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Chapitre 4 : La société traditionnelle luba

4.2 Religion traditionnelle luba

4.2.4 Vision du monde dans la religion traditionnelle 107

La vision du monde des Baluba comporte une croyance aux relations qui existent entre les vivants et les morts ainsi qu’avec les esprits. Les Baluba ont la vision développée de deux mondes : le monde visible et le monde invisible. Le premier est la sphère terrestre des vivants. C’est un monde des réalités perceptibles. Et le monde invisible est un monde des mystères, le lieu où se décide le sort des hommes vivants.

79 Ibidem.

80 Mpungu est une divinité luba supposée habiter dans les collines.

81 John S. Mbiti, Concepts of God in Africa, London, S.P.C.K., 1970, p. 3-18.

82 Le Père Th. Theuws, « Croyance et culte chez les Baluba », dans Présence africaine, vol. 18, no 19

(1958), p. 29.

83 Tshibasu Mfuadi, Coutumes et traditions baluba, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 189. 84 Ibidem.

Cette croyance incite l’homme Muluba à pénétrer cet autre monde pour le faire sien. Il cherche à voir l’invisible d’où, croit-il, lui viennent la vie et la force. Les acteurs du monde visible ñanga, kilumbu (« guérisseurs » et « devins ») jouent un rôle d’intermédiaire important dans la relation entre ces deux mondes. C’est pourquoi ces acteurs sont fréquemment consultés pour assurer la force et la pérennité de la vie de l’homme.

a. Le monde visible

Ce monde est celui de la nature et des réalités palpables. C’est donc la sphère terrestre où vivent les espèces animales, végétales et même minérales, c’est-à-dire, le monde des êtres vivants85. La description historique et géographique, que nous avons faite de l’ethnie luba, appartient au monde visible.

b. Le monde invisible

Le Muluba pense que s’il y a un monde visible, il doit exister un autre monde, mais invisible. Il est non perceptible et métaphysique. C’est celui dont l’abbé Hebga dit que le monde invisible est le monde de la nuit et des réalités cachées et mystérieuses86. La connaissance de ce monde dépasse le savoir des hommes. Il est perçu comme le monde des intentions secrètes où habite un Être Supérieur, qui demeure lui aussi invisible87. Il inspire respect et crainte car il décide du sort des vivants sur terre. Les Baluba disent qu’il appelle les morts à lui (Kalunga tumanya mikendi).

Pour mieux illustrer l’image de ces mondes, les Baluba parlent de trois misumba88 « camps » qui sont vus comme les trois campements dans la vie de l’homme. Le premier musumba étant la grossesse, le deuxième est le monde visible et sensible, alors que le

85 Kasongo Munza, La Communauté Méthodiste-Unie et la Problématique des valeurs traditionnelles : Cas de la guérison chez les Baluba du Shaba, mémoire de Licence, Faculté Méthodiste de Théologie,

Mulungwishi, 1987, p. 9.

86 Hebga, cité par Kasongo Munza, idem, p. 9-10.

87 Katwebe Mwenze M., Conception de Dieu chez les Basanga, mémoire de Licence, F.T.P.Z., Kinshasa,

1979, p. 20.

88 Le musumba est le campement de chasse, une demeure éphémère des chasseurs pendant leur séjour en

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troisième et dernier musumba, est le monde invisible89. Ce monde invisible nous intéresse plus dans notre étude car il est le lieu ultime du destin de l’homme et influence le développement des relations avec les ancêtres baluba, esprits, divinités et Dieu, Esprit supérieur.

Dans son article « Hoe de Baluba-Shankadi »90, qui porte sur la manière dont les Baluba se représentent le monde, le P. Tempels décrit l’univers en trois parties (couches)91 :

- le monde supérieur qui est le firmament visible de tous,

- ensuite le monde où vivent les humains sur terre,

- et enfin un monde inférieur situé sous la terre.

Les Baluba appellent le monde inférieur kalunga. Dans ce lieu, l’homme ne devient pas plus homme, ni plus spirituel, ni semblable à Dieu. La vie de kalunga est donc une réplique de celle de ce monde. Les personnes gardent le même statut social. Ce lieu est considéré comme un village des ancêtres.

Des chercheurs ont diversement expliqué le concept de kalunga92. Schmidt estime que Zambi kalunga, c’est l’être qui amène la pluie. Pour A. Werner kalunga, est plutôt la mort qui règne dans le monde souterrain, ou encore sur la mer. Bittremieux pense plutôt que kalunga, c’est la mer elle-même. P. Serv Peerae dit que kalunga exprime une idée de grandeur, d’infini, d’immensité. Selon Denis, ce lieu est associé à Dieu à cause de son

89 Kasongo Munza, La Communauté Méthodiste-Unie, p. 9-10.

90 Comme dit ci-haut, le terme Baluba-Shankadi identifie les Baluba par leur usage fréquent du terme shankadi.

91 J. A. Smet, « Le Père Tempels et son œuvre publiée », p. 85-86.

92 Schmidt, A. Werner, Bittremieux, P. Serv. Preerae et Denis, cités par Van Avermaet et coll.,

omniprésence93. Comme espace géographique, le kalunga serait une étendue dont la capacité est illimitée94.

L’opinion la plus vraisemblable, à notre avis, est que Kalunga serait pour les Baluba un lieu invisible et immense, associé à Dieu d’une manière quelconque et considéré comme le séjour des morts. Il se partage en deux lieux bien distincts : l’un est

Kalunga Nyembo, lieu des bons morts. Ceux-ci sont en contact permanent avec leurs

parents restés sur la terre. Ils sont morts-vivants aussi longtemps que l’on se rappelle leurs noms. Ils peuvent renaître dans un enfant. Le second, Kalunga Kamusono est le lieu des suppliciés à cause de leurs mauvais actes durant leur vie sur terre. Ces derniers sont définitivement séparés de leurs parents et leur destinée est compromise95.

Bien que les mondes dans lesquels ils vivent ou survivent soient distincts, les Baluba croient qu’il y a une relation entre les êtres visibles et les êtres invisibles. Ils sont dans une communion étroite qui les met tous dans une même communauté clanique. Ils vivent ainsi des relations réciproques où les morts peuvent agir pour le bien et le bonheur des vivants et ces derniers pour assurer une meilleure destinée à ceux du monde invisible. Cette croyance est à la base du développement du culte des ancêtres pour leur éviter l’oubli et la mort de l’anonymat96. Le Muluba protège donc cette réconciliation du visible et de l’invisible, des vivants et des morts, particulièrement à travers divers rites.

93 Les Baluba disaient que les esclaves allaient chez Kalunga, mais n’en revenaient pas. Cela rejoint l’idée

de la mort. Kalunga tumanya mikendi signifie : Kalunga envoie des messagers pour amener les hommes chez lui.

94 Van Avermaet, et Mbuya, Dictionnaire Kiluba-Français, p. 386-387.

95 Ilunga Kandolo Kasolwa, Le concept de l’eschatologie dans la société traditionnelle luba du Shaba : une analyse de la destinée de l’homme, Mémoire de Licence en théologie, Mulungwishi, Faculté Méthodiste de

Théologie, 1989, p. 102.

96 Un ancêtre dont le nom n’est plus cité, tombe dans l’anonymat. Il peut mourir d’une seconde mort qui le

rend inactif et moins coopératif pour le bonheur des humains. Les vivants et les morts ont le devoir de collaborer pour la survie de tous.

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4.2.5 Les rituels dans la religion traditionnelle luba

Le terme rituel est interdisciplinaire et sa définition varie selon le domaine dans lequel il est utilisé97. Son étymologie latine ritus désigne un culte, une cérémonie religieuse ou une coutume98. Les termes rite et rituel sont parfois utilisés l’un pour l’autre ; mais, le plus souvent, on considère que le rituel constitue un système dont les rites sont les composantes99. Le rituel sera considéré dans cette thèse comme un ensemble de pratiques répétées et fondées sur une croyance en une force agissante, une puissance sacrée.

Les Baluba connaissent et pratiquent plusieurs rites selon les circonstances : rites d’intronisation, rites de passage, rites d’enterrement, etc. Dans ces rituels, il y a toujours une croyance à une force d’un être sacré, invisible, avec lequel l’homme cherche à entrer en communication. Cette force est source et garante de la vie humaine. Le rituel est important parce qu’il donne une signification à la circonstance et à l’événement qu’il souligne.

Chez les Baluba, comme on le verra, la réconciliation est l’acte de l’harmonisation des relations brisées et le rétablissement de la cohésion communautaire. Elle s’opère dans un processus qui s’engage dans la reconnaissance et la confession de ses torts, la demande de pardon et la réparation si possible pour réintégrer les deux parties en famille. La réconciliation permet de faire la paix, de procurer la paix, d’harmoniser ou de rétablir les bonnes relations entre les parties. Elle concerne aussi la disposition de faire la justice sociale dans le partage des biens et richesses. Le concept peut également s’appliquer au partage du pouvoir. Des cérémonies rituelles scellent cette harmonisation des relations qui est autant un rétablissement des relations des humains entre eux (aspect social) que de leurs relations avec Dieu (aspect spirituel).

97 Jean Maisonneuve, Les rituels, (Que sais-je, no. 2425), Paris : Presses universitaires de France, 1999,

p. 6.

98 Ibidem. 99 Ibidem.

Il existe en effet une « théologie » de la réconciliation chez les Baluba. Pour eux, l’Esprit suprême, auteur de la vie de tous, n’a pas créé les humains pour la division ; par conséquent, il les appelle à la cohésion. L’aspect symbolique du rituel prend sa valeur et sa force dans le respect de cette vision du monde luba, qui fait appel à l’autorité morale des ancêtres et de l’Être supérieur, source de vie.