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On distingue deux grands courants de pensée dans lesquels s'inscrit le développement de la personne. Le premier, dont G.H. Mead est un des défenseurs voit l'individu comme étant avant tout un produit de la société qui l'entoure. Le second, supporté entre autre par C. Rogers pense au contraire qu'un individu naît positif, et que c'est la société qui est son handicap.

G.H. Mead

Cherchant à saisir -et non prévoir- le fonctionnement psycho­

sociologique de l'interaction entre les hommes, Mead (in Kimmel, 1974) développe la notion d"'interaction symbolique" possible grâce à l'utilisation de symboles communs. C'est de cette interaction que découle le "self" qui lui, se compose de deux entités, le "I" et le "me".

Concrètement, Mead voit l'individu comme un agent actif de son propre développement qui peut répondre à des stimuli extérieurs et les interpréter ensuite symboliquement en faisant référence à son "self". Celui-ci se développe dès la naissance dans chaque individu au travers de son expérience sociale. Il est acquis à travers la communication et le langage, parallèlement à l'évolution de l'interaction sociale. Son évolution est continue et prend place tout au long d'une vie.

"ME" ( ou "self social") est le versant objectif du "self"; celui qui peut être vu par les autres ou par soi-même dans le processus d'interaction sociale. Chaque individu possède

plusieurs "me" (physique, parent, enseignant, etc.). On les associe à des "rôles". "l" est le versant subjectif du "self'. Il n'existe que dans le moment présent. C'est lui qui sent, expérimente, interprète. Il est imprévisible et c'est grâce à lui que surgissent le dynamisme et la nouveauté dans le "self'.

C'est de l'action simultanée et équilibrée de "me" et de "I" que résulte le fonctionnement normal d'un individu.

Le "self" n'est donc pas prédéterminé mais est un aspect dynamique de chacun qui change et se développe constamment au gré des différences subjectives de point de vue entre soi-même et les autres.

L'enfant développe progressivement son "self' en adoptant les attitudes de son entourage. Il réagit envers lui-même comme réagissent les "autres signifiants" que sont ses parents, ses enseignants ou tout autre interlocuteur. Peu à peu, l'enfant élargit son terrain d'action et adopte envers lui-même les réactions de la société. En fin de processus, à l'âge adulte, il devrait être capable de prendre abstraitement en compte l'ensemble des attitudes humaines ("l'autre généralisé") et orienter son comportement en accord avec celui-ci.

Mead ne cesse pas là sa réflexion. Ayant ainsi défini le "self', il l'intègre au coeur d'un système bien plus complexe: la personnalité. Souvent assimilés l'un à l'autre, ces deux concepts sont en fait différents mais indissociables. Tous deux sont des systèmes interactifs et dynamiques. Mais, si le "self"

est l'interaction entre la capacité d'expérimentation d'un individu ("I") et la perception qu'il a de lui-même ("me"), la personnalité, elle, est la capacité de "seyance" du "self" de ce même individu au sein de son environnement direct. C'est le

"I" qui, en collaboration avec les processus physiologique et cognitif, engendre une possibilité continue de changement de la personnalité et assure cette seyance.

Deux des forces qui motivent un changement de la personnalité semblent être un désir de compétence et d"'actualisation". On pourrait donc penser que dans ce but, la

personnalité tendra toujours à combler des vides ou rétablir des déséquilibres. Mais cette vision évolutive semble idéaliste et peut-être un peu trop simpliste aux yeux du chercheur. En effet, on distingue aussi certains traits de personnalité que chaque individu possède en lui comme l'agressivité, la dépendance ou l'infériorité pour n'en citer que quelques uns.

Ce sont là des "me" qui, lorsqu'ils proviennent des niveaux plus privés, tendent à devenir des habitudes et sont plus réfractaires au changement.

En somme, la personnalité est un système complexe qui peut être considéré sous deux angles: l'un dynamique (capable de changement) et l'autre continu (stable et susceptible d'habitudes). La position d'un "autre signifiant" peut donc être cruciale, selon qu'il décide de prendre prioritairement en compte l'aspect dynamique ou continu de ce système.

Dernier constat important, chez un jeune individu, le système de personnalité est caractérisé par une tendance "centrifuge"

qui le propulse du "self' vers le monde extérieur, ce qui laisse à espérer une plus grande capacité de changement au début de la vie.

C.R. Rogers

Fervent défenseur de la psychologie dite "humaniste", Rogers aborde le développement de la personne de manière très différente. En effet, si Mead élabore un système très complexe où il essaie de ne rien laisser au hasard, Rogers dépeint une situation beaucoup plus ouverte où la non-directivité semble être l'artisan principal d'un développement harmonieux.

Difficile de ne pas se laisser séduire!

Un des principes de base de Rogers est qu'il ne sert à rien, à long terme, d"'agir autrement que ce qu'on est". Alliant psychologie et philosophie, sa pensée se cristallise en deux thèmes importants: sa confiance en l'organisme humain lorsqu'il fonctionne librement et l'importance essentielle d'un

mode de vie satisfaisant. Peu soucieux de démontrer un

"système" de développement de la personne, Rogers pose avec conviction une ligne de force positive qui, dès sa naissance, entraîne chaque individu vers le sentiment d'être vraiment "soi-même". Pour lui, la base la plus profonde de la nature humaine est "naturellement positive, fondamentalement socialisée, dirigée vers l'avant, rationnelle et réaliste".

(Rogers; 1961; p.74)

C'est l'expérience qui servira d'autorité suprême à l'individu lors de son développement et c'est en sachant reconnaître sa propre confiance dans cette expérience qu'il pourra progresser. C'est là ce que Rogers appelle !"'appréciation organismique" qu'il juge plus digne de confiance que l'intellect.

Plus, Rogers pense qu'un individu doit avoir de l'affection à l'égard de luimême. "Le "client" non seulement s'accepte -formule qui donne l'impression d'une acceptation maussade et de mauvaise grâce de l'inévitable- mais il en vient véritablement à s'aimer. Ce n'est pas de la vantardise ou une manière de s'affirmer: c'est plutôt une satisfaction paisible qu'on éprouve à être soi-même." (op.cit. p.71) De plus, Rogers affirme que pendant son évolution, il est essentiel que l'individu sache également accepter les sentiments positifs d'autrui.

La vie est donc un continuel processus de devenir au fil duquel l'individu se dirige progressivement vers l'autonomie, vers une confiance croissante en lui-même, à l'image de sa socialisation. Cette capacité de socialisation et d'individualité est d'autant plus passionnante qu'elle s'inscrit dans ce processus de continuité qui, s'il part d'un point fixe, au fil du temps, quitte une structure rigide et atteint un état de fluidité en constante évolution. L'individu devenu autonome sera doté d'un potentiel croissant d'adaptation, de socialisation et de changement.

A en croire Rogers, si personne, ni parents, ni enseignant, ni pairs ne se mettent en travers de la route d'un enfant, il ne pourra que réussir à être lui-même: un organisme vivant positif. Il va même jusqu'à provoquer des réactions violentes lorsque, lors d'une courte conférence, il dit: "Il faudrait renoncer à toute forme d'enseignement. Ceux qui désireraient apprendre se réuniraient pour le faire. " (C. Rogers, 196 1 ) E n fait, jetant u n regard sur "enseigner e t apprendre" au travers de ses propres yeux d'apprenant, il est amené à des constats difficilement contournables dont la conclusion majeure est qu'il n'a besoin d'aucun enseignant, lui-même étant son meilleur professeur. Il est donc peu étonnant que, vu sous cet angle, Rogers arrive à la conclusion que son métier d'enseignant n'a pour lui plus aucun intérêt. Plus encore, il se perçoit comme un élément perturbateur du processus d'apprentissage de ses élèves.

Heureusement pour nous enseignants, Rogers ne s'arrête pas à cette position provocatrice. Dans un autre chapitre, il reprend la notion d'apprentissage authentique et, au travers de ses expériences de psychothérapie, il tente d'expliciter pédagogiquemen t quelques unes des composantes qui pourraient aider w1 enseignant dans sa tâche.

Dans un premier temps, Rogers affirme que pour obtenir un apprentissage authentique, les élèves doivent pouvoir être directement en contact avec les problèmes qui leur sont posés.

Un enfant devrait donc, idéalement, avoir à sa disposition une palette d'apprentissages panni lesquels il pourrait choisir ceux qui lui conviennent. Cette notion de liberté face à l'apprentissage est bien loin de la réalité de nos écoles.

Plus concrètement, Rogers décrit ensuite des conditions qui favoriseraient l'apprentissage. Il insiste tout particulièrement sur "le devoir (pour un enseignant) de créer dans les classes un climat qui facilite l'acquisition d'une connaissance authentique. " (p. 207)

La première qualité dont Rogers pense qu'elle est essentielle est l'authenticité (en thérapie: "congruence"). "Ceci implique que l'enseignant soit véritablement lui-même, et qu'il soit pleinement conscient des attitudes qu'il adopte - ce qui signifie qu'il se sente en état d'acceptation à l'égard de ses sentiments réels. Il devient ainsi une personne authentique dans sa relation spécifique avec les étudiants. Il peut être enthousiaste à propos des sujets qu'il aime et ennuyé par ceux qu'il n'aime pas. Il peut être agressif, mais il peut aussi être sensible ou compréhensif. Parce qu'il accepte ses sentiments comme étant vraiment les siens, il n'a pas besoin de les imposer aux étudiants ou d'insister pour qu'ils réagissent de la même façon que lui. Il est une personne et non pas l'incarnation abstraite d'une exigence scolaire ou bien un conduit stérile au travers duquel le savoir est transmis d'une génération à l'autre." (p.

207-208)

Rogers défend ensuite l'importance pour les élèves de se sentir compris et acceptés dans la classe (en thérapie: "acceptation inconditionnelle"). "L'enseignant qui peut accueillir avec chaleur, qui peut accorder une considération positive inconditionnelle, qui peut avoir de !"'empathie" pour les sentiments de crainte, d'attente et de découragement inclus dans la rencontre d'une nouvelle matière d'étude, aura fait beaucoup pour établir les conditions d'une véritable connaissance." (p. 208)

Pour Rogers, cette empathie aepasse les limiies àe l'instruction pure et englobe des sentiments qui ne sont pas directement inhérents à la classe: jalousie pour un frère ou une soeur, divorce des parents ou autre. "Ils (ces sentiments) sont liés à l'évolution de la personne, à l'efficacité de sa connaissance et de son équilibre pratique; et le fait de traiter de tels sentiments avec compréhension et acceptation a un lien certain avec celui d'apprendre la géographie du Pakistan ou de savoir faire une longue division." (p. 208)

Rogers constate ensuite qu'un enseignant rencontrera plus de succès s'il offre les connaissances spécifiques qu'il possède

sans obliger à tout prix ses élèves à les accepter. Il doit être avant tout une source de référence et non le possesseur de la connaissance infuse. De plus, il doit aussi avoir une confiance fondamentale dans la capacité de ses élèves à pouvoir s'affirmer eux-mêmes. Rogers affirme que "les étudiants qui sont en contact effectif avec la vie désirent apprendre, veulent mûrir, cherchent à trouver, espèrent maîtriser, désirent créer."

(p. 210) Reste à l'enseignant de savoir cueillir le fruit mûr au bon moment.

Enfin, Rogers cite quelques recherches qui offrent des résultats encourageants. "Quand la situation dans une classe approche du climat que j'ai décrit, la connaissance des faits et des programmes est en gros égale à celle des classes traditionnelles. ( ... ) Les classes centrées sur les élèves montrent des gains significativement plus grands que les classes traditionnelles en ce qui concerne l'ajustement personnel, l'acquisition autonome de connaissances hors programme, la créativité, la responsabilité personnelle." (p.

212)

Mais ce sont sans doute les toutes dernières paroles de Rogers qui nous permettent de croire dans la portée réelle de son message, même si parfois il peut paraître utopique! "Peut-être pourrions-nous utiliser ce que j'ai dit comme point de départ d'une découverte personnelle d'une réponse nouvelle allant à l'encontre et de l'opinion publique et des connaissances actuelles en ce qui concerne les sciences du comportement."

(p. 214)

Qui croire ? Mead ou Rogers ? Le débat a déjà fait couler beaucoup d'encre. Quant à moi, je ne peux me résoudre à abandonner totalement ni l'un ni l'autre. Si Rogers m'insuffle l'énergie de croire en l'essence positive qui est au coeur de chaque enfant et en une écoute renouvelée de mes intuitions, Mead, me permet de mieux comprendre la "mécanique" de la personnalité et m'offre des "angles d'attaque" plus précis et concrets.

Possible ou impossible, je veux croire dans la complémentarité de ces deux théories, tout en reconnaissant que les prémices en paraissent différentes.