• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Problématique et méthode de la thèse

3.2 Exemple des efforts de réconciliation dans la société traditionnelle luba

3.2.3 Ethnicité et identité ethnique

Des théories instrumentalistes et mobilisationnistes99 considèrent l'ethnicité comme « une expression d'intérêts communs, une ressource dans la conquête du pouvoir politique et des biens économiques dans le cadre d'un processus de compétition »100. Les partisans de cette théorie du groupe d'intérêt voient l’ethnicité comme une solidarité émergeant dans des situations conflictuelles. Dès lors, l’ethnicité est perçue comme une affiliation sociale en concurrence, dissimulant les antagonismes de classes sociales. C’est dans cette attitude que naissent les hostilités créant des conflits divers.

Lorsqu’un individu se sent différent des autres, il se crée une sorte d’individualité et de détermination d’identité. Chaque personne est, en quelque sorte, semblable à elle- même. L’identité peut être individuelle ou collective. Quand on possède des éléments identitaires avec d’autres et lorsqu’on partage ces qualités (ou défauts) avec eux, on a une identité collective. Alors les référents comme religion, culture, ethnie, profession, etc.,

99Dans la tentative d’explication de l’ethnicité, cette théorie s’appuie sur des groupes ethniques utilisés

comme des instruments mobilisés pour la conquête des biens et du pouvoir politique. Cela favorise la solidarité des groupes ethniques instrumentaux créés et maintenus pour obtenir des avantages collectifs de l’ethnie. C’est le principal instrument des acteurs politiques en Afrique.

67

confèrent à un individu une identité101. De cette même façon, peut se créer une identité professionnelle ou une identité ethnique qui marque la différence avec d’autres ethnies. Dans cet ordre, il y a une relation entre ethnicité et identité culturelle, parce qu’il existe des catégories identitaires d’individus, telle que la religion, la culture ou la langue102.

Le phénomène ethnique n’est pas statique. L’ethnicité est un mouvement qui évolue et qui n’est jamais finalisé. Dans cette dynamique, l’ethnicité est un processus mis en mouvement par des forces extra-ethniques (discrimination, xénophobie, etc.) ou intra ethniques (idéologies ethniques), ou encore de défense ou de promotion des intérêts des groupes. Parce que l’ethnicité est dans un mouvement dynamique, elle confère à l’individu ou à la collectivité une identité dynamique103.

Ethnie et tribu

En RD Congo, les concepts d’ethnie et de tribu ne sont pas faciles à cerner et sont souvent utilisés l’un pour l’autre : « Parfois le mot tribu a été supplanté par celui d’ethnie plus large ou par celui de sous-ethnie »104. La notion d’ethnie a été redéfinie lors de la colonisation en Afrique : popularisé par les scientifiques allemands, le concept a quitté le domaine religieux pour prendre le sens de « non-civilisé » plutôt que de « non-chrétien ». Durant l’époque coloniale, les « ethnies » devinrent ensuite des « tribus », pour écarter l’idée d’« Ethnie-nation », notion réservée aux États occidentaux105. Après examen de diverses définitions, J-L. Amselle conclut que l’ethnie (ou la tribu au sens large) est l’équivalent d’un « État-nation » en Europe106. Pour Paul Mercier, les membres de

101 Jean Paul Mbuya, Identité, comportements scolaires et minorités. Une étude comparée des

performances scolaires des élèves immigrés originaires des Antilles et ceux d’Afrique subsaharienne dans les écoles secondaires du Québec, thèse, Laval, Université Laval, juin 2001, p. 77.

102 Ibidem, p. 84.

103 La démarche d’inculturation de l’Évangile s’inscrit dans une telle dynamique : l’Évangile interagit avec

une culture à laquelle il s’adapte tout en la transformant.

104 Xavier Bienvenu Kitsimbou, La démocratie et les réalités ethniques, p. 19. 105 Jean Baptiste Mbonabucya, Ethnicité et conflit ethnique, p. 43.

106 J. L. Amselle, « Ethnie », en ligne. Jean-Loup Amselle cité par Jean Baptiste Mbonabucya, Ethnicité et

l'ethnie descendent d'un ancêtre commun ayant une même origine, possédant une culture homogène et parlant une langue commune»107 .

Dans un sens plus restreint, lorsqu’on considère les espaces d'échanges, les espaces étatiques, politiques et guerriers, les espaces linguistiques ainsi que les espaces culturels et religieux, une tribu est plutôt un sous-ensemble de l’ethnie. Jean Mampouya considère que « la tribu est […] une structure anthropologique dynamique saisie non dans sa juxtaposition mécanique, mais dans sa connexité avec les autres formes d’organisation sociale telles que le lignage, le clan, l’ethnie, le peuple […]»108. Et l’auteur ajoute :

« […] en tant que groupe social, la tribu a sa psychologie : la psychologie tribale qui dans le vécu immédiat se traduit chez l’individu par un repli spontané dans son univers ; la psychologie tribale englobe tout un faisceau de sentiments, des émotions, des préjugés, des mythes, des traditions […]; elle est essentiellement subjective dans la mesure où l’individu place au centre de l’univers son propre groupe auquel il attribue de nombreux superlatifs»109 .

L’individu se trouve ici en rapport immédiat avec le milieu qui l’entoure, sa principale référence.

Le concept de « population » est différent de celui d’ethnie ou de tribu. Une population est un ensemble d'individus vivant en un lieu donné, d'une région, d'un pays, etc. Elle « inclut les éléments étrangers, immigrés, allogènes, en plus des autochtones et du peuplement, notion plus historique ou plus orientée vers la distribution spatiale »110. Quant au mot peuple, il s’applique à un ensemble de personnes « doté d'un minimum de communauté de vie ou de conscience »111 dans n'importe quel espace régional, tribal, ethnique, ou national.

107 Paul Mercier, cité par J. L. Amselle, « Ethnie », dans Encyclopeadia Universalis, idem, consulté en

ligne.

108 Jean Mampouya, Histoire critique de la démocratie au Congo, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 95. Cité par

Xavier Bienvenu Kitsimbou, Idem, p. 20.

109 Ibidem. 110 Ibidem. 111 Ibidem.

69

Compte tenu de ces observations, voici comment pourraient s’articuler les notions de tribu, d’ethnie et de population dans le schéma sociologique général des communautés africaines :

Individus → famille restreinte (famille nucléaire) → famille élargie (famille étendue, clan) → tribu (au sens strict) → ethnie (État, État-nation) → Population112.

L’harmonie a longtemps caractérisé la cohabitation des ethnies dans l’histoire de la RD Congo; mais aujourd’hui l’identité ethnique est au centre de toute la problématique conflictuelle qui secoue la vie politique congolaise. Une brève analyse de la situation apportera un éclairage sur l’origine et les causes des principaux conflits quasi cycliques dans le paysage politique et social, soit entre diverses ethnies, soit au sein de la même ethnie.