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Un des dix pays du monde où l’on vit le mieux

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 34-37)

Faire école, c’est d’abord être un pays qui attire, un pays où l’on aspire à créer, à travailler, à vivre. Ne nous leurrons pas : nous n’atteindrons ni les taux de croissance de la Chine, ni l’inventivité scientifique et technique des États-Unis, ni la puissance industrielle de l’Allemagne, ni l’équilibre social ou la qualité environnementale des pays scandinaves, ni la

(1) Alexis de Tocqueville, discours à la Chambre des députés, 27 janvier 1848.

sécurité de la Suisse. Mais nous pouvons décider de combiner chacune de ces performances, et devenir l’un des pays qui sache le mieux mettre la croissance au service du bien-être de ses citoyens ou, pour le dire autrement, l’un des pays qui équilibre le mieux impératifs économiques, exigences environnementales et priorités sociales.

Se donner un tel objectif ne signifie pas renoncer à la performance économique ou choisir le consommateur aux dépens du producteur. C’est simplement être conscient de ce que le produit intérieur brut (PIB) est très imparfaitement corrélé avec la qualité de vie et la capacité à la préserver. C’est dépasser les critères économiques étroits qui nous servent encore trop souvent d’étalon exclusif pour promouvoir un développement responsable.

En 2009, le rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi sur la mesure des performances économiques et du progrès social mise en place à la demande du président de la République avait conclu à la nécessité de privilégier le bien-être des citoyens et la soutenabilité dans le temps des évolutions en cours1. Les problèmes que connaît actuellement la Chine, où le PIB progresse à un rythme soutenu mais où la dégradation de l’environnement menace gravement la santé des populations, et ceux que vit l’Espagne, où une expansion effrénée du crédit a débouché sur une crise profonde, illustrent la justesse de cette démarche. La croissance ne peut plus être un but en soi, un objectif purement quantitatif.

La qualité de la croissance s’apprécie au regard d’une série de dimensions. La commission Stiglitz-Sen-Fitoussi avait proposé de prendre en compte parmi les indicateurs de bien-être les conditions de vie matérielle, la santé, l’éducation, les activités personnelles (y compris le travail), la participation à la vie politique, les relations sociales, l’environnement et la sécurité.

Pour apprécier la soutenabilité, elle avait suggéré de s’appuyer sur les « stocks » que chaque génération accumule et transmet à la suivante : stock de connaissances, de compétences humaines, de capital productif, d’actifs immobiliers et financiers, patrimoine environnemental, mais aussi dette financière et dette climatique.

What gets measured gets done, dit l’anglais (ce qui se mesure se réalise). Même si des progrès ont été faits dans cette direction, avec notamment l’Indice de développement humain (IDH) et l’Indice de richesse inclusive (IRI) développés par des agences des Nations unies, on est aujourd’hui loin d’avoir intégré l’ensemble de ces dimensions dans un seul indicateur susceptible de guider ainsi les décisions économiques2. C’est pourquoi il est préférable, à ce stade, de se fonder sur une batterie de mesures, et pour cela d’associer au PIB un petit nombre d’indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l’objet d’un suivi annuel (encadré ci-dessous). Ces indicateurs, dont la sélection devrait donner lieu à délibération, couvriraient les champs économique, social et environnemental et ils porteraient à la fois sur l’actif et le passif que chaque génération transmet à la suivante.

(1) Voir le rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, www.stiglitz-sen-fitoussi.fr, 2009.

(2) Voir notamment United Nations University International Human Dimensions Programme on Global Environmental Change (2012), Inclusive Wealth Report 2012, Cambridge University Press. Voir également Attali J. (2013), Pour une économie positive, Paris, Fayard.

ASSURER LA QUALITÉ DE LA CROISSANCE : UNE DÉMARCHE ET DES INDICATEURS

La qualité de la croissance ne se décrète pas. Elle se construit au fil de la multitude des comportements des entreprises, des salariés du public et du privé, des consommateurs et des citoyens. Il s’agit là de choix individuels, mais aussi de valeurs communes qui trouvent leur traduction dans des normes explicites ou implicites. Responsabilité sociétale des entreprises, économie de fonctionnalité, éco-conception, économie circulaire, achat responsable, consommation éthique : tous ces termes dont beaucoup sont récents, et bien d’autres encore, tentent de capter les divers aspects de ces nouveaux comportements auxquels nous aspirons collectivement, même si nous n’y souscrivons pas toujours individuellement dans nos vies quotidiennes. Ils dessinent les contours d’une mutation qui vient à peine de commencer mais qui a toute chance de s’affirmer à horizon de dix ans.

Si la transition vers une croissance plus sobre résulte ainsi d’une myriade de comportements, il n’en reste pas moins que des indicateurs bien choisis et des objectifs lisibles exercent de puissants effets sur l’action des gouvernants. On l’a vu par exemple avec les cibles d’inflation des banques centrales ou avec les normes de déficit européennes. Mais quand les cibles sont trop nombreuses, elles s’annulent l’une l’autre. C’est le cas pour la qualité de la croissance : il y a trop d’objectifs économiques, environnementaux et sociaux pour qu’aucun d’entre eux ne guide véritablement la décision.

Pour y remédier, deux méthodes sont envisageables. La première consiste à donner une traduction monétaire à chacun des objectifs, afin de pouvoir les agréger et, éventuellement, de construire une mesure représentative des objectifs collectifs. La seconde est de sélectionner un petit nombre d’indicateurs et de leur donner une valeur politique. Intellectuellement attirante, la première approche prend d’emblée en compte la possibilité d’arbitrer entre objectifs, mais elle soulève de grandes difficultés : faut-il tout monétiser ? Comment valoriser l’équité dans la répartition du revenu ? Quel taux d’actualisation retenir ? La seconde est plus fruste mais plus immédiatement opératoire, c’est elle qu’il est proposé d’adopter.

Pourraient ainsi être choisis sept indicateurs de la qualité de la croissance susceptibles d’un suivi annuel. Ces indicateurs incluraient le stock d’actifs productifs incorporels et physiques de l’économie française ; les compétences (ou stock de capital humain) ; la répartition du revenu ; l’empreinte carbone de l’économie française, dans la mesure du possible en incluant les émissions induites par la production des produits importés ; la proportion artificialisée du territoire ; la dette publique nette des administrations publiques, en tenant compte des engagements hors bilan ; et enfin l’actif extérieur net de la nation.

Sur cette base, la délibération permettrait de déterminer, pour chaque mandature, quels objectifs retenir et comment répartir les efforts en vue de les atteindre.

Progresser dans chacune des directions proposées suppose en effet des investissements, et mobilise donc de l’épargne. Les arbitrages ne peuvent être ignorés, ils doivent être explicités.

Une batterie d’indicateurs permet d’apprécier les effets de son action, pas de se classer.

Cependant différents indices agrégés existent, qui visent à apprécier la qualité de la vie sur un ensemble de dimensions. L’OCDE a, par exemple, récemment développé un indice du vivre mieux (Better Life Index), construit à partir de la mesure des performances des pays dans onze domaines. Le revenu est naturellement l’un d’entre eux, mais sont également pris en compte le logement, l’éducation ou la sécurité1. L’indice agrégé est à bien des égards imparfait. Il sous-pondère ou apprécie mal certaines dimensions, comme la qualité de l’environnement ou l’éducation. Mais il existe et sera à coup sûr régulièrement amélioré au cours des années à venir. À cette jauge, la France se classe aujourd’hui au dix-huitième rang. Elle est bien notée dans de nombreux domaines, mais est handicapée par ses résultats en matière d’emploi, d’éducation, d’engagement citoyen et de sécurité. Devenir un des dix pays du monde où on vit le mieux est à notre portée. C’est déjà le cas dans de nombreux domaines. Y parvenir demande seulement de s’attaquer à un ensemble de déficiences qui nuisent au bonheur des Français.

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 34-37)