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Chapitre 3 : Problématique et méthode de la thèse

3.2 Exemple des efforts de réconciliation dans la société traditionnelle luba

3.2.4 Les principaux conflits et leurs causes dans la société traditionnelle luba

Dans cette étude, nous nous appuyons sur les recherches faites par le service du Programme de Consolidation de la Paix (PCP)113 et Manifestation Socio-économique des conflits dans la province du Katanga. Ces données ont été confirmées par les témoignages recueillis au cours des entrevues faites sur le terrain auprès des Baluba du Katanga.

Selon l’étude de la MONUSCO114, les conflits se regroupent en conflits fonciers, conflits coutumiers, conflits liés au contrôle et à l’exploitation des ressources naturelles et

112 Dans cette composition de l’ethnie, il existe des réalités sociologiques plus restreintes et plus délimitées,

fondées sur la parenté et le lignage, subdivisions hiérarchisées que nous établirons particulièrement pour l’ethnie des Baluba.

113 Sur demande du Gouvernement de la RDC et suite à l’adoption de la Résolution 1925 du Conseil de

Sécurité, les Nations Unies et la Banque Mondiale ont conjointement initié (en 2007) la formulation d’un Programme de Consolidation de la Paix (PCP) pour les zones non couvertes par le programme de Stabilisation et Reconstruction des zones sortant des conflits armés (STAREC). La conception du programme a été discutée avec le Ministre du plan [28 septembre], avec le Premier Ministre [16 novembre], avec le Ministre de la Coopération Internationale [25 novembre], et présentée aux donateurs [17 Novembre]. Ces données manquent la mention d’édition et sont conservées à la Division provinciale du Plan.

114 Le programme de consolidation de la paix répond à un besoin reconnu par les partenaires techniques et

financiers qui ont réaffirmé, au cours d’une retraite des Chefs de Coopération et des Ambassadeurs le 1er

des conflits liés aux rivalités ethno-politiques. À ces différentes catégories nous pouvons ajouter les conflits qui surgissent au sein des familles et des Églises.

Les conflits fonciers

Les causes des conflits de propriété viennent de diverses sources, mais presque la moitié sont des conflits fonciers déférés devant les juridictions: contestation des dossiers relatifs aux conflits parcellaires, spoliation d’immeubles et de titres de propriété foncière, vente illicite d’immeubles, occupation illégale d’un fonds sans titre ni droit, faux et usage des faux, déplacements des limites, violation de domiciles, contestations lors du partage lors d’héritage, etc. Les conflits fonciers ont des conséquences socioéconomiques graves dans la vie de la société luba.

Les conflits coutumiers115

Cette étude a identifié des conflits coutumiers liés à la contestation du chef de chefferie en fonction ou à sa destitution, à sa succession à ce poste au moment de la vacance du trône, à la contestation du chef désigné, etc. Lorsqu’ils dégénèrent en conflits armés, les conflits coutumiers ont des conséquences socioéconomiques néfastes sur les hommes et les femmes, tel que: déplacement des populations, séparation des enfants de leurs parents, violations des droits humains (meurtre, assassinat, traitement inhumain et dégradant, incarcération illégales, séquestration des biens et des personnes, etc.), violences sexuelles, insécurité alimentaire, malnutrition, hausse de prix des denrées alimentaires, persistance des groupes armés non démobilisés alimentés par différents chefs coutumiers et recrutement des enfants dans les groupes armés.

Chaque vague de guerre institue ses Chefs ; ainsi le cycle des conflits devient répétitif. La frustration des chefs destitués devient la principale cause de fréquents conflits. Depuis le temps des mouvements de migration vers le XVe S., les premiers chefs

décentralisation. Les conflits et leurs causes sont confirmés par nos interlocuteurs dans nos recherches de terrain faites dans le milieu.

115 Ces données sont recueillies et organisées par Mbuya Lubanzé Popopo, Chef de Division Provinciale du

Plan, province du Katanga, RDC. Il est originaire de l’ethnie luba du Katanga. Entrevue faite à son bureau, Lubumbashi, le 05 juillet 2011.

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furent des pygmées, autochtones de l’Afrique centrale. La seconde vague commence avec les chefs issus de la dynastie de Mbidi Kiluwe, fondateur de l’empire luba. Lors de la traite des esclaves au XVIIIe siècle, les Arabes avaient institué d’autres chefs. Tandis qu’avec la colonisation, les chefs insoumis étaient immédiatement remplacés par d’autres, placés comme des « Capita » (surveillants) avec responsabilité de représenter l’administration coloniale. En 1960, lors de l’indépendance, le parti politique Balubakat a installé et remis dans leur droit les chefs remplacés par les colonisateurs. Pendant le régime du parti unique de Mobutu, certains chefs se sont vus intronisés par le parti unique, Mouvement Populaire de la révolution (MPR); au changement du régime, certains chefs ont repris leurs droits avec l’arrivée de l’AFDL de L.D. Kabila ou avec complicité de certaines forces rebelles, telle que les Maï maï116.

Dans cette catégorie des conflits coutumiers, nous incluons aussi les conflits des terres et des chaînons de pêche autour des lacs et le long du fleuve. Ces conflits éclatent entre des individus ou entre des chefs de Chefferies ou des villages, encouragés parfois par l’autorité administrative de l’entité. Lors de la succession au chef du village, chaque personne connaît les limites de ses terres.

Les conflits liés aux rivalités ethno-politiques

La province du Katanga a connu des conflits interethniques alimentés par les rivalités politiques. En 1990, certaines ethnies originaires de la province du Kasai étaient expulsées du Katanga. En outre, la région des Baluba étant enclavée, les rivalités permanentes naissent encore entre le Sud et le Nord, créant des tensions entre les ethnies. Bien qu’un calme relatif soit revenu actuellement dans la province, ces conflits pourraient encore ressurgir à tout moment, surtout quand on tend vers les échéances électorales.

116 Le terme Maï maï vient du mot maï (maji) qui signifie eau en Kiswahili, langue parlée dans certaines

provinces du Congo et en Tanzanie, au Burundi, au Rwanda, en Ouganda et au Kenya. Ce mot est utilisé comme slogan « maï maï » pour dire que les combattants sont invulnérables et les balles tirées tombent comme de l’eau sans percer les corps suite aux fétiches. Le cri-slogan est souvent lancé par des milices en attaque armée; ces jours, il s’agit surtout des groupes d’autodéfense population initiés par L. D. Kabila pour défense les intérêts de la population locale. Certains règlements de compte ont été perpétrés de façon coutumière ou à la manière du village.

Certains hommes politiques entretiennent parfois des milices prêtes à intervenir dans les combats.

Nous retenons donc que les conflits liés aux rivalités ethno-politiques se manifestent au sein de l’ethnie ou dans des affrontements interethniques, souvent avec spoliation des biens, appauvrissement ou expulsion des populations, discrimination pour l’accès au pouvoir et aux avantages sociaux.

Les conflits familiaux

Les conflits familiaux naissent entre les conjoints ou entre les membres d’une même famille ou d’un même clan. Nous avons récolté de nombreuses données à ce sujet au cours de nos entrevues de terrain. Les conflits les plus fréquents sont l’adultère, le vol, la succession parentale et le partage des biens de la famille.

Les Baluba recherchent la santé seine et la vie forte. Ils se méfient de ceux qui diminuent la force vitale. Les sorciers sont ainsi mal considérés en famille. La mort d’une personne n’est pas acceptée et devient souvent une source de conflits familiaux.

Les conflits des Églises

L’ensemble de la région des Baluba a été évangélisée par diverses Églises missionnaires pendant la période coloniale. Après l’indépendance, la succession au sein des églises est devenue sujet des conflits permanents lors des changements de responsables, peut-être sous l’influence de la tradition privilégiant l’héritage.

3.2.5 Quelques exemples du processus ritualisé de réconciliation chez les Baluba

Comme de nombreux peuples Bantu, les Baluba de la RD Congo avaient des moyens pour résoudre la plupart de ces types de conflits, en s’appuyant notamment sur des croyances religieuses communes117. Les premières entrevues faites avec les anciens de la société luba révèlent que ces pratiques traditionnelles de réconciliation réussissaient

117 Entrevue avec Kasongo Ilunga B, une personne âgée, originaire de l’ethnie luba (âge approximatif de 99

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généralement assez bien. Le processus respectait les éléments essentiels pour un rétablissement de relations adéquates dans la société; il misait sur la présence et la participation de toutes les parties concernées, principalement les offenseurs et les victimes, et sur la nécessité pour chacun de dire la vérité en toute franchise. Il pouvait s’appliquer à la réconciliation entre des individus d’une même famille, d’un clan, de villages ou de groupes sociaux au sein d’une ethnie et, jusqu’à un certain point, à la résolution de conflits interethniques. Dans plusieurs cas étudiés, le processus de la réconciliation est similaire et les démarches suivent une même dynamique. Nous reviendrons plus loin sur les différentes étapes conduisant à une solution acceptable par les deux parties devant la communauté, supportée par les vivants et les morts comme témoins. Il arrive que la réconciliation ne concerne pas seulement les vivants. Un conflit qui avait eu lieu avec un membre de famille avant sa mort, peut trouver solution, même après la mort de ce dernier118. Le défunt est représenté par les membres vivants pour harmoniser les relations restées tendues.

Voici deux exemples qui illustrent la résolution de conflits selon ce processus traditionnel. La rivière Lubilanji forme une frontière naturelle entre la province du Katanga et celle du Kassaï Orientale. Depuis la mission par les Baluba au-delà de cette rivière119, des conflits meurtriers opposaient les Baluba et les Lulwa, deux ethnies en mal de cohabitation. Les Baluba, venus dans une expédition de guerre, avaient traversé la rivière pour lutter contre les ethnies voisines, particulièrement les Lulwa, qui faisaient des incursions dans leur territoire. Les Baluba ont alors été considérés par les populations lulwa comme envahisseurs, des étrangers originaires de la région des Baluba du Katanga. Ces conflits ont été à la base de la création de la sécession du Sud-Kasaï. Mutamba Makombo présente comme suit ce récit d’une réconciliation ethnique réussie depuis 1961120.

118 Professeur Kajoba Kilimbo Kipai, Université méthodiste au Katanga, entrevue faite à Mulungwishi, le

07 janvier 2013.

119Cette histoire est racontée par Ngoy Ntambo Lulu, chef coutumier de la chefferie Munza, Kabongo. Il est

de la 10ème génération depuis cette expédition, dit-il dans une entrevue faite à Kamina. Voir aussi Albert Kalonji Ditunga Mulopwe, Congo 1960 : La sécession du Sud-Kasaï. La vérité du Mulopwe, p. 13.

Les problèmes des terres opposèrent les Baluba et les Lulwa : les violences, assassinats et vengeances firent plusieurs victimes. Les fréquentes missions de réconciliation ne rétablirent pas une paix durable. À l’issue de plusieurs consultations et médiations, la réconciliation n’est intervenue qu’en 1961. Un pacte d’amitié et de non- agression fut conclu entre les chefs coutumiers conformément au processus traditionnel. L’union fut scellée par une cérémonie dite « kutua ndondo » (déclarer un aveu). Le rite exige de tuer un chien à coup de pieds. Les chefs réconciliés ont partagé et mangé sa chair, symbole extérieur de l’union. Par le sang du chien, on a juré et promis de ne jamais faire la guerre. En raison de sa conformité au rituel traditionnel, ce pacte est respecté jusqu’aujourd’hui; personne ne peut le transgresser sous peine de malédiction de mort, dit un chef coutumier :

« Il est possible de puiser dans nos traditions certaines règles pratiques applicables dans la vie politique moderne. J’en suis aussi convaincu. Vous en avez la preuve avec ce pacte : il vaut plus qu’un traité et pourtant aucun papier n’a été signé et tous les individus, chefs ou non, se sentent liés par ce pacte, de père en fils et de génération en génération. Telle est la force de notre culture. Elle mérite d’être mise en valeur » 121.

Dans la tradition africaine, le respect pour le chef, l'obéissance à ses ordres sont obligatoires. Ce qui maintient son prestige, c'est l’idée mystique qu’il représente des esprits et des puissances divines et « que le peuple vit par lui comme le corps vit par la tête »122.

Un second cas est celui des démarches de réconciliation menées en 2003 sous la médiation de l’Église. Ces démarches concernaient la réconciliation entre les troupes militaires loyales et les factions armées « Maï maï », à Kamina au Nord de la province du Katanga. Dans ce processus, on choisit Mgr Ntambo Nkulu Ntanda, évêque de l’Église Méthodiste Unie comme médiateur. Les deux parties sont parvenues à un accord et l’ont

121 Mutamba Makombo, J.M.K, « Congo-Kinshasa: la fin du conflit Lulwa-Luba (1961), tiré de l’histoire

du Congo par les textes », dans Albert Kalonji Ditunga Mulopwe, Congo 1960. La sécession du Sud Kasaï.

La vérité du Mulopwe, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 53-84.

http://books.google.ca/books?id=CFSzu72DIfUC&pg=PA64&lpg=PA64&dq=rivi%C3%A8re%2BLubilan ji&source=bl&ots=QCJBLOXwRl&sig=We873ch3q2Ii5ip3UOgf99WE0Ho&hl=fr&sa=X&ei=Jh-

eUcXtEImQ0QHo5IG4Cg&ved=0CGEQ6AEwCA#v=onepage&q=rivi%C3%A8re%2BLubilanji&f=false

122 Henri A. Junod, Moeurs et coutumes bantous. La vie d’une tribu sud-africaine, Tome 1 : Vie Sociale,

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respecté. Cela montre la crédibilité de l’Église et le rôle qu’elle peut jouer dans la résolution des conflits en RD Congo, un pays où la religion a un impact dans la vie des populations.