• Aucun résultat trouvé

Thèmes d’analyse de la série 13 Reasons Why

5.4 La violence initiatique

Le quatrième thème est celui de la violence initiatique. Nous allons discuter de la dimension initiatique de la violence inhérente à la transition à l’âge adulte. En effet, les épreuves que vivent les jeunes sont souvent violentes. Cette violence est-elle nécessaire? Pourquoi?

Dans les sociétés traditionnelles, les épreuves des rites pubertaires comportent de la violence. Elles permettent aux initiés de devenir adultes. Les violences infligées aux initiés par les aînés participent à l’avènement de leur mort symbolique qui marque l’accès à leur statut d’adulte (Eliade, 1959). La violence initiatique des sociétés traditionnelles se résume donc comme suit: en surmontant des épreuves, les initiés attestent de leur volonté de changer de peau pour accéder à de nouvelles responsabilités (Le Breton, 2009; Lachance, 2012). La réussite des épreuves initiatiques est un incontournable dans les sociétés traditionnelles. Il y avait des épreuves physiques, mais aussi des épreuves morales. Puis il y a aussi des marquages, scarifications, coupage d’un doigt ou du prépuce et incisions sur le corps qui impliquent une violence. Il s’agit d’une violence symbolique, c'est-à-dire qui comporte un sens pour ceux qui la subissent et ceux qui en sont auteur. Un sens qui fait partie de leur mythologie et de leur croyance. C’est pourquoi cette violence est acceptable. Elle fait partie de l’ordre des choses.

Dans le contexte contemporain, la violence initiatique a la même fonction: développer sa maturité (Jeffrey, 2016; W. Turner, 1990). Cela peut se faire à travers des pratiques violentes comme l’incision corporelle, les conduites à risque, les conduites jackass, les conduites d’excès, mais aussi des événements comme une rupture, une bataille,

un viol, etc. De plus, l’adolescence est en soi une période particulière de l’existence, car les ados vivent des transformations physiques et émotionnelles qui leur font violence (Jeffrey, 2016). Dans son ouvrage La violence : Essai sur l’”homo violens”, le philosophe Roger Dadoun voit en l’adolescence une sorte de « carrefour de violences » (1993 : 40). En plus des modifications corporelles, il faut ajouter les violences liées aux régulations sociales, éducatives, parentales et les enjeux liés à la construction de son identité personnelle.

Les pratiques et événements de violence permettent aux adolescents de connaitre leurs propres limites et leur valeur. Cette violence peut leur permettre d’instituer leur identité personnelle. Elle leur permet aussi de ressentir leur sentiment de soi et d’appartenance au monde. En fait, ils peuvent se servir de cette violence pour se prouver à soi et au monde que leur vie a une valeur et un sens (Le Breton, 2016). En ce sens, malgré le fait que la violence que vivent les ados d’aujourd’hui n’est pas planifiée et ritualisée comme dans les sociétés d’autrefois, nous avons constaté dans la série 13 que tous en vivent sur leur chemin qui mène à l’âge adulte. L’adolescence est donc une période de la vie où s’expérimentent diverses formes de violence. Dans la série 13, nous allons donc analyser les expériences de violences que traversent les héros.

5.5 La honte de soi

Le prochain thème est celui de la honte de soi. Confrontés à leur propre image en changement, à de nouveaux désirs et à de nouvelles aspirations souvent à l’opposé de celles qu’attend d’eux leur entourage, les ados ont honte d’eux-mêmes. Le monde adulte est parfois enclin à oublier à quel point plusieurs expériences à l’adolescence peuvent générer une tension insoutenable, un sentiment de honte qui n’est pas toujours bien compris, et qui amène un repliement sur soi pour se protéger. Ainsi, le fait de choisir le thème de la honte pour notre analyse de 13 permet de réfléchir sur une dimension sensible de l’adolescence.

Dans les sociétés traditionnelles, il n’est pas étonnant de constater que ce sentiment de honte est à peu près inexistant. L’homme qui se regarde trouve en lui le reflet du monde qui l’entoure (Mead, 1982). L’anthropologue Margaret Mead explique ce sentiment d’adéquation par le fait que « le délicat processus éducatif, qui a fait de lui un adulte, lui a

assuré cette appartenance spirituelle à sa propre société » (1982 : 321). L’exemple donné par Mead sur la question du genre est frappant de lucidité. Dans ces sociétés, dont celle des Arapesh, l’on ne porte pas atteinte au sentiment qu’a l’enfant de sa position dans le monde, et ce, dans l’un de ses aspects fondamentaux: on ne conteste jamais qu’il appartienne à son propre sexe (Mead, 1982). Ainsi, si une fille désire imiter son père ou un garçon, sa mère, on ne fera jamais de reproche à l’enfant. Il ne sera donc jamais taxé d’être, à titre d’exemple, une fille manquée ou une mauviette.

Si nous transposons cet exemple dans notre contexte actuel, un enfant libre de déterminer son identification au genre féminin, masculin ou autre, avec l’approbation bienveillante de ses parents, ne connaitra pas le sentiment de honte de soi. La connaissance de soi, si elle se veut un impératif dans le contexte contemporain, ne s’accompagne souvent pas de ce regard bienveillant de l’adulte. Par exemple, il ne suffit qu’à penser aux adolescents homosexuels. Dans nombre de familles, il n’est pas rare de voir des parents renier leurs enfants sur la base de leur orientation sexuelle. Ce faisant, l’adolescent a honte de lui-même et les parents ont honte de lui (Dolto, 2003). Pourtant, le regard bienveillant d’un parent est très soutenant pour parvenir à l’âge adulte.

En fait, la honte est un sentiment d’insécurité tout à fait normal de l’adolescence. Par exemple, les jeunes garçons peuvent se demander si leurs amis vont se mettre à rigoler s’ils écoutent de la musique trop féminine. D’autres jeunes filles pourront se demander si elles sont assez belles, minces ou grandes. Tous les ados peuvent ressentir de la honte quant à leur image corporelle ou sur leur identité personnelle. Le thème de la honte est donc multiple, pluriel, c’est-à-dire propre à l’émotivité de chaque jeune: honte de ses habiletés amoureuses, honte de ses résultats scolaires, honte de son manque de rigueur dans le travail, honte de ne pas être assez sportif, honte de ne pas être bon en mathématiques, honte de son homosexualité, honte de valoriser d’autres univers musicaux par peur de sortir du rang, honte de ses goûts vestimentaires, honte de ses besoins affectifs, mais également, honte des adultes, des parents, de la bande d’amis, etc. Dans la série 13, presque tous les héros éprouvent des moments de honte.

Le prochain thème est celui du récit initiatique. Nous allons l’aborder en utilisant les travaux sur le mythe de l’historien des religions Mircea Eliade, les travaux sur l’archétype du héros du mythologue Joseph Campbell et les travaux sur le voyage initiatique de Simone Vierne.