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Scénarios de croissance

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 195-200)

Depuis 2008, le niveau de production potentielle des pays avancés et leur capacité de croissance à moyen terme ont fait l’objet d’incessantes révisions à la baisse. Tant la question de court terme des capacités productives disponibles pour répondre à une éventuelle expansion de la demande (ce que les techniciens appellent l’écart de production ou output gap) que la question de moyen terme du rythme de la croissance potentielle font débat parmi les économistes. Elles demeurent un sujet d’incertitude majeur pour la politique économique et la programmation des finances publiques1.

Pour l’immédiat, le débat porte sur la part du terrain perdu ces dernières années qu’il est encore possible de rattraper en dépassant temporairement le rythme de croissance potentielle. Le PIB, qui a tout juste retrouvé fin 2013 le niveau de l’été 2008, et se situe nettement en-dessous du niveau de la production potentielle, qui a continué de progresser depuis cinq ans même si c’est à un rythme ralenti. Cependant les avis divergent quant à l’ampleur de l’écart entre l’un et l’autre : celui-ci serait de 2,5 % en 2014 selon la Commission européenne, 2,4 % pour le FMI et 3,3 % dans le programme de stabilité français.

Pour le moyen terme, l’incertitude porte avant tout sur le progrès technique et sur sa diffusion, qui peuvent être résumés par la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF). Le débat sur les perspectives d’évolution de la PGF n’est pas tranché. Pour certains, la diffusion non achevée en France de la première vague technologique portée par les technologies de l’information et de la communication (TIC) conjuguée à l’arrivée d’une seconde vague (puces 3D, intelligence artificielle, internet des objets) permet d’entrevoir une amélioration sensible de la productivité globale des facteurs au cours des prochaines années. Pour d’autres, au contraire, les effets durables de la crise conjugués à

(1) Voir, pour la France, l’avis du Haut Conseil des finances publiques du 15 avril 2013 et, pour le Royaume-Uni, l’Economic and Fiscal Outlook de mars 2014 préparé par l’Office for Budget Responsibility.

un ralentissement tendanciel du progrès technique au fil des décennies entraîneront au cours des prochaines années une croissance moins forte de la PGF.

Sur cette base, différents scénarios d’évolution sont généralement distingués (voir infra Graphique 10).

 Selon le premier type de scénario, la crise aura en définitive un effet ponctuel à la fois sur le niveau et sur la tendance de croissance du PIB, qui retrouvera à terme le niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise. C’est très largement ce qui s’est passé pour les économies émergentes après le choc de 2009 (voir chapitre 5), mais ce scénario n’est plus guère vraisemblable pour la France comme pour la plupart des économies européennes. Un tel scénario n’est pas retenu ici.

 Selon le deuxième type de scénario, la crise aura un effet durable sur le niveau du PIB, mais la croissance de celui-ci retrouvera son rythme antérieur à la crise (la Suède y est parvenue après la crise financière du début des années 1990 ; il n’est pas exclu qu’elle réédite cette performance). C’était initialement le scénario privilégié par la plupart des experts. La médiocre performance de ces dernières années a jeté le doute sur sa vraisemblance. Néanmoins, si la France sait s’approprier le progrès technique aujourd’hui disponible et mener à bien les transformations que demande son adoption, elle pourrait bénéficier au cours des prochaines années à la fois d’un rattrapage de son retard dans la diffusion de la première vague technologique liée aux technologies de l’information et des effets rapides de la seconde vague qui s’annonce. Le scénario dit « haut » correspond à une telle hypothèse.

 Selon le troisième type de scénario, la crise aura eu à la fois un effet de choc sur le niveau du PIB et un effet durable sur la tendance de croissance (ce fut le cas du Japon au début des années 1990). C’est un scénario qui peut lui-même se décliner quantitativement en différentes versions, allant d’un scénario prudent à un scénario bas, « à l’italienne » où les gains de productivité globale des facteurs seraient durablement nuls et la croissance du PIB par tête extrêmement faible.

Les contributions au débat « Quelle France dans dix ans ? » illustrent bien ces questions et la difficulté à distinguer les évolutions structurelles relatives au progrès technique de celles liées à la crise1. Face à cette incertitude, il convient d’être prudent, afin d’éviter de gager nos décisions sur une croissance qui ne serait pas au rendez-vous, mais sans pour autant exclure de nos perspectives, et par là même rendre moins probable, la possibilité d’un rebond plus vigoureux et plus durable qu’on ne l’anticipe aujourd’hui.

(1) Voir Boone L. et Renucci C. (2013), « Quelle croissance pour la France ? » ; Cette G. (2013),

« Croissance de la productivité : quelles perspectives pour la France ? » ; Artus P. (2013), « Quelle France dans 10 ans ? » et Passet O. (2013), « La France dans 10 ans : l’évolution de notre modèle productif ». Ces contributions sont disponibles sur le site de France Stratégie.

Quelques éléments quantitatifs permettent de baliser ces débats.

Entre 1983 et 2007, la croissance moyenne a été de 2,1 % par an en France. Elle a toutefois été plus forte entre 1983 et 1989 (2,5 %) qu’entre 1990 et 2007 (2 % environ). L’analyse des contributions respectives des facteurs travail, capital et du progrès technique à ces évolutions montre que c’est le ralentissement du progrès technique, reflété par la productivité globale des facteurs, de près de 2 % à un peu plus de 1 %, qui explique pour l’essentiel cet essoufflement de la croissance. Un tel ralentissement tendanciel de la PGF s’observe dans la plupart des pays développés

Tableau 7 – Décomposition de la croissance en France sur la période 1983-2010

Croissance Contribution

du travail Contribution

du capital

Productivité globale des facteurs

1983-2007 2,1 % 0,1 % 0,6 % 1,4 %

1983-1989 2,5 % – 0,1 % 0,6 % 1,9 %

1990-1999 1,9 % 0,0 % 0,6 % 1,2 %

2000-2007 2,0 % 0,2 % 0,6 % 1,1 %

Source : France Stratégie, d’après Cabannes P.-Y., Montaut A. et Pionnier P.-A. (2013), « Évaluer la productivité globale des facteurs : l’apport d’une mesure de la qualité du capital et du travail », L’Économie française, Édition 2013

 En comparaison internationale1, depuis le début de la crise en 2007, le taux de croissance annuel moyen de la PGF est négatif (– 0,3 %) en France, comparable à celui observé en Allemagne, mais bien inférieur à celui de la zone euro (+ 0,62 %) et des États-Unis (+ 0,55 %).

Sur cette base ont été retenus trois scénarios :

Scénario prudent. Compte tenu de ces tendances passées et des prévisions démographiques, une estimation conservatrice de la croissance de long terme peut être située à environ 1,5 % en moyenne sur les dix ans à venir : cela correspond à l’hypothèse d’une croissance de la PGF de 0,4 % par an. Ce scénario comporte aussi une baisse limitée du taux de chômage, jusque vers 8 %, ce qui correspond aux estimations du chômage d’équilibre avancées par les organisations

(1) Bergeaud A., Cette G. et Lecat R. (2014), « Productivity trends from 1890 to 2012 in advanced countries », Document de travail, n° 475, Banque de France.

internationales. Y sont associés des taux d’investissement et d’utilisation des capacités de production proches de leur moyenne sur la période 1990-20071.

Scénario bas. Avec une croissance de la PGF de 0,1 % par an, et avec un taux de chômage de 9,5 % en fin de période et des taux d’investissement et d’utilisation des capacités de production inférieurs à leur moyenne sur la période 1990-2007, ce qui traduirait la combinaison d’une médiocrité des perspectives d’offre et d’une persistance de problèmes de demande, la croissance serait d’environ 1 % par an. Ce scénario vise à illustrer le risque d’un cercle vicieux de quasi-stagnation analogue à celui que l’Italie a connu depuis une quinzaine d’années.

Scénario haut. Une croissance plus forte de la PGF, à 0,7 % par an, et une baisse du taux de chômage à 7 %, traduisant des efforts de réduction du chômage structurel, permettrait une croissance de 2 % par an. Qualifier ce scénario de « haut » ne doit pas être interprété comme voulant dire que la croissance ne pourra pas être plus forte, à la fois à court terme, pour absorber l’écart de production qui reste négatif, et à moyen terme, si la PGF, soutenue par les vagues d’innovation, retrouve un rythme de croissance plus proche de ceux observés avant la crise, autour de 1,0 %. Il ne faut pas exclure non plus, sur la base des propositions avancée dans ce rapport, une réduction plus prononcée du chômage.

Tableau 8 – Scénarios illustratifs de croissance

Scénarios Croissance

(1) Par rapport aux cinq scénarios utilisés par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HC-FiPS) pour ses projections à long terme de finances sociales, ce scénario se rapproche du scénario C.

Graphique 10 – Évolution du PIB de la France en volume

selon les différents scénarios de sortie de crise (en milliards d’euros 2005)

Source : France Stratégie

Ces projections recoupent les prévisions disponibles, qui situent généralement la croissance entre 1,0 % et 2,0 % : l’OCDE et le FMI prévoient une croissance comprise entre 1,0 % et 2,0 % en France entre 2014 et 2020 et la Commission européenne une croissance de l’ordre de 1,0 % en 2014 et 1,5 % en 2015. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis d’avril 2014, estime que la prévision de croissance de 1,0 % pour 2014 est réaliste et que les prévisions pour les années 2015 (1,7 %) et 2016-2017 (2,25 %) sont favorables, sans se prononcer à ce stade sur l’hypothèse de croissance potentielle de 1,6 % en 2016-2017.

Ce qu’il faut en définitive retenir de ces différents scénarios est d’abord qu’il serait dangereux de miser sur un retour spontané, et comme mécanique, aux rythmes de croissance d’avant 2007, donc durablement voisins de, ou supérieurs à 2 % l’an. La prudence oblige à fonder les décisions de finances publiques et sociales sur des hypothèses plus basses de l’ordre de 1,5 % l’an pour la décennie à venir, et il est même possible d’imaginer un scénario plus noir, marqué par la grande faiblesse des gains de productivité et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

0 500 1000 1500 2000 2500 3000

1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025

Tendance pré crise Scénario prudent Scénario haut Scénario bas Historique

Il faut cependant aussi retenir que même si cette perspective paraît aujourd’hui très lointaine, une croissance plus forte n’est pas du tout hors d’atteinte. La prudence dans le choix du scénario de référence n’interdit en aucune manière de se fixer pour objectif de créer les conditions d’une expansion plus rapide. Quand bien même le rythme du progrès technique se révélerait effectivement ralenti dans les économies les plus proches de la frontière techno-logique, la France disposerait encore d’importantes marges de progression du fait de ses capacités inemployées – notamment pour ce qui est du travail – et de son retard dans l’adoption de la vague de progrès technique qui s’est déployée ces dernières années dans les économies les plus avancées. Le gouvernement devrait donc se fixer pour objectif de moyen terme d’approcher une croissance de l’ordre de 2 % l’an, et pour cela mettre l’accent à la fois sur une augmentation du taux d’activité et du taux d’emploi, et sur une accélération des gains de productivité.

Être responsable, en politique économique, c’est évaluer objectivement ce qui est le plus probable, ce n’est pas s’en satisfaire.

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 195-200)