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PORTRAIT D'UJ\.�E CLASSE

4. C L IMAT SCOLAIRE

Si, dans cette description de ma classe, j'ai donné jusqu'ici une priorité aux dimensions sociales et humaines, ce n'est pas pour éliminer celle de l'organisation du travail mais pour insister sur l'aspect vital de ces parents pauvres de la pédagogie. Même en étant convaincu du caractère essentiel des premières, il est tellement plus simple de décrire concrètement un cadre de travail ou les modalités d'un plan de semaine qu'on oublie trop vite le reste.

Reste que sans un cadre clair et explicite, aussi grandes soient les qualités humaines de l'enseignant, il y a toujours un moment où celles-ci sont insuffisantes pour que le travail se fasse bien. J'ai longtemps essayé de nier cette évidence pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles est que j'ai ressenti ma formation comme one sorte de rite d'intronisation après lequel il ne pouvait être question d'autre chose que "de méthodologie ou de discipline" . En réaction, j'ai donc posé un idéal d"'enfant heureux" au centre de mes ambitions et, aveuglée, je n'ai pas vu comment concilier les deux pôles. Pourtant c'est possible. Il faut trouver un subtil mélange entre structure et souplesse, puis contrainte et liberté. De cette alliance résulte une stabilité à la fois émotionnelle et organisationnelle qui permet aux enfants de se situer plus facilement. Ils se sentent à la fois protégés et créatifs.

La fin de ce chapitre est donc consacrée aux moyens d'organisation que je privilégie dans ma classe. Ce n'est en aucun cas un modèle à suivre, mais ce qui, au fil des années m'a séduite et a convenu à mes attentes.

Etant donné l'importance que j'accorde au dialogue entre nous tous, on trouve dans ma classe un espace salon. Vingt­

quatre tabourets installés autour d'un tapis; au centre, une table basse sur laquelle on peut poser des fleurs, des bougies ou tout autre chose. Je ne saurais dire combien de temps nous passons chaque jour au salon mais toutes les décisions et les

discussions sont prises là. C'est aussi le lieu où on se raconte des histoires, où on chante et où certaines consignes sont données pour un travail ou un autre.

Au salon ont lieu nos conseils de classe. A ce propos, pendant longtemps j'ai cherché à donner à cette institution un caractère très officiel (en fin de semaine par exemple). Puis, j'ai réalisé que parallèlement à ces moments ponctuels, les discussions demandées en cours de semaine par les élèves ou par moi étaient parfois plus productives, dû probablement à leur caractère spontané. C'est ainsi qu'au lieu de vouloir à tout prix conserver le caractère institutionnel régulier de ces conseils, j'ai adopté un rythme beaucoup plus souple, adapté aux événements et convenant mieux aux besoins des uns ou des autres. Peut-être est-ce à l'âge des enfants qu'on peut attribuer cette évolution. C'est certainement le cas en ce qui concerne le meneur des débats qui, sauf à de rares exceptions, est une tâche que je me suis réservée.

Il y a aussi la géographie de la classe. Je suis partisane de changements fréquents dans l'agencement des pupitres. En règle générale, les transformations sont une réponse aux demandes des élèves à condition que ce ne soit pas le fruit d'une lubie subite. J'ai réalisé que souvent leurs désirs coïncidaient avec mon propre sentiment qu'il fallait envisager un remaniement. Mon intervention réside alors uniquement dans une gestion de l'espace et une préoccupation relative aux déplacements. Ce sont les élèves qui s'organisent en gToupes ou décident de rester seuls. Chaque fois je relève un soulagement. C'est l'occasion d'un nouveau départ, source d'énergie au profit d'une étape où on pourra peut-être profiter de l'expérience passée.

Vient ensuite la dimension " législative" de la classe.

D'où provient l'autorité ? Qui édicte les règles ? Doit-on y obéir ? Pourquoi ? Que se passe-t-il si on y désobéit ? Si, peu à peu, j'ai en effet découvert la possibilité de co-gérer ces règles de vie, cela n'a été possible que parce que j'avais préalablement mis en place un cadre où les exigences, même si

elles étaient en nombre limité, étaient claires. Que ce soit au niveau du comportement des élèves ou du contrôle de leur travail, j'ai appris la nécessité absolue de savoir m'en tenir à ce que j'avais dit. Lorsque les règles sont claires, que tous y ont adhéré sincèrement et que malgré tout, ça déborde, il faut savoir tenir bon. A mes dépends, j'ai souvent fait la douloureuse expérience que dans ce domaine un manque de cohérence ne pardonne pas. Il est vrai que, fidèle à ma naïveté, j'aurais préféré que tout cela se fasse sans que je m'en préoccupe. Mais il semble qu'il ne soit possible de parvenir à

"auto-di.scipline" qu'en passant par "discipline". Autrement dit, pour devenir implicites, les règles doivent d'abord être explicites. Si l'on veut par exemple ne pas être dérangé sans arrêt par des enfants demandant l'autorisation de sortir pour aller aux toilettes, il est important de passer du temps à organiser un système qui permette à la fois la liberté (le droit d'aller aux toilettes) et la contrainte (ne pas déranger la classe).

Sans quoi, le problème reste latent et ressurgit sans cesse.

J'aimerais aborder encore les formes de travail qui conviennent le mieux à mes ambitions. J'ai toujours aimé la formule du travail par contrat. Chaque année pourtant, cela se passe différemment. Avec la volée de Paco, Justine et Eric, j'ai découvert que je pouvais ainsi mieux respecter les capacités propres de chaque individu. J'ai réalisé qu'à travers le contrat de semaine, l'enfant apprenait son métier d'élève.

Etre compétent, respecté, responsable, ce sont tous ces défis que grâce à cette formule, un enfant peut se lancer à lui-même.

Mais le contrat doit aussi être utilisé avec précaution. Pour mille raisons, un enfant peut être incapable de relever seul ces défis et ce serait le pénaliser, voire le bloquer, que de le forcer à adhérer à tout prix à cette forme de travail. C'est là une des raisons pour lesquelles je ne commence à travailler de cette manière qu'après un certain temps (plusieurs mois si nécessaire). C'est aussi pour cette raison que j'insiste pour que les modalités d'application soient très souples et que peu à peu elles puissent être co-gérées.

Quant au but visé, si l'idéal est que chaque enfant puisse terminer son contrat dans les délais impartis, celui qui n'y arrive pas n'est pas pénalisé. Chaque semaine, il recommence à zéro et il n'est jamais question de terminer à la maison. Loin de pousser les élèves à la paresse -ce qu'on pourrait craindre-, cette attitude est stimulante. Bien sur, surpris par cette absence de contrainte, certains enfants commencent par ne plus rien faire. Mais c'est sans compter sur la pression du groupe.

Une fois par semaine, nous nous retrouvons pour faire un bilan. Chaque élève doit alors montrer le travail effectué à l'ensemble de la classe et, le cas échéant, expliquer à tous pourquoi il n'a pas pu finir. De mon côté, je prends note (sur des listes prévues à cet effet) du travail fait ou non et m'intéresse prioritairement à ce qui est terminé. En fin de réunion, je fais un bilan des progrès effectués d'une semaine à l'autre et chaque individu prend ainsi conscience de ses réussites et de ce qu'il est capable de faire. Je suis régulièrement sidérée par l'effet de cette attitude. Peu à peu, tous les enfants se sentent concernés et progressent, même si le résultat n'est pas toujours parfait. C'est là un exemple pratique des répercussions que peut avoir une attitude positive.

A noter cependant qu'il faut avoir parfois beaucoup de patience car, pour certains élèves, les changements sont lents et n'interviennent qu'après de longs mois.

Cette conception du contrat de semaine entraîne des conséquences importantes. Il est exclu pour moi, comme dans certaines autres classes où l'on pratique le "contrat pédagogique", d'y placer en bloc tous les apprentissages que doit faire un enfant. Je n'aurais aucune garantie que mes élèves apprennent suffisamment. Il est donc essentiel de trouver peu à peu un équilibre entre travail collectif ou individuel ainsi que tâche obligatoire ou facultative. Si le travail par contrat ne revêt pas un caractère obligatoire, il existe dans ma classe d'autres périodes d'exercice individuel où mes exigences sont très claires et où je contrôle systématiquement le travail qui doit être effectué. Ce sont ces moments qui me permettent de m'assurer des compétences

acquises et surtout des progrès des élèves. C'est aussi pourquoi je peux instaurer un cadre aussi large dans notre formule de contrat dont le but premier n'est pas l'apprentissage des notions, mais apprendre à apprendre.

Les deux formes de travail individuel évoquées ci-dessus sont propices aux temps d'exercice et de consolidation. A d'autres moments, grâce à leur richesse interactive, c'est le travail en groupe ou le travail collectif qui sont plus adéquats. Là, on découvre, on explore, on formalise et on fait des synthèses. C'est généralement sur cette base que se greffent les temps d'exercice individuel.

Ce découpage du temps de travail en plusieur types d'activité que je m'efforce de ne pas mêler les ans-aux autres permet non seulement aux élèves de ne pas s'ennuyer, mais ils apprennent et adoptent ainsi des attitudes de travail différentes qui deviennent même des formes de motivation par la nouveauté qu'elles offrent. A chaque type de travail correspondent des comportements et des apprentissages bien distincts. Reste à trouver le dosage nécessaire. Cet alliage est d'autant plus important que rien ne garantit que les élèves soient confrontés par la suite à un seul style de travail. De plus, si certains apprennent mieux en travaillant seuls, d'autres profitent plus d'un moment collectif.

Cette souplesse dans le choix du style de travail pem1et enfin une plus grande ada ptation aux circonstances.

Parfois, je réalise que vouloir à tout prix travailler d'une manière ou d'une autre n'est que perte d'énergie. Certaines leçons collectives où tous veulent participer en même temps sont parfaitement décourageantes. Mieux vaut alors passer à une tranche de travail individuel, plus calmante et canalisante pour les enfants. Lors de périodes "troubles" telles que le mois de décembre ou les semaines précédant les vacances, nous avons presque toujours fonctionné selon un plan co-géré de travail individuel, mêlant exigences scolaires pures et activités plus récréatives. Seule cette formule nous a permis d'éviter la montée des conflits dus à une agitation plus grande.

Reste l'évaluation du comportement et du travail des élèves.

L'approche d'adaptation et de différenciation décrite ci-dessus relève entièrement d'une approche d'évaluation formative.

Tantôt intuitive et informelle (gestion d'un conflit), tantôt formalisée (contrat de semaine), cette attitude formative est des plus constructives. Mais je reste encore sur ma faim lorsqu'il s'agit de remplir les carnets. Le reflet institutionnel que je dois par obligation transmettre aux parents coïncide parfois difficilement avec l'approche et la connaissance "en profondeur" des enfants et de leurs modes de fonctionnement que j'essaie de développer.

Par chance, l'évaluation du comportement s'inscrit assez aisément dans une continuité du dialogue qui s'instaure entre les enfants, leurs parents et moi. Mettre par écrit une opinion réaliste, mais positive, de l'enfant peut lui permettre, ainsi qu'à ses parents, de mieux intérioriser ce que je pense et redonner courage aux uns comme aux autres.

L 'évaluation du travail, elle, est plus épineuse. Au moment des épreuves, nous avons été longtemps, les enfants et moi, dans un état d'inquiétude et d'insatisfaction extrêmes.

Les enfants parce qu'ils ne savaient pas à quoi s'attendre; moi, parce que je me rendais compte d'un immense déséquilibre entre ma pratique quotidienne et les temps d'épreuve.

Paralysée face à ce mal nécessaire, j'entraînais mes élèves dans un style totalement inconnu pour eux, dont le cadre était

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panique généralisée de tous les partenaires. Lorsqu'enfin j'ai analysé d'un peu plus près cette bête noire, la barre s'est un peu redressée. S'il était trop tard pour revoir entièrement l'organisation et le type de mes évaluations sommatives, j'ai essayé de supprimer le stress et la tension que nous connaissions. C'est en clarifiant mes exigences auprès des enfants et en apparentant la passation des tests à notre forme de travail individuel que je suis parvenue à ce but. Je reste cependant sur ma faim dans ce domaine car, tout en respectant le cadre institutionnel, je sais qu'il est possible de faire mieux.

L'organisation d'une classe réside donc dans un savant mélange de structure et de souplesse où souplesse ne signifie pas laxisme et strncture ne signifie pas fascisme. L'enseignant doit savoir très précisément quelles sont ses forces et ses faiblesses, il doit choisir la ligne qu'il veut suivre et ensuite, avec la plus grande cohérence possible, il essaie de guider ses élèves dans cette direction. Souplesse devient alors synonyme de structure.

CHAPITRE III