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Chapitre 5 : Une enquête sur les processus et rites de réconciliation dans la société

5.2 Analyse et interprétation des données : synthèse des réponses

5.2.3 Groupe des gestionnaires politiques

Le troisième groupe était constitué de gestionnaires politiques. Avec eux, nous voulions comprendre l’intérêt et l’implication du politicien dans le processus de réconciliation dans le passé, aujourd’hui et d’en évaluer l’avenir. Ils ont été approchés pour étudier la possibilité d’actualiser le processus traditionnel luba de réconciliation et de l’étendre à d’autres ethnies de la RD Congo.

a. Situation ancienne du processus de réconciliation selon les acteurs politiques

L’opinion des responsables politiques rejoint celle des autres groupes interrogés. Le processus de réconciliation était le seul mode de résolution des conflits dans les villages. L’ensemble de la population vivait au village, et ces pratiques étaient courantes dans ces milieux locaux. Les gens les connaissaient, s’en souvenaient et les utilisaient dans leur vie quotidienne.

Dans les milieux ruraux, la plupart de conflits étaient de nature traditionnelle (lutte de terre, héritage, etc.). Le processus de réconciliation suivait les mêmes démarches traditionnelles pour les résoudre. Les conflits se déclenchaient aux mêmes niveaux et avaient presque les mêmes causes.

La concentration des populations, essentiellement à base tribale, était également la cause de certains différends entre communautés (C1-1). En effet, les ethnies avaient des limites géographiques traditionnelles qui excluaient toute expropriation de leurs terres.

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Toutefois, la restauration des relations ethniques suivait elle aussi le mode de fonctionnement du processus traditionnel de réconciliation.

b. Situation actuelle du processus de réconciliation

Pour certains répondants politiciens, le processus actuel de réconciliation n’a pas officiellement réussi ses démarches. Il est difficile d’envisager pour le moment la réconciliation pendant que les guerres font encore des victimes. Parce que les protagonistes continuent de faire la guerre pour accéder au pouvoir, il faut plutôt parvenir à un consensus entre eux. Ils veulent s’assurer du partage des richesses, du pouvoir et des intérêts matériels (C1-2). On ne peut parvenir à la réconciliation des communautés ethniques que lorsqu’il y a satisfaction des intérêts privés de ces acteurs politiques. Ces ambitions poussent parfois les protagonistes à vouloir terminer les conflits par la guerre, en attendant que par la suite vienne le moment de faire la réconciliation comme l’indique ce politicien: « À certain moment, la solution militaire réussit à dompter les faibles » (C1- 1).

En 2002, des tentatives de dialogue et de réconciliation ont été faites après les négociations de Sun city. Dans cet effort, les Congolais s’étaient réconciliés à l’Assemblée nationale, ancien Parlement de la RD Congo. Le pasteur Daniel Ngoy Mulunda20, chargé du Comité de réconciliation, avait amené les députés nationaux à se laver les mains, un rituel symbolique de purification et de pardon mutuel. Les responsables politiques s’étaient mutuellement demandés pardon pour que la grâce de Dieu soit dans le pays. Cela montre que les acteurs politiques ont encore besoin de l’orientation de Dieu. Ce geste avait renforcé pour un temps les relations des adversaires (A3-2).

20 Le pasteur Ngoy Mulunda, est ancien président de la Commission Électorale Nationale Indépendante

(CENI) pour l’organisation et la supervision des élections de la RD Congo. Il avait initié un rituel de se laver les mains pour la réconciliation de l’ensemble des députés du pays. À partir de son OGN, le PAREC (Parti de la réconciliation), il avait aussi racheté les armes cachées dans la population en raison de presque $ 100 US par arme, puis a encouragé les démarches pour la réconciliation nationale.

Le succès de cette tentative fut mitigé. Sans aucun processus de réconciliation structuré au préalable, le recours au rituel de purification n’avait eu aucun impact durable sur les relations des protagonistes. La réconciliation est un processus constitué des étapes obligatoires, telle que la reconnaissance des torts, la confession, la demande de pardon, la réparation, etc. que la purification lustrale des mains ne peut pas résoudre. Même s’ils s’étaient lavés les mains, certains politiciens se nourrissaient toujours dans le cœur des intentions cachées de continuer la guerre pour accéder au pouvoir.

En général, dans les démarches de la réconciliation, un processus fiable devrait commencer par la prise de conscience des conflits, la détermination des causes et l’établissement des responsabilités, etc. Ensuite, il revient aux participants de reconnaître les torts faits aux autres, de faire la confession et une demande mutuelle de pardon, et si possible de s’engager à la réparation et à l’indemnisation des victimes.

Malheureusement, de nos jours, ces démarches ne s’attaquent pas efficacement aux causes profondes des conflits, telles que la propriété de terres, le partage des biens publics, la bonne gouvernance et la justice sociale. Souvent les acteurs politiques privilégient une sorte de diplomatie pleine d’astuces pour calmer et sauvegarder la paix sans résoudre les problèmes.

La recherche des intérêts privés est encore visible chez plusieurs acteurs politiques aujourd’hui. En faisant de la récupération politique des conflits, ils garantissent considérablement leurs avantages matériels et sociaux (B3-1) : « Conquérir le pouvoir est un privilège réservé au groupe d’individus et leurs ethnies. Il manque chez eux la vision nationale qui garantit les intérêts du pays. Leur terme de référence s’oppose à la notion du développement intégré d’une société dans la cohésion sociale et la solidarité communautaire» (B3-1).

c. L’avenir de la situation du processus de réconciliation

Les politiciens estiment que les méthodes traditionnelles de résolution des conflits sont acceptables et apportent une innovation lorsqu’elles sont intégrées au processus

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actuel. La plupart d’entre elles (respect mutuel, souci de l’intérêt général de la communauté, logique de partage, importance de faire les aveux et d’exprimer la vérité) ne sont pas en contradiction avec les modèles contemporains.

Pour certains, les pratiques traditionnelles doivent plutôt se moderniser (C1-2). Ainsi les pratiques culturelles peuvent-elles changer, se renouveler et s’enrichir des sciences modernes, tel que la sociologie et autres (C2-4). Le succès de la réconciliation dépend largement de bons modèles utilisés, et non pas de la grandeur des rites.

Nos interlocuteurs reconnaissent l’impact de l’Église sur la vie des populations. L’Église continuera d’influencer plusieurs décisions et de jouer efficacement son rôle de médiatrice et de réconciliatrice21. En RD Congo, l’Église est fréquemment sollicitée par les acteurs issus de toutes les tendances politiques du pays. Ils savent qu’avec l’Église, ils peuvent faire passer leurs messages, et même gagner des élections. L’Église est actuellement le lieu où tous se rencontrent sans rejet des uns ni des autres. Lorsque les individus privilégient des positions controversées, l’Église reste « une », prête à rassembler les populations en conflit.

Il faudrait donc développer chez les politiciens la logique de la recherche du bien- être communautaire, avec l’abandon des actes criminels, la cessation de l’idée de la belligérance et l’arrêt de « l’institutionnalisation » des violences comme moyens de parvenir au pouvoir et aux richesses du pays.