l’amendement de la République. La diète de convocation de 1764, tenue sous le lien de la confédération (pod węzłem konfederacji) où

s’applique la majorité199, vote quelques constitutions fondamentales visant à assainir le fonctionnement des assemblées locales et nationales et à réorganiser le pouvoir exécutif. Parmi les

193 LENGNICH Gottfried, Historia Polona a Lecho ad Augusti II mortem, Leipzig, Jacob Schuster, 1740.

194

SALMONOWICZ Stanisław, Od Prus Książęcych do Królestwa Pruskiego, op. cit., p. 178-179, 203 ; ORZEŁ Joanna, « L’histoire de la République des Deux Nations dans la littérature du XVIIIe siècle […] », op. cit.

195

GARRAN DE COULON Jean-Philippe (pseud.), Recherches politiques, op. cit., p. 37-38.

196

SALMONOWICZ Stanisław, Od Prus Książęcych do Królestwa Pruskiego, op. cit., p. 89-90. 197

Sur ces relations de Lengnich avec la cour, voir :ibidem, p. 78-82, 87-88. 198

À noter que tous les changements n’ont pas eu le résultat escompté ; certains ont eu des conséquences néfastes. Sur ces réformes et leurs conséquences : STASZEWSKI Jacek, August II Mocny, op. cit., p. 198, 208 ; PAWIŃSKI Adolf, Rządy sejmikowe w Polsce na tle stosunków województw kujawskich: 1572-1795, Warszawa, Józef Berger, 1888, p. 493 ;

ZWIERZYKOWSKI Michał, « Konsekwencje ustrojowe wielkiej wojny północnej dla Rzeczypospolitej », op. cit., p. 259-267 ; ZWIERZYKOWSKI Michał, Samorząd sejmikowy województw poznańskiego i kaliskiego w latach 1696-1732,

Poznań, Wydawnictwo Poznańskie, 2010, p. 7, 285-286, 335-337 ; MÜLLER Michael G., Rozbiory Polski, op. cit., p. 16.

199

Dans certains cas, la diète pouvait se transformer en confédération, où les décisions étaient prises à la majorité. On dit alors que les délibérations avaient lieu « sous le nœud » ou « sous le lien de la confédération », en polonais : pod

węzłem konfederacji, en latin : sub vinculo confoederationis. Cela permettait de contrer les conséquences néfastes du liberum veto.

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réformes adoptées, on compte l’introduction du vote à la majorité dans les diétines pour le choix des nonces, juges et députés aux tribunaux ; la suppression du droit de vote actif aux nobles non possessionnés (la gołota) ; le retrait du liberum veto à la diète pour les questions économiques ; la réorganisation du déroulement du sejm (élection du maréchal dès le premier jour, hiérarchisation des débats, mise en place de députations préparant les projets de lois,…) ; la création des commissions du trésor et de la guerre pour limiter la toute-puissance des trésoriers et des grands généraux (hetman)200. La suite des réformes est cependant bloquée tant par l’opposition de la Russie et les autres puissances voisines que par l’opposition intérieure (les confédérations protestantes de Słupsk et Toruń et la confédération catholique de Bar). Dans ce contexte, entre 1768 et 1772, une guerre civile et étrangère éclate et s’achève par le premier partage de la Pologne. La Russie (en 1768) puis la Prusse et l’Autriche (en 1775) se déclarent garantes des lois fondamentales de la République, ce qui équivaut à un nouveau refus de réformes qui seraient indépendantes de la volonté des puissances201. On impose également un nouveau gouvernement sous la forme du Conseil permanent (Rada Nieustająca), qui devient un instrument politique aux

mains des ambassadeurs russes. Les historiens ont néanmoins remarqué que celui-ci a aussi concouru à la réorganisation administrative du pays polono-lituanien, participant à la création d’un État moderne, bureaucratique et centralisé202. Le Conseil est liquidé en 1789 par la Diète de quatre ans (1788-1792), puis restauré après le deuxième partage.

200

Sur les réformes de 1764, voir : WREDE Marek, Sejm i dawna Rzeczpospolita, op. cit., p. 184-186 ; LECLERCQ Natacha, La Vie politique polonaise, op. cit. ; FORYCKI Maciej, L’Anarchie polonaise, op. cit., p. 173-176 ; LITYŃSKI Adam, Sejmiki ziemskie 1764-1793, op. cit.. MARKIEWICZ Mariusz, Historia Polski, op. cit., p. 654-655 ; ZIELIŃSKA Zofia, « “Nowe świata polskiego tworzenie”. Stanisław August - reformator 1764-1767 », op. cit., p. 19-21; BARDACH Juliusz, LEŚNODORSKI Bogusław, PIETRZAK Michał, Historia ustroju i prawa polskiego, op. cit., p. 289-294. Nous reviendrons sur certains points à l’occasion des commentaires des Polonica de Castéra et Pyrrhys de Varille, car ils s’incrivent tous deux dans ce contexte réformateur.

201

MÜLLER Michael G., Rozbiory Polski, op. cit., p. 35-49. WREDE Marek, Sejm i dawna Rzeczpospolita, op. cit., p. 186-187. BARDACH Juliusz, LEŚNODORSKI Bogusław, PIETRZAK Michał, Historia ustroju i prawa polskiego, op. cit., p. 297-298. Marc Belissa explique ainsi le principe de la « garantie » : « La “garantie” était une pratique fondamentale de la diplomatie de l’Ancien Régime par laquelle une puissance dominante se portait garante du maintien en l’état des institutions d’une autre puissance contractante. […] les garanties russe et prussienne de la « constitution » polonaise stipulées dans plusieurs traités donnaient à Catherine II et à Frédéric II le droit de s’immiscer dans toutes les affaires intérieures polonaises, et notamment pour s’opposer à toute modification des « libertés » polonaises comme le veto. » : BELISSA Marc, « La République polonaise dans le débat politique des Lumières », op. cit. p. 133. Voir aussi à ce sujet : ZIELIŃSKA Zofia, « “Nowe świata polskiego tworzenie”. Stanisław August - reformator 1764-1767 », op. cit., p. 11-13, 31-32. L’historienne explique que la Pologne a été transformée en protectorat russe de facto en 1717 et de jure en 1768.

202

KONOPCZYŃSKI Władysław, Geneza i ustanowienie Rady Nieustającej, Kraków, Ośrodek Myśli Politycznej, Warszawa, Muzeum Historii Polski, 2014 [1re édition : 1917]. HOWARD LORD Robert, Drugi rozbiór Polski, Warszawa, Instytut Wydawniczy Pax, 1984 [1re édition : 1973], p. 29-30. BARDACH Juliusz, LEŚNODORSKI Bogusław, PIETRZAK Michał, Historia ustroju i prawa polskiego, op. cit., p. 299-300. WREDE Marek, Sejm i dawna Rzeczpospolita, op. cit., p. 186-187, 198. MARKIEWICZ Mariusz, Historia Polski, op. cit., p. 671, 672. MICHALSKI Jerzy, Stanisław August

Poniatowski, Warszawa, Instytut Historii PAN, 2009, p. 37-41. C’est aussi dans ces conditions ambiguës que naît la

Commission d’éducation nationale, le premier ministère de l’éducation en Europe. Ces changements rencontrent de nombreuses résistances car renversant certaines pratiques antérieures et perçus, non sans justesse, comme des instruments de domination aux mains des Russes. Par exemple, le département de la police, au nom de la centralisation et du contrôle global des villes, piétine sur les anciens privilèges urbains. Certains de ses membres envisagent la suppression des corporations. Les ministres, qui voient leur pouvoir diminué, refusent de se soumettre à cet organe central. MARKIEWICZ Mariusz, Historia Polski, op. cit., p. 674, 676.

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Ayant en mémoire cette évolution des institutions sarmates, voyons de plus près les auteurs polonais connus en France qui ont apporté leurs réflexions à ce sujet tout au long du XVIIIe siècle.