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PORTRAIT D'UJ\.�E CLASSE

1. CLIMAT SOCIAL

A l'image de la société qui ne peut se départir de catégoriser ses individus, un groupe classe est trop souvent un lieu où les

"bons" s'opposent aux "mauvais", et les "bavards" côtoient les "silencieux". Les étiquettes collent à la peau. C'est ainsi que lorsque un de mes stagiaires, perplexe, m'a dit que dans ma classe il avait de la peine à repérer les bons et les mauvais élèves, ceux qu'il fallait "visser" et les autres, j'ai été intéressée. Il lui semblait que mes élèves n'avaient pas d'étiquette. Quel est donc le climat qui peut engendrer la régression d'un tel phénomène au profit d'une égalité plus grande ?

Au fil des années, j'ai développé une vision positive des choses -frisant parfois la naïveté- qui déclenche en moi la volonté de trouver des solutions envers et contre tout. Je veux à tout prix croire en mes élèves et en leur potentiel de réussite.

Cela n'a pas toujours été le cas, mais je me suis rendu compte au fil des années qu'à force de porter un regard positif sur eux, celui-ci devenait "positivant". Petit à petit, à force bien sûr de le leur faire savoir, les enfants commencent à se voir de manière plus positive. Ils se sentent acceptés puis acceptables.

De plus, et c'est là une évolution qui touche aussi à d'autres domaines, j'ai constaté à maintes reprises un effet " boule de neige" . Peu à peu, les enfants adoptent, eux aussi, une attitude positive envers leurs camarades. Une connivence s'installe alors entre les enfants et moi et l'effet escompté se multiplie.

Il en va de même pour le respect. Sans que soit remis en question un statut d'adulte ou d'enfant, le respect mutuel des uns et des autres est essentiel. J'ai réalisé qu'en respectant la personnalité de mes élèves, non seulement ils me rendaient la pareille, mais eux aussi respectaient plus facilement des camarades parfois difficiles à supporter. Mouvement général

d'acceptation des différences propice à un développement harmonieux de chacun.

J'ai toujours été convaincue qu'accepter les gens tels qu'ils sont, et non tels qu'on les imagine ou qu'on aimerait les voir, est la meilleure base pour une relation vraie et enrichissante.

Quoi d'étonnant alms si je prêche une ambiance d'acceptation comme prioritaire dans ma classe. Mais, quoi que pourrait parfois en penser un observateur extérieur, acceptation n'est pas synonyme de laxisme. Quant à moi, je distingue deux formes d'acceptation que je qualifie de "yeux fermés" et de "yeux ouverts": La première permet de faire face aux situations d'urgence et épargne à toutes les personnes concernées les larmes, la frustration et les remords. Lorsque dans une classe tous les discours semblent vains, 4ue l'agitation est telle qu'on a le sentiment de perdre pied, l'enseignant est placé devant un choix cornélien: punir ou faire semblant de ne rien voir. Quant à moi, je choisis généralement la deuxième solution: l'acceptation yeux fermés. Cette attitude a le désagrément d'entraîner avec elle un sentiment inconfortable d'impuissance! Mais elle permet de laisser passer la tempête et de ne pas avoir à regretter une réaction punitive souvent disproportionnée.

Je pratique aussi l 'acceptation yeux ouverts qui se distingue de la première par le fait qu'elle a un but précis et n'est pas seulement une volonté d'éviter le pire. Si accepter n'était qu'un moyen confortable d'ignorer un problème, l'effort serait inutile. Mais j'ai constaté qu'accepter inconditionnellement un enfant provoque chez lui, à la longue, une réaction positive. Un concept abstrait se transforme en

"arme offensive". Accepter permet d'observer, d'analyser puis de chercher une brèche dans les défenses de !"'adversaire".

Plus qu'un simple phénomène de tolérance, l'acceptation, associée à la patience et au temps, engendre la disparition de l'illicite. Plus besoin d'autoritarisme, mais on voit émerger avec plus de vigueur encore ce respect mutuel entre l'enfant et l'adulte qui commencent à se comprendre vraiment.

A plusieurs reprises déjà, j'ai mention né un facteur d'importance: le temps. Car, pour voir évoluer un enfant dans des dimensions telles que celles mentionnées ci-dessus, il ne fait pas bon être pressé. Observer, analyser et pas er à l'action méritent un espace suffisant. Le temps ne doit pas être un ennemi. Dans ce rôle social, le temps n'est pas mesuré. Il est synonyme de patience et permet à l'un et à l'autre de se découvrir soi-même mais aussi mutuellement.

Enfin, en toile de fond, il faut évoquer l'instrument sans lequel rien de ce qui précède n'est possible: la parole. C'est elle qui permet de véhiculer la majorité des messages que nécessitent l'acceptation, le respect ou l'attitude positive. Sans un réseau de communication soigneusement élaboré, l e climat social souhaitable est impossible. De nombreux auteurs se sont attachés à analyser les mérites de la parole qu'elle soit thérapeutique ou autre. Je me contenterai ici de décrire les forces et les pièges de la parole tels que je les ai découverts à travers ma pratique d'enseignante.

Il est parfois difficile de ne pas parler pour ne rien dire.

D'autant plus si on croit profondément en l'importance de la parole. Il faut donc savoir doser habilement parole et action.

Un changement d'activité ou de lieu vaut parfois tous les discours, aussi pertinents soient-ils.

La parole est informative ou explicitative. Elle permet à tous, enfants comme adulte, de traduire des émotions, de dédramatiser un conflit ou simplement de raconter une histoire. Elle est tour à tour spontanée ou réfléchie, dynamique ou apaisante.

Mais qui dit " parole" dit " écoute" et c'est peut-être là le point crucial de cette communication qui pem1et d'avancer.

Comme pour la parole, il s'agit d'une écoute interactive où enseignant et élèves ont les mêmes droits et devoirs.

Il faut aussi savoir choisir -et c'est là une tâche réservée à l'enseignant- entre parole collective et parole individuelle. Souvent, on est tenté dans une classe de lancer une remarque "à la volée" destinée à tel ou tel enfant. Tout aussi souvent, on constate qu'elle n'a que peu d'effet et que l'enfant interpellé ne se sent absolument pas concerné. Ou, alors que seuls quelques enfants sont concernés, on s'adresse à la classe entière et on s'étonne que l'impact escompté ne soit pas à la hauteur de l'attente. On risque aussi de blesser inutilement d'autres enfants nullement impliqués dans ce flot de paroles incontrôlées. Pour être percutante, la parole doit donc s'adresser clairement afin de garantir une bonne qualité de réception.

Certains pourraient objecter que jusqu'ici je n'ai fait qu'évoquer des banalités que chacun, avec un minimum d'éducation, connaît et applique. Mais c'est peut-être justement là le danger. A force de savoir et de pratiquer machinalement ces règles élémentaires de savoir-vivre, on finit par en oublier l'importance et on néglige leur utilisation au profit de réactions très sommaires et frustes dont on mesure mal l'impact. Je crois qu'en prenant conscience très professionnellement de ces quelques "banalités", on peut, en tant qu'enseignant, aider grandement ses élèves à évoluer positivement.

Cette prise de conscience du rôle pédagogique de concepts tels que l'acceptation, le respect ou la parole m'ont progressivement amenée à essayer de mieux définir ce professionnalisme peu conventionnel que je découvrais à travers ma pratique. C'est donc à un essai de description des rôles d'enseignant et d'enseigné tels que je les conçois dans ma classe qu'est consacrée la suite de ce chapitre.