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"Relativement peu de rapports directs avec moi.

Chacune laisse vivre l'autre. ( .. .) Semaine paisible. De plus, quand Justine a besoin de moi, elle me le fait savoir pour être sûre que je n'ai rien raté."

Je ne reviendrai pas sur l'épisode "bonbons", mais cette histoire a permis à Justine de faire plusieurs découvertes importantes. C'est ainsi que le plus grand acquis de cette période est que Justine a pu constater qu'un groupe social est prêt à l'accepter avec ses défauts mais exige en contrepartie qu'elle assume sa part de responsabilité. Ne pas être rejetée mais comprise et acceptée est sans doute un apprentissage essentiel. L'authenticité de tous les participants, moi y compris, en est un autre. Mais plus que tout, il y a la présence d'émotions très fortes, acceptées elles aussi, rendues publiques simplement et non pas transformées en discours moralisateurs, éloquents peut-être, mais sans impact réel.

Autre détonateur peut-être, je réalise à travers son test d'image de soi (annexe IVd) que Justine a d'elle-même une image beaucoup plus lucide et objective que Paco ou Eric. Son opinion coïncide en effet souvent avec les impressions de ses observateurs. Cette connaissance parfois étonnante que Justine a d'elle-même pourrait lui être d'une grande utilité par la suite.

3. ERIC

Au moment où commence cette recherche, le seul point acquis entre Eric et moi à la suite de la 2P, est que je ne craquerai pas et que je suis prête à aller aussi loin que nécessaire "avec" et non pas "contre" lui. Le tableau de recevabilité (annexe Va) semble indiquer qu'une relation entre lui et moi est établie. Le

courant passe. Maigre victoire peut-être, mais essentielle pour la suite des événements!

Révélateurs sociaux

Pendant cette période, après plus d'une année de travail avec Eric, je vois enfin s'entrouvrir quelques petites lucarnes!

1ère semaine:

"Pour la première fois, c'est un retour de vacances où je n'ai pas l'impression que tout est à refaire."

De plus, je découvre que je peux m'affronter à lui sans plus courir le risque d'aggraver les choses, ce que je craignais sans cesse l'an passé.

2ème semaine:

"J'ai peur qu'Eric ne perturbe tout le groupe. Je me fâche très sérieusement, au risque de devoir me

"débarrasser" de lui en l'envoyant dans une autre classe.

Surprise: Eric se transforme, cesse ses grimaces et se met au rythme du travail et de l'après-midi. Je suis sidérée! Mais cela ne marche pas deux fois."

En fait, j'ai le sentiment que nous sommes tous deux aux prises avec la même question: comment faire parvenir un message clair à l'autre ? Le registre d'Eric est illimité:

grimaces, mouvement continuel, usure par une recherche constante de limites, tout est bon à prendre.

3ème semaine:

"Depuis le début de la semaine, Eric est très agité, jamais à sa place et à l'exception de quelques rares périodes, il a fonctionné uniquement par des grimaces, des remarques déplacées, bref, une sorte de jeu tendant à pousser l'adversaire à bout."

L'instabilité d'Eric est manifeste pendant cette période. Un rien le perturbe et je dois chaque fois trouver un moyen de le canaliser avant de pouvoir travailler avec ses camarades. C'est épuisant!

Quant à moi, je ne sais plus comment m'attaquer au problème.

Je passe par de nombreuses étapes de tâtonnements intuitifs.

Je suis parfois vaincue et cédant à " un effet marmite", je suis prise au piège ! Si seulement je savais comment résister activement ou exploser à j uste titre. J'ai constamment l'impression d'osciller entre les deux.

3ème semaine:

"Jusqu'à vendredi, je supporte tant bien que mal, mais ma tension monte d'autant plus que je sens bien que l'attitude d'Eric nuit à la qualité de mon attention pour les autres. Finalement, vendredi matin, j'explose! Une remarque de trop me fait déborder et je jette la trousse d'Eric par terre! Il est très surpris et s'arrête net. Il a bien compris le message. En fait, Eric est d'autant plus surpris lorsqu'il me voit me mettre à quatre pattes pour ramasser la trousse et son contenu avant de la lui rendre en m'excusant. "

Je suis parlois si démunie face à lui que je me demande quel démon l'habite!

5ème semaine:

"Incroyable. A 8h00, Eric arrive en classe déjà excité. Il commence par courir après Paco avant même que quoi que ce soit ne se soit passé! Raison invoquée: le jour d'avant, Paco lui a dit "Eric à riri"!"

La communication avec Eric est décidément lalx>rieuse. D'une manière ou d'une autre, il trouve toujours un moyen de prendre la fuite. Faire une punition sans en tenir compte (lorsque, excédée, je craque! ) en est un. Je suis aussi impressionnée par ses stratégies purement physiques. Quand je lui parle, Eric recule, s'éloigne! Il se réfugie derrière une table ou me confronte à une panoplie très variée de grimaces.

En fait, Eric parle très peu en classe. Il s'arrange toujours pour contourner les questions qui lui sont posées. Parlois, il se contente d'une réponse très sommaire, presque onomatopéique, parfois il se tait. A plus forte raison si ces questions le concernent directement.

Inutile de dire que son intégration dans la classe pendant cette période laisse à désirer. Les graphiques de recevabilité et de tendances (annexes Vb et f) le montrent d'ailleurs en faisant état d'un score très négatif de l'attitude d'Eric face à la classe.

Ceci est aussi confirmé par la première observation de Christian (annexe Ve). Pourtant, dans le test d'image de soi de . ' ' . d 1 "d) E . , l cette premieœ pcno c ,annexe • , ne eva ue ses compétences sociales de manière plutôt positive. Il dit être apprécié par ses camarades et rarement seul. Il est là en opposition avec mes propres observations et les manifestations excédées des autres enfants envers lui. Peut­

être le fait de se surestimer lui donne-t-il un semblant d'illusion que tout va bien.

Révélateurs scolaires

FUIR est sans doute le verbe qui caractérise le mieux l'attitude d'Eric pendant cette période. Fuite devant les difficultés tout d'abord.

1ère semaine:

"Eric travaille mais il ne comprend pas très bien ce qu'il fait. Parfois c'est assez simple et ça passe, parfois c'est

trop dur et il n'y a plus personne!"

Fuite aussi face au groupe qui pourrait avoir une opinion sur ses capacités scolaires et se moquer de lui, ce que lui-même ne manaue iamais de faire au suiet des autres si l'occasion s'en présente.V Je découvre cependant une "faille" dans ses défenses qui m'est très utile!

4ème semaine:

"Eric est beaucoup plus intéressé par un travail individuel qui ne concerne que lui et par l'entremise duquel il peut venir s'entretenir avec moi. (. . .) Il reste en contact par ce moyen puisque pendant les moments collectifs, il se concentre difficilement et je ne suis pas à son unique disposition."

C'est ainsi que, peu à peu, essayant d'occulter les autres problèmes, j'accorde à Eric une attention plus particulière pendant les moments de contrat. A ces moments-là, il est

pratiquement assi. sur mes genoux et manifeste une réelle envie de travailler. Si c'était possible, il aimerait sans doute m'avoir _pour Lui tout seul. En observant les tableaux (annexes Va et e), on voit en effet apparaître un comportement an peu plus positif face au travail écrit, manifesté dans le graphique des tendances (annexe Vf) par une courbe de stabilité négative moins élevée que les autres. Maigre espoir, mais on se console comme on peut!

Ceci dit, malgré cette apparente bonne volonté, tout reste totalement tributaire des circonstances. La cinquième semaine, difficile pour toute la classe, fait tout basculer.

5ème senuûne:

"Eric a très peu essayé de mener à bien son travail.

D'habitude, il se fait un point d'honneur à venir me dire ce qui est terminé: pas cette semaine. Il ne devait pas être fier (215 au contrat). Côté motivation, autant dire que je n'en ai pas vu la couleur dans ce qui est scolaire. Intérêt à jouer, oui! Autrement, tout tourne autour de la bagarre, la course ou autre invention. Dispersion totale!"

En fin de période, je décèle d'autres nouveautés. Eric met en place des "systèmes D"!

7ème semaine:

"Dans sa lecture ( conte à illustrer), Eric ne lit pas (Preuve: il est incapable de raconter après coup!) . Il se contente de trouver quelques mots ça et là qu'il peut dessiner. Il "fait" donc son travail, mais se préoccupe surtout de l'accomplissement et non du contenu. ( .. .) Nous sommes dans une étape où Eric veut avoir fini mais ne s'intéresse pas au comment. "

Cette désorganisation est d'ailleurs visible sur le tableau des tendances (annexe Ve). On n'y voit aucune logique tangible.

Est-ce là l'illustration d'une période de changements ? Les progrès d'Eric ne sont pas suffisants pour être traduits en comportements recevables, mais vraisemblablement, dans la prise d'information complémentaire des tendances, quelque chose se pas e. Dans son test d'image de soi (annexe Vd), il est intéressant de constater que si Eric considère ses

compétences cognitives comme très moyennes, il voit quand même du positif dans son travail scolaire. Eric affirme en effet très clairement qu'il sait toujours s'occuper en classe. S'il est impossible de le contredire sur ce point, sa manière de s'occuper est, elle, discutable. Jeux, bavardages, bricolages, promenades, Eric est bien occupé, mais selon sa propre définition !

Image de soi

Eric a une image de lui très négative. Ce point est d'ailleurs largement confirmé par l'échelle d'image de soi des trois enfants (annexe Vlb) où son score est de loin le plus bas. En fait, pour éviter qu'on lui renvoie une image déplaisante, Eric se réfugie derrière l'image de quelqu'un d'autre. D'où une association presque symbiotique avec Paco et un besoin

"vital" de pouvoir copier le travail d'autrui. De cette manière, Eric lui-même n'est jamais jugé directement. A d'autres moments, pour être le plus conforme possible à l'image de marque dont il se sent porteur, il s'ingénie à être le plus terrible possible.

Non seulement Eric se voit très négativement, mais il semble opposé à l'idée qu'il pourrait être perçu autrement. Peur d'être déçu, de ne pas réussir, je ne saurais le dire. Pendant cette période, Eric ne s'aventure pas (ou presque pas) au-delà des frontières connues. Peut-être aperçoit-ii quand même quelques lueurs d'espoir? J'observe quelques nouveaux comportements qui m'interrogent.

5ème semaine:

"Systématiquement, lorsqu'Eric comprend ce qu'il a à faire lors d'un travail collectif ou de groupe, il dit immédiatement: "C'est nul!" Je me demande si cela ne signifie pas qu'il est tellement surpris de comprendre quelque chose qu'il se dit que pour que cela soit possible pour lui, ça doit nécessairement être nul!

Interprétation sauvage, mais cela pourrait être une

manifestation d'évolution car Eric n'a commencé ce jeu que depuis trois ou quatre semaines. "

En fin de période, je réalise que si le groupe ne peut pas encore renvoyer à Eric une image réellement positive, je trouve quant à moi une brèche dans la palissade et je reprends courage. Il semble que sa volonté de travailler, même "sur mes genoux" redore son blason auprès de ses camarades.

C'est en effet à cette époque que, sur le tableau de recevabilité (annexe Va), apparaît une première marque d'intégration au groupe et surtout, Eric se dit content de lui et de son travail.

7ème semaine:

"L'image que je peux lui renvoyer est enfin plus positive. Image scolaire en tous cas. Eric semble avancer dans son travail, même s'il ne termine pas tout ou distribue mal son énergie (plutôt dans le dessin que dans les exercices). Eric est aussi beaucoup moins perturbateur et donc moins confronté à une image

négative qui lui serait renvoyée systématiquement."

Lorsque Christian vient faire sa première observation dans la classe (annexe Ve), il fait une observation curieuse. Ce matin­

là, nous faisons du contrat et Eric est tout à fait à son affaire.

A tel point qu'après la matinée, Christian me demande pourquoi j'ai choisi Eric pour ma recherche. Confirmation des progrès que j'ai observé pour ma part ou infirmation complémentaire de mes propres observations, cet épisode nous a permis un échange intéressant.

Interactions

C'est dans ce domaine que cette période a été le plus riche.

Réfugié à l'intérieur de sa palissade pendant toute la 2P, Eric a enfin commencé à tester toutes les interactions possibles dans la classe. Alliances, protection, appuis, aide, garanties, il s'est mis à explorer tous les potentiels des relations humaines.

Auprès de moi tout d'abord.

1ère semaine:

"Eric fait son travail mieux qu'avant. Reste souvent vers moi quand il fait quelque chose dont il n'est pas sûr.

Cherche mon appui, mon aide. C'est nouveau. "

Cette attitude est en rapport direct avec sa découverte de plaisir dans le travail par contrat.

Autre direction, moins bénéfique, Eric exploite des relations de protection.

3ème semaine:

"Le duo Paco-Eric est inattaquable. Si je m'adresse à Eric, Paco est immédiatement présent et Eric communique silencieusement avec Paco, faisant semblant de ne pas m'entendre. ( .. .) En fait, ils sont une excellente défense l'un pour l'autre et ils ne se lâchent pas. Eric en tous cas ne cède jamais et il n'est pas manipulable. Dès que je m'adresse à lui en faisant appel à son bon sens, il fait comme si je ne lui parlais pas. "

Dans toutes ces premières manifestations d'approche, Eric ne se laisse jamais dépasser en nombre. Il ne se confronte qu'à une seule personne à la fois, jamais au groupe. Cependant, au fil des semaines, il recherche des alliances passagères avec d'autres camarades. Ce n'est pas facile car les grimaces et facéties d'Eric ont fini par l'exclure (ou presque) du groupe­

classe. On en a marre d'Eric, mais parfois la gentillesse l'emporte.

4ème semaine:

"Dans la refonte des groupes, Eric demande à être avec Yannick, l'archétype de l'élève sage et travailleur.

Y annick accepte. Pas d'influence visible depuis cependant. "

C'est alors que dans ses rapports avec le groupe, Martin, un nouvel élève, donne à Eric une aide inespérée.

4ème semaine:

"Eric est de mieux en mieux accepté pour lui-même.

Martin oppose une personnalité difficile à celle, difficile mais connue, d'Eric. Dans un certain sens, la venue

de Martin est utile à Eric qui n'est plus celui qui dérange systématiquement. On le voit donc plus positivement aux dépens de Martin qui devient momentanément le nouvel empêcheur de tourner en rond."

Une nouvelle dynamique se met en place. Cependant, le groupe et moi nous sentons encore très démunis dès qu'Eric manifeste son insécurité.

5ème semaine:

"Pendant des semaines comme celle-ci, nos rapports sont très opposés et conflictuels. Je suis obligée d'intervenir tellement souvent par le négatif qu'Eric et moi reprenons très rapidement nos rôles de l'enfant agité et de la maîtresse qui gronde. Et, si j'essaie d'entrer en contact avec lui en essayant de lui parler calmement, je me heurte à un mur. Le reste de la classe essaie d'ignorer Eric, de ne pas se laisser perturber. C'est parfois difficile. (. . .) Peut-être parce qu'il me dépasse aussi?"

En toute fin de période pourtant, je reprends espoir comme dans toutes les autres dimensions d'analyse de cette première partie.

7ème semaine:

"Comme pour tout le reste, Eric est beaucoup plus présent dans ses rapports avec moi. Il recherche mon aide, mon approbation. Il doit bien sentir que son fonctionnement est celui que j'espère voir. Mais rien n'est jamais gratuit de lui à moi. De moi à lui, oui. Je multiplie Les remarques positives."

Détonateurs

Sans pouvoir attribuer directement les progrès évoqués ci-·

dessus à telle ou telle attitude, je pense que pendant cette période, Eric reçoit quelques "chocs" plus ou moins forts qui ne sont pas sans écho à court ou long terme. Il y a tout d'abord le rôle de l'acceptation répétée de tous ses excès, et cela, bien malgré lui! C'est un peu comme si malgré toutes les

frustrations ressenties par le groupe, Eric est accepté avec le corollaire qu'il est impossible de compter sur lui. De plus, il est directement ou indirectement confronté à ses camarades qui lui font parvenir des messages parlants lors de certains conseils de classe. On ne se gêne pas pour lui dire, certes poliment, que c'est de sa faute si tel ou tel moment s'est mal passé.

3ème semaine:

"Va-t-il y avoir pression du groupe sur Eric ? Je me le demande car il n'est pas aimé comme Justine et peut-être cela est-il nécessaire pour que toute la classe estime utile de faire pression. Si c'est vrai, alors comment faire aimer Eric?"

Lorsque je jette la trousse d'Eric à terre et la ramasse ensuite en m'excusant et en expliquant mon geste, je pense qu'Eric reçoit un autre choc. C'est, j'en suis certaine, la première fois qu'il est confronté à une réaction aussi surprenante de la part d'une enseignante voire d'un adulte.

Bref, vivre avec Eric n'est décidément pas facile et une quantité de petits détails irritent quotidiennement les uns ou les autres. Souvent, j'ai l'impression qu'avec lui, rien n'avance.

Tout est dysfonctionnement. Les plus petits indices deviennent alors extrêmement importants et une lecture positive entre les lignes est un travail épuisant de tous les instants. Une chose est sûre, le temps passé avec Eric n'est jamais banal!

CHAPITRE IV