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Chapitre 4 : La société traditionnelle luba

4.1 Description de l’ethnie luba

4.1.1 Éléments historiques et situation géographique de l’ethnie des Baluba

Une synthèse historique nous permettra de comprendre et de situer les populations luba dont nous voulons décrire les pratiques. L’histoire de l’empire luba a été transmise en général de façon orale. En dehors des récits, différents chercheurs ont recueilli des

1 Le Rév. Pasteur W.F.P Burton est missionnaire protestant et le R. Père Tempels ont consacré leur vie

missionnaire auprès des Baluba dans le Nord de la province du Katanga. Le R.P. Colle, de la Congrégation des Pères Blancs en Afrique, et Mr E. Verhulpen, administrateur belge du territoire luba, y ont fait de longs séjours lors de différents services et missions.

2 Melville J. Herskovits, L’héritage du noir. Mythe et réalité, Paris, Présence africaine, 1962, p. 58. Leur

présentation personnelle de ces auteurs précise les aires géographiques où ils ont fait des investigations nécessaires.

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Théodore Theuws, Textes Luba, Centre d’Exécution des Programmes Sociaux Indigènes (CEPSI), Élisabethville, Imprimerie belge du Congo, 1955.

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renseignements et traditions afin d’établir l’histoire, les pratiques et la religion du peuple muluba.

a. Aspect géographique

L’aire géographique des Baluba s’étend de la rivière Kasaï au sud jusqu’au lac Tanganyika au nord de la province du Katanga. Les Baluba occupent aujourd’hui à peu près tout le Nord, donc plus de la moitié de la province, dans les territoires de Kabongo, Kamina, Kaniama, Bukama, Malemba, Manono, Kabalo, Nyunzu, et dans les territoires de Kalemie et Moba qu’ils partagent avec d’autres ethnies. C’est une vaste région qui s’étend sur le bassin supérieur du fleuve Lwalaba4 et ses grands affluents, dont la

Lubilanji, la Lomami, la Lovoi et la Lubudi.

La région des Baluba est caractérisée par un climat tropical dominé par deux saisons (la saison pluvieuse et la saison sèche), des conditions favorables, de vastes étendues de savanes herbeuses, des boisés et des forêts luxuriantes où vivent toutes sortes de troupeaux d’animaux. Les Baluba vivaient naturellement des produits de la chasse, des champs, de la pêche et d’élevage. Jadis, les productions étaient réservées à leur économie de substance, sans grand besoin de développer une économie de marché. Grâce à ces activités agricoles, l’actuelle région du Nord-Katanga nourrit plusieurs centres urbains ainsi que d’autres provinces du pays. À cause de tous ces intérêts traditionnels et économiques, la base foncière et les terres sont cependant la source de plusieurs conflits entre les communautés locales.

4 Dans la province du Katanga, le fleuve Congo est appelé Lwalaba, en son tronçon de la source jusqu’aux

chutes « des enfers », à la ville de Kongolo. Et de là jusqu’à l’océan Atlantique, il est connu sous le nom du fleuve Congo.

Fig. 2 Carte de quelques anciens empires et royaumes d’Afrique. Les pointillés illustrent les divers mouvements de migration des peuples africains, du nord au sud, jusqu’en Afrique du sud5.

Les Baluba (Luba) et les Arrund (Lunda) sont deux peuples des ethnies voisines. Leur cohabitation pacifique résulte surtout de la compénétration des habitants suite au mariage interethnique entre Kibinda Ilunga, un prince Muluba et Ruwej, la reine des Aruund.

5 « L’empire Luba, RD Congo, Afrique centrale, ‘’Kingdom of Africa’’ » dans Early civilizations of Africa.

http://randomhelpfulorcoolstuff.wikispaces.com/12.2+Kingdoms+of+West+Africa ( consulté le 17 juillet 2014).

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Repères historiques

L’origine des Baluba est bien lointaine. Suite à un courant de migration, différentes tribus se sont stabilisées et se sont organisées en entités politiques fortes6. Les populations luba vivaient par groupes familiaux ou claniques dont les chefs étaient les enfants aînés de ces clans, ou parfois d’autres membres qui avaient manifesté les qualités requises. Plusieurs clans pouvaient s’unir, soit par une alliance d’amitié, soit par le mariage, ou sous la contrainte de l’esclavage ; ils formaient alors un ou plusieurs villages avec des terres bien limitées. D’autres régions luba se constituaient par des conquêtes d’hommes envieux qui manipulaient et soumettaient les autres à leur pouvoir, s’accaparaient de leurs terres, et qui, d’ores et déjà, portaient le nom du chef fondateur du clan7.

Les Baluba sont donc des Bantu, venus dans les mouvements de migration. Ces contacts de migrations confirment des liens qu’ils ont avec d’autres ethnies bantu avec lesquelles ils partagent les mêmes cultures, religions et pratiques traditionnelles. Suite aux fréquents déplacements des Baluba8 et d’autres peuples bantu, leur culture est marquée par diverses similarités et plusieurs pratiques traditionnelles ont un caractère trans-ethnique.

Devant des vastes terres vides, les Baluba n’avaient aucune obligation de se fixer de façon permanente ou de chercher des terres propres à eux. Souvent en mouvement pour la chasse et la recherche de nouvelles terres à cultiver, ils logeaient dans des

6 Le phénomène apparut à la fin du courant de migration, une fois trouvé le sol fertile et l'asile sûr, les

communautés bantues se sédentarisaient: des formes de pouvoir s'y organisèrent et se consolidèrent; ainsi commença l’organisation des dynasties, et des royaumes se créèrent parfois avec une allure nettement despotique. Voir Oscar Libotte, « Les anciennes monarchies congolaises », dans Histoire du Congo belge

vue par les coloniaux, UROME (Union belge des royaumes d’outremer) [s.d.] http://www.urome.be

(consulté le 22 juillet 2014).

7 Pour cette raison, on pouvait parler des « bene Umpafu », « bene Kabongo », « bene Lwalaba », comme il

en est de « Ben Israël ». Le terme bene marque l’origine ou l’appartenance à un chef, à un parent, soit à un lieu comme rivière, colline, arbre, etc. : Les « bene Kabongo », ceux du chef Kabongo, ou « bene

Lwalaba », ceux du long du fleuve Lwalaba.

8 Suite aux mouvements de migration et des fréquents déplacements, Baluba sont supposés comme hommes

perdus. Ce nom vient du verbe kuluba se perdre. Les Baluba sont considérés comme le peuple dont l’ancêtre fondateur était un chasseur égaré et qui s’est uni en mariage avec Bulanda, une fille de la dynastie de Kongolo.

habitations précaires et ne restaient pas longtemps sur un même endroit9, jusqu’à ce que les conditions soient favorables à leur sédentarisation.

Les Baluba se disent descendants d’ancêtres Kongolo, originaires de l’Ouest, d’une part, et Kankenda (Mbidi Kiluwe10), venus de la région Est, d’autre part. C’est donc un peuple issu de « l’union de l’Ouest et de l’Est, l’union de la femme agriculteur (sic) et de l’homme chasseur, l’union des qualités d’astuces (Kongolo) et des qualités de courage (Kalala), l’union du sang royal […] et de la puissance [guerrière]» 11. Ils sont donc un peuple « multiethnique » et un mélange d’envahisseurs (Basonge, Bakunda, Bakalanga, etc.) et d’anciennes populations12 trouvées dans l’actuel « pays des Baluba ».

Les qualités des différents ancêtres ont permis à leur descendance de fonder une dynastie entreprenante, envahissante, mais qui a pu conserver la cohésion sociale malgré les fréquentes migrations. Cette cohésion concerne les Baluba entre eux aussi bien qu’avec d’autres populations voisines ou conquises.

La saga des Baluba commence lorsque, de l’union de Bulanda, la sœur de Kongolo, et de Kankenda, chasseur venu de l’Est, naquit un fils, Kalala Ilunga13. Leurs descendants se partagèrent cette région et certains émigrèrent dans différentes directions, par conquête, dispersion et implantation des noyaux baluba dans des régions lointaines. Le R .P. Colle confirme que toute cette région « était encore dans les dernières années du XIXe siècle, sous l’autorité des sultans bena-Baluba de la famille de Kongolo- Mwamba »14. Cela explique suffisamment le respect avec lequel les Baluba tiennent au système d’héritage pour la succession de leurs chefs et pourquoi la violation de ce droit est source de plusieurs conflits coutumiers.

9 Jean Sauvy, Katanga. 50 ans décisifs, Paris, Société continentale d'éditions modernes illustrées, coll. Connaissance de l’Afrique, 1961, p. 71-77.

10 Le nom Kiluwe, chasseur, indique que l’étranger venu du Nord était chasseur et le terme Mbidi dénote la

noirceur de son teint.

11 Jean Sauvy, Katanga. 50 ans décisifs, p. 77.

12 Edmond Verhulpen, Baluba et Balubaïsés du Katanga, Anvers, éditions de L’Avenir belge, 1936, p. 9.

L’auteur mentionne ici le mariage d’un homme Mukunda et d’une femme Songe pour donner naissance aux peuples connus aujourd’hui comme Baluba et Balubaïsés.

13 Le nom de Kalala est donné à celui qui montre le courage, la force, donc un conquérant. 14 R.P. Colle, Les Baluba (Congo Belge), T.1, coll. ‘’Sociologie descriptive’’, Bruxelles, Institut

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Les populations voisines présentent plusieurs similitudes culturelles avec les Baluba et parlent des langues assez similaires. Les grandes zones territoriales luba sont occupées par ceux que l’on pourrait appeler respectivement des « Baluba de souche » et par des « descendants Baluba », issus des fils Baluba dans la dispersion de l’ethnie. Dans ses analyses, E. Verhulpen les a appelés « Baluba et Balubaïsés »15 pour décrire les peuples baluba en Afrique centrale. Les échanges économiques des Baluba avec leurs voisins étaient généralement locaux et peu développés. Ils faisaient surtout une sorte de troc des produits et des denrées de première nécessité : sel, croisettes de cuivre, fils de palmier, coquillage, colliers, etc. : « Les Baluba installés dans le Urua16 allaient porter des houes fabriquées par leurs forgerons chez les voisins du nord où ils pouvaient se procurer en contrepartie de l’huile de palme ou des fibres de palmiers pour fabriquer les tissus » 17.