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Chapitre 4 : La société traditionnelle luba

4.2 Religion traditionnelle luba

4.2.1 Définition des concepts de religion et de tradition

Pour définir le concept de religion africaine, nous nous référons à Mulago gwa Cikala qui a analysé la religion négro-africaine des Bantu. Nous verrons ensuite en quoi cette religion est dite traditionnelle. Cela nous permettra de déterminer s’il est possible de parler de la religion en Afrique et particulièrement d’une religion traditionnelle chez Baluba.

a. Le concept de religion

Dans ses travaux, Mulago écarte une définition étymologique qui rattacherait simplement le concept de «religion», soit au verbe relegere (« relire », « revoir avec soin »), ou au verbe religere (« recueillir », « rassembler ») ou encore au verbe religare (« relier »)53. Cette stratégie épistémologique lui a évité d’omettre la connotation culturelle africaine du concept. La simple définition étymologique n’est qu’une définition nominale, dit-il. Dans ce contexte, elle se limite à expliquer ce que signifie le mot, sans tenir compte de son environnement culturel. Mulago évite aussi de faire une définition fonctionnelle qui réduirait le concept de « religion » à un simple phénomène ou système social parmi tant d’autres.

Sa définition descriptive de la religion « présuppose la position préalable de l’existence de son objet comme un déjà-là dont elle présente les traits essentiels […] qu’il se propose de décrire en tenant compte de son environnement socio-culturel » 54. Cette description large et générale permet de donner de la « religion traditionnelle des Bantu » une définition différente de celle donnée à la religion occidentale.

En ce qui concerne la religion au sens occidental, Mulago adopte la définition de Lalande. Celui-ci définit la religion comme

« Une institution sociale caractérisée par l’existence d’une communauté d’individus unis :

53 Djongongele Otshudi, «La notion de Religion dans l’œuvre de Vincent MULANGO », Cahiers des Religions Africaines, vol. 25-26, no 49-52, 1992, p. 71.

- par l’accomplissement de certains rites réguliers et par l’adoption de certaines formules,

- par une croyance en une valeur absolue, avec laquelle rien ne peut être mis en balance, croyance que cette communauté a pour objet de maintenir,

- par la mise en rapport de l’individu avec une puissance spirituelle supérieure à l’homme, puissance conçue soit comme diffuse, soit comme multiple, soit enfin comme unique, Dieu » 55.

Dans ce sens, la religion est présentée avant tout comme une « institution sociale », ce qui rattache implicitement la notion de « religion » à celle d’« Église ». Une institution implique obligatoirement l’idée d’une organisation structurée, perceptible et reconnue comme telle par la société, à travers les lois et les coutumes (rites, formules) par tous les individus qui se réclament de cette organisation en vertu de leur croyance en un Être Suprême.

Pour Mulago, il faut quelques précisions relatives à la culture bantu pour que cette définition soit appliquée à la « religion traditionnelle » de ce groupe. Dans la conception bantu, Mulago décrit la religion comme

« L’ensemble culturel des idées, sentiments et rites basé sur :

- la croyance en deux mondes, un visible et un invisible ;

- la croyance au caractère communautaire et hiérarchique de ces deux mondes;

- l’interaction entre les deux mondes, et dont la transcendance du monde invisible n’entrave pas son immanence;

- la croyance en un Être Suprême, créateur de Père et tout ce qui existe »56.

55 Mulago gwa Cikala M., La religion traditionnelle des Bantu, p. 13. 56 Ibidem.

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À ce niveau, la religion traditionnelle n’est donc pas présentée comme une « institution », une « Église institutionnalisée », mais plutôt comme un déjà-là, vécu collectif et communautaire. C’est la vie même des Bantu qui constitue leur religion. Pour un muntu, toute sa vie est une religion et sa religion est une philosophie57; c’est donc sa façon de penser. La religion s’entremêle avec la vie de chaque jour. Chez les Bantu, la religion exclut donc la notion d’adhésion libre; la vie est toujours et déjà une religion. En quelque sorte on naît déjà religieux. Il n’y a pas de choix à faire entre l’adhésion et le refus d’adhésion. Et la vie de toute la communauté s’inscrit dans la même logique religieuse sans avoir de lien avec la notion d’Église.

Tshamalenge va dans le même sens. Pour lui, « la religion profonde des Africains est une religion sans Église »58, et sans garde-fou magistériel pour leur foi59. La religion traditionnelle des Bantu ne connaît pas d’institutionnalisation à la manière occidentale : « Les Africains traditionnels avaient une ‘religion’, mais non une ‘Église’, ils avaient une ‘foi’, mais non un ‘magistère’, ils avaient des ‘foyers’, mais non des ‘couvents’ ou ‘des paroisses’ »60. Il y a cependant des êtres spirituels intermédiaires entre Dieu et les hommes (ancêtres et héros) avec lesquels les bantu ont des liens. L’auteur rejette les allégations que la religion soit animiste, fétichiste ou magique, et que les Africains adorent des amulettes; il considère les talismans comme l’équivalent des médailles et des reliques chrétiennes.

La religion des Bantu a un caractère communautaire. Le muntu vit sa dimension religieuse, non individuellement, mais socialement ; il n’y a pas de religion privée. La religion traditionnelle des bantu ne se limite pas à la croyance en l’Être Suprême, mais inclus aussi la croyance aux ancêtres, aux esprits et agents du monde invisible.

57 Le Muntu, au pluriel bantu, signifie un homme générique. La racine ntu se rapporte à ce qui est humain.

Les Baluba conçoivent l’homme « muntu » comme un être-force, une existence dynamique. Cette force est l’être-même, physique, spirituelle, morale et existentielle à la fois. C’est pourquoi lorsqu’on parle de Bu-

muntu, il ne s’agit pas seulement de la force physique, mais cela implique essentiellement l’intelligence et

les qualités morales. Voir J.V. Van Waelvelde, « Religion et autonomie », Centre d’étude des Problèmes

Sociaux Indigènes (CEPSI), n° 70, (septembre 1965), p. 18.

58 Tshamalenga Ntumba, « Mythe et religion en Afrique », in CRA, vol.18, no 36, Kinshasa, 1984, p. 189,

cité par Djongongele Otshudi, « La notion de Religion… », p. 74.

59 Ibidem. 60 Ibidem, p. 75.

b. Le concept de tradition

Le concept « tradition », en latin traditio, signifie « acte de transmettre ». Il vient du verbe tradere, « faire passer ou remettre à un autre ». L’étymologie traduit mieux la tradition comme une « transmission de faits historiques, de doctrines religieuses, de légendes, d'âge en âge par voie orale et sans preuve authentique et écrite»61. Toutefois, dans son caractère dynamique, la tradition ne pourrait se contenter seulement de conserver ni de transmettre dans le même état les acquis anciens et les éléments de la culture ; mais « elle intègre au cours de l’histoire, des existants nouveaux en les adaptant à des existants anciens62. À la manière des éléments de la technique traditionnelle de la

pierre taillée, les cultures se sont édifiées sur les valeurs qu’elles ont transmises de façon créative à cause de leur utilité sociale et économiques63.

Dans le contexte des Baluba, la tradition est donc un ensemble d’éléments culturels transmis de génération en génération et adaptés à l’utilisation courante. Elle permet aux vivants de communiquer avec les défunts. Elle véhicule la parole des ancêtres à travers des prières, des offrandes, des sacrifices et des mythes. Pour cette raison, la tradition exerce un pouvoir sur les vivants auxquels elle relaie la volonté et les prescriptions des ancêtres ; elle génère chez eux une sorte d’intuition qu’il faut s’appuyer sur ces ancêtres et agir selon leurs directives. La foi et le comportement religieux incitent ainsi à la conformité sociale en lui fournissant une justification supérieure.