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Refaire de l’Union un pôle de prospérité

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 164-167)

L’Union européenne constitue encore aujourd’hui le plus vaste marché du monde. Aucune entreprise d’envergure internationale ne peut passer outre les normes qu’elle fixe, aucun inventeur ne peut négliger d’y tester ses idées ou ses produits. Il y a trente ans, l’Europe a pris conscience de ce potentiel et a entrepris d’en faire un atout économique. Elle n’y est que partiellement parvenue. Certes, les standards ont été harmonisés pour les produits et les services. Certes, l’influence normalisatrice de l’Union s’étend bien au-delà de ses frontières.

Mais nombre de marchés – ceux, par exemple, de l’énergie, des télécommunications, et encore aujourd’hui des services financiers – restent fragmentés. Tantôt, c’est la diversité des préférences qui l’explique, par exemple en matière de mix énergétique ; tantôt, comme pour les télécoms, c’est la prégnance inentamée des régulateurs nationaux ; tantôt, ce sont les réglementations nationales et la fiscalité qui segmentent.

Le résultat est que le potentiel du marché européen reste largement sous-exploité. L’Europe de l’énergie dysfonctionne, parce que le marché commun européen de l’électricité ne prend appui ni sur une politique commune de l’énergie ni sur un concept partagé de sécurité d’approvisionnement. Faute d’initiative commune, le succès du GSM (la deuxième génération de téléphonie mobile) est resté sans lendemain et l’Union a totalement perdu pied sur les matériels. Quant à l’intégration financière, elle s’est défaite sous l’impact de la crise jusqu’à ce que la mise en chantier de l’union bancaire et les initiatives audacieuses de la BCE parviennent à enrayer, mais pas encore à vaincre totalement, le mouvement de fragmentation qui menaçait la monnaie.

Ces déficiences, coûteuses, proviennent de ce que l’Europe a trop souvent opté pour une intégration partielle, qui ne permet de bénéficier ni des effets de taille d’un grand marché ni de la flexibilité de décision d’une régulation nationale. Trop souvent, les compromis passés à l’occasion d’une négociation d’intégration sont devenus ensuite autant d’obstacles pour l’adaptation à une situation par nature changeante. Trop disparate pour être forte, mais trop grande pour être agile, l’Union demeure souvent dans un entre-deux insatisfaisant.

Pourtant, le marché intérieur reste un instrument sans égal de compétitivité et d’influence. En offrant aux entreprises un espace intégré doté d’infrastructures au meilleur niveau international et en leur donnant de la prévisibilité sur les standards et les conditions de la concurrence, il peut être facteur d’investissement et de croissance. Il stimulera d’autant

mieux les investisseurs que ceux-ci disposeront de visibilité en matière de normalisation et de fiscalité.

Il faut donc, pour commencer :

Refaire du marché intérieur un vecteur de prospérité et de croissance

Pour cela, il importe de concentrer les efforts d’intégration sur les domaines pour lesquels la dimension continentale est porteuse de gains d’efficacité ou de sécurité substantiels, notamment le numérique, les marchés financiers, afin de tirer parti des différences de taux d’épargne et favoriser la croissance des entreprises, et les services, qui demeurent trop souvent segmentés. Afin de piloter ce mouvement, il serait bon de doter le marché intérieur de structures de gouvernance plus efficaces, avec notamment un Conseil (des ministres) dédié.

Créer une véritable communauté de l’énergie

L’énergie est un domaine difficile parce que les États diffèrent les uns des autres par leurs ressources, leurs préférences, leurs systèmes de productions, et aussi par leurs perceptions des menaces pour la sécurité. C’est aussi un domaine dans lequel les bénéfices potentiels de l’intégration sont considérables : une communauté de l’énergie permettrait de tirer le plein parti de dotations très disparates en matière d’accès aux énergies renouvelables ; de construire des dispositifs de sécurité collective ; et de présenter un front uni face aux comportements oligopolistiques de certains fournisseurs. Il ne s’agit ni de tout harmoniser ni de dénier à la France et à l’Allemagne de faire des choix énergétiques différents, mais de dépasser une situation dans laquelle une harmonisation partielle a conduit à des aberrations coûteuses comme le retour du charbon ou des prix de l’électricité régulièrement négatifs.

Cette communauté européenne de l’énergie devra être dotée de priorités claires en matière de lutte contre le changement climatique, de compétitivité et de sécurité énergétique ; il faut aussi qu’elle mette en œuvre une politique de recherche-développement ambitieuse pour les technologies non matures ; il faut enfin qu’elle se dote d’une diplomatie climatique à la mesure de ses ambitions.

Avancer sur le sujet fiscal avec ceux qui y sont disposés

Une assiette commune de l’impôt sur les sociétés, un rapprochement des taux et des modalités d’imposition des entreprises à dimension européenne seraient à la fois facteurs d’efficacité et d’équité. Symbolique et porteur de performance, ce projet ne peut pas aujourd’hui être envisagé à vingt-huit, il faut donc, malgré les inconvénients que cela peut présenter, le lancer avec les pays qui sont disposés à y prendre part.

Parallèlement, l’Union doit réaliser des progrès substantiels dans la lutte contre l’évasion fiscale. Il ne serait pas acceptable qu’elle se contente de demeurer à la traîne de l’OCDE.

Clarifier les compétences de l’Union

L’Union européenne a longtemps vécu sur un principe d’irréversibilité des transferts de compétences. Dès lors qu’elle ne s’inscrit plus dans la perspective d’une intégration toujours plus étroite, la logique de l’acquis communautaire a cependant vécu. Cette logique conduit en effet à ce que l’Union dispose, dans un certain nombre de domaines, de compétences largement nominales qui créent l’apparence d’une responsabilité mais privent l’échelon communautaire des moyens de l’exercer. C’est un moyen sûr de susciter des frustrations.

À terme plus ou moins rapproché, une discussion sur les compétences européennes est inévitable. La France devrait définir ses positions dans cette perspective, et choisir quelles compétences elle souhaite voir aujourd’hui revenir aux États et quelles compétences supplémentaires elle souhaite voir conférer à l’Union pour que celle-ci puisse pleinement exercer ses responsabilités et faire la preuve de sa valeur ajoutée.

Il serait cependant illusoire de croire que l’intégration des marchés suffira à ramener la prospérité en Europe. Nécessaire à la croissance des entreprises et outil d’influence internationale, cette intégration n’est pas en elle-même de nature à favoriser le rééquilibrage interne dont l’Europe a besoin. Il faut que l’Union se dote de deux outils qui lui font aujourd’hui défaut : une capacité financière qui permette d’orienter les flux d’épargne vers les pays et les régions qui ont besoin de se reconstruire, et un cadre législatif et social d’accompagnement des migrations et de régulation de la concurrence sociale.

Il s’agirait donc de :

Doter l’Union d’instruments pour l’investissement en capital

Le marché intérieur a notamment été créé pour favoriser la circulation de l’épargne, cependant son potentiel reste partiellement inexploité. Aujourd’hui le Nord de la zone euro enregistre un surplus d’épargne de plus de 250 milliards d’euros tandis que le Sud doit impérativement investir pour reconstruire son potentiel de croissance. Mais les instruments pour transformer cette complémentarité en atout font défaut.

L’Union a organisé en son sein des mécanismes de soutien public au développement régional mais il s’agit ici avant tout de véhicules pour des flux d’épargne privés. Les épargnants souhaitent investir en titres peu risqués, tandis que le redressement du Sud requiert des investissements en capital. La création de fonds d’investissement européens bénéficiant ou non d’une garantie publique apporterait une contribution importante à la croissance européenne.

S’agissant des instruments publics, la Banque européenne d’investissement (BEI) ne joue pas aujourd’hui le rôle dont l’Europe aurait besoin pour assurer son redressement.

Alors que des investissements en capital, à l’image de ceux de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) en Europe centre-orientale,

auraient été nécessaires pour aider au redressement des pays en crise, les statuts et les modes d’intervention de la BEI ne l’ont pas permis. Pour stimuler le redressement des pays et régions en dépression, l’Union – ou la zone euro – devrait se doter d’un instrument d’investissement plus souple. Cela pourrait se faire soit par appel à la BERD, soit par modification des statuts de la BEI, soit par création d’un instrument sui generis – une « capacité financière » commune.

Mettre en chantier un Acte unique pour le travail

Comme l’a noté ce rapport, la question de la mobilité du travail en Europe est aujourd’hui d’actualité. Il ne s’agit évidemment pas de suggérer que la solution au problème du chômage réside dans l’émigration, mais au moins faudrait-il que ceux – les jeunes, souvent - qui choisissent de travailler hors des frontières nationales ne soient pas pénalisés par l’insuffisante portabilité des qualifications et des droits sociaux.

Se pose par ailleurs la question de l’extension du socle social. Les politiques sociales diffèrent d’un pays à l’autre, mais l’intégration européenne s’est dès l’origine accompagnée de la définition d’un socle commun dans le périmètre duquel les États membres ne se font pas concurrence. Poursuivre et approfondir l’intégration des marchés demande aujourd’hui un élargissement du socle commun. La conversion de l’Allemagne au principe du salaire minimum change notamment la donne et permet de rouvrir un dossier longtemps bloqué.

L’initiative en ce domaine pourrait prendre la forme d’un Acte unique pour le travail incluant notamment le principe, pour tous les pays participants, du salaire minimum, des orientations quant au niveau de ce minimum relativement au salaire médian du pays, la reconnaissance mutuelle des compétences, un accord de coopération sur la lutte contre le travail illégal et une extension de la portabilité des droits sociaux, en sorte que la mobilité intra-européenne ne soit jamais l’occasion de pertes pour les salariés qui s’y engagent.

Marché intérieur, capacité financière et volet social comportant une portabilité transfrontière des droits individuels formeraient ainsi un triptyque plus complet et plus porteur de prospérité que ne l’est aujourd’hui le seul schéma d’intégration partielle sur lequel fonctionne l’Union.

Dans le document QUELLE FRANCE DANS DIX ANS? (Page 164-167)