• Aucun résultat trouvé

Viser le plein emploi et construire les nouvelles sécurités professionnelles

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 152-157)

La politique de l’emploi en France au cours des dernières décennies s’est structurée autour de deux grands axes.

Le premier axe a été la baisse du coût du travail, avec la réduction des cotisations sociales sur les bas salaires puis, depuis 2013, le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Justifiée par la nécessité de combiner soutien de l’emploi et maintien d’une rémunération nette minimale du travail relativement élevée, cette politique a été poursuivie par tous les gouvernements depuis vingt ans parce qu’elle permettait de créer ou préserver des emplois de faible qualification. Mais elle est à la fois coûteuse (2,5 points de PIB une fois que le Pacte de responsabilité aura été mis en œuvre) et discutée, d’autant qu’elle s’additionne à d’autres dispositifs de soutien de l’emploi eux aussi onéreux.

Le soutien à l’emploi des salariés les moins qualifiés restera nécessaire au moins tant que nous ne serons pas parvenus à améliorer significativement les performances du système éducatif. Mais à moyen terme, la politique de l’emploi ne pourra pas continuer de recourir toujours plus aux finances publiques. Le volume de dépense qui y est consacré est l’expression d’une solidarité nécessaire, mais il n’est pas continument extensible.

Le deuxième axe a été la recherche d’un modèle de « flexisécurité à la française », qui s’est élaboré plus tardivement et se situe aujourd’hui au milieu du gué, parce qu’un ensemble de dispositifs ont été introduits par la négociation ou par la loi, mais qu’ils n’ont pas encore acquis assez de maturité pour faire système et changer les comportements. Il convient maintenant de faire aboutir ce modèle en devenir afin que ses règles soient comprises de

tous et que les principes affirmés débouchent sur des droits effectivement mobilisables au long des parcours professionnels.

Dans le même temps, il faut viser une amélioration de la qualité du travail, qui est la condition d’une relation au travail plus positive et épanouissante et d’une performance accrue.

Pour cela, quatre orientations de moyen terme sont proposées :

Prolonger le Pacte de responsabilité en mettant en place un barème de cotisations employeur progressif

Les réductions de cotisations sociales sur les bas salaires ont pour but de concilier un niveau de SMIC net suffisamment rémunérateur pour les salariés et un niveau de coût de travail suffisamment favorable à l’emploi des moins qualifiés. Leur extension par le biais du CICE à des niveaux de rémunération plus éloignés du minimum, dans un contexte où les salaires sont restés globalement dynamiques malgré la crise, a cherché à répondre au souci de redresser une compétitivité fortement dégradée. Le Pacte de responsabilité prolonge cette logique dans ses deux dimensions : pour les bas salaires, avec une diminution des cotisations patronales sur les salaires allant jusqu’à 1,6 SMIC, puis pour le soutien à la compétitivité à partir de 2016 par une diminution équivalente pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 SMIC.

Dans l’immédiat, cette orientation répond aux défis de l’économie française en termes de développement de l’emploi et de renforcement de la compétitivité. Pour le plus long terme cependant, il importe de distinguer entre deux grands types de situations :

 au niveau du SMIC ou un peu au-dessus, les allégements de cotisations traduisent un choix social visant à concilier emploi et revenu des moins qualifiés. À SMIC brut donné, l’abaissement du coût du travail qui en résulte est une incitation à l’embauche. On peut évidemment discuter les effets dynamiques des allégements sur les choix technologiques et le positionnement en gamme des entreprises, mais leur impact direct est sans ambiguïté favorable à l’emploi. Il importe qu’ils soient perçus comme pérennes par les entreprises, car c’est la condition de leur efficacité ;

 au voisinage et surtout au-delà du salaire médian, les réductions de cotisations touchent une main-d’œuvre dont le taux de chômage est plus faible et qui dispose donc d’un pouvoir de négociation plus élevé. Ce rapport de forces favorise des augmentations de salaire plutôt que l’emploi, et peut conduire à ce que l’effort budgétaire consenti ait peu d’effets durables sur la compétitivité. À moyen terme, salaires et coûts devraient donc se fixer à leurs niveaux d’équilibre, sans qu’il soit besoin d’un soutien public (à la différence des salaires proches du SMIC).

À horizon de quelques années, il faudra donc intégrer les réductions de cotisations et le CICE dans un barème durable de cotisations sociales, progressif en fonction du salaire et garantir la stabilité de ce barême.

Rééquilibrer les rôles du SMIC et des salaires conventionnels de branche

À quel niveau ces allégements doivent-ils se situer ? La question renvoie à celle du rôle du SMIC dans la régulation salariale.

La France a fait le choix de se doter d’un salaire minimum qui est à la fois de portée universelle, sans abattements liés à l’âge (hormis pour l’alternance), et de niveau relativement élevé en comparaison des autres pays avancés, puisque le ratio du SMIC au salaire médian est de l’ordre de 62 % contre moins de 50 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Ce choix pourrait être discuté, notamment parce qu’il y a une certaine incohérence collective à se fixer une norme sociale élevée pour le niveau de salaire des jeunes et à tolérer dans le même temps la prolifération d’emplois dénommés stages et rémunérés à une fraction du salaire minimum. On sait aussi que le SMIC ne suffit pas à protéger de la pauvreté les salariés à temps partiel ou incomplet. Tout indique cependant que la société française considère sa quasi-universalité comme un des piliers de l’ordre social.

Ce choix n’implique cependant pas que le SMIC doive nécessairement être peu ou prou le seul instrument de régulation des basses rémunérations. Les dernières données disponibles indiquent que 12 % des salariés français sont rémunérés au SMIC (près de 30 % parmi les salariés à temps partiel), et qu’un quart d’entre eux gagnent moins d’1,2 SMIC. Parmi eux, beaucoup ont une ancienneté importante dans leur emploi et n’ont cependant pas connu d’autres augmentations que celles qui résultent de la norme générale.

Cette situation traduit une déficience de nos régulations salariales. Si le niveau minimal du salaire doit faire partie de l’ordre public social, les principes de progression des rémunérations en fonction de l’expérience, des compétences acquises et de la situation économique des entreprises relèvent de négociations collectives au sein des principales branches professionnelles. Celles-ci sont cependant beaucoup trop nombreuses et le dialogue social y est souvent trop fragmentaire pour que les négociations à ce niveau tiennent le rôle qui devrait leur revenir. À défaut et en l’absence de négociations d’entreprise suffisamment ambitieuses, l’évolution des basses rémunérations relève ainsi trop souvent des seuls mécanismes d’indexation du SMIC.

Une réorganisation des branches accompagnée d’une réduction marquée de leur nombre permettrait de conférer à ces négociations un plus grand rôle conventionnel dans les domaines du développement de l’emploi et de l’amélioration de la qualité du travail, du temps de travail, de la formation professionnelle, de la gestion prévisionnelle

de l’emploi et des compétences, de la reconnaissance dans les grilles de classification de la montée en qualification et en compétences des salariés et enfin de la régulation salariale.

La fixation de minima de branches tenant compte des spécificités sectorielles rendrait au SMIC un rôle d’encadrement général et permettrait que l’évolution d’ensemble des salaires et leur distribution au sein des branches soient davantage guidées par la négociation sociale.

Si la négociation de branche gagne en vitalité et en étendue, et si, en conséquence, une proportion significative des salariés dont la rémunération suit aujourd’hui le SMIC est prise effectivement en charge par des négociations collectives, il sera alors possible de réexaminer quel est, pour le moyen terme, le niveau relatif souhaitable du salaire minimum par rapport au salaire médian et les moyens d’y parvenir.

La question de ce niveau se pose en effet, et se posera de plus en plus à l’avenir, parce que la qualification moyenne des actifs progresse continûment, tandis que celle des entrants sans qualification sur le marché du travail reste grosso modo inchangée. Il y a vingt ans 40 % des actifs étaient sans diplôme ou dotés du seul brevet. Cette proportion n’était plus que de 22 % en 2013, et elle va continuer à baisser au cours des années à venir avec le remplacement des plus anciens par des jeunes en moyenne mieux formés. Parmi les jeunes entrants sur le marché du travail, cependant, un sur huit n’a pas dépassé le brevet. Après avoir été divisée par deux au cours des vingt années antérieures, cette proportion n’a guère changé depuis dix ans (on retrouve ici largement la population des « décrocheurs » dont il a déjà été question). Maintenir constant le ratio du salaire minimum au salaire médian revient ainsi en réalité à renchérir relativement le travail des jeunes non qualifiés, dans la mesure où l’on rapporte une catégorie de qualification constante (celle des nouveaux « décrocheurs ») à une autre dont le niveau de qualification s’élève.

C’est pour ces raisons que dans un objectif de promotion de l’emploi et de progression des basses rémunérations, il est souhaitable que les négociations de branche prennent en charge une partie de ce qui était jusqu’ici le rôle du SMIC et que l’évolution de ce dernier soit davantage guidée par le souci de permettre l’accès à l’emploi des jeunes sans qualification.

Responsabiliser les employeurs sur la qualité des emplois

Dans un marché du travail marqué par une plus grande fréquence des transitions professionnelles d’une entreprise à une autre, d’une branche à une autre et entre emploi et chômage, la qualité d’un emploi ne s’analyse plus au regard de ses seules caractéristiques immédiates et des perspectives qu’il ouvre au sein de la même entreprise. Elle dépend de l’expérience et des compétences qu’un poste permet d’acquérir et de la manière dont celles-ci accroissent ou réduisent les perspectives d’emploi futures du salarié. Chacun en vient ainsi à considérer son propre capital

humain comme un actif qui se valorise (ou se dévalorise) au fil de sa trajectoire professionnelle et de ses passages en formation. Cette logique est parfois poussée à l’extrême chez les jeunes qui, dans certaines professions, acceptent des emplois très fortement sous-rémunérés parce qu’ils espèrent valoriser ultérieurement l’expérience ainsi acquise.

Dans un tel contexte, la responsabilité de l’entreprise à l’égard du salarié doit s’apprécier de manière dynamique : les caractéristiques immédiatement mesurables de l’emploi (classification, conditions de travail, responsabilités, stabilité) ne suffisent plus à en résumer la qualité. Un emploi à durée déterminée mais qui est gage d’employabilité future peut ainsi avoir une valeur supérieure à un emploi apparemment stable mais qui n’ouvre pas sur des perspectives professionnelles positives.

D’un point de vue collectif, la question est de savoir comment prendre en compte les différences de qualité d’emploi ainsi définies. Il y a lieu de récompenser les comportements vertueux (qui bénéficient aux salariés, à leurs employeurs futurs et à l’ensemble de l’économie) et de décourager à l’inverse les pratiques de pure exploitation des savoirs et savoir-faire (qui ont les effets opposés).

Dans cette optique, la modulation des cotisations sociales est une bonne manière d’inciter les employeurs à se soucier de l’employabilité future de leurs salariés. Leur responsabilisation vis-à-vis des risques de chômage et de précarité est ainsi le fondement de la modulation des cotisations d’assurance chômage pour les contrats courts, prévue dans la loi de sécurisation de l’emploi de 2013. La même logique sous-tend d’ores et déjà le compte personnel de prévention de la pénibilité : le compte individuel du salarié est abondé par une cotisation versée par l’employeur qui dépend de l’exposition des salariés à des travaux pénibles.

Il est clair cependant que les méthodes usuelles comme le renchérissement du coût des CDD pour l’employeur sont trop frustes pour prendre en compte la diversité des situations évoquées et véritablement atteindre leur objectif. À l’horizon de dix ans, l’exploitation des données individuelles devrait permettre une modulation des cotisations abondant les comptes personnels sur une base beaucoup plus précise. Le conditionnement des réductions de cotisations sociales en fonction du devenir professionnel des salariés de l’entreprise aboutirait à ce que les entreprises qui permettent à leurs salariés de renforcer leurs compétences et d’acquérir une expérience professionnelle de valeur voient une part des bénéfices collectifs de leur action leur revenir. Selon la même logique incitative, celles qui ne maintiennent ou ne développent pas les capacités de leurs salariés seraient pénalisées. La transparence de l’information permettrait également aux demandeurs d’emploi de mieux effectuer leurs choix professionnels.

Réduire la dualité du marché du travail

En 2012, parmi les jeunes de 20 à 29 ans qui n’étaient pas en formation ou à leur compte, la moitié seulement bénéficiaient d’un contrat permanent, 23 % étaient en contrats courts (CDD, intérim, stages et emplois aidés, apprentissage) et 27 % étaient en inactivité ou au chômage. L’accès au CDI (contrat à durée indéterminée) demeure un parcours d’obstacles, singulièrement dans le cas des moins qualifiés pour lesquels le CDD, déjà d’accès difficile, ne fournit pas un tremplin vers l’emploi durable. Cette dualité est source d’inégalités face au risque de chômage et dans l’accès au crédit ou au logement : on sait en effet que le CDI est souvent requis pour pouvoir emprunter ou louer un appartement. Elle est aussi économiquement pénalisante, car elle décourage à la fois l’investissement des entreprises dans le développement des compétences de leurs salariés en CDD et l’investissement de ceux-ci dans l’apprentissage des procédures et méthodes propres à leur entreprise. Mais les tentatives pour la réduire ont buté sur une volonté largement partagée de préserver les protections actuellement offertes par le CDI.

La construction de sécurités professionnelles qui ne reposent pas que sur la stabilité de l’emploi au sein d’une même entreprise mais sur le renforcement de la formation professionnelle, l’incitation au développement des compétences et, comme cela vient d’être dit, la valorisation des pratiques qui contribuent à l’employabilité future des salariés, ouvrira la voie à une nouvelle approche du contrat de travail. Dans ce contexte, la France doit ambitionner de refaire du CDI la modalité principale d’embauche des nouveaux entrants sur le marché du travail. Outre les transformations qui viennent d’être exposées, cela nécessitera aussi de réduire les coûts directs et indirects liés à l’application de la législation sur les licenciements.

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 152-157)